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28/11/2019 | CADHP | N°007/2015

CADHP | Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 28 novembre 2019, 007/2015


Texte (pseudonymisé)
RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019) Rajabu et autres c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RJCA 562
Requête 007/2015, Bu A et autres c. République-Unie de Tanzanie
Arrêt du 28 novembre 2019. Fait en anglais et en français, le texte anglais faisant foi.
Juges ORÉ, KIOKO, BEN ACHOUR, MATUSEE, MENGUE, MUKAMULISA, CHIZUMILA, BENSAOULA, TCHIKAYA et ANUKAM
S’est récusée en application de l’article 22 : ABOUD
Les cinq requérants ont été reconnus coupables de meurtre et condamnés à mort. Ils ont allégué que que le procès devant la Cour d

appel a pris un temps anormalement long, qu’il y a eu de graves divergences entre ...

RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019) Rajabu et autres c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RJCA 562
Requête 007/2015, Bu A et autres c. République-Unie de Tanzanie
Arrêt du 28 novembre 2019. Fait en anglais et en français, le texte anglais faisant foi.
Juges ORÉ, KIOKO, BEN ACHOUR, MATUSEE, MENGUE, MUKAMULISA, CHIZUMILA, BENSAOULA, TCHIKAYA et ANUKAM
S’est récusée en application de l’article 22 : ABOUD
Les cinq requérants ont été reconnus coupables de meurtre et condamnés à mort. Ils ont allégué que que le procès devant la Cour d’appel a pris un temps anormalement long, qu’il y a eu de graves divergences entre les dépositions des témoins, que l’audience préliminaire et le procès ont eu lieu devant des juges différents, que l'imposition de la peine de mort obligatoire viole le droit à la vie et que la pendaison comme mode d'exécution est cruelle, innumaine et dégradante. La Cour a estimé qu’il n’y avait pas eu vice de procédure mais que l'imposition obligatoire de la peine de mort et la pendaison comme méthode d’exécution violent la Charte. La Cour a ordonné un nouveau procès relativement à la condamnation des requérants.
Compétence (compétence matérielle, 29)
Recevabilité (épuisement de recours internes, recours constitutionnel, 43 ; introduction dans un délai raisonnable, 52, 53)
Procès équitable (procès dans un délai raisonnable, 72 ; droit d’être entendu, cohérence des témoignages, 80-84)
Vie (peine de mort, normes d’un procès équitable, 104, 107 ; imposition obligatoire, 108-114)
Traitements cruels, inhumains ou dégradants (exécution par pendaison, 119)
Réparations (dommages-intérêts pour préjudice matériel, 141, 142 ; dépens, 144 ; dommages-intérêts pour préjudice moral, 150 ; nouveau procès, 158 ; non-répétition, abrogation du Code pénal, 163 ; publication de l'arrêt, 167)
Opinion individuelle : BENSAOULA
Recevabilité (épuisement des recours internes, 19, 20 ; présentation dans un délai raisonnable, 24)
Opinion individuelle : TCHIKAYA
Vie (peine de mort, 1, 27, 28)
I Les parties
1 MM. Bu A, Yi X AI Xc, Ap Xg alias Babu, Cm Bj alias Atuu et Ax Cc AHci-après Il Rajabu et autres c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 562 563
dénommés les « requérants ») sont des ressortissants tanzaniens condamnés à la peine capitale pour meurtre et actuellement détenus à la Prison centrale d’Arusha.
La requête est dirigée contre la République-Unie de Tanzanie (ci-après désignée « l’État défendeur »), devenue partie à la Charte africaine des droits de l'Homme et des Peuples (ci-après la « Charte ») le 21 octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. Elle a également déposé, le 29 mars 2010, la déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole, par laquelle elle accepte la compétence de la Cour pour recevoir des affaires émanant de particuliers et d’organisations non gouvernementales dotées du statut d’observateur auprès de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après désignée « la Commission »).
