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23/06/2022 | CADHP | N°007/2019

CADHP | Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 23 juin 2022, 007/2019


Texte (pseudonymisé)
AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
Af AI ET AUTRES
RÉPUBLIQUE DU MALI ze
REQUÊTE N° 007/2019
ARRÊT
23 J UIN 2022 SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV DEMANDES DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE
VI SUR LA RECEVABILITÉ
VII. SUR LE FOND 13
A. Violation alléguée de

s droits à l’égalité de tous devant la loi et à une égale protection
de la loi ...

AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
Af AI ET AUTRES
RÉPUBLIQUE DU MALI ze
REQUÊTE N° 007/2019
ARRÊT
23 J UIN 2022 SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV DEMANDES DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE
VI SUR LA RECEVABILITÉ
VII. SUR LE FOND 13
A. Violation alléguée des droits à l’égalité de tous devant la loi et à une égale protection
de la loi 13
1 Par le ministre de la Sécurité intérieure et de la protection civile 13
ii. Par la Cour suprême 16
B Violation alléguée du droit à l’égal accès aux fonctions publiques 19
C. Sur la violation alléguée du droit à l'éducation 22
D. Sur la violation alléguée du droit d’être promu à une catégorie supérieure 24
VII. SUR LES RÉPARATIONS 26
IX SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE 27
X DISPOSITIF 27 La Cour composée de : Imani D. ABOUD, Présidente ; Blaise TCHIKAYA, Vice-
Président ; Ben KIOKO, Bv Be C, Bq AM, M-Thérèse
MUKAMULISA, Aq Bz AL, Ag AN, Stella |. ANUKAM,
Cb Bx X — uges, et Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme
et des peuples (ci-après désigné le « Protocole ») et à la règle 9(2) du Règlement
intérieur de la Cour! (ci-après désigné « le Règlement »), le J uge Bi AR, de
nationalité malienne, s’est récusé.
En l’affaire
Représentés par Maître Mariam DIAWARA, Avocat au Barreau du Mali.
Contre
RÉPUBLIQUE DU MALI,
Représentée par
i_ Monsieur Bt A, Directeur général du Contentieux de l’État,
ii. Monsieur Au AO, Directeur général adjoint du Contentieux de l’État,
iii. Monsieur Bn Y, Sous-directeur des Affaires générales du Contentieux de l’État.
après en avoir délibéré,
rend l'arrêt suivant :
! Article 8(2) du Règlement de la Cour du 2 juin 2010.
l. LES PARTIES
1. Le sieur Af AI et quinze (15) autres? (ci-après dénommés « les
Requérants »), sont des ressortissants maliens, fonctionnaires de police.
Ils allèguent que leurs candidatures à l’École nationale de Police ont été
rejetées illégalement par le ministère de la Sécurité intérieure.
2. La Requête est dirigée contre la République du Mali (ci-après dénommée
« l’État défendeur ») qui est devenue partie à la Charte africaine des droits
de l'homme et des peuples (ci-après dénommée «la Charte ») le 21
octobre 1986 et au Protocole le 20 juin 2000. L'État défendeur a également
déposé, le 19 février 2010, la Déclaration prévue par l’article 34(6) du
Protocole, par laquelle elle accepte la compétence de la Cour pour recevoir
des requêtes émanant des individus et des Organisations non
gouvernementales.
II. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. Les Requérants soutiennent qu’en application du décret n°06-53/P -RM du
06 février 2006 fixant les dispositions particulières applicables aux
différents corps des fonctionnaires de la police nationale (ci-après désigné
« décret du 06 février 2006»), le ministre de la Sécurité intérieure et de la
Protection civile a instruit le directeur général de la police nationale de
recenser au sein de la police les agents titulaires de diplômes supérieurs
afin de les intégrer dans les corps des inspecteurs et des commissaires de
police après une formation à l’École nationale de police. Les diplômes qui
étaient pris en compte à cet effet sont la maitrise, la licence, le diplôme
? Jean By AK, Am Y, Bm AI, Ba AQ, Bi AQ, Bl Ad A, Ah Ai AG, Cd AQ, Bs AJ, Ca AQ, Aj Ar Z, Ay AI, Ab A, Bu AP, Aj AK.
d’études universitaires générales (D.E.U.G.) et le diplôme universitaire de
4, ls affirment qu’à la suite du recensement et la vérification, le directeur
général de la police a transmis la liste des fonctionnaires de police qui sont
détenteurs des diplômes requis au ministre de la Sécurité intérieure et de
la protection civile et ledit ministre les a nommés, par arrêtés, élèves
commissaires de police et élèves inspecteurs de police*.
5, Les Requérants soutiennent qu’ils n’ont pas été retenus bien que titulaires
des diplômes exigés. Ils déclarent que certains de leurs collègues dont les
candidatures avaient été rejetées, ont saisi la Section administrative de la
Cour suprême de l’État défendeur, qui par divers arrêts,* a fait droit à la
demande desdits collègues sur le fondement des principes de l'égalité de
tous devant la loi et de la non-discrimination, ce qui a ouvert la voie à leur
régularisation administrative par l'autorité de tutelle.
6. Ils indiquent qu’à leur tour, suite au recours hiérarchique qu'ils ont déposé
auprès du ministre de la Sécurité pour voir régulariser leur situation, chose
qui est restée sans suite, ils ont déposé un dossier à cette fin, le ''" août
2016, devant la Section administrative de la Cour suprême qui les a
déboutés par un arrêt n° 586 du 13 octobre 2016. Ils ont introduit, devant
la même Section de la Cour suprême, un recours en rectification d'erreur
matérielle qui a été rejeté suivant arrêt n° 498 du 30 août 2018.
7. Is affirment que par un revirement jurisprudentiel injustifié, la Chambre
administrative de la Cour suprême, suivie en cela par l’administration, a
opéré à leur égard un traitement discriminatoire et une rupture d’égalité
3 Arrêté n°070825/MSIPC-SG du 03 avril 2007 ; arrêté n°081983/MSIPC-SG du 10 juillet 2008 ; arrêté n°081984/MSIPC-SG du 10 juillet 2008.
4 Arrêt n°40 du 07 mars 2013 de la section administrative de la Cour suprême ; Arrêt n°362 du 22 novembre 2013 de la section administrative de la Cour suprême ; Arrêt n°093 du 17 avril 2014 de la section administrative de la Cour suprême.
