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28/11/2019 | CADHP | N°031/2015

CADHP | Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 28 novembre 2019, 031/2015


Texte (pseudonymisé)
728 RECUEIL DE
Ad c.
JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA Requête 031/2015, Aa Ad c. République-Unie de Tanzanie
Arrêt du 28 novembre 2019. Fait en anglais et en français, le texte
anglais faisant foi.
Juges ORÉ, KIOKO, BEN ACHOUR, MATUSEE, MENGUE,
MUKAMULISA, CHIZUMILA, BENSAOULA, TCHIKAYA et ANUKAM
S’est récusée en application de l’article 22 : ABOUD
Le requérant a été reconnu coupable et condamné à 30 ans
d'emprisonnement pour vol à main armée. || a allégué que les actes dont
il é

tait accusé constituent un vol et non un vol à main armée, que les
preuves avaient été ignorées lors d...

728 RECUEIL DE
Ad c.
JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA Requête 031/2015, Aa Ad c. République-Unie de Tanzanie
Arrêt du 28 novembre 2019. Fait en anglais et en français, le texte
anglais faisant foi.
Juges ORÉ, KIOKO, BEN ACHOUR, MATUSEE, MENGUE,
MUKAMULISA, CHIZUMILA, BENSAOULA, TCHIKAYA et ANUKAM
S’est récusée en application de l’article 22 : ABOUD
Le requérant a été reconnu coupable et condamné à 30 ans
d'emprisonnement pour vol à main armée. || a allégué que les actes dont
il était accusé constituent un vol et non un vol à main armée, que les
preuves avaient été ignorées lors du procès et que ses droits à légalité
devant la loi et à la non-discrimination avaient été violés. La Cour a
estimé qu'aucun droit n’avait été violé dans cette affaire.
Compétence (compétence matérielle, 24, 25)
Recevabilité (épuisement de recours internes, recours constitutionnel,
37 ; introduction dans un délai raisonnable, 47, 48)
Procès équitable (évaluation des preuves, 59, 60 ; légalité, 66, 67, 74)
Opinion individuelle : BENSAOULA
Recevabilité (introduction dans un délai raisonnable, 6, 7)
Les parties
Aa Ad (ci-après dénommé « le requérant ») est un ressortissant tanzanien qui purge actuellement une peine de trente (30) ans de réclusion suite à sa condamnation pour vol à main armée.
La présente requête est formée contre la République-Unie de Tanzanie (ci-après dénommée « l’État défendeur »), devenue partie à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après dénommée « la Charte ») le 21 octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. En outre, le 29 mars 2010, l’État défendeur a déposé la Déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole, par laquelle il a accepté la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes émanant des individus et des organisations non gouvernementales (ONG).
Il Ad c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 728 729
Objet de la requête
Faits de la cause
Il ressort du dossier que le requérant a été arrêté le 22 septembre 2005 au village de Rubaragazi à la suite d’une attaque qu’il aurait menée en association avec cinq (5) autres individus le 7 septembre 2005, au large de l'Île de Rubaragazi, contre Ar Bl et Bp Ci qui pêchaient à bord d’une barque appartenant à Bb Bn Af. Ils auraient arraché aux deux pêcheurs un moteur hors-bord, un réservoir de carburant, une durite de carburant, un commutateur de moteur et quarante- sept (47) filets de pêche.
Le requérant a été mis en accusation le 26 septembre 2006 pour vol à main armée devant le Tribunal de district (District Court) de Sengerema siégeant à Serengema à Mwanza, dans l'affaire pénale No. 288 de 2005. Le 14 novembre 2006, le Tribunal l’a reconnu coupable et condamné à trente (30) ans de réclusion.
Le 7 février 2007, le requérant a formé le recours pénal No. 52 de 2007 devant la Haute cour de Tanzanie siégeant à Mwanza. Le 4 février 2009, cet appel a été rejeté faute d’avis d’appel en bonne et due forme. Par la même décision rejetant l’appel, la Cour a encouragé le requérant à demander l'autorisation de déposer son avis d'appel hors délai et c'est ainsi qu’il a déposé la requête pénale « Miscellaneous Criminal Application » No. 88 de 2009 devant la Haute cour de Tanzanie à Mwanza. La Haute cour a accordé l’autorisation demandée par ordonnance en date du 6 septembre 2010 et, le 27 septembre 2010, le requérant a introduit l'appel pénal No. 70 de 2010 devant la Haute cour de Tanzanie à Mwanza. Le 8 décembre 2010, la Haute cour de Tanzanie à Mwanza a rejeté l’appel.
Le 21 décembre 2010, le requérant a introduit devant la Cour d'appel de Tanzanie siégeant à Mwanza un appel pénal enregistré sous le numéro No. 102 de 2011. Le 29 juillet 2013, la Cour d'appel a rejeté cet appel, confirmant la déclaration de culpabilité et la peine prononcée contre le requérant. Le 13 septembre 2013, le requérant a déposé le recours pénal No. 16 de 2013 en révision de l'arrêt rendu le 29 juillet 2013 par la Cour d’appel. Ce recours en révision n’avait pas encore été entendu au moment du dépôt de la présente requête.
Le requérant a introduit la présente requête le 5 décembre 2015.