Objet de la requête
Faits de la cause
Le 12 septembre 2006, les requérants ont été arrêtés dans le village de Mruma, du district de Mwanga en Tanzanie, pour le meurtre d’un nommé At Ct. Le 24 juin 2008, ils ont été accusés de ce chef devant la Haute cour de Tanzanie siégeant à Arusha.
Le 25 novembre 2011, la Haute cour a déclaré les requérants coupables et les a condamnés à la peine capitale dans l'affaire pénale No. 30 de 2008. Non satisfaits de cette décision, ils ont formé un recours devant la Cour d’appel de Tanzanie, en l’appel pénal No. 43 de 2012. Le 22 mars 2013, cette juridiction a rejeté leur appel.
Le 24 mars 2013, les requérants ont déposé une requête en révision, qui était encore pendante devant la Cour d'appel au moment du dépôt de la présente requête le 26 mars 2015.
Violations alléguées
Les requérants allèguent qu’ils :
| ont été jugés pour meurtre en violation de l’article 196 du Code pénal, dans l'affaire pénale No. 30 de 2008 ;
il ont été condamnés pour meurtre alors que leur cause n’avait pas été pleinement entendue ;
iii. n’ont reçu aucune suite à leur requête en révision devant la Cour d'appel, alors que la loi leur permettait de demander cette révision ;
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iv. ont été condamnés en violation de la Constitution et du Règlement des juridictions tanzaniennes ;
v. ont été condamnés sur la base d’une erreur manifeste du Tribunal de première instance ;
vi. ont été condamnés sur la base de preuves contradictoires ;
vii. n’ont pas été jugés conformément au principe du procès équitable dans le cadre de leur requête en révision de l’arrêt de la Cour d'appel, étant donné qu’un même juge a mené la procédure préliminaire, le procès proprement dit tandis que les enquêtes préliminaires avaient été menées par un seul et même agent de police ;
viii. ont été reconnus coupables alors que l'examen de leur alibi n'avait pas été fait de manière à écarter tout doute raisonnable, en violation de l’article 110 de la loi sur la preuve ;
ix. ont été condamnés en violation de l’article 235(1) de la loi portant Code de procédure pénale ;
x. ont été condamnés à mort en violation de leurs droits à la vie et à la dignité garantis par la Charte.
IN. Procédure devant la Cour
7. La requête a été reçue au greffe de la Cour le 26 mars 2015.
8. Sur instructions de la Cour, le greffe a sollicité les services de Me William Kivuyo Ernest, qui a accepté de représenter les requérants à titre gracieux.
9. Le 18 mars 2016, la Cour a rendu une ordonnance portant mesures provisoires, enjoignant à l’État défendeur de surseoir à l'application de la peine capitale jusqu’à ce qu’elle ait statué sur le fond de la requête.
10. Les parties ont déposé leurs observations dans les délais impartis par la Cour.
11. La procédure écrite sur le fond de l'affaire a été close le 24 janvier 2018.
12. Le 6 juillet 2018, le greffe a informé les parties qu’à sa quarante- neuvième (49ème) session ordinaire, la Cour avait décidé de statuer sur le fond et les réparations dans un seul et même arrêt. Les parties ont donc été invitées à déposer leurs observations sur les réparations.
13. Les requérants ont déposé leurs observations sur les réparations dans les délais impartis. L'État défendeur n’a pas répondu aux observations des requérants sur les réparations.
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IV. Mesures demandées par les parties
14. Les requérants prient la Cour de rendre les mesures suivantes : i. Évaluer de manière critique les preuves présentées devant la Haute cour, en particulier celles concernant leur identification, en vue d’une décision juste car le juge chargé du procès avait commis l’erreur flagrante de droit et de fait de les condamner sur la base d'éléments de preuve non fiables fournis par des témoins incohérents.
ii. Dire que condamner les requérants avant de les déclarer coupables constitue une violation de l’article 235(1) du Code de procédure pénale, et qu’en conséquence, le bénéfice du doute devrait leur être accordé.