8. Les Requérants ajoutent, par ailleurs, que l’article 125 de la loi n° 10-034
du 12 juillet 2010 portant statut des fonctionnaires de police“ (ci-après
désigné « loi du 12 juillet 2010 »), qui exige une autorisation préalable du
supérieur hiérarchique pour entamer des études supérieures, est
incompatible avec les instruments de droits de l’homme ratifiés par l’État
défendeur.
B.Violations alléguées :
9. Les Requérants allèguent la violation des droits suivants :
1) Le droit à l’égalité devant la loi et le droit à une égale protection de la
loi, protégés par l’article 3(1) et (2) de la Charte et l’article 26 du Pacte
internationale relatif aux droits civils et politiques (ci-après désigné le
« PIDCP »);
ii) Le droit à l’égal accès aux fonctions publiques de leur pays, protégé
par les articles 13(2) de la Charte et 25(c) du PIDCP ;
ii) Le droit à l'éducation protégé par l’article 17(1) de la Charte et 13(1)
du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels (ci-après désigné le « PIDESC ») ;
iv) Le droit d'être promu à une catégorie supérieure protégé par l’article
7(c) du PIDESC ;
IL — RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
10. La Requête introductive d’instance a été déposée le 21 février 2019 et
communiquée à l'État défendeur le 27 mai 2019.
5 Article 125 : « L’avancement de catégorie par voie de formation requiert que le fonctionnaire de la Police nationale ait terminé avec succès des études d’un niveau correspondant à la catégorie d’accession. Pour être admis à entreprendre la formation visée à l'alinéa précédent, le fonctionnaire de police doit : compter au moins cinq (5) années d'ancienneté dans son corps ; avoir fait l’objet d’un avis favorable de l'autorité hiérarchique, motivé notamment par sa dernière notation et par la spécialité du corps auquel il envisage d’accéder ; être à au moins cinq (5) ans de la retraite à la fin de la formation ».
11. Les Parties ont déposé leurs conclusions au fond et sur les réparations
dans les délais prescrits.
12. Les débats ont été clos le 29 janvier 2021 et les Parties en ont dûment reçu
notification.
IV. DEMANDES DES PARTIES
13. Les Requérants demandent à la Cour de :
i. Dire et juger qu’elle est compétente pour connaitre de la Requête ;
il. Déclarer la Requête recevable ;
iii. Constater que l’État défendeur a violé les droits à l’égalité de tous devant
la loi et l’égale protection de la loi sans discrimination (article 3(1)(2) de
la Charte et 26 du PIDCP), le droit à l’égal accès aux fonctions publiques
(article 25(c) du PIDCP) ; le droit à l’éducation (article 17(1) de la Charte
et article 13(1)(c) du PIDESC) ; le droit d’être promu à un emploi
supérieur (article 7(c) du PIDESC) ;
iv. Constater que l’article 125 de la loi n°10-034 du 12 juillet 2010 portant
statut des fonctionnaires de la Police nationale, est incompatible avec
l’article 17(1) de la Charte, et les articles 7(c) et 13(1)(c) du PIDESC ;
v. Ordonner à l’État du Mali de faire réviser la loi du 12 juillet 2010 et la
conformer aux dispositions susvisées ;
vi. Ordonner également l’État défendeur de les régulariser etles reclasser
au grade de commissaire Divisionnaire 1% échelon, soit le grade
immédiatement supérieur à celui détenu par leurs collègues Bd
B Bp, Ap AJ, B& Aa, As AJ, Bo
Bg et autres ;
vi. Condamner l’État du Mali de payer à chaque Requérant la somme de
huit millions huit cent mille (8 800 000) francs CFA, au titre des arriérés
de solde depuis la signature de leur arrêté de nomination en juillet 2008
jusqu’au prononcé de la décision de la Cour ;
vil. Condamner en outre l'État du Mali à payer à chaque Requérant la
somme de cent millions (100 000 000) de francs CFA pour toutes causes
de préjudice confondues ;
ix. Mettre les dépens aux frais de l’État du Mali.
14. L'État défendeur demande à la Cour de :
i. Dire ce que de droit sur la recevabilité du recours ;
ii. Rejeter la Requête comme mal fondée ;
ii. Condamner les Requérants aux entiers dépens.
V. SUR LA COMPÉTENCE
15. La Cour fait observer que l’article 3 du P rotocole est libellé comme suit :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous
les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et
l'application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par les États
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la Cour décide.
16. Aux termes de la règle 49(1) du Règlements, « la Cour procède à un
examen préliminaire de sa compétence [.…] conformément à la Charte, au
Protocole et au présent Règlement ».
17. Sur la base des dispositions précitées, la Cour doit, dans chaque requête,
à titre préliminaire, procéder à une appréciation de sa compétence et
statuer sur les exceptions d’incompétence, le cas échéant.
18. La Cour observe qu'aucune exception n’a été soulevée quant à sa
compétence matérielle, personnelle, temporelle et territoriale. Néanmoins,
conformément à l'article 49(1) du Règlement, elle doit s'assurer que tous
les aspects de sa compétence sont remplis.
6 Article 39(1) du Règlement intérieur de la Cour du 02 juin 2010.
19. La Cour note qu’elle a la compétence matérielle, dans la mesure où les
Requérants allèguent la violation des articles 3(1) et (2),13(2) et 17(1) de
la Charte, mais aussi les articles 25(c) et 26 du PIDCP, 7(2) et 13(1) du
PIDESC auxquels l’État défendeur est partie.”
20. Elle observe aussi qu’elle a la compétence personnelle puisque l’État
défendeur est partie à la Charte, au Protocole et a déposé la Déclaration
qui permet aux individus tels que les Requérants, de déposer des affaires
contre lui devant la Cour.
21. S'agissant de sa compétence temporelle, la Cour constate qu’elle est
établie, les violations alléguées ayant été commises après l’entrée en
vigueur, à l’égard de l’État défendeur, des instruments cités au point (i) du
présent paragraphe.
22. La Cour a la compétence territoriale, dans la mesure où les faits de la cause
etles violations alléguées ont eu lieu sur le territoire de l'État défendeur.
23. Par voie de conséquence, la Cour conclut qu’elle est compétente pour
examiner la Requête.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
24. L'article 6(2) du Protocole dispose que « la Cour statue sur la recevabilité
des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de
la Charte ».