730 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
B. Violations alléguées
8. Le requérant allègue que l’État défendeur a violé les droits que lui reconnaît la Charte en ses articles 2 sur le droit à la protection contre toute discrimination et 3 sur le droit à une totale égalité devant la loi et à une égale protection de la loi. Il soutient que ces violations ont été commises par la Cour d’appel, du fait :
ii De n'avoir tenu compte ni de la preuve fondamentale présentée par le ministère public concernant son identification sur les lieux de l’incident ni de sa déposition à la police.
ii. D’avoir confirmé la déclaration de culpabilité et la peine prononcées à son encontre sans requalifier le chef d’accusation de vol à main armée en vol et qu’en conséquence elle aurait dû modifier la peine prononcée en tenant compte des circonstances atténuantes et de la demande de clémence du requérant.
iii. D’avoir rendu un jugement contraire aux lois de la Tanzanie, en particulier au Code de procédure pénale.
9. Le requérant allègue que la violation de ses droits appelle à réparation conformément à l’article 27(1) du Protocole et à l’article 34(5) du Règlement.
IN. Procédure
10. La requête a été déposée le 8 décembre 2015 et signifiée à l’État défendeur le 25 janvier 2016.
11. Les parties ont reçu les mémoires sur le fond et déposé leurs observations dans le délai fixé par la Cour. Le 19 juin 2017, les parties ont été informées de la clôture de la procédure écrite sur le fond.
12. Le 24 août 2018, le greffe a demandé au requérant de déposer ses observations sur les réparations.
13. Le 27 septembre 2018, le requérant a déposé ses observations sur les réparations et celles-ci ont été transmises à l’État défendeur le même jour par lettre l’invitant à y répondre dans un délai de trente (30) jours.
14. Par lettres du 20 décembre 2018 et du 15 février 2019, la Cour a accordé de sa propre initiative à l’État défendeur deux prorogations de délai pour déposer ses observations sur les réparations. L'État défendeur avait, par prorogation, trente (30) jours supplémentaires pour déposer ses observations mais ne l’a pas fait.
15. Le 12 juin 2019, les parties ont été informées de la clôture de la procédure écrite sur les réparations.
Ad c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 728 731
IV. Mesures demandées par les parties
16. Le requérant demande à la Cour :
«i. De faire droit à la présente requête, de modifier la peine lui infligée et d’ordonner sa remise en liberté en tenant compte de la période passée en prison ;
ii. De trancher le différend, de rétablir la justice et d'annuler la déclaration de culpabilité et la peine prononcée à son encontre ;
iii. De rendre toute autre ordonnance ou mesure de réparation qu’elle juge appropriée dans les circonstances de l'espèce ».
17. Dans sa réplique, le requérant a réitéré les mesures demandées et dans ses observations sur les réparations, il demande :
«i. Que l’État défendeur lui verse, à titre d’indemnisation, une somme de trois millions (3 000 000) de shillings tanzaniens par année passée en prison, de 2006 à 2018, soit environ 12 fois (x) 3 000 000/= trente- six millions (36 000 000) de shillings tanzaniens ;
ii. D’être remis en liberté, ce qui constitue sa priorité absolue, et de bénéficier de toute autre mesure de réparation que la Cour juge appropriée et juste dans les circonstances de l'espèce ;
iii. Que la Cour détermine les réparations en tenant compte des normes internationales en la matière et du niveau de développement et des revenus annuels dans le tiers monde(sic) ».
18. L’État défendeur demande à la Cour de :
«i. Dire que la Cour n’est pas compétente pour connaître de l'espèce ; ii. Dire que la requête ne remplit pas les conditions de recevabilité énoncées à l’article 40(5) du Règlement intérieur de la Cour ou aux articles 56 de la Charte et 6(2) du Protocole ;
ii. Déclarer la requête irrecevable ;
iv. Dire que le gouvernement de la République-Unie de Tanzanie n’a pas violé les articles 2 et 3(1) et (2) de la Charte ;
v. Rejeter la requête en application de l’article 38 du Règlement intérieur de la Cour ;
vi. Ne pas faire droit aux mesures demandées par le requérant ;
vii. Condamner le requérant aux dépens de la procédure ».
Compétence
19. La Cour observe que l’article 3 du Protocole dispose que :
« 1.La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et l'application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par les États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est 732 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
compétente, la Cour décide ».
20. La Cour relève en outre qu'aux termes de l’article 39(1) du Règlement : « La Cour procède à un examen préliminaire de sa compétence … ».
21. Sur la base des dispositions susmentionnées, la Cour doit, préalablement, procéder à une évaluation de sa compétence et statuer sur les exceptions éventuelles d’incompétence.
A. Exception d’incompétence matérielle
22. L'État défendeur fait valoir que la requête n’est pas conforme aux dispositions de l’article 3(1) du Protocole et des articles 26 et 40(2) du Règlement au motif que le requérant demande à la Cour de siéger comme une juridiction d’appel pour réexaminer les éléments de preuve sur lesquels a déjà statué la Cour d’appel de Tanzanie, juridiction suprême de l’État défendeur. L'État défendeur rappelle la décision de la Cour dans l'affaire Ernest Cd Bk c. République du Malawi, selon laquelle elle n’a pas compétence d’appel pour examiner les appels des décisions des juridictions nationales et régionales.
23. Le requérant soutient que sa requête relève de la compétence de la Cour, les violations alléguées étant fondées sur des droits protégés par la Charte. I! fait valoir que la requête a été introduite pour vérification des irrégularités qui ont émaillé les procédures devant les juridictions nationales et que la Cour est donc compétente pour examiner tous les éléments contenus dans les décisions de la juridiction nationale et annuler sa condamnation et la peine prononcée à son encontre.
