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23/06/2022 | CADHP | N°006/2016

CADHP | Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 23 juin 2022, 006/2016


Texte (pseudonymisé)
UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES AFFAIRE AN AK B
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
REQUÊTE N° 006/2016
ARRÊT
(RÉPARATIONS)
23 J UIN 2022 MAN AND 2 SOMMAIRE
SOMMAIRE
I BREF HISTORIQUE DE L’AFFAIRE
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV. DEMANDES DES PARTIES
V. SUR LA DÉFAILLANCE DE L’ÉTAT DÉFENDEUR …
VI. SUR LES RÉPARATIONS
A Réparations pécuniaires
1 Préjudice matériel
il

. Préjudice moral
a Préjudice moral subi par le Requérant
b Préjudice moral subi par les victimes indirectes alléguées
...

UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES AFFAIRE AN AK B
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
REQUÊTE N° 006/2016
ARRÊT
(RÉPARATIONS)
23 J UIN 2022 MAN AND 2 SOMMAIRE
SOMMAIRE
I BREF HISTORIQUE DE L’AFFAIRE
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV. DEMANDES DES PARTIES
V. SUR LA DÉFAILLANCE DE L’ÉTAT DÉFENDEUR …
VI. SUR LES RÉPARATIONS
A Réparations pécuniaires
1 Préjudice matériel
il. Préjudice moral
a Préjudice moral subi par le Requérant
b Préjudice moral subi par les victimes indirectes alléguées
B Réparations non-pécuniaires
1 Mesures de satisfaction
il. Sur le rapport de mise en œuvre.
VII. SUR LES 14A18 18 19O20D20E 11
11
14
18
18
19
20 La Cour, composée de : Blaise TCHIKAY A, Vice-président ; Ben KIOKO, Cu Au
AI, Cj X, M-Thérèse MUKAMULISA, Al Bi AL,
Bt Z, Stella |. ANUKAM, Ap Bf AJ, Ax AM —
Juges ; etRobert ENO, Greffier.
Conformément à l'article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme
et des peuples (ci-après désigné le « Protocole ») et à la règle 9(2) du Règlement
intérieur de la Cour* (ci-après désigné « le Règlement »), la J uge Imani D. ABOUD,
Présidente de la Cour et de nationalité tanzanienne, s’est récusée.
En l’affaire
AN AK B
Représenté par
Me Donald DEYA, Chief Executive Officer, Union panafricaine des avocats (UP A)
Contre
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
Représenté par
M. Cb Bl Y, Ay Bg, Bureau du Solicitor General.
Après en avoir délibéré,
rend l’Arrêt suivant :
! Article 8(2) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
L BREF HISTORIQUE DE L’AFFAIRE
1. Dans sa Requête déposée le 29 janvier 2016, le sieur AN AKCB
(ci-après dénommé « le Requérant ») allègue la violation, par la République-
Unie de Tanzanie (ci-après dénommée « l’État défendeur »), de son droit à la
non-discrimination, à une égale protection de la loi et à un procès équitable
inscrits aux articles 2, 3 et 7 de la Charte africaine des droits de l’homme et des
peuples (ci-après désignée « la Charte »). Les griefs soulevés parle Requérant
découlent du fait que l’État défendeur ne lui avait pas fourni des copies
certifiées conformes des comptes rendus des audiences tenues dans le cadre
des procédures internes et des jugements rendus par les juridictions nationales
qui l’ont reconnu coupable de vol qualifié et de vol à main armée et condamné
à une peine cumulée de trente (30) ans de réclusion.
2. Le 7 décembre 2018, la Cour a rendu son arrêt, dont les paragraphes (vi) à (xi)
disposent comme suit :
vi. Dit que l’État défendeur a violé l’article 7(1)(a), de la Charte en ne fournissant
pas au Requérant les copies certifiées conformes des comptes rendus
d’audience et des jugements dans les affaires en matière pénale n° 244 de
1995 et n° 278 de 1995 entendues par le Tribunal de district de Bunda, afin
de faciliter l'exercice de recours en appel par le Requérant et, par conséquent,
ordonne à l’État défendeur de les fournir au Requérant ;
vi. Ordonne à l’État défendeur de remettre le Requérant en liberté dans les trente
(30) jours suivant le présent Arrêt ;
vi. Réserve sa décision sur les demandes du Requérant relatives aux autres
formes de réparation ;
ix. Autorise le Requérant, conformément à l’article 63 de son Règlement, à
déposer ses observations écrites sur les autres formes de réparation dans un
délai de soixante (60) jours à compter de la date de notification du présent
Arrêt ; et l’État défendeur à déposer son mémoire en réponse dans un délai
de trente (30) jours à compter de la date de réception des observations écrites
x. Ordonne à l’État défendeur de soumettre à la Cour un rapport sur les mesures
prises afin de mettre en œuvre les ordonnances contenues aux points (vi) et (vil) ci-dessus dans les soixante (60) jours suivant la notification du présent arrêt ; et
xi. Réserve sa décision sur les frais de procédure.
I. OBJET DE LA REQUÊTE
3. Le 16 août 2019, le Requérant a déposé ses observations écrites, demandant
à la Cour de lui accorder des réparations sur la base de ses conclusions dans
l’arrêt sur le fond dont le dispositif est énoncé ci-dessus.
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
4, Le 10 décembre 2018, le Greffe a transmis aux Parties une copie certifiée
conforme de l’arrêt sur le fond.