25. Conformément à la règle 50(1) du Règlement, « la Cour procède à un
examen de la recevabilité de la requête conformément à la Charte, au
7 L'État défendeur est devenu partie aux PIDCP et PIDESC le 16 juillet 1974.
8 Article 40 du Règlement intérieur de la Cour du 02 juin 2010.
26. La règle 50(2) du Règlement, qui reprend en substance l’article 56 de la
Charte, dispose que :
Les requêtes introduites devant la Cour doivent remplir toutes les conditions
ci-après :
a) Indiquer l'identité de leur auteur, même si celui-ci demande à la Cour
de garder l’anonymat ;
b) Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
c) Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou insultants à
l'égard de l’État concerné et ses institutions ou de l’Union africaine ;
d) Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles diffusées
par les moyens de communication de masse ;
e) Être postérieures à l'épuisement des recours internes s'ils existent, à
moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces recours
se prolonge de façon anormale ;
f) Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis l'épuisement
des recours internes ou depuis la date où la Commission a été saisie
de l’affaire ;
g) Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des Nations
Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des dispositions de la Charte.
27. La Cour note que l’État défendeur n’a soulevé aucune exception
d’irrecevabilité. Cependant, elle est tenue d’examiner si les conditions
requises par les dispositions susvisées sont remplies.
28. À cet égard, elle constate que conformément à la règle 50(2)(a) les
Requérants ont clairement indiqué leur identité.
29. La Cour relève également que les demandes formulées parles Requérants
visent à protéger leurs droits garantis par la Charte. En outre, l’un des
objectifs de l’Acte constitutif de l’Union africaine, tel qu’énoncé à son article
3(h), estla promotion etla protection des droits de l'homme et des peuples.
Par ailleurs, aucun élément du dossier n’indique que la Requête est
incompatible avec une quelconque disposition de l'Acte. La Cour considère
donc que la Requête est compatible avec l’Acte constitutif de l’Union
africaine etla Charte, etestime par conséquent qu'elle satisfait à l’exigence
de la règle 50(2)(b) du Règlement.
30. La Cour note, en outre, que la Requête ne contient aucun terme outrageant
ou insultant à l’égard de l’État défendeur, de ses institutions ou de l’Union
africaine, telle que l'indique la règle 50(2)(c).
31. La Cour estime, en outre, que la Requête satisfait à la condition énoncée à
la règle 50(2)(d) du Règlement puisqu'elle ne repose pas sur des nouvelles
diffusées parles moyens de communication de masse mais plutôt concerne
des dispositions législatives et règlementaires de l’État défendeur.
32. La Cour note, s'agissant de l'épuisement des recours internes prévue par
la règle 50(2)(e), que la Requête est fondée sur des allégations de
violations de droits de l’homme en relation avec, d’une part, le refus de
l'administration d'inscrire les Requérants sur la liste des élèves inspecteurs
et commissaires de police et d’autre part, l’incompatibilité de l’article 125
de la loi n° 10-034 du 12 juillet 2010 avec l’article 25(c) et26 du PIDCP, les
articles 13(2)(c) et 7(c) du PIDESC.
33. Concernant le refus de l’administration d'inscrire les Requérants sur la liste
des élèves autorisés à suivre la formation à l’école nationale de police, les
Requérants ont soutenu, sans être contestés, qu’ils ont épuisé le recours
dans la mesure où ils ont saisi la section administrative de la Cour suprême
de l’État défendeur et attendu l'issu de ce recours avant de déposer la
Requête.
34. En effet, il ressort du dossier que les Requérants ont saisi la Section
administrative de la Cour suprême d’un recours aux fins de « régularisation
de leurs situations administratives à travers leur inscription sur la liste des
élèves commissaires pour suivre la formation de commissaire de police » en alléguant avoir été victimes d’une totale inégalité devant la loi. Ce
recours a donné lieu à l’arrêt n° 586 du 13 octobre 2016 par lequel la
Section administrative de la Cour suprême a rejeté leur demande. Sur le
fondement de l'article 256° de loi n°2016-046 du 23 septembre 2016 portant
loi organique fixant l’organisation, les règles de fonctionnement de la Cour
suprême et la procédure suivie devant elle (ci-après désigné la «loi
organique du 23 septembre 2016 »), les Requérants ont introduit, devant
la même Section, un recours en rectification d’erreur matérielle qui a été
rejeté suivant arrêt n°498 du 30 août 2018.
35. La Cour note, en outre, que les articles 110!° et 111"! de la loi organique
du 23 septembre 2016, prévoient que la section administrative de la Cour
suprême estjuge suprême etstatue en premier et dernier ressort. Il s'ensuit
que les Requérants ont épuisé les recours internes en ce qui concerne la
réclamation relative au refus de l'administration d'inscrire les Requérants
sur la liste des élèves inspecteurs et commissaires de police.
36. Sur l'aspect de l’incompatibilité de l’article 125 de la loi du 12 juillet 2010
avec les instruments des droits de l'homme, la Cour observe que
conformément à l’article 85 de la loi organique déterminant les règles
d'organisation et de fonctionnement de la Cour constitutionnelle,!? le seul
recours qui pouvait être exercé est le recours en inconstitutionnalité de la
loi contestée notamment sa compatibilité avec les droits fondamentaux de
la personne humaine.
° Loi n° 2016-046 du 23 septembre 2016, article 256 : « Lorsqu'un arrêt de la Section administrative est entaché d’une erreur matérielle susceptible d'avoir exercé une influence sur le jugement de l’affaire, la partie intéressée peut introduire devant la Section, un recours en rectification ».
Idem, article 110 : La Section administrative est le juge suprême de toutes les décisions rendues par les juridictions administratives inférieures ainsi que des décisions rendues en dernier ressort par les organismes administratifs à caractère juridictionnel
1! Idem, article 111 « La Section administrative est compétente pour connaître en premier et dernier ressorts des recours pour excès de pouvoir dirigés contre les décrets, arrêtés ministériels ou interministériels et les actes des autorités administratives nationales ou indépendantes … »
12 La loi organique n° 97-010 du 11 février 1997, article 85 « la Cour constitutionnelle est juge de la constitutionnalité des lois et elle garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et des libertés publiques » 37. La Cour note qu’en application de l’article 45!3 de cette loi organique, les
Requérants n’ont pas qualité pour saisir la Cour constitutionnelle en matière
de contrôle de constitutionnalité et de respect des droits fondamentaux des
lois organiques, des lois ordinaires et des engagements internationaux. De
plus, aucun élément dans le dossier n’indique que les Requérants
disposaient d’un autre recours judiciaire dans le système juridique de l’État
défendeur qu’ils auraient pu intenter.