ii. Dire que la Cour d’appel n’a pas révisé sa décision malgré les pouvoirs que lui confèrent son Règlement intérieur et la Constitution de l’État défendeur.
iv. Dire que la décision de les condamner était fondée sur une erreur manifeste, eu égard au dossier.
v. Dire que pour avoir été menée par un seul agent de police, l'enquête préliminaire constitue une violation de leur droit à un procès équitable.
vi. Dire que les audiences préliminaires ainsi que le procès proprement dit ont été tenus par un seul et même juge, ce qui constitue une violation de leur droit d’être entendus par une juridiction compétente.
vii. Dire qu’en ne modifiant pas l’article 197 de son Code pénal qui prévoit l'imposition obligatoire de la peine capitale en cas de meurtre, l’État défendeur a violé le droit à la vie et ne respecte pas l'obligation de donner effet à ce droit tel que garanti par la Charte.
vii. Dire que l'imposition obligatoire de la peine capitale par la Haute cour et sa confirmation par la Cour d’appel constituent une violation de leur droit à la vie et à la dignité.
ix. Infirmer la déclaration de culpabilité, annuler la peine prononcée à leur encontre et ordonner leur remise en liberté.
x. Leur octroyer à titre de préjudices matériels d’autres formes de réparation, y compris les frais de justice, et des préjudices moraux pour eux-mêmes et les membres de leurs familles, comme suit :
a. Quatre cent vingt-trois mille deux cent quatre-vingt-neuf (423.289) dollars américains à Bu A ;
b. Trois cent soixante-huit mille cent soixante-douze (368.172) dollars américains à Yi X alias Oria ;
c. Trois cent soixante-quinze mille (375.000) dollars américains à STANLEY alias Babu ;
d. Quatre cent quarante-six mille deux cent soixante-dix-huit (446.278) dollars américains à Cm Bj alias Atuu ; et
e. Quatre cent trente-neuf mille quatre cent quatre-vingt-treize (439.493) dollars américains à Ax Cc.
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15. L'État défendeur demande à la Cour de prendre les mesures suivantes quant à sa compétence et à la recevabilité de la requête :
«i. Dire que la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples n’a pas compétence pour statuer sur la requête et la rejeter en conséquence.
ii. Dire que la Cour n’a pas compétence pour ordonner à l’État défendeur de libérer les requérants de prison.
iii. Dire que la Cour n’a pas compétence pour siéger en tant que juridiction d’appel sur des questions jugées et tranchées par la Cour d’appel de l’État défendeur.
iv. Dire que la Cour n’a pas compétence pour siéger en tant que tribunal de première instance sur des questions jamais soulevées devant les juridictions de base de l’État défendeur.
v. Dire que la requête ne remplit pas les conditions de recevabilité énoncées à l’article 40(5) du Règlement de la Cour et qu’en conséquence, elle est irrecevable et dûment rejetée.
vi. Dire que la requête n’a pas satisfait aux conditions de recevabilité énoncées à l’article 40(6) du Règlement de la Cour et qu’en conséquence, elle est irrecevable et dûment rejetée.
vii. Rejeter la requête. »
16. L'État défendeur demande en outre de rendre, sur la compétence de la Cour et la recevabilité de la requête, les mesures suivantes : «i. Dire que le gouvernement de la République-Unie de Tanzanie n’a pas violé le droit des requérants à ce que leur cause soit entendue.
ii. Dire que le gouvernement de la République-Unie de Tanzanie n’a pas violé le droit des requérants à un procès équitable.
iii. Dire que le gouvernement de la République-Unie de Tanzanie n’a pas traité avec lenteur la requête des requérants demandant révision de la décision de la Cour d'appel dans l’appel pénal No. 43 de 2012.
iv. Dire que les requérants ont été identifiés de manière appropriée sur les lieux du crime.
v. Dire qu’il n’y a pas eu violation de l’article 235(1) du Code de procédure pénale, chap. 20, RE 2002.
vi. Dire que la condamnation inappropriée de la Haute cour a été corrigée par la Cour d’appel de Tanzanie dans l’appel pénal No. 43 de 2009.
vii. Dire que la déclaration de culpabilité et la peine prononcée à l'égard des requérants par la Haute cour lors du procès et confirmées par la Cour d’appel de Tanzanie étaient appropriées et conformes à la loi.
viii. Rejeter la requête au motif qu’elle n'est pas fondée ».