5. Le 15 février 2019, la Cour a, d'office, accordé au Requérant un délai
supplémentaire de trente (30) jours pour déposer ses conclusions sur les
réparations, compte tenu du temps écoulé depuis la notification de l'arrêt aux
Parties.
6. Le 16 août 2019, le Requérant a déposé ses observations sur les réparations
après s'être vu octroyer deux (2) prorogations de délai supplémentaires de
soixante (60) jours pour le faire. À la même date, il a demandé à la Cour de lui
accorder une prorogation de délai pour déposer des éléments de preuve relatifs
aux victimes indirectes. Le 4 octobre 2019, le Requérant a été informé que la
Cour avait accueilli sa demande de prorogation de délai pour déposer des
preuves supplémentaires. Cependant, il n’a pas déposé lesdites preuves.
7. Les observations du Requérantsurles réparations ontété notifiées le 27 janvier
2020 à l’État défendeur qui n’y a pas donné suite. Le délai fixé à l’État
défendeur à cet effet était le 28 décembre 2020, mais celui-ci s’est écoulé. Le
1e" décembre 2020, un courrier de rappel lui a été adressé aux mêmes fins.
8. Le 1°" avril 2022, les Parties ont été informées que, conformément à la règle
63(1) du Règlement, faute pour l’État défendeur de répondre aux observations
du Requérant, dans les quarante-cinq (45) jours suivant la date de réception
de l'avis, la Cour rendrait un arrêt par défaut.
9. Bien qu’il ait reçu toutes ces notifications, l'État défendeur n’a répondu à
10.Les débats ontété clos le 20 mai 2022 etles Parties ont été dûment informées.
IV. DEMANDES DES PARTIES
11. Le Requérant demande à la Cour d'accorder les réparations suivantes :
ii Trente millions (30 000 000) de shillngs tanzaniens au Requérant en
réparation du préjudice moral subi ;
ïi. — Vingt millions (20 000 000) de shillings tanzaniens à chacune de ses deux
épouses, Mme Bs AN et Mme An Ab en réparation du préjudice
moral subi ;
iii. Dix millions (10 000 000) de shillings tanzaniens à sa mère, Cw Av
en réparation du préjudice moral subi ;
iv. Dix millions (10 000 000) de shillings tanzaniens au frère du Requérant en
réparation du préjudice moral subi ;
v. Cinquante millions (5 000 000) de shillings tanzaniens à chaque enfant du
Requérant en réparation du préjudice moral subi ;
vi Une ordonnance enjoignant à l’État défendeur de verser les montants
susmentionnés en franchise d’impôt dans les trois (3) mois suivant la
notification de l’arrêt sur les réparations ;
vi. Un montant que l'honorable Cour de céans estimera juste d'accorder à AN
AK B à titre de réparation du préjudice matériel subi ;
vii. Une ordonnance enjoignant à l’État défendeur de soumettre un rapport à la
Cour dans les six (6) mois suivant la date de la notification de l’arrêt sur les
réparations et, par la suite, tous les six (6) mois jusqu’à ce que toutes les
ordonnances qui y sont contenues soient exécutées ;
ix. Une ordonnance enjoignant à l’État défendeur de publier, dans un délai de trois (3) mois à compter de la date de notification du présent arrêt, et, ce, pour une
période d’au moins un an, les versions anglaise et swahili de l’arrêt sur les
réparations sur le site officiel du ministère de la Justice et du ministère des Affaires constitutionnelles.
12. L’État défendeur n’a pas répondu aux observations soumises par le Requérant.
V. SUR LA DÉFAILLANCE DE L’ÉTAT DÉFENDEUR
13. La règle 63(1) du Règlement dispose :
Lorsqu’une partie ne se présente pas ou s’abstient de faire valoir ses moyens
dans les délais fixés, la Cour peut, à la demande de l’autre partie ou d’office,
rendre une décision par défaut après s’être assurée que la partie défaillante a
été dûment notifiée de la requête et de toutes les autres pièces pertinentes de
la procédure.
14.La Cour note que la règle 63(1) susmentionnée énonce trois conditions pour
rendre un arrêt par défaut, à savoir : i) la notification à la partie défaillante de la
requête et des pièces de la procédure ; ii) une demande formulée par l’autre
partie ou la Cour agissant d'office ; et iii) la défaillance de l’une des parties.
15.En ce qui concerne la notification des Parties, la Cour rappelle que les
observations du Requérant sur les réparations ont été reçues au Greffe le 16
août 2019. Elle relève en outre que du 27 janvier 2020, date de la transmission
de la Requête à l’État défendeur, au 20 mai 2022, date de clôture des débats,
le Greffe lui a transmis toutes les pièces de procédure déposées par le
Requérant. La Cour conclut donc que les pièces du dossier ont été dument
notifiées à l’État défendeur.
16. Sur la défaillance de l’une des Parties, la Cour relève que, dans l’avis de
notification de la Requête, elle a demandé à l’État défendeur de déposer son
mémoire en réponse dans les trente (30) jours suivant la réception de la
Requête. L'État défendeur n’a pas déposé ses observations dans le délai
imparti, même après avoir reçu d’autres notifications, le 3 décembre 2020 etle 1°" avril 2022. La Cour en conclut que l’État défendeur a manqué à son
obligation de faire valoir ses moyens dans le délai prescrit.
17.S'agissant, enfin, de la troisième condition, la Cour note que le Règlement lui
confère le pouvoir de rendre un arrêt par défaut soit d'office, soit à la demande
de l’autre Partie. Le Requérant n'ayant pas demandé d’arrêt par défaut, la Cour
rend l'arrêt d’office aux fins d’une bonne administration de la justice.