38. De ce qui précède, la Cour estime qu’aucun recours n’était disponible pour
les Requérants relativement à l'incompatibilité de l’article 125 de la loi du
12 juillet 2010 avec les instruments des droits de l’homme ratifiés par l’État
défendeur.
39. La Cour, par conséquent, déclare que les Requérants ont épuisé les
recours internes et que la Requête est conforme à l’article 50(2)(e) du
Règlement.
40. Ence qui concerne la condition relative à l'introduction de la Requête dans
un délai raisonnable prévue par la Règle 50(2)(f), la Cour rappelle qu’elle a
adopté une approche au cas par cas pour apprécier ce qui constitue un
délai raisonnable en tenant compte des circonstances particulières de
chaque affaire.!* La Cour a ainsi jugé que le temps mis par le Requérant
pour tenter d’épuiser un recours devant les juridictions internes devait être
pris en considération pour déterminer le caractère raisonnable du délai.!*
3 Idem, Article 45 « Les lois organiques adoptées par l'Assemblée Nationale sont obligatoirement transmises avant leur promulgation à la Cour Constitutionnelle par le Premier Ministre. La lettre de transmission indique, le cas échéant, qu’il y a urgence. Les autres catégories de loi, avant leur promulgation peuvent être déférées à la Cour Constitutionnelle soit par le Président de la République, soit par le Premier Ministre, soit par le Président de l'Assemblée Nationale ou un dixième des Députés, soit par le Président du Haut Conseil des Collectivités ou un dixième des Conseillers Nationaux, soit par le Président de la Cour Suprême
4% Ayants droit de feu Av Bk et autres c. An Aw, (exceptions préliminaires) (21 juin 2013) 1 RJCA 204, $ 121 ; Bf Ak c. République-Unie de Tanzanie (Fond) (20 novembre 2015), 1 RJ CA 482, $ 73.
15 Al c. Tanzanie, (fond et réparations) (7 décembre 2018), 2 RJ CA 493, $ 56 ; Br c. Tanzanie (fond) (23 mars 2018) ,2 RJ CA 297, $ 61.
41. La Cour relève en l'espèce que suite à l'arrêt de la Cour suprême du 13
octobre 2016, les Requérants ont introduit un recours en rectification d’une
erreur matérielle substantielle dudit arrêt, lequel a abouti à un arrêt du 30
août 2018. La Cour estime qu’elle doit prendre en considération le temps
mis par les Requérants pour tenter d’épuiser le recours en rectification
d’erreur matérielle avant de se présenter devant elle. Ainsi, entre le 30 août
2018, date de ce recours et le 21 septembre 2019, date de saisine de la
Cour, il s’est écoulé douze (12) mois et vingtet-un (21) jours.
Conformément à sa jurisprudence,!6 la Cour considère que ce délai est
raisonnable.
42. Par ailleurs, s'agissant du grief relatif à l’incompatibilité de l’article 125 de
la loi du 12 juillet 2010 avec les instruments des droits évoqués par les
Requérants, la Cour a constaté qu’il n'existait pas de recours à épuiser de
sorte qu’il n’y a donc pas de délai raisonnable à prendre en compte.!” Elle
souligne, au demeurant, que les violations alléguées à cet effet revêtent un
caractère continu et se renouvèlent donc chaque jour étant donné qu'elles
découlent d’une loi adoptée le 12 juillet 2010 qui est toujours en vigueur.
Par conséquent, les Requérants auraient pu saisir la Cour à tout moment
tant que des mesures ne sont pas prises pour remédier auxdites violations
43. Enfin, la Cour relève que, conformément à la règle 50(2)(g) du Règlement,
rien n’indique que la présente Requête concerne une affaire déjà réglée
par les parties conformément, soit aux principes de la Charte des Nations
Unies, soit à l’Acte constitutif de l’Union africaine, ou encore aux
dispositions de la Charte.
16 Aj At et 74 autres, CAfDHP, Requête n° 037/2017, arrêt du 25 septembre 2020, $ 53(iv) ; Bb Ao Ae c. Tanzanie (fond et réparations) (28 mars 2019), 3 RJ CA 13, 8 56 ;
17 J ebra Kambole c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 018/2018, Arrêt du 15 juillet 2020 (fond et réparations), $ 50 ; Az Ac c. République unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 011/2019, arrêt du 30 septembre 2021, $ 42.
18 Idem J ebra Kambole c République Unie de Tanzanie, $ 53.
44, Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que la Requête remplit
toutes les conditions énoncées à l’article 56 de la Charte et l’article 50(2)
du Règlement et la déclare, en conséquence, recevable.
VII. SUR LE FOND
45. Les Requérants allèguent : (A) la violation des droits à l’égalité devant la loi
età une égale protection de la loi par la Cour suprême et le ministère de la
sécurité Intérieur sans discrimination, (B) la violation du droit à l’égalité
d'accès aux fonctions publiques, (C) la violation du droit à l’éducation, et
(D) la violation du droit d’être promu à une catégorie supérieure.
A. Violation alléguée des droits à l’égalité de tous devant la loi et à une
égale protection de la loi
46. Les Requérants allèguent que l’État défendeur, du fait du ministère de la
Sécurité intérieure et de la protection civile, d’une part et de la section
administrative de la Cour suprême, d'autre part, a violé leurs droits à
l'égalité et à une égale protection de la loi et à la non-discrimination,
protégés par l’article 3(1) et (2) de la Charte et l’article 26 du PIDCP.
47. La Cour note, s'agissant de l’allégation de violation de l'article 3(1) et (2) de
la Charte, que dans la Requête les Requérants n’allèguent en fait que la
violation du droit à l’égalité de tous devant la loi tant par le ministre de la
Sécurité intérieure et de la protection civile que par la Cour suprême, droit
protégé par l’article 3(1) de la Charte.
i. Parle ministre de la Sécurité intérieure et de la protection civile
48. Les Requérants affirment que le principe de l'égalité a été rompu par le
ministre de la Sécurité intérieure et de la protection civile de l’État
défendeur qui a fait une application discriminatoire des conditions de
promotion des fonctionnaires de police, au regard du décret n°06/053 du 6 février 2006 et l’article 125 de la loi n°10-034 du 12 juillet 2010.