17. Pour ce qui est des réparations, l’État défendeur demande à la Cour de rejeter dans leur totalité les demandes des requérants, au motif qu’elles ne sont ni étayées, ni accompagnées de documents Rajabu et autres c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RJCA 562 567
justificatifs.
Compétence
18. En vertu de l’article 3 du Protocole :
«1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et l'application de la Charte, du présent Protocole et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par les
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la Cour décide. »
19. Conformément à l’article 39(1) du Règlement, « La Cour procède à un examen préliminaire de sa compétence (…) ».
20. L’État défendeur soulève deux exceptions relatives, premièrement, au fait que la Cour est appelée à se prononcer comme une juridiction d’appel et deuxièmement, au fait qu’elle est appelée à siéger comme juridiction de première instance, relativement aux violations alléguées par les requérants.
Exception d’incompétence matérielle
Exception relative au fait que la Cour est appelée à siéger en tant que juridiction d’appel
21. L'État défendeur fait valoir que la Cour n’a pas compétence pour examiner la requête en l'espèce, étant donné que les requérants demandent qu’elle siège, en tant que juridiction d'appel, pour réexaminer leurs demandes d’annulation de déclarations de culpabilité et de la peine prononcée à leur encontre et les remettre en liberté. L'État défendeur soutient que pour ce faire, la Cour devra réévaluer les preuves ainsi que l’arrêt de la Cour d’appel, qui est la plus haute juridiction du pays.
22. L'État défendeur ajoute que la demande tendant à faire de la Cour une juridiction d’appel est celle, en particulier du requérant Ap Xg, qui tente d’interjeter appel devant la Cour de céans de sa condamnation et de sa peine. Enfin, l'État défendeur soutient que la Cour d’appel a suffisamment traité des allégations sus - mentionnées dans l’appel pénal No. 43 de 2012. À l'appui de ses affirmations, l’État défendeur se réfère à l’arrêt de la Cour de céans dans l'affaire Bo Ca Yn c. République du Malawi.
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23. Dans leur réplique, les requérants font valoir que la présente requête relève de la compétence de la Cour, parce que les violations sont établies et les droits invoqués sont protégés par la Charte. En ce qui concerne l'affirmation de l’État défendeur selon laquelle la Cour est appelée à siéger en tant que Cour d’appel, les requérants soutiennent qu’ils ne cherchent à faire examiner que les actes de l’État défendeur qui, selon eux, sont répréhensibles. Les requérants affirment que l’État défendeur invoque, à tort, l'affaire Mtingwi et qu’en l’espèce, la Cour devrait plutôt appliquer sa jurisprudence dans l'affaire Xs Ak c. République-Unie de Tanzanie.
24. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle elle ne réexamine pas les questions déjà tranchées par les juridictions nationales.! Ainsi donc elle n’a pas compétence d’appel pour confirmer ou infirmer les décisions de ces juridictions, mais poursuit-elle, conserve le pouvoir de déterminer si les procédures nationales sont conformes aux normes internationales en matière de droits de l'homme.
25. En l'espèce, l’État défendeur s'oppose à ce que la Cour, à la demande des requérants, réévalue les éléments de preuve et révise la peine qui leur a été infligée. La Cour fait observer que les requérants lui demandent de déterminer si les procédures devant les juridictions nationales ont été menées dans le respect des normes internationales que l’État défendeur a l’obligation de protéger.* À ce titre, les questions soulevées relèvent de la
1 Voir Requête No. 001/2015. Arrêt du 07 décembre 2018 (fond et réparations), Cl Cg c. République-Unie de Tanzanie, para 33. Voir aussi Xs Ak c. République-Unie de Tanzanie (fond) (2015) 1 RICA 482, paras 60 à 65 ; et Requête No. 006/2015. Arrêt du 23 mars 2018 (fond), Yq Bg et Be Yq AG Ba, para 35.