24. Selon sa jurisprudence constante, la Cour a compétence matérielle tant que le requérant invoque des violations des droits de l'homme protégés par la Charte ou tout autre instrument des droits de l’homme auquel l’État défendeur est partie.‘
25. La Cour réitère sa jurisprudence bien établie selon laquelle elle n’est certes pas une instance d’appel des décisions rendues
1 Ah Ai Ay c. République-Unie de Tanzanie (2014) (recevabilité), 1 RJCA 413, para 114.
Ad c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 728 733
par les juridictions nationales," mais «cela ne l'empêche pas d’examiner les procédures pertinentes devant les instances nationales pour déterminer si elles sont en conformité avec les normes prescrites dans la Charte ou avec tout autre instrument ratifié par l’État concerné ».2
26. En l'espèce, la Cour fait observer que le requérant allègue que ses droits protégés par les articles 2 et 3 de la Charte ont été violés.
27. En conséquence, la Cour rejette l'exception d’incompétence soulevée à cet égard par l’État défendeur et conclut qu’elle a la compétence matérielle.
Autres aspects relatifs à la compétence
28. La Cour relève que sa compétence personnelle, temporelle et territoriale n’a pas été contestée par l’État défendeur et que rien dans le dossier n'indique qu’elle n’a pas compétence. Elle conclut
Ernest Cd Bk c. République du Malawi (compétence), (2013) 1 RICA 197, para 14; Requête No. 025/2016. Arrêt du 28 mars 2019 (fond et réparations), Bs Bc c. République-Unie de Bf ABs Bc c. Tanzanie (fond et réparations)), para 26 ; Requête No. 053/2016. Arrêt du 28 mars 2019 (fond), Cb Ai c. République-Unie de Bf ACb Ai c. Tanzanie (fond)), para 25 ; Requête No. 001/2015. Arrêt du 07 décembre 2018 (fond et réparations), Cj Cg c. République-Unie de Bf ACj Cg c. Tanzanie (fond et réparations)), para 33 ; Requête No. 024/2015. Arrêt du 07 décembre 2018 (fond et réparations), Br Cf Br et autres c. République-Unie de Bf ABr Cf Br et autres c. Tanzanie (fond et réparations)), para 29 ; Requête No. 027/2015. Arrêt du 21 septembre 2018 (fond et réparations), As Av c. République-Unie de Bf AAs Av c. Tanzanie (fond et réparations)), para 18 ; Requête No. 016/2016. Arrêt du 21 septembre 2018 (fond et réparations), Bx Bl c. République-Unie de Bf ABx Bl c. Tanzanie (fond et réparations)), para 28 ; Requête No. 002/2016. Arrêt du 11 mai 2018 (fond), Bw Bi Ax c. République-Unie de Bf ABw Bi Ax c. Tanzanie (fond)), para 19 ; Requête No. 005/2015. Arrêt du 11 mai 2018 (fond), Am Be Ar et une autre c. République-Unie de Tanzanie, (Am Ar et une autre c. Tanzanie (fond)), para 31 ; Requête No. 006/2015. Arrêt du 23 mars 2018 (fond), Ch Bm et Ab Ch c. République-Unie de Bf ACh Bm et Ab Ch c. Tanzanie
Requête No. 011/2015. Arrêt du 28 septembre 2017 (fond), Ce An c. République-Unie de Bf ACe An c. Tanzanie (fond)), para 28 ; Ck Bq c. Tanzanie (fond) (2016) 1 RICA 624 para 25.
Al Am c. Tanzanie (fond) (2015) 1 RJCA 482, para 130 ; Ck Bq c. Tanzanie (fond) (2016) 1 RJCA 624, para 29 ; Ce An c. Tanzanie (fond), para 28 ; Requête No. 003 / 2014. Arrêt du 24 novembre 2017 (fond), Aw Ac At c. République du Rwanda (Aw At c. Rwanda (fond)), para 52.
734 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
donc :
ii Qu'elle a la compétence personnelle étant donné que l’État défendeur est partie au Protocole et a fait la Déclaration prévue en son article 34(6), par laquelle elle permet aux individus de la saisir directement, conformément à l’article 5(3) du Protocole ;
ii. Qu'’elle a la compétence temporelle compte tenu du fait que les violations alléguées ont un caractère continu, le requérant étant toujours condamné sur la base de ce qu’il considère comme des irrégularités * ;
iii. Qu'’elle a la compétence territoriale étant donné que les faits de la cause se sont produits sur le territoire d’un État partie au Protocole, en l’occurrence l’État défendeur.
29. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle est compétente en l'espèce.
30. Aux termes de l’article 6(2) du Protocole, « La Cour statue sur la recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de la Charte ». Conformément à l’article 39(1) du Règlement, « La Cour procède à un examen préliminaire de sa compétence et des conditions de recevabilité de la requête telles que prévues par les articles 50 et 56 de la Charte et 40 du présent Règlement ».