18.Les conditions requises ayant ainsi été remplies, la Cour rend son Arrêt par
défaut.
VI. SUR LES RÉPARATIONS
19.Dans ses observations, le Requérant demande que lui soient accordées des
réparations pour le préjudice matériel et moral subi du fait de la violation de ses
droits par l’État défendeur.
20. L'article 27(1) du Protocole dispose :
Lorsqu'elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des peuples,
la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation,
y compris le paiement d’une juste compensation ou l’octroi d’une réparation.
21.Conformémentà sa jurisprudence constante, la Cour estime que, pour que des
réparations soient accordées, il faut d’abord que la responsabilité internationale
de l’État défendeur doit être établie au regard du fait illicite. Deuxièmement, le
lien de causalité doit être établi entre l’acte illicite et le préjudice allégué. Enfin
lorsqu'elle est accordée, la réparation devrait couvrir l'intégralité du préjudice
2 Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. Libye (fond) (2016), 1 RJ CA 158, 85 38 à 42 ; Cr Ci AH Co, CAfDHP, Requête n° 010/2017, Arrêt du 26 juin 2020 (compétence et recevabilité), $ 30. Aq Ac c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 011/2019, Arrêt du 21 septembre 2021 (compétence et recevabilité), $ 17 ; Robert Richard c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 035/2016, Arrêt du 2 décembre 2021 (fond et réparations), $$ 17 à 18.
22.La Cour rappelle qu’il incombe au requérant de produire des éléments de
preuve pour justifier ses demandes, surtout celles relatives au préjudice
matériel subi.* En ce qui concerne le préjudice moral, il a été jugé qu’il est
présumé lorsque des violations sont établies.°
23.La Cour rappelle également que les mesures qu’un État peut prendre pour
réparer une violation des droits de l'homme peuvent inclure la restitution,
l'indemnisation, la réadaptation de la victime et des mesures propres à garantir
la non-répétition des violations, compte tenu des circonstances de chaque
affaire.6
24.En l’espèce, la Cour a établi que l’État défendeur avait violé le droit du
Requérant à un procès équitable inscrit à l’article 7(1)(a) de la Charte en ne lui
fournissant pas, après plus de vingt-deux (22) ans, les copies certifiées
conformes des comptes rendus d'audience et des jugements dans les affaires
en matière pénale n° 244 de 1995 et 278 de 1995 entendues par le Tribunal de
district de Bunda. Par ces jugements, il a été reconnu coupable respectivement
de vol à main armée et de vol qualifié, et condamné à quinze (15) ans de
réclusion pour chaque chef.
25.C'’est à la lumière de ces conclusions et principes que la Cour examinera les
demandes de réparation formulées par le Requérant.
3 Ayants droits de feus Ai Ae, Cf Bo alias Ablasse, Bb Ae et Bz Cd AH Aj Bv (réparations) (5 juin 2015), 1 RJ CA 265, $8 20 à 31 ; Bk Cg Cz c. Aj Bv (réparations) (3 juin 2016), 1 RJ CA 358, 85 52 à 59 et By Bw Bi At c. République-Unie de Tanzanie (réparations) (13 juin 2014), 1 RJ CA 74, 88 27 à 29.
* Bj Br et autres c. Rwanda (fond et réparations) (28 novembre 2019), 3 RJ CA 680, $ 139 ; Voir également By Bw Bi At c. Tanzanie (réparations), $ 40 ; Bk Cg Cz c. Aj Bv (réparations), $ 15(d) et Bq Ck c. Tanzanie (fond et réparations), $ 97.
5 Ba Aa et autres c. République-unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 novembre 2019), 3 RJ CA 562, $ 136 ; Bn Cc c. Tanzanie (fond et réparations), $ 55 ; As Ao Af République-unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 mars 2019), 3 RJ CA 13, 8 119 ; Ai Ae et autres c. Aj Bv (réparations), $ 55 et Bq Ck c. Tanzanie (fond et réparations), $ 97.
8 Cs Aw Bu c. République du Rwanda (réparations) (7 décembre 2018), 2 RJ CA 209, $ 20. Voir également Bq Ck c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 028/2015, Arrêt du 26 juin 2020 (fond et réparations), $ 96.
A. Réparations pécuniaires
26.Le Requérant demande réparation des préjudices matériel et moral qu’il a subis
et du préjudice moral qu’auraient subi les victimes indirectes présumées.
27.Le Requérant affirme qu’en raison de son emprisonnement, son entreprise
agricole s'esteffondrée. Il affirme, en outre, avoir perdu sa maison etson terrain
dans la région de Bugarika et un terrain dans la région de Tarime après que sa
famille a été contrainte de les mettre en vente afin d'obtenir de quoi pourvoir à
leurs besoins. Le Requérant a fait une déclaration sous serment le 3 juillet
2019, qu’il a soumise à la Cour le 16 août 2019, et par laquelle il a réaffirmé
ces revendications.”
28.Le Requérant demande instamment à la Cour « de lui accorder des réparations
équitables et à la mesure des circonstances de l'espèce, pour la perte de
revenus » même en « l'absence de preuves documentaires, qui ont été égarées
en raison de sa peine d'emprisonnement qui a duré plus de 24 ans ».