2 Voir Cl Cg c. Tanzanie (fond et réparations), para 33. Voir également Requête No. 024/2015. Arrêt du 07 décembre 2018 (fond), Bn Cq Bn et un autre c. République-Unie de Tanzanie, para 29 ; Xs Ak AG Ba (fond), para 130 ; Yr Bl c. République-Unie de Tanzanie (fond) (2016), 1 RICA 624, para 26 ; et Bo Ca Yn c. République du Malawi (compétence), (2013) 1 RICA 197, para 14.
3 Voir Bn Cq Bn et un autre c. Tanzanie, para 31.
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compétence de la Cour de céans.
26. L’exception soulevée par l'Etat défendeur à cet égard est, en conséquence, rejetée.
Exception relative au fait que la Cour est appelée à agir en tant que juridiction de première instance
27. L’État défendeur affirme que les requérants demandent également à la Cour de siéger, en tant que juridiction de première instance, pour examiner la violation alléguée de leur droit à ce que leur cause soit entendue. Cette allégation, souligne-t-il, n’a jamais été soulevée devant les juridictions internes, elle est évoquée pour la première fois devant la Cour de céans.
28 Dans leur réponse, les requérants soutiennent qu’ils demandent à la Cour d’évaluer le comportement de l’État défendeur par l'intermédiaire de ses organes, à la lumière des instruments internationaux auxquels il a adhéré.
29. La Cour estime, conformément à sa jurisprudence constante, qu’elle a la compétence matérielle en vertu de l’article 3 du Protocole, dès lors que la requête allègue des violations de droits protégés par la Charte ou par tout autre instrument international pertinent auquel l’État défendeur est partie.“
30. La Cour relève qu’en l'espèce, les requérants allèguent la violation des droits à la vie, à la dignité et à un procès équitable, garantis par les articles 4, 5 et 7(1) de la Charte, respectivement.
31. A la lumière de ce qui précède, la Cour rejette l'exception soulevée par l’État défendeur sur ce point et conclut qu’elle a la compétence matérielle pour connaître de l’espèce.
Voir Cl Cg c. Tanzanie (fond et réparations), para 31. Voir aussi Bn Cq Bn et un autre c. Tanzanie (fond), para 29. Voir aussi Yq Bg et Be Yq AG Ab de Tanzanie, para 36 ; et Ah Ai Xh c. République-Unie de Tanzanie (fond) (2014) 1 RICA 413, para 114.
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B. Autres aspects de la compétence
32. La Cour relève que l’État défendeur ne conteste pas les autres aspects de sa compétence et que rien dans le dossier n'indique qu’elle n’est pas compétente à cet égard. La Cour en conclut qu’elle a : ;
ii La compétence personnelle étant donné que l’État défendeur est partie au Protocole et qu’il a déposé la déclaration requise en vertu de l’article 34(6) du Protocole, par laquelle il permet aux requérants d'accéder à la Cour, au sens de l’article 5(3) du Protocole ;
ii. La compétence temporelle, étant donné que les violations alléguées, ont commencé avant le dépôt de la déclaration requise en vertu de l’article 34(6) et se poursuivent ;
iii. La compétence territoriale, les faits de la cause s'étant produits sur le territoire de l'Etat défendeur.
33. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle est compétente pour connaître de l'espèce.
34. En vertu de l’article 6(2) du Protocole, « la Cour statue sur la recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de la Charte ». En vertu de l’article 39(1) de son Règlement, « La Cour procède à un examen préliminaire… des conditions de recevabilité de la requête telles que prévues par les articles 50 et 56 de la Charte et l'article 40 du présent Règlement ».