31. L'article 40 du Règlement, qui reprend en substance l’article 56 de la Charte, dispose :
« En conformité avec les dispositions de l’article 56 de la Charte auxquelles renvoie l’article 6(2) du Protocole, pour être examinées, les requêtes doivent remplir les conditions ci-après :
1. Indiquer l’identité de leur auteur même si celui-ci demande à la Cour de garder l'anonymat ;
2. Être compatible avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la Charte ;
3. Ne pas contenir de termes outrageants ou insultants ;
4. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse ;
5. Être postérieures à l'épuisement des recours internes s'ils existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
6. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
3 Ayants droit de feu Ap Bv, Bt Ag alias Ablasse, Az Bv, Blaise IIboudo & Mouvement Burkinabé des droits de l'homme et des peuples c. Aq Ba (exceptions préliminaires) (2013) 1 RCJA 204 para 71-77.
Ad c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RJCA 728 735
l’épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa propre saisine ;
7. Ne pas concerner des cas qui ont été réglés conformément soit aux principes de la Charte des Nations Unies, soit de l’Acte constitutif de l’Union africaine et soit des dispositions de la Charte ou de tout autre instrument juridique de l’Union africaine ».
A. Conditions de recevabilité en discussion entre les parties
32. L'État défendeur soutient que la requête ne remplit pas deux conditions de recevabilité : celle prévue à l’article 40(5) relatif à l'épuisement des recours internes et celle énoncée à l’article 40(6) relatif à l'exigence d'introduire les requêtes dans un délai raisonnable.
i. Exception relative à l’épuisement des recours internes
33. L'État défendeur soutient que la présente requête ne remplit pas les conditions énoncées à l’article 40(5) du Règlement, dans la mesure où le requérant n’a pas épuisé les recours internes. Se référant à la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après dénommée « la Commission »), dans les affaires Sahringon et autres c. Tanzanie et Article 19 c. Érythrée, l’État défendeur fait valoir que le requérant aurait dû se conformer à la règle de l'épuisement des recours internes applicable dans toutes les juridictions internationales. L'État défendeur soutient que le requérant aurait dû introduire un recours en inconstitutionnalité devant la Haute cour de Tanzanie, conformément à la loi sur les droits fondamentaux et les devoirs (Bu Bj and By Bz Act), pour obtenir réparations des violations de son droit à un procès équitable qu’il dit avoir été commises lors du procès devant la Cour d’appel de Tanzanie.
34. Le requérant soutient qu’il a épuisé les recours internes et qu’il avait formé des recours en réparation devant la Haute cour et la Cour d'appel avant de saisir la Cour de céans. Il indique également que sa requête en révision de l'arrêt de la Cour d'appel du 29 juillet 2013 n'avait pas encore été entendue au moment où il déposait la présente requête devant la Cour de céans.
736 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
35. La Cour relève que conformément à l’article 40(5) du Règlement, une requête déposée devant elle doit satisfaire à la condition d’épuisement des recours internes. La règle de l'épuisement des recours internes renforce la primauté des tribunaux nationaux dans la protection des droits de l'homme devant la Cour de céans et, en tant que telle, vise à donner aux États la possibilité de faire face aux violations des droits de l'homme commises sur leur territoire avant qu’un organisme international de protection des droits de l'homme ne soit appelé à déterminer la responsabilité des États dans de telles violations.“
36. Dans sa jurisprudence constante, la Cour a toujours jugé qu’un requérant n’est tenu d’épuiser que les recours judiciaires ordinaires. En outre, dans plusieurs affaires impliquant l’État défendeur, la Cour a fait observer, à plusieurs reprises, que les recours en inconstitutionnalité et en révision d’un jugement de la Cour d'appel du système judiciaire tanzanien constituaient des recours extraordinaires qu’un requérant n’était pas tenu d’épuiser avant de la saisir.“
37. La Cour relève qu’il ressort du dossier que le requérant a interjeté appel de sa condamnation et de sa peine devant la Cour d'appel de Tanzanie, la plus haute instance judiciaire de l’État défendeur et que, le 29 juillet 2013, la Cour d'appel a confirmé le jugement de la Haute cour qui avait antérieurement confirmé le jugement du Tribunal de district de Sengerema. En plus des recours judiciaires ordinaires qu’il a exercés, le requérant a également tenté de recourir à la procédure de révision devant la Cour d'appel. L'État défendeur a donc eu la possibilité de réparer ses violations.
38. À la lumière de ce qui précède, le requérant a épuisé tous les recours internes.
39. En conséquence, la Cour rejette l'exception selon laquelle le requérant n’a pas épuisé les recours internes.
ii. Exception relative au non-dépôt de la requête dans un délai raisonnable
40. L'État défendeur fait valoir qu’au cas où la Cour venait à conclure
4 Requête No. 006/2012. Arrêt du 26 mai 2017 (fond), Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. République du Kenya, paras 93-94.
5 Al Am c. Tanzanie (fond) (2015) 1 RICA 482, para 64 ; Aj Bo Ao et autres c. Tanzanie (fond) (2016) 1 RICA 526, para 95.
6 Al Am c. Tanzanie (fond) (2015) 1 RJCA 482, para 65 ; Ck Bq c. Tanzanie (fond) (2016) 1 RICA 624, paras 66-70 ; Ce An c. Tanzanie (fond), para 44.
Ad c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 728 737
que le requérant a épuisé les recours internes, elle devrait dire que la requête n’a pas été déposée dans un délai raisonnable au regard de l’article 40(6) du Règlement.