29.La Cour rappelle que lorsqu’un Requérant demande la réparation du préjudice
matériel, un lien de causalité doit non seulement exister entre la violation
constatée et le préjudice subi, mais il doit également préciser la nature du
7 La teneur de la déclaration sous serment est comme suit :
18. J'étais un agriculteur prospère avant d’être mis aux arrêts et incarcéré ;
19. Je n'ai pas eu la possibilité de confier la gestion de mon entreprise à un tiers et de prendre les dispositions nécessaires concernant mes affaires personnelles et familiales avant mon arrestation ;
20. En raison de mon incarcération et de mon absence prolongée, mon entreprise agricole s’est effondrée ;
21. J'ai perdu ma maison et ma parcelle de terre, toutes situées dans la région de Bugarika, dans la ville de Mwanza et une autre parcelle de terre située dans la région de Tarime après que ma famille a été contrainte de les mettre en vente pour obtenir une source de revenu.
(réparations), 8 20.
30.La Cour a établi, en l'espèce, que le droit du Requérant à un procès équitable
prévu à l’article 7(1)(a) de la Charte avait été violé du fait qu’il n’a pas pu
interjeter appel de la déclaration de culpabilité et de la peine prononcées à son
encontre depuis vingt-deux (22) ans, sept (7) mois et vingt-deux (22) jours, soit
deux-cents soixante-douze (272) mois à la date de l'arrêt sur le fond rendu par
la Cour de céans le 7 décembre 2018. Le fait de n’avoir pas pu interjeter appel
de cette condamnation et de cette peine a entraîné son maintien en détention.
Il a donc purgé les deux-tiers de sa peine sans pouvoir exercer son droit
d’appel. Cette situation a contribué directement à la perte de ses revenus.
31.La Cour relève, à cet égard, que le Requérant a sollicité son indulgence en
raison de la difficulté liée à l'obtention des documents pour prouver sa
demande, relative à la nature de l’entreprise familiale et des revenus qu’il en
trait. Sa demande d’indulgence est fondée sur le fait qu’il s'est écoulé une
longue période depuis son incarcération.
32.La Cour relève que le Requérant n’a pas fourni d'informations sur la nature
exacte de l’entreprise familiale qu'il gérait, ni précisé le revenu mensuel qu’il en
tirait. La C our fait également observer que les documents requis pour fournir la
preuve du revenu réel ou estimé du Requérant seraient essentiellement de
nature privée ou confidentielle. Ces documents ne seraient donc disponibles
ou accessibles qu’au seul Requérant et non à des tiers. La situation du
Requérant, à savoir son incarcération, laisse à voir qu’il éprouve une réelle
difficulté à accéder auxdits documents. Compte tenu de ce qui précède, la Cour
estime qu’il convient d’adopter une approche indulgente.
33.L’approche indulgente de la Cour appelle de celle-ci l’utilisation d’une base
acceptable pour le calcul de la perte de revenus. La Cour estime qu’étant donné
que le Requérant affirme qu’il œuvrait dans le domaine agricole sans donné
plus de précisions, la prise en compte du salaire minimum mensuel applicable
dans ce secteur si le Requérant était au service d’une tierce personne,
constitue une norme acceptable pour l’évaluation du quantum des dommages
et intérêts. La Cour note que le salaire minimum mensuel applicable pour la période visée est de dix-sept mille cing-cents (17 500) shillings tanzaniens.®
34. La période à retenir pour le calcul des dommages et intérêts est celle allant du
16 avril 1996, date à laquelle le R equéranta notifié pour la première fois à l’État
défendeur son intention d’interjeter appel de sa condamnation et de sa peine,
au 7 décembre 2018, date à laquelle la Cour de céans a établi dans l'arrêt sur
le fond que l’État défendeur a violé ses droits. Cette période couvre plus de
vingt-deux (22) ans ou deux-cents soixante-douze (272) mois. La Cour note
que le Requérant ne pouvait pas avoir travaillé tout au long de l’année compte
tenu des périodes de repos. En moyenne, l’on peut estimer à une journée le
temps de repos hebdomadaire, soit cinquante-deux jours ou un virgule sept
dixièmes (1,7) de mois par an de repos. Ce chiffre peut être arrondi à deux (2)
mois par an à multiplier par 22,67 ans, soit 22,67 ans x 2 mois/par an = 45,3
mois. Le total de 45,3 mois sera déduit de la période de deux cent soixante-
douze mois, soit 272- 45,3 = 226,7 mois.
35.La Cour souligne égalementla nécessité de prendre en compte les ajustements
du coût de la vie intervenue au cours de la période concemée et, à cette fin, un
taux d’inflation annuel de 3,8 % (soit 3,8 %/12 = 0,32 % par mois)!"° sera
appliqué. La Cour estime pertinent d'appliquer le taux d'inflation pour les
ajustements du coût de la vie car il est d'application générale, contrairement,
par exemple, au taux d'intérêt, qui varie en fonction des montants et des durées
concernés.
36.Par conséquent, le calcul de la perte de revenus sera effectué sur la base de
226,7 mois multipliée par 17 500 shillings tanzaniens sur lesquels on applique
un taux d'inflation mensuel de 0,32 %, soit 226,7 x 17 500 x 0,32 % =5 807 421
shillings tanzaniens. La Cour accorde donc au Requérant, en équité, la somme
de cinq millions huit-cents sept mille et quatre-cents vingt-et-un (5 807 421)
9 Voir Annexe Partie A, l’avis gouvernemental numéro 85 publié le 30 avril 1996, Voir « Regulation of Wages and Terms of Cl Ch, 1996 » (Ordonnance de 1996 sur la réglementation des salaires et des conditions d’emploi), publié en vertu de l’article 10(3C) de la « Regulation of Wages and Terms of Employment Ordinance », Chap. 300.