49. Ils soutiennent que sans justification légale, les autorités ont promu au rang
d’élèves commissaires de police les sieurs Ap AJ, F ousseiny
B Cc, Bê Aa, Bo Bg, Bd Bh B Bp et As
AJ alors qu’ils ont obtenu leurs diplômes postérieurement au décret
du 06 février 2006.
50. En réponse, l’État défendeur souligne que l’article 47 du décret du 6 février
2006 dispose que :
Les inspecteurs de police et sous-officiers de police titulaires de la Maîtrise à la date d’entrée en vigueur du présent décret sont autorisés à entrer à l’École nationale de police par vagues successives, suivant
l'ancienneté dans le grade et dans le service.
51. Il considère que l’article 47 susvisé ne laisse place à aucune ambiguïté.
Les inspecteurs de police et les sous-officiers de police concernés sont
ceux titulaires des diplômes requis à la date d’entrée en vigueur dudit
décret.
52. L’État défendeur affirme qu'aucun des Requérants n’était détenteur du
diplôme requis à la date d’entrée en vigueur du décret susvisé pour faire
partie du contingent admis à la formation d'élèves commissaires et
inspecteurs, tous se prévalant de diplômes obtenus postérieurement à la
date de signature du décret.
53. La Cour souligne que l’article 3 de la Charte dispose :
1. Toutes les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la loi.
2. Toutes les personnes ont droit à une égale protection de la loi.
54. L'article 26 du PIDCP dispose que :
Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi. À cet égard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une
protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de
race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique et
de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de
naissance ou de toute autre situation.
55. La Cour fait observer qu'il existe une interconnexion entre l'égalité devant
la loi d'une part, et le droit à la jouissance sans discrimination des droits
garantis par la Charte d'autre part, dans la mesure où l'ensemble de la
structure juridique de l’ordre public national et international repose sur ce
principe qui transcende toute norme.!?
56. La Cour a jugé « qu’il appartient à la partie qui prétend avoir été victime
d’un traitement discriminatoire d’en fournir la preuve%” et que les
affirmations d'ordre général selon lesquelles un droita été violé ne sont pas
suffisantes. Des preuves plus concrètes sont requise?! ».
57. La Cour note en l’espèce que les Requérants reprochent à l’État défendeur
de ne pas les avoir retenus sur la liste des élèves inspecteurs et
commissaires de police dont la formation avait été autorisée par application
du décret du 06 février 2006 alors que certains de leurs collègues qui se
trouvaient dans les mêmes conditions qu'eux, l'ont été.
58. La Cour observe que l’article 47 du décret du 6 février 2006 fixe les
conditions relatives à la date d'obtention du diplôme et à l'ancienneté dans
le service, pour être habilité à recevoir la formation de commissaire de
police et d’inspecteurs de police.
# Ceci est partagé par : la ComADHP, Open Society Justice Bc c. Côte d'Ivoire, 28 février 2015, 318/06, et la Cour inter-américaine des droits de l'homme, Avis juridique OC-18 du 17 septembre 2003. 29 Ah Ax c. République Unie de Tanzanie (fond) (3 juin 2016), 1 RJ CA 624, $ 153.
21 Bf Ak c. République Unie de Tanzanie (fond) (20 novembre 2015), 1 RJ CA 482, $ 140.
? Article 47 « Les inspecteurs de police et sous-officiers de la police titulaires de la maitrise à la date d'entrée du présent décret sont autorisés à entrer à l'École Nationale de Police par vagues successives suivant l’ancienneté dans le grade et dans le service pour y subir la formation de Commissaire de police. » 59. La Cour constate, en outre, des pièces produites par les Requérants qu’ils
onttous obtenu leurs diplômes postérieurement la date du décret susvisé,
ce qu’ils ne contestent pas.
60. La Cour relève que d’une part, l’État défendeur a appliqué les conditions
prévues par le décret du 06 février 2006 qui est un instrument général et
impersonnel, en tenant compte de la situation des Requérants à la date de
ce décret et que, d’autre part, aucun élément n’indique que ce texte porte
en lui les germes d’une inégalité au détriment des Requérants qui par
ailleurs ne font pas la preuve de ce qu'ils ont été soumis à un traitement
différencié injustifié.
61. La Cour note, au surplus, que l’allégation des Requérants selon laquelle
les sieurs Ap AJ, Bj B Cc, Bë Aa,
Bo Bg, Bd B Bp AH AJ ont été promus au
rang d'élèves commissaires de police alors qu'ils se trouvaient dans les
mêmes conditions, n'est également étayée par aucune preuve.
62. Au demeurant, la Cour observe que les Requérants n’ont pas fourni de
preuves qu’ils n’ont pas été autorisés à entrer à l’École nationale de police
pour y suivre la formation d’élève-commissaire ou d’élève inspecteur du fait
de leur race, de leur ethnie, de leur couleur, de leur sexe, de leur langue,
de leur religion, de leur opinion politique ou de toute autre opinion, de leur
origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance.
63. En conséquence, la mesure prise par le ministre de la Sécurité intérieure
et de la protection civile n’a pas violé les droits des Requérants à l'égalité
devant la loi et la non-discrimination protégés par l’article 3(1) de la Charte
lu conjointement avec l’article 26 du PIDCP.
ii. Par la Cour suprême
64. Les Requérants allèguent que la section administrative de la Cour suprême
a consacré, par son revirement jurisprudentiel, une atteinte disproportionnée et injustifiée au principe de l'égalité de tous devant la loi.
65. Ils affirment, en effet, que la Cour suprême a rejeté leur recours, alors
qu’elle avait fait droit aux requêtes de régularisation de leurs collègues se
trouvant dans une situation similaire de date d’obtention de diplôme,
66. Les Requérants en concluent que la décision de la Cour suprême a
entraîné une rupture d’égalité entre eux et leurs collègues policiers, en
violation de l’article 3 de la Charte.
67. L'État défendeur fait valoir que le revirement jurisprudentiel de la Cour
Suprême dénote de ce que ladite Cour s’est rendu compte qu’elle avait fait
une interprétation erronée des textes régissant la formation des
fonctionnaires de la police nationale.