41. L'État défendeur relève que la période écoulée entre le 29 juillet 2013, date à laquelle la Cour d'appel de Tanzanie a rejeté l’appel du requérant, et le 8 décembre 2015, date à laquelle il à introduit sa requête devant la Cour de céans, est de deux (2) ans et cinq (5) mois.
42. S'appuyant sur la décision de la Commission dans l'affaire Bd c. Zimbabwe, l’État défendeur indique que la jurisprudence internationale établie en matière des droits de l'homme considère que la période de six (6) mois constitue un délai raisonnable pour déposer une requête, après l'épuisement des recours internes. L’État défendeur fait valoir que le délai de deux (2) ans mis pour déposer la requête ne peut en aucun cas être considéré comme raisonnable. || soutient en outre que le fait que le requérant soit en prison ne l’empêchait pas de saisir la Cour.
43. Le requérant soutient que sa requête est en conformité avec l’article 40(6) du Règlement car il a fait appel devant la Haute cour et devant la Cour d'appel de Tanzanie, la plus haute juridiction de l'État défendeur. Il soutient également qu’il a accusé du retard dans le dépôt de la requête parce qu'il avait introduit un recours en révision devant la Cour d’appel de Tanzanie.
44. La Cour fait observer que l’article 56(6) de la Charte ne fixe pas un délai pour sa saisine. L'article 40(6) du Règlement, qui en reprend la substance, mentionne juste un « délai raisonnable courant depuis l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa propre saisine ».
45. La Cour rappelle sa jurisprudence dans l'affaire Ap Bv et autres c. Aq Ba, selon laquelle « … le caractère raisonnable d’un délai de sa saisine dépend des circonstances particulières de chaque affaire, et doit être apprécié au cas par 738 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
46. Il ressort du dossier que les recours internes ont été épuisés le 29 juillet 2013, avec l'arrêt prononcé par la Cour d'appel de Tanzanie, et que la requête a été déposée devant la Cour de céans le 8 décembre 2015, soit deux ans, quatre mois et dix jours après l'épuisement des recours internes. La Cour doit déterminer si ce délai peut être considéré comme raisonnable au sens de l’article 40(6) du Règlement et de l’article 56(6) de la Charte.
47. La Cour relève que le requérant est en détention, avec pour conséquence une limitation de ses déplacements et de son accès à l'information relative à l’existence de la CourS Il a opté pour la procédure de révision de la décision de la Cour d’appel° en déposant une requête en révision le 13 septembre 2013, même si cette procédure n’est pas un recours qu'il était tenu d’épuiser avant de saisir la Cour de céans. Il s'attendait à ce que la révision de l'arrêt intervienne dans un délai raisonnable. La Cour observe en outre que la requête aux fins de révision était en instance au moment où il a déposé la requête. La Cour est d'avis que le requérant ne devrait pas être pénalisé pour le temps qu’il a passé à attendre la décision sur sa requête aux fins de révision dont il a saisi la Cour d’appel.
48. En conséquence, la Cour conclut que le temps mis par le requérant pour la saisir, soit deux ans, quatre mois et dix jours après l'épuisement des recours internes, est un délai raisonnable. 49. L'exception soulevée à cet égard est donc rejetée.
B. Conditions de recevabilité qui ne sont pas en discussion entre les parties
50. Les conditions relatives à l'identité du requérant, à l’incompatibilité avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la Charte, aux termes utilisés dans la requête, à la nature des preuves présentées et au principe selon lequel la requête ne doit pas concerner des cas qui ont été réglés conformément aux principes énoncés dans la Charte des Nations unies, dans l’Acte constitutif de l’Union africaine, ou dans tout autre instrument juridique de l'Union
7 Voir Ayants droit de feu Ap Bv, Bt Ag alias Ablassé, Az Bv, Blaise IIboudo et Mouvement burkinabé des droits de l'homme et des peuples c. Aq Ba (fond), (2014) 1 RICA 226, para 121.
8 Voir Al Am c. Tanzanie (fond) (2015) 1 RICA 482, para 74 ; Bs Bc c. Tanzanie (fond et réparations), para 56.
9 Br Cf Br et un autre c. Tanzanie (fond et réparations), para 49 ; Cj Cg c. Tanzanie (fond et réparations), para 56.
Ad c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RJCA 728 739
africaine (article 40, paragraphes 1, 2, 3, 4 et 7 du Règlement) ne sont pas en discussion entre les parties. La Cour relève que rien dans le dossier n'indique que l’une ou l’autre de ces conditions n’a pas été remplie en l'espèce.
51. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que la présente requête remplit toutes les conditions de recevabilité énoncées aux articles 56 de la Charte et 40 du Règlement et la déclare recevable.
VII. Fond
52. Le requérant allègue la violation de ses droits garantis par l’article 2 de la Charte relatif au droit à la non-discrimination et par l’article 3 relatif au droit à une totale égalité devant la loi et à une égale protection de la loi.
53. Dans la mesure où l’allégation de violation des articles 2 et 3 de la Charte est liée à celle de violation de l’article 7 de la Charte, la Cour examinera d’abord cette dernière.‘°
A. Allégation de violation de l’article 7 de la Charte
54. Le requérant allègue la violation de ses droits, due à l'erreur manifeste commise par la Cour d’appel dans son jugement en fondant celui-ci sur une identification inexacte de sa personne. Le requérant allègue également que la Cour d’appel a confirmé la déclaration de culpabilité et la peine prononcées à son encontre pour recel d'objets volés sans toutefois requalifier le chef d'accusation « en vol».
i. Allégation d’erreur manifeste dans l’arrêt de la Cour d’appel, fondé sur l’identification du requérant
55. Le requérant allègue que la Cour d’appel « n’a tenu compte ni de la preuve fondamentale présentée par le ministère public concernant son identification sur les lieux de l'incident ni de sa déposition à la police». La Cour d’appel a donc fondé son arrêt sur une erreur manifeste de fait concernant l’identification du requérant.