10 Voir le taux d’inflation annuel tel qu’indiqué par la Banque de Tanzanie en avril 2022, disponible sur https://www.bot.go.tz/#; Le taux d'inflation est généralement constant sur de longues périodes, comme c’est le cas pour la période considérée.
shillings tanzaniens à titre de dommages et intérêts pour le préjudice matériel
subi en raison de la perte de revenus.
37. En ce qui concerne la vente présumée de la maison située à Bugarika et des
deux parcelles de terre situées à Tarime, il est à noter que ces transactions ne
sont pas directement liées au maintien en détention du Requérant, car celles-
ci auraient pu être effectuées pour des raisons autres que ladite détention. Par
ailleurs, la Cour fait observer que, outre la déclaration sous serment, les
épouses ou parents du Requérant auraient été en mesure de fournir des
éléments de preuve tels que des attestations délivrées par les autorités des
localités dans lesquelles ces terres et maison sont situées, de fournir leurs
spécifications et leur valeur et attester que le Requérant était propriétaire des
biens en question et attester qu’ils ont été vendus.
38 .La Cour rejette donc cette demande relative au préjudice matériel qui aurait été
subi en raison de la vente de la maison et des parcelles de terre du Requérant.
39. Le Requérant demande à la Cour de lui accorder des réparations pour le
préjudice moral qu’il a subi et pour le préjudice moral qu’auraient subi ses
épouses, ses enfants, sa mère et son frère.
a. Préjudice moral subi par le Requérant
40. Le Requérant affirme être une victime directe de la violation de l’article 7(1)(a)
de la Charte, telle que cela a été reconnu dans l'arrêt sur le fond du 7 décembre
2018. Plus précisément, il affirme avoir souffert d'angoisse émotionnelle et été
éprouvé physiquement au cours de son procès injuste et de son incarcération
qui a duré plus de vingt-quatre (24) ans, que son plan de vie a été perturbé,
qu’il a perdu son statut social et qu’il a eu des contacts limités avec sa famille
en raison de son incarcération.
41.Le Requérant soumet, en outre, à la Cour des pièces médicales afin de
démontrer que sa santé s’est détériorée en raison de son incarcération. Il
affirme qu’on lui a « diagnostiqué une tuberculose, des problèmes oculaires,
des ulcères, des douleurs à la colonne vertébrale, une dépression aiguë
entraînant une perte de mémoire (amnésie rétrograde ou délire) ».
42.11 demande à la Cour de s'appuyer sur le principe de l’équité pour lui accorder
des réparations pour le préjudice moral qu’il a subi, en prenant en compte le
temps qu'il a passé en prison, c’est-à-dire plus de vingt-quatre (24) ans. Il cite
à cet effet la décision de la Cour dans l’affaire Bk Cg Cz où le
Requérant et sa famille se sont vu accorder la somme de vingt mille (20 000)
dollars EU en réparation du préjudice moral subi du fait de l’incarcération du
Requérant pendant un (1) an.
43.À la lumière de ce qui précède, le Requérant demande à la Cour de lui accorder
la somme de trente millions (30 000 000) de shillings tanzaniens à titre de
réparation du préjudice moral subi en tant que victime directe.
44.La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle le préjudice moral
est présumé en cas de violation des droits de l’homme, et l’évaluation du
quantum de la réparation y relative devrait se faire sur la base de l’équité, en
tenant compte des circonstances particulières de chaque affaire." La Cour a
adopté le principe consistant à accorder une somme forfaitaire dans de telles
45.Comme indiqué au paragraphe 2 du présent Arrêt, la Cour constate que l’État
défendeur a violé le droit du Requérant d’interjeter appel de la déclaration de
sa culpabilité pour vol à main armée et vol qualifié et des peines prononcées à
Ai Ae et autres c. Aj Bv (réparations), $ 55 ; Cs Aw Bu c. Rwanda (réparations), 8 59 ; Christopher J onas c. Tanzanie (réparations), $ 23.
2 Lucien lkili Af c. Tanzanie (fond et réparations), $ 119 ; Ak Am c. République-Unie de Tanzanie (fond) (21 septembre 2018), 2 RJ CA 415, $$ 84 à 85 ; Bn Cc c. Tanzanie (fond et réparations), 5 177 ; Christopher J onas c. Tanzanie (réparations), 8 24.
son encontre respectivement dans les arrêts rendus dans les affaires en
matière pénale n° 244 de 1995 du 18 juin 1996 et n° 278 de 1995 du 15 avril
1996, par le Tribunal de district de Bunda.
46.La Cour relève, en outre, que le Requéranta manifesté son intention d’interjeter
appel des déclarations de culpabilité et des peines prononcées dans les deux
affaires, en déposant des avis d'appel le 16 avril 1996 en ce qui concerne
l’affaire en matière pénale n° 278 de 1995 etle 22 juin 1996 en ce qui concerne
celle en matière pénale n° 244 de 1995, dans le délai prescrit par la loi.
47.1l convient de rappeler que le Requérant n’a pas été en mesure d’exercer son
droit de recours pendantla période allant du 16 avril 1996, au 7 décembre 2018,
date à laquelle l’arrêt sur le fond a été rendu, soit vingt-deux (22) ans sept (7)
mois et vingt-deux (22) jours.
48.La Cour relève en outre, que le délai imparti à l’État défendeur pour rendre
compte des mesures prises afin de faciliter l’exercice du droit de recours du
Requéranttel qu’ordonné, s’est écoulé le 17 février 2019. L'État défendeur était
en outre censé remettre le Requérant en liberté au plus tard le 8 janvier 2019.