68. || affirme que ce revirement jurisprudentiel s’est effectué bien avant le
recours des Requérants, notamment par l’arrêt n° 186 du 07 avril 2016
dans lequel la Cour suprême avait débouté les demandeurs de leur
demande en régularisation, en déclarant pour la première fois que « i/ est
de principe général du droit de la fonction publique, qu'un fonctionnaire ne
peut se prévaloir d’un droit illégalement obtenu par un autre ; que celui qui
prétend détenir un droit est tenu de le prouver ».
69. L'État défendeur déclare que les Requérants veulent induire la Cour en
erreur en faisant valoir que tous les autres fonctionnaires avaient bénéficié
de privilèges, comme si cette illégalité constituait une source de droits
acquis pour eux.
3 Arrêt n°55 du 25 mars 2010 ; arrêt n°362 du 22 novembre 2013 ; arrêt n°93 du 17 avril 2014.
70. La Cour rappelle que le droit à une totale égalité devant la loi signifie que
«tous sont égaux devant les tribunaux et les Cours de justice »,2*
autrement dit, les autorités chargées d’exécuter ou d'appliquer les lois
doivent le faire sans discrimination, selon les situations en cause.
71. La Cour rappelle que le principe de l'égalité devant la justice ne signifie pas
que toutes les affaires doivent être nécessairement traitées par les
institutions judiciaires de la même manière, le traitement de chaque affaire
pouvant dépendre, en effet, de circonstances particulières propres à
72. La Cour a fait sienne la position de la Cour européenne des droits de
l'homme selon laquelle « une évolution de la jurisprudence n’est pas, en
soi, contraire à une bonne administration de la justice car affirmer l'inverse
serait faillir à maintenir une approche dynamique et évolutive, ce qui
risquerait de faire obstacle à toute réforme ou amélioration ».?6
73. La Cour estime que d’une manière générale, le terme « revirement »
caractérise un changement d'opinion ou de comportement. Dans un type
particulier de faits ou de relations juridiques faisant l’objet d’un procès, il
s'applique à tout changement d'interprétation du droit qu’opère une
juridiction.
74. La Cour observe en l'espèce que bien que dans un premiertemps les arrêts
de la Cour suprême évoqués par les Requérants aient été favorables à une
régularisation du statut de leurs collègues qui se trouvaient, selon eux, dans
la même situation qu'eux, il n’est pas contesté que ladite Cour, par un arrêt
n°186 du 07 avril 2016, avait déjà procédé à un revirement de sa
jurisprudence au motif que « il est de principe général du droit de la fonction
publique, qu’un fonctionnaire ne peut se prévaloir d’un droit illégalement
?5 Zongo et autres c. An Aw (fond) (arrêt du 28 mars 2014) 1 RJ CA 226.
26 Aj At et 74 autres, CAfDHP, Requête n°037/2017, arrêt du 25 septembre 2020, 871 ;
CEDH, Boumaraf / France, requête n°32820/08 obtenu par un autre ; que celui qui prétend détenir un droit est tenu de le
prouver ».
75. La Cour suprême avait également noté à l’occasion de cet arrêt que « ces
requérants avaient obtenu leurs diplômes postérieurement à la date de
référence et n’ont pas fourni la preuve qu’ils avaient obtenu l’autorisation
préalable de leur autorité hiérarchique pour s’inscrire à une formation,
comme le prévoit l’article 125 de la loi n°034-2010 du 12 juillet 2010 portant
statut des fonctionnaires de police ».
76. La Cour relève que les Requérants ne contestent pas qu’ils ontobtenu leurs
diplômes après la date du décret du 06 février 2006 et n’ont également pas
obtenu l’autorisation préalable de leur hiérarchie. C’est sur cet argument,
comme elle l’a fait dans l’arrêtn° 186 du 07 avril 2006, que la Cour suprême
a rejeté la demande de régularisation des Requérants après avoir examiné
les moyens qu’ils ont invoqués.
77. La Cour estime que dès lors que la Cour suprême a une autre interprétation
de la loi applicable, sans autres considérations, et qu’elle s’en est
expliquée, celle-ci était parfaitement dans son office de faire évoluer la
jurisprudence. Ce faisant, la Cour ne considère pas que les Requérants ont
été traités de façon inéquitable ou qu’ils ont subi un traitement
discriminatoire pendant la procédure devant la Cour suprême.
78. En conclusion, la Cour rejette l’allégation selon laquelle l’État défendeur a
violé devant la Cour suprême les droits à l’égalité devant la loi et la non-
discrimination prévus par l’article 3(1) de la Charte et l’article 26 du PIDCP.
B. Violation alléguée du droit à l’égal accès aux fonctions publiques
79. Les Requérants allèguent que l’article 125 de la loi du 12 juillet 2010
restreint déraisonnablement leur droit à l’égal accès aux fonctions
publiques, protégé par l’article 25(c) du PIDCP.
80. L'État défendeur rappelle que l’article 70 de la constitution dispose que « la
loi fixe les règles concernant les droits civiques et les garanties
fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés
publiques… ; le statut général des fonctionnaires ; le statut général du
personnel des forces armées et de sécurité ».
81. Il ajoute que les dispositions légales précitées sont accompagnées par un
bloc réglementaire qui fixe les modalités de mise en œuvre. L'agent public
quel que soit son corps d'appartenance est, en conséquence, dans une
situation légale et réglementaire et aucune dérogation ne saurait lui être
accordée en dehors du cadre précité, sans commettre une illégalité.
82. La Cour rappelle que l’article 13(2) de la Charte prévoit que « tous les
citoyens ont également le droit d’accéder aux fonctions publiques de leur
pays. »
83. L'article 25 (c) du PIDCP qui est plus détaillé dispose que « tout citoyen à
le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l’article 2
et restrictions déraisonnables.….. c) d'accéder, dans des conditions
générales d'égalité, aux fonctions publiques de son pays ».
84. La Cour rappelle que l’article 2 du PIDCP dispose :
Les États parties s'engagent à respecter et à garantir à tous les individus se
trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus
dans le présent Pacte, sans distinction aucune, notamment de race, de
couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre
opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de tout autre situation.
85. L'article 13(2) de la Charte sera interprété à la lumière des articles 25(c) et
2 du PIDCP.
86. La Cour note que pour garantir l’accès à des charges publiques dans des
conditions générales d’égalité, les critères etles procédures de nomination,
de promotion, de suspension et de révocation doivent être objectifs et
raisonnables.