56. L'État défendeur fait valoir que la question de l'identification du requérant faisait partie des moyens d’appel de celui-ci devant la Cour d'appel; elle a été analysée et tranchée en sa faveur par la
10 Ah Ai Ay c. Tanzanie (2014) (recevabilité), 1 RICA 413, para 122.
740 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
Cour d’appel qui a invalidé son identification et sa déposition à la police.
57. La Charte dispose en son article 7(1) que :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend :
a. Le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et garantis par les conventions, les lois, les règlements et coutumes en vigueur ;
c. Le droit à la présomption d’innocence jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie par une juridiction compétente ;
d. Le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix ;
e. Le droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale ».
58. La Cour réitère sa position, selon laquelle :
«… Les juridictions nationales jouissent d’une large marge d'appréciation dans l'évaluation de la valeur probante d’un élément de preuve. En tant que juridiction internationale des droits de l'homme, la Cour ne peut se substituer aux juridictions nationales et examiner les détails et les particularités des preuves présentées dans les procédures internes »."”
59. || ressort du dossier que les juridictions nationales ont examiné les éléments de preuve produits par le ministère public et ont conclu que l'identification du requérant par les témoins relevait de simples ouï-dire et que la déposition du requérant à la police n’avait pas été obtenue dans les règles. En conséquence, les juridictions nationales n’ont pas pris en considération les éléments de preuve concernant l’identification du requérant et sa déposition à la police étant donné qu’elles ne répondaient pas aux exigences établies par la jurisprudence. La Cour note en outre que l'affaire a été tranchée en faveur de l'accusé, à savoir le requérant devant la Cour de céans.
60. La Cour en conclut que la manière dont les juridictions nationales ont évalué les éléments de preuve relatifs à l'identification du requérant et l’invalidation de sa déposition à la police, ne dénotent
11 Requête No. 032/2015. Arrêt du 21 mars 2018 (fond), Au Cc c. Tanzanie, para 65.
Ad c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 728 741
d'aucune erreur manifeste ou d’aucun déni de justice à son égard. La Cour rejette donc cette allégation.
Allégation relative à la déclaration de culpabilité et à la peine
61. Le requérant allègue que compte tenu des éléments de preuve de l'infraction de vol à main armée d'objets produits par le ministère public, la Cour d’appel aurait dû requalifier le chef d'accusation en « vol », et ainsi le condamner sur la base d’une infraction moins grave passible d’une peine moins lourde, plutôt que de confirmer la déclaration de culpabilité pour vol à main armée et la peine de 30 ans de réclusion.
62. Le requérant fait aussi valoir que la doctrine de la possession récente n’a pas été correctement invoquée par le ministère public car les juridictions nationales n’ont pas considéré le fait qu’il pouvait posséder, en tant que pêcheur utilisant une pirogue, des objets identiques à ceux qu’il était supposé avoir volés chez le plaignant, témoin à charge 1 (PW1). Il soutient que le ministère public n’a pas fourni de preuve irréfutable que PW1 était réellement le propriétaire des biens objet du litige.
63. L’État défendeur fait valoir que la déclaration de culpabilité du requérant était fondée sur la doctrine de la possession récente que la Cour d’appel a estimé conforme à sa jurisprudence dans l'affaire Ak Ae et 4 autres c. Tanzanie, selon laquelle : « la présomption de culpabilité ne peut naître que lorsqu'il existe une preuve convaincante que les objets volés que possède l'accusé sont ceux volés lors de la perpétration de l'infraction reprochée… ». L'État défendeur soutient que ladite Cour a jugé que cette doctrine avait été correctement invoquée et appliquée par le Tribunal de district. L'État défendeur soutient en outre que c'est le requérant lui-même qui a conduit la police sur les lieux où les biens volés étaient entreposés et le propriétaire des biens présumés volés les a identifiés comme lui appartenant.
64. L'article 7(2) de la Charte dispose que :
« Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui ne constituait pas, au moment où elle a eu lieu, une infraction légalement punissable. Aucune peine ne peut être infligée si elle n’a pas été prévue 742 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
au moment où l'infraction a été commise. La peine est personnelle et ne peut frapper que le délinquant ».
65. Il ressort du dossier qu'au cours de l'enquête, c'est le requérant qui a conduit la police à son domicile où les objets volés ont été retrouvés et leur légitime propriétaire, Bb Bn Af, les a identifiés comme lui appartenant.
66. La Cour note également que la Cour d'appel a examiné toutes les pièces de procédure du requérant concernant la question de la doctrine de la possession récente et a décidé de confirmer les décisions du Tribunal de district et de la Haute cour selon lesquelles la déclaration de culpabilité du requérant pour vol à main armée et la peine de 30 ans de réclusion prononcée à son encontre sont justifiées.
67. La Cour en conclut que la manière dont les juridictions nationales ont tranché la question de la doctrine de la possession récente ne révèle aucune erreur manifeste ni aucun déni de justice à l'égard du requérant quant à sa mise en accusation pour vol à main armée et sa peine de trente ans de réclusion. La Cour rejette donc cette allégation.