Le Requérant a saisi la Cour d’un courrier daté du 26 juillet 2019 dans lequel il
l’a informée que l’État défendeur n’avait toujours pas mis en œuvre l'arrêt de la
Cour sur le fond. L’État défendeur n’a pas soumis d'observations concernant le
courrier du Requérant, même après en avoir été notifié. Il est donc présumé
avoir reconnu les arguments du Requérant.
49. Le fait que le Requérant n’ait pas pu exercer son droit de recours et qu’il ait été
condamné à une longue peine privative de liberté lui a sans aucun doute causé
une détresse et une angoisse psychologique qui lui ont causé un grand
préjudice moral. Cette souffrance a été aggravée par le fait que l’État défendeur
n’a pas mis en œuvre l'arrêt de la Cour sur le fond et n’a pas non plus rendu
compte des mesures prises à cetégard. Au vu de ce qui précède, le Requérant
a droit à des réparations pour le préjudice moral subi.
50.La Cour fait observer que la norme appliquée dans l'affaire Konaté à laquelle
le Requérant se réfère est différente de son affaire en raison de la nature des
infractions ayant fait l’objet des poursuites. La Cour ne suivra donc pas
entièrement cette norme pour évaluer le quantum de la réparation pour
préjudice moral à accorder au Requérant.
51.Compte tenu du préjudice moral subi par le Requérant du fait de l'impossibilité
pour lui d'exercer son droit de former un recours en appel de la déclaration de
sa culpabilité et de sa peine pendant une période prolongée, ce qui lui a valu
de purger plus des deux tiers des trente (30) années de peine privative de
liberté sans exercer ce droit, la Cour accorde au Requérant la somme de trente
millions (30 000 000) de shillings tanzaniens à titre de juste réparation du
préjudice moral subi.
52.La Cour relève qu'il ressort du dossier médical devant elle, que le 11 juin 2015,
le Requérant souffrait de presbytie et que cette affection est liée à une perte
progressive, avec l'âge, de la capacité des yeux à faire activement le point sur
les objets situés à proximité. Étant donné la nature de cette affection, qui
survient avec l’âge, le Requérant aurait dû fournir des preuves indiquant que
son état découlait directement de la violation établie, mais il ne l’a pas fait. La
Cour rejette donc la demande fondée sur ce motif.
53.En ce qui concerne les allégations selon lesquelles le Requérant aurait souffert
de tuberculose, d’ulcères, de douleurs à la colonne vertébrale et de délire, la
Cour relève que les pièces médicales fournies sont incomplètes et manquent
de clarté. Elles sont donc insuffisantes pour étayer lesdites allégations. En
outre, à l’instar du grief relatif au diagnostic de presbytie, la Cour exige des
preuves indiquant que ces affections étaient une conséquence directe des
violations établies. Par conséquent, la Cour rejette la demande fondée sur ce
motif.
b. Préjudice moral subi par les victimes indirectes alléguées
54.Le Requérant demande à la Cour de prendre en compte les victimes indirectes,
qui ont également subi un préjudice moral en raison des violations qu’il a
subies, comme suit :
i. Vingt millions (20 000 000) de shillings tanzaniens à chacune de ses deux
épouses, Mme Bs AN et Mme An Ab ;
ii. Cinq millions (5 000 000) de shillings tanzaniens à chacun de ses enfants :
Bd AN, ] oel Mgosi, Cm AN, ] osephat Mgosi (qui est décédé
entretemps), ] ulius Mgosi et Av AN ;
iii. Dix millions (10 000 000) de shillings tanzaniens à son frère, Bm Ag ;
iv. Dix millions (10 000 000) de shillngs tanzaniens à sa mère, Cw
Av ;
55. Le Requérant affirme que son incarcération a perturbé la vie quotidienne des
membres de sa famille, leur a fait subir une stigmatisation sociale et leur a
causé une angoisse émotionnelle. Il affirme que ses deux épouses ont souffert
de détresse émotionnelle et financière en son absence, puisqu’il était le
principal pourvoyeur de la famille. I! soutient également que ses enfants ont
manqué l’occasion d'être élevés par leur père biologique en raison de son
incarcération. Le Requérant affirme, en outre, qu’un de ses fils est décédé du
fait que sa famille n’a pas réussi à réunir les fonds nécessaires pour prendre
en charge ses frais médicaux.
56.La Cour relève, en ce qui concerne les victimes indirectes, qu’en règle
générale, le préjudice moral est présumé à l’égard des conjoints, des parents
et des enfants et que la réparation n’est accordée que lorsque la preuve des
relations entre conjoints ou de la filiation avec un requérant est faite. Pour les
autres catégories de victimes indirectes, la preuve de la filiation et du préjudice
moral subi est requise!
13 Ai Ae et autres c. Aj Bv (réparations), $ 54 ; As Ao Af c. Tanzanie (fond et réparations), $ 135 ; Léon Bp AH Co, CAfDHP, Requête n° 012/2017, arrêt du 27 novembre 2020 (fond et réparations), $ 148.