87. La Cour est d’avis également qu'il est particulièrement important de veiller
à ce qu'aucune discrimination ne soit exercée contre ces personnes dans
l'exercice des droits que leur reconnaît l'article 25(c) pour l’un quelconque
des motifs visés à l’article 2.
88. La Cour observe, en l'espèce, que l’article 125 de la loi du 12 juillet 2010
ne contient aucun motif de discrimination prévu à l’article 2 précité.
89. Toutefois, il appartient à la Cour d'apprécier si l'autorisation du supérieur
hiérarchique pour avoir accès à une formation en vue d’une promotion est
une restriction déraisonnable au sens de l’article 25(c) du PIDCP.
90. La Cour note à cet effet que l'article 125 de la loi du 12 juillet 2010 prévoit
que le fonctionnaire de police ayant obtenu le diplôme sanctionnant une
nouvelle formation est intégré dans la catégorie supérieure après sa
formation à l’École de police.
91. La Cour observe que « l’automatisme » de l’article 125 précité, n'empêche
pas l'administration de s'assurer que le fonctionnaire de police a les
compétences requises pour intégrer le poste envisagé après la formation.
92. La Cour estime que compte tenu de ce souci compréhensible de
compétence qui est une exigence générale des administrations publiques
et privées, il est donc raisonnable que le supérieur hiérarchique donne son
avis. Cet avis, au demeurant, n’est pas discrétionnaire puisqu'il se fonde
sur un élément objectif qui est connu, en l’occurrence la notation du
fonctionnaire. Ladite notation est transmise par le supérieur hiérarchique au ministre de la Sécurité pour vérification des dispositions en la matière.?7
De plus, le fonctionnaire qui s’estime lésé par la notation peut la contester.
93. La Cour note ainsi que l’autorisation préalable d'entrée à l’École nationale
de Police pour y subir la formation d’élève-commissaire ou d’élève
inspecteur permettant d’accéder à un poste supérieur, ne constitue pas une
restriction déraisonnable.
94. La Cour conclut que l’État défendeur n’a pas violé le droit des Requérants
à un égal accès aux fonctions publiques, protégé par les articles 13(2) de
la Charte et 25(c) du PIDCP lus conjointement.
C. Sur la violation alléguée du droit à l’éducation
95. Les Requérants affirment que le droit à l'éducation consacré par l’article
17(1) de la Charte et l’article 13(1)(c) du PIDESC est un droitinconditionnel
pour tout individu qui aspire à des connaissances, en vue d’un avenir
meilleur et radieux.
96. Ils font valoir que l’article 125 de la loi du 12 juillet 2010 est une atteinte au
droit à l'éducation dans la mesure où il exige l’autorisation du supérieur
hiérarchique avant d’entamer une formation permettant d'accéder à une
catégorie supérieure dans la police nationale, faute de quoi le diplôme
obtenu ne serait pas opposable à l'administration.
97. En réponse, l’État défendeur souligne que la loi du 12 juillet 2010 n’a fait
que fixer les règles applicables au corps des fonctionnaires de police en
activité qui souhaitent entamer une formation aux fins de changement de
catégorie.
7 La loi du 12 juillet 2010, Article 109 : « les notations sont, préalablement à notification aux fonctionnaires de la Police Nationale concernés, soumises pour pondération au Ministre chargé de la sécurité…la pondération consiste à vérifier le respect des dispositions de l’article 108 ci-dessus ».
3 Idem, article 34 « lorsque le fonctionnaire de la Police Nationale s’estime lésé dans ses droits, il dispose des voies de recours administratif et de recours contentieux ».
98. Il ajoute qu’il lui appartient de définir les modalités de la mise en œuvre de
la formation envisagée en indiquant les conditions, sans que cela soit en
contradiction avec ses engagements internationaux. Il conclut au débouté
des Requérants.
99. La Cour note que l’allégation du Requérant ne relève pas de l’article 17(1)
de la Charte qui dispose que « toute personne a droit à l'éducation » mais
précisément de l’article 13(2)(c) du PIDESC qui prévoit que
« l'enseignement supérieur doit être rendu accessible à tous en pleine
égalité, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens
appropriés et notamment par l'instauration progressive de la gratuité ».
100. La Cour note que l'accessibilité à l’enseignement supérieur tel que garantie
par l’article 13(2)(c) du PIDESC doit se faire sans aucune discrimination et
au regard des capacités de chaque citoyen.
101. La Cour note à cet effet que la Convention de l'UNESCO sur la lutte contre
la discrimination dans le domaine de l’enseignement? (ci-après désigné la
« Convention de l'UNESCO »), prévoit en son article 1° que :
Aux fins de la présente Convention, le terme discrimination comprend toute
distinction, exclusion, limitation ou préférence qui, fondée sur la race, la
couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou toute autre
opinion, l’origine nationale ou sociale, la condition économique ou la
naissance, a pour objet ou pour effet de détruire ou d’altérer l'égalité de
traitement en matière d'enseignement et, notamment :
a. d’écarter une personne ou un groupe de l'accès aux divers types
ou degrés d'enseignement ;
b. de limiter à un niveau inférieur l’éducation d’une personne ou d’un
groupe.
102. À la lecture des dispositions susvisées, la Cour estime que l’exigence de
l'autorisation préalable pour la valorisation du diplôme obtenu ne constitue
? Le Mali a déposé l'instrument de ratification le 07 décembre 2007.
pas un critère de discrimination au sens de l’article 1°" de la Convention de
l'UNESCO dans la mesure où il s’agit d’une disposition légale applicable à
tous les fonctionnaires de police et rien n’indique que ce texte est
attentatoire au droit à l’éducation.
103. De plus, s'agissant de la condition liée à la capacité du citoyen, la Cour
observe que l’article 125 de la loi du 12 juillet 2010 tient compte des années
de service et de la notation de l’agent pour une formation supérieure ce qui
est parfaitement compatible avec les dispositions de l’article 13(2)(c) du
PIDESC.
104. La Cour en conclut qu’en vertu de l’article 125 de la loi du 12 juillet 2010,
l’État défendeur n’a pas violé le droit d’accès des Requérants à
D. Sur la violation alléguée du droit d’être promu à une catégorie
supérieure
105. Les Requérants affirment que le droit d’être promu à une catégorie
supérieure est reconnu à tout individu sans autre considération que la
durée du service et les aptitudes conformément à l’article 7(c) du PIDESC.