B. Violation alléguée du droit à l’égalité devant la loi et à une égale protection de la loi
68. Le requérant allègue que l’État défendeur, après avoir constaté que la déclaration de culpabilité était fondée sur des preuves de recel d'objets volés, n’a pas, conformément à l’article 300(2) du Code de procédure pénale de 2002 (CPA), requalifié le chef d’accusation, l’infraction le vol à main armée, en une infraction moins grave, ce qui constitue une atteinte au droit à une totale égalité devant la loi et au droit à une égale protection de la loi.
69. Le requérant soutient que la Cour d'appel est régie par la Loi sur la juridiction d'appel et le Règlement de la Cour d'appel de 2009 ; étant donné que ce Règlement renvoie à « toute autre loi écrite », la Cour d'appel est également régie par le Code de procédure pénale.
70. Le requérant affirme que pour n’avoir pas examiné sa requête aux fins de révision, la Cour d'appel a violé ses droits consacrés par la Constitution de l’État défendeur et par la Charte.
71. L'État défendeur fait valoir que le Code de procédure pénale conformément à son article 4 ne s'applique pas aux procédures devant les cours d’appel, mais en première instance et lors de la détermination des infractions prévues par le Code pénal, et de toutes les autres infractions, sauf disposition contraire de la loi.
Ad c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RJCA 728 743
À cet égard, il a cité l’article 4 du Code de procédure pénale.‘ L'État défendeur soutient en outre que les procédures devant la Cour d'appel sont régies par la loi de 2002 relative à la juridiction d'appel et au Règlement de la Cour d’appel.
72. L'État défendeur soutient que la Cour d’appel a examiné tous les moyens d'appel du requérant, que tous ses appels ont été examinés et tranchés par les instances d’appel, et que son droit à l’égalité devant la loi, garanti par la Charte, lui a été dûment reconnu.
73. L'article 3 de la Charte dispose que « (1) Toutes les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la loi. 2. Toutes les personnes ont droit à une égale protection de la loi ».
74. En ce qui concerne le droit à l'égalité devant la loi, la Cour a conclu dans les paragraphes 66 et 67 ci-dessus, que l’évaluation par la Cour d'appel de la preuve relative à la doctrine de la possession récente n’a pas été effectuée de manière à enfreindre les droits du requérant. La Cour a également conclu que l’évaluation faite par la Cour d'appel n’était pas manifestement erronée et n’a pas non plus donné lieu à un déni de justice à l'égard du requérant. En outre, la Cour n’a trouvé aucun élément de preuve dans le dossier et le requérant n’a pas démontré en quoi ni comment il a été traité différemment par rapport à d’autres individus se trouvant dans une situation similaire,'* ce qui aurait entrainé une protection inégale de la loi ou une inégalité devant la loi, et donc
12 L'article 4 du Code de procédure pénale de 2002 dispose que : « (1) Toute infraction prévue par le Code pénal doit faire l’objet d’une instruction, et être jugée et tranchée conformément aux dispositions de la présente loi. (2) Toute infraction relevant de toute autre loi doit faire l’objet d’une instruction, et être jugée et tranchée selon les dispositions du présent Code sauf si cette autre loi prévoit une règlementation différente quant à la procédure ou au lieu de l'instruction, au procès ou prévoit de traiter cette infraction d’une toute autre manière ».
13 Requête No. 006/2016. Arrêt du 07 décembre 2018 (fond), Ca Bg Bh c. Tanzanie, para 66.
744 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
une violation de l’article 3 de la Charte.
75. La Cour rejette par conséquent cette allégation et conclut que l’État défendeur n’a pas violé l’article 3 de la Charte.
C. Violation alléguée du droit de ne pas subir de discrimination
76. Le requérant allègue que la manière dont la Cour d’appel a statué sur son affaire constitue une violation de ses droits inscrits à l’article 2 de la Charte.
77. L'État défendeur n’a pas répondu à cette allégation.
78. L'article 2 de la Charte dispose que
« Toute personne a droit à la jouissance des droits et libertés reconnus et garantis dans la présente Charte sans distinction aucune, notamment de race, d’ethnie, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation ».
79. La Cour note que le droit à la non-discrimination consacré par l’article 2 de la Charte interdit tout traitement différencié des justiciables se trouvant dans la même situation sur la base de motifs injustifiés. En l'espèce, le requérant allègue de manière générale qu'il a été victime de discrimination de la part de l’État défendeur. I! n’explique pas les circonstances de sa différence de traitement et ne fournit aucune preuve à l’appui de son allégation. À cet égard, la Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle « des affirmations d'ordre général selon lesquelles son droit a été violé ne sont pas suffisantes. Des preuves plus concrètes sont requises ».!*
80. La Cour rejette donc cette allégation et conclut que l’État défendeur n’a pas violé l’article 2 de la Charte.
81. Le requérant demande à la Cour de faire droit à sa requête, de rétablir la justice là où elle a été bafouée, d’annuler la déclaration
14 Al Am c. Tanzanie (fond) (2015) 1 RJCA 482, para 140.
Ad c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RJCA 728 745
de culpabilité ainsi que la peine prononcée à son encontre et d’ordonner sa remise en liberté. Le requérant demande en outre à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de lui verser une indemnité de trente-six millions (36 000 000) de shillings tanzaniens et de rendre toute autre ordonnance qu’elle estime appropriée.