57.En l'espèce, la déclaration sous serment du Requérant datée du 3 juillet 2019
et soumise à la Cour le 16 août 2019 a été présentée comme preuve de filiation
avec les victimes indirectes présumées comme suit :
2. J'ai deux épouses, Bs Be AN et An Ab
3. Certains de mes enfants étaient très jeunes au moment de mon
incarcération, en particulier
a. Bd AN (de sexe féminin) était âgé de 8 ans au moment
de mon incarcération ;
b. ] oelMgosi (de sexe masculin) était âgé de 6 ans au moment de
mon incarcération ;
c. Cm AN (de sexe masculin) étaitâgé de 6 ans au moment
de mon incarcération ;
d. Bd AN (de sexe masculin, mais qui est depuis décédé)
était âgé de 6 ans au moment de mon incarcération ;
e. ] oel Mgosi (de sexe masculin) était âgé de 3 ans au moment de
mon incarcération ;
f. Av AN (de sexe masculin), dont An Ab portait
encore la grossesse de 8 mois ;
4. ] e suis le fils de Cw Av ;
5. J'ai un frère plus jeune dénommé Bm Ag ;
58.La déclaration sous serment du Requérant décrit plus en détail l’effet de la
violation qu’il a subi sur les membres de sa famille. Le Requérant affirme que
sa famille, dans son ensemble, « a souffert d'angoisse émotionnelle et de
stigmatisation sociale en raison de l’arrestation, du jugement, de la
condamnation et de l’incarcération ». En outre, le Requérant affirme ce qui suit :
26. Mes deux épouses, Bs Be et An Ab, ont souffert de
détresses émotionnelles et éprouvé de graves difficultés financières à
la suite de ma condamnation et de mon incarcération. Elles prennent
soin de mes six enfants en l'absence de leur partenaire de vie et du
principal pourvoyeur de la famille.
28. En raison de mon incarcération, mes enfants ont manqué l’occasion
d’être élevés par leur père biologique et de vivre une telle expérience… 29.Mon père est décédé d’une hypertension quand j'ai été mis aux arrêts
et mon fils a perdu la vie parce que ma famille n’a pas été en mesure
de prendre en charge ses frais médicaux.
59.La Cour fait observer que même après avoir accueilli la demande de
prorogation de délai formulée par le Requérant afin de déposer des éléments
de preuve supplémentaires à l'appui des demandes de réparations pour les
victimes indirectes présumées, celui-ci ne l'a pas fait dans le délai prescrit. La
déclaration sous serment du Requérant constitue donc la seule preuve produite
pour établir la filiation du Requérant avec les victimes indirectes présumées.
Elle n’est pas suffisante pour établir l’existence d’un lien conjugal ou filial entre
le Requérant et les victimes indirectes alléguées.
60.La Cour réitère sa jurisprudence selon laquelle les victimes indirectes doivent
prouver leur relation avec le requérant pour avoir droit à des réparations. À cet
effet, les conjoints doivent produire l’acte de mariage ou toute autre preuve
équivalente. Quant aux enfants ils doivent produire uniquement l’acte de
naissance attestant leur filiation ou toute autre preuve équivalente. Enfin, les
pères etles mères ne doivent produire seulement une attestation de paternité
ou de maternité ou toute autre preuve équivalente.
61.Compte tenu de l’absence de documents justificatifs prouvant le lien conjugal
ou filial du Requérant avec les personnes qu'il présente comme ses épouses,
ses enfants et ses parents, la demande de réparation de préjudice moral ne
saurait être accueillie à leur égard.
62.En ce qui concerne les demandes relatives au préjudice moral subi par son
jeune frère, outre l'absence de preuve à l’appui de sa filiation avec le
Requérant, aucun élément n’a été fourni pour démontrer que ses conditions de
vie et ses conditions sociales ont été affectées par les violations commises à
l'encontre du Requérant.
14 Ai Ae et autres c. Aj Bv (réparations), $ 54.
63.En conséquence, la Cour rejette cette demande de réparation du préjudice subi
par les victimes indirectes présumées.
B. Réparations non-pécuniaires
64.Le Requérant sollicite des réparations non pécuniaires qui consisteraient pour
l’État défendeur à publier le présent Arrêt et à soumettre des rapports
périodiques sur sa mise en œuvre.
ii Mesures de satisfaction
65.Le Requérant demande à la Cour d’ordonner à l’État défendeur « de publier,
dans un délai de trois (3) mois à compter de la date de notification du présent
arrêt, et ce, pour une période d’au moins un an, les versions anglaise et swahili
de l'arrêt sur les réparations sur le site officiel du ministère de la J ustice et du
ministère des Affaires constitutionnelles. »
66.La Cour rappelle, conformément à sa jurisprudence, que son arrêt peut
constituer en lui-même une forme suffisante de réparation pour toutes formes
de violations, en particulier celles entrainant un préjudice moral. Par
conséquent, les ordonnances visant notamment la publication d’une décision
sont prises au cas par cas, selon les circonstances.!* De telles circonstances
comprennent les cas de violations graves ou systémiques qui affectent le
système interne de l'État défendeur ; les cas où l’État défendeur n’a pas mis en
œuvre une précédente ordonnance de la Cour relative à la même affaire ; ou
les cas où il est nécessaire de renforcer la sensibilisation du public aux
conclusions de l’affaire.!6
15 By Bw Bi At c. Tanzanie (réparations), $ 45 ; Ba Aa et autres c. Tanzanie (fond et réparations), 88 151 à 153; Ct Az Cn c. Tanzanie (fond et réparations), $$ 173 à 174 et Cx Bc AH AG de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 010/2015, Arrêt du 25 juin 2021 (réparations), 8 49.
16 Bn Cc c. Tanzanie (fond et réparations), 5 191. Voir également By Bw Bi At c. Tanzanie (réparations), $ 45 ; Ai Ae et autres c. Aj Bv (réparations), 88 103 à 106 et Cx Bc AH Ar Créparations) 8 49.