106. Ils soulignent qu’en soumettant toute formation en vue d’un reclassement,
à l'autorisation préalable de l'autorité hiérarchique selon les termes de
l’article 125 de la loi du 12 juillet 2010, l’État défendeur a violé ce droit.
107. En réponse, l’État défendeur affirme que l’article 125 ne contredit pas les
dispositions du PIDESC dans la mesure où il ne vise qu'à assurer le
fonctionnement régulier et la continuité du service public de la Police
nationale tout en garantissant aux agents le droit à la formation, à
l'épanouissement personnel sans discrimination.
108. La Cour rappelle que l’article 7(c) du PIDESC prévoit que :
«Les États parties au présent Pacte reconnaissent le droit qu’à toute
personne de jouir de conditions de travail justes et favorables, qui assurent
notamment :
La même possibilité pour tous d’être promus, dans leur travail, à la catégorie
supérieure appropriée, sans autre considération que la durée des services
accomplis et les aptitudes ».
109. La Cour retient que dans ce cadre, le Comité des droits économiques,
sociaux et culturels des Nations Unies a déclaré que « tous les travailleurs
ont droit aux mêmes possibilités de promotion par des procédures
équitables, fondées sur le mérite ettransparentes, qui respectent les droits
de l'homme. Les critères d'ancienneté et de compétence devraient
comporter une évaluation de la situation personnelle ainsi que des rôles et
des expériences différents des hommes et des femmes, afin de garantir à
tous l’égalité des chances en matière de promotion? »
110. La Cour admet que si l’article 7(c) du PIDESC énonce de façon générale
les conditions d'aptitude et d’ancienneté, il appartient à chaque État d’en
définir les modalités d’application en se conformant au droit international.
111. La Cour observe, en l’espèce, en référence au contenu de l’article 125! de
la loi n° 10-034 du 12 juillet 2010, que les critères de promotion du
fonctionnaire de police de l’État défendeur sont l’ancienneté et la
compétence par la formation, sans autres considération, conformément à
l’article 7 du PIDESC
112. Elle note que l’avis de l'autorité hiérarchique, constitue une modalité
d'appréciation de la compétence faite par l’autorité hiérarchique qui ne
dispose d’ailleurs pas d’un pouvoir discrétionnaire en la matière, dans la
mesure où elle doit se fonder sur la notation du fonctionnaire pour vérifier
3°Observation générale n°23, Comité des droits économiques, sociaux et culturels 2016, $ 31.
3 Idem note 5.
son aptitude à suivre la formation dans la spécialité du corps auquel il
113. La Cour en conclut que l’État défendeur n’a pas violé le droit des
Requérants d’être promu à une catégorie supérieure, protégé par l’article 7
(c) duPIDESC.
VIII. SUR LES RÉPARATIONS
114. Les Requérants demandent à la Cour, conformément aux articles 27(1) du
Protocole et à la règle 34(5) du Règlement, d’ordonner à l’État défendeur
de les régulariser et reclasser au grade de commissaire divisionnaire, et de
condamner l’État défendeur de payer à chacun d’eux la somme de :
i) Huit millions huit cent mille (8 800 000) francs CFA au titre des arriérés de
solde correspondant au grade revendiqué à compter de la signature de l'arrêté de nomination du 10 juillet 2008 ;
il) Cent millions (100 000 000) de francs CFA pour toutes causes de préjudices souffert du fait des violations des droits avérés.
115. Ils demandent également à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de réviser
la loi du 12 juillet 2010 et la conformer aux dispositions pertinentes de la
116. L'État défendeur demande à la C our de rejeter les demandes de réparation
dans la mesure où aucune violation ne lui est imputable.
117. L'article 27(1) du Protocole est libellé comme suit :
Lorsqu’elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste compensation ou l’octroi d’une réparation ».
118. La Cour relève qu’en l'espèce, aucune violation des droits des Requérants
n'a été constatée et qu’en conséquence, il n’y a pas lieu à ordonner des
réparations.
119. La Cour rejette donc les demandes de réparations formulées par les
Requérants.
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
120. Les Requérants demandentà la Cour d’ordonner que les frais de procédure
soient à la charge de l’État défendeur.
121. L'État défendeur demande à la Cour de condamner les Requérants aux
dépens.
122. L'article 30 du Règlement dispose « à moins que la Cour n'en décide
autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure ».
123. Compte tenu des dispositions ci-dessus, la Cour décide que chaque Partie
supporte ses frais de procédure.
X. DISPOSITIF
124. Par ces motifs,
LA COUR,
Sur la compétence
Se déclare compétente.
Sur la recevabilité
ii. Déclare la Requête recevable.
Sur le fond
ii. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit des Requérants à
l'égalité devant la loi, protégé par l’article 3(1) de la Charte lu
conjointementavec l’article 26 du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques ;
iv. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit à la non-
discrimination des Requérants, protégé par l’article 26 du
Pacte international relatif aux droits civils et politiques lu
conjointement avec l’article 2 de la Charte ;
v. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit des Requérants à
l'égalité d'accès aux fonctions publiques, protégé par l’article
13(2) de la Charte lu conjointement avec l’article 25(c) du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques ;
vi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit d'accès des
Requérants à l'enseignement supérieur, protégé par l’article
13(2)(c) du Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels ;
vi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit des Requérants
d’être promus à une catégorie supérieure sans autre
considération que l'ancienneté et la compétence, protégé par
l’article 7(c) du Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels ;
Sur les réparations
viii. Rejette les mesures de réparations demandées par les
Requérants.
Sur les frais de procédure
ix. Décide que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ontsigné
Imani D. ABOUD, Présidente —(I2L ;
Blaise TCHIKAYA, Vice-président ges
Ben KIOKO, Juge IRESSESSSSS
M-Thérèse MUKAMULISA, Juge ; ÆÆÉ 7
Aq Bz AL, J uge gi Bw
Ag AN, J uge FES
Stella |. ANUKAM, | uge ; Eux am .
Dumisa ; B. X ;
Robert ENO, Greffier.
Fait à Arusha, ce vingt-troisième jour du mois de juin de l’an deux mille vingt-deux, en français et en anglais, le texte français faisant foi.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 007/2019
Date de la décision : 23/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2023
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