82. L'État défendeur affirme que les demandes du requérant devraient être rejetées, mais n'a pas déposé d'observations en réponse aux mesures de réparation demandées par le requérant.
83. L'article 27(1) du Protocole dispose : « Lorsqu'elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste compensation ou l'octroi d’une réparation ».
84. La Cour ayant conclu que l’État défendeur n’a violé aucun de ces droits contrairement aux allégations du requérant, rejette les mesures demandées concernant l’annulation de sa déclaration de culpabilité et de la peine prononcée à son encontre, l'ordonnance aux fins de sa remise en liberté et le paiement de dommages- intérêts à titre de réparation.
IX. Frais de procédure
85. Le requérant n’a pas présenté d’observations sur les frais de procédure.
86. L'État défendeur demande que les frais de procédure soient à la charge du requérant.
87. La Cour fait observer que l’article 30 de son Règlement intérieur dispose qu’ « [à] moins que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure ».
88. La Cour, par conséquent, décide que chaque partie supporte ses frais de procédure.
X. Dispositif
89. Par ces motifs,
La Cour
À l’unanimité :
Sur la compétence
i. Rejette l'exception d’incompétence matérielle de la Cour ;
ii. Dit qu’elle est compétente.
746 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
Sur la recevabilité
iii. Rejette les exceptions d’irrecevabilité de la requête ;
iv. Dit que la requête est recevable.
Sur le fond
v. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du requérant à la protection contre toute discrimination garanti à l’article 2 de la Charte.
vi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé les droits du requérant à l'égalité devant la loi et à une égale protection de la loi garantis par l’article 3 de la Charte ;
vi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du requérant à un procès équitable garanti par l’article 7 de la Charte.
Sur les réparations
viii. Rejette la demande de réparations déposée par le requérant.
Sur les frais de procédure
ix. Ordonne que chaque partie supporte ses frais de procédure.
Opinion individuelle : BENSAOULA
1. Je partage l'opinion de la majorité des juges quant à la recevabilité de la requête, à la compétence de la Cour et au dispositif.
2. En revanche, je pense que la manière dont la Cour a traité la recevabilité relative à l'exception soulevée par l'Etat défendeur quant au dépôt de la requête dans un délai raisonnable va à l’encontre des dispositions des articles 56 de la Chartre, 6(2) du Protocole, 39 et 40 du Règlement.
3. Au vu des articles 56 de la Charte et 40 du Règlement dans leurs paragraphes 6, il est clairement dit que les requêtes doivent être « introduites dans un délai raisonnable courant depuis l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa propre Ad c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 728 747
saisine ».
4. || est clair que le législateur a donc dicté deux options quant à la manière de déterminer le point de départ du délai raisonnable :
a. La date de l'épuisement des recours internes : en l'espèce, elle a été fixée par la Cour au 29 juillet 2013, date de l'arrêt de la Cour d'appel. Entre cette date et celle de la saisine de la Cour, il s'est écoulé un délai de deux ans, quatre mois et 10 jours.
b. La date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa propre saisine : A ce propos, il faut noter que bien qu’ayant pris en considération la date de l’épuisement des recours internes pour évaluer le caractère raisonnable du délai,‘ la Cour a, néanmoins, considéré certains faits qui ont eu lieu entre la date de l’épuisement des recours internes et sa saisine, tels que le recours en révision.” Elle a relevé, en sus, que le requérant était détenu, ce qui aurait limité son déplacement et son accès à l'information.
5. Ce raisonnement de la Cour va à l’encontre de la logique même de l'exception faite par le législateur quant à la deuxième prérogative attribuée à la juridiction de céans de retenir une date de sa propre saisine.
6. En effet, si pour ce qui est des recours internes, la Cour a considéré que seuls les recours ordinaires sont obligatoires, il n’y aurait aucune contradiction avec cette position si, en se fondant sur le fait que le requérant a formé ce recours extraordinaire, en l'espèce, le recours en révision, elle en prenait la date ou celle de la décision y relative comme point de départ du délai de sa propre saisine, au lieu de déterminer le délai raisonnable en se fondant sur ce recours en révision comme un fait.
7. Ainsi, la Cour aurait fondé cette option de la manière suivante : « Nonobstant le fait qu’elle a considéré que les recours internes ont été épuisés comme le prouve l'arrêt de la Cour d’appel rendu le 29 juillet 2013, la Cour, par esprit d'équité et de justice, prendrait comme élément d'appréciation, la date à laquelle la requête en révision a été déposée, soit le 13 septembre 2013 », ce qui aurait engendré un délai plus raisonnable, car plus court.
8. En passant sous silence cette date et en se contentant de citer* des éléments pour motiver le délai raisonnable, tels que la détention, la limitation des déplacements, l’accès à l’information, allégations jamais faites par le requérant, ainsi que sur son ignorance de l’existence de la Cour d'autant plus qu’il ressort de
1 Para 47 de l'arrêt.
2 Para 48 de l'arrêt.
3 Para 48 de l'arrêt.
748 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
l’arrêt objet de l’opinion que devant la juridiction de céans, il s’est
défendu lui-même et n’a pas eu besoin de représentant, la Cour a
failli dans la correcte application de l'article 40 al.6 du Règlement.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 031/2015
Date de la décision : 28/11/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2023
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