67.La Cour relève que dans l'arrêt sur le fond de la présente Requête, il a été
ordonné à l’État défendeur de remettre le Requérant en liberté dans un délai
de trente (30) jours à compter de la date de notification de l'arrêt et de lui fournir
les copies certifiées conformes des comptes rendus d’audience et des
jugements dans les deux affaires pénales, ainsi que de soumettre un rapport
sur les mesures prises pour se conformer à ces ordonnances dans un délai de
soixante (60) jours à compter de la date de notification. L'État défendeur n’a
pas déposé ledit rapport malgré les nombreux rappels qui lui ont été adressés
eten dépit de la demande formulée par le Requérant concernant l'exécution de
ces ordonnances, notamment sa remise en liberté.
68.La Cour rappelle sa jurisprudence, en particulier dans les affaires Zongo,!”
At!# et Anudo,!° dans lesquelles elle a fait observer que la publication des
arrêts des tribunaux internationaux des droits de l’homme, à titre de mesure de
satisfaction, était une pratique courante.
69.La Cour relève que, compte tenu de la nature de la violation et du fait que l’État
défendeur ne s’est pas conformé à l'arrêt sur le fond, il est nécessaire de mettre
l’accent sur les obligations de l’État défendeur et les réparations requises, et
de sensibiliser le public à celles-ci. Compte tenu de ces circonstances, la Cour
estime nécessaire la publication de l'arrêt sur les réparations.
70.La Cour note en outre que le kiswahili est la langue nationale et officielle de
l’État défendeur. La publication du présent Arrêt sur les réparations en kiswahili
permettra à un public le plus large possible d'en prendre connaissance. Elle fait
donc droit à la demande du Requérant de faire publier le présent Arrêt sur les
réparations en anglais et en kiswahili par l'État défendeur.
ii. Sur le rapport de mise en œuvre
17 Ai Ae et autres c Aj Bv (réparations), $ 98.
18 By Bw Bi At c. Tanzanie (réparations), 8 45.
19 Cp Bx Cp c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 012/2015, Arrêt du 2 décembre 2021 (réparations), $ 95.
71.Le Requérant demande à la Cour d’ordonner à « l’État défendeur de soumettre
un rapport à la Cour dans les six (6) mois suivant la date de la notification de
l’Arrêt sur les réparations et, par la suite, tous les six (6) mois jusqu'à ce que
toutes les ordonnances qui y sont contenues soient exécutées. »
72.La Cour rappelle ses décisions antérieures selon lesquelles les mesures sur la
soumission de rapports sur la mise en œuvre de ses décisions sont devenues
inhérentes à ses arrêts, conformément à l’article 30 du Protocole.”
73.Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime nécessaire d’ordonner à l’État
défendeur de soumettre des rapports périodiques sur la mise en œuvre du
présent Arrêt, conformément à l’article 30 du Protocole.
VII. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
74. La règle 32(2) du Règlement?! dispose : « [à] moins que la Cour n’en décide
autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure. »
75.En l’espèce, le Requérant n’a formulé aucune observation sur les frais de
procédure.
76.Au regard donc des circonstances de cette affaire, la Cour estime que chaque
Partie doit supporter ses frais de procédure.
77.Par ces motifs,
20 Voir Ah An An et 9 autres c. Tanzanie (réparations), 5 83; Cy Ad CCv CeA et] ohnson Cy CCa CqA c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 006/2015, arrêt du 8 mai 2020 (réparations) 8 62; Bq Ck c. Tanzanie (fond et réparations), $ 117.
21 Article 30(2) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
LA COUR,
Sur les réparations pécuniaires
ii Rejette la demande du Requérant relative au préjudice moral subi
par les supposées victimes indirectes.
ii. Fait droit à la demande du Requérant relative au préjudice matériel
et lui accorde la somme de cinq millions huit cent sept mille quatre
cent vingt-et-un (5 807 421) shillings tanzaniens.
ii. — Fait droit à la demande du Requérant au titre du préjudice moral et
lui accorde la somme de trente millions (30 000 000) shillings
tanzaniens.
iv. Ordonne à l'État défendeur de payer les montants indiqués aux
points (ii) et (ii) ci-dessus, en franchise d'impôt, à titre de juste
compensation dans un délai de six (6) mois à compter de la date de
notification du présent Arrêt, faute de quoi il sera tenu de payer des
intérêts moratoires calculés sur la base du taux en vigueur de la
Banque de Tanzanie pendant toute la période de retard jusqu’au
paiement intégral des sommes dues.
Sur les réparations non-pécuniaires
v. Ordonne à l'État défendeur de publier le présent Arrêt en anglais et
en kiswahili, sur le site Internet du ministère de la Justice et du
ministère des Affaires constitutionnelles et juridiques, et de veiller à
ce qu’il reste accessible pendant au moins un (1) an après la date de
sa publication.
Sur la mise en œuvre et la soumission de rapports
vi. Ordonne à l’État défendeur de lui soumettre, dans un délai de six (6)
mois à compter de la date de notification du présent Arrêt, un rapport
sur la mise en œuvre des mesures qui y sont contenues et, par la
suite, tous les six (6) mois, jusqu’à ce qu’elle considère toutes ces
mesures entièrement exécutées.
Sur les frais de procédure
vi Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ontsigné :
Blaise TCHIKAYA, Vice-président ges
Ben KIOKO, Juge RSS ;
Al Bi AL, J uge Lys Bh
Bt Z, J uge (AE
Stella |. ANUKAM, J uge uk am.
Ap Bf AJ, J uge Due ON Æ œ.
Ax AM, J uge ; et fra fause -


Synthèse
Numéro d'arrêt : 006/2016
Date de la décision : 23/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2023
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