35. L'article 40 du Règlement, qui reprend en substance les dispositions de l’article 56 de la Charte, est libellé comme suit :
« En conformité avec les dispositions de l’article 56 de la Charte auxquelles renvoie l’article 6(2) du Protocole, pour être examinées, les requêtes doivent remplir les conditions ci-après :
1. Indiquer l’identité de leur auteur même si celui-ci demande à la Cour de garder l'anonymat ;
2. Être compatible avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la Charte ;
3. Ne pas contenir de termes outrageants ou insultants ;
4. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse ;
5. Être postérieures à l’épuisement des recours internes, s'ils existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
6. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par Rajabu et autres c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RJCA 562 571
la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa propre saisine ;
7. Ne pas concerner des cas qui ont été réglés conformément, soit aux principes de la Charte des Nations Unies, soit de l’Acte constitutif de l’Union africaine et soit des dispositions de la Charte ou de tout autre instrument juridique de l’Union africaine ».
36. Certaines conditions mentionnées ci-dessus ne sont pas en discussion entre les parties, toutefois, l’État défendeur soulève deux exceptions d’irrecevabilité de la requête.
Conditions de recevabilité en discussion entre les parties
37. L'État défendeur soulève deux exceptions d’irrecevabilité de la requête relatives, pour la première, à la condition de l'épuisement de recours internes et pour la seconde, au dépôt de la requête dans un délai raisonnable après épuisement des recours internes.
Exception relative au non-épuisement des recours internes
38. L'État défendeur affirme qu’en ce qui concerne l’allégation selon laquelle le droit des requérants à ce que leur cause soit entendue a été violé, les requérants auraient pu invoquer la question comme moyen d'appel devant la Cour d'appel dans l'affaire pénale No. 43 de 2012. L'État défendeur soutient, en outre, que les requérants disposaient également d’un recours consistant à déposer une requête en inconstitutionnalité devant la Haute cour, en vertu de la loi sur l'application des droits et des devoirs fondamentaux [Chap 3 version révisée 2002].
39. Dans leur réplique, les requérants ne font aucune observation sur l'exception de l’État défendeur selon laquelle ils auraient dû soulever la question de leur droit à ce que leur cause soit entendue comme moyen d'appel. Cependant, ils font valoir que le dépôt d’une requête en inconstitutionnalité devant la Haute cour n’est pas un recours applicable en l'espèce. À l'appui de leur argument, ils renvoient à l’arrêt de la Cour dans l'affaire Xs Ak c. République-Unie de Tanzanie et soutiennent qu’ils n’étaient pas tenus d’épuiser ce recours.
572 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
40. La Cour, conformément à ses décisions antérieures, rappelle que les recours à épuiser au sens de l’article 56(5) sont des recours ordinaires. Il n’est donc pas demandé aux requérants d’épuiser des recours extraordinaires.®
41. Sur la question de savoir si les requérants auraient pu saisir la Cour d'appel, la Cour rappelle sa jurisprudence établie, selon laquelle le droit invoqué par les requérants fait partie d’un faisceau de droits et de garanties, qui constituent le fondement des procédures devant la Haute cour et devant la Cour d’appel. En conséquence, les autorités judiciaires nationales ayant eu la possibilité de remédier à la violation procédurale alléguée, même si les requérants n’ont pas explicitement soulevé cette question, les recours internes doivent être considérés épuisés.®
42. La Cour relève qu’en l’espèce, la Cour d’appel, ayant eu l’occasion d'examiner plusieurs griefs des requérants qui portaient sur la manière dont la Haute cour avait mené la procédure, avait amplement la possibilité de vérifier si le droit à ce que leur cause soit entendue avait été examiné par la juridiction inférieure.
43. Quant au recours en inconstitutionnalité, la Cour fait observer, comme elle l’a déjà indiqué dans le présent arrêt, que ce recours, tel qu’il s'applique dans le système juridictionnel de l’État défendeur, est un recours extraordinaire, qu’un requérant n’est pas tenu d'épuiser avant de la saisir.
44. La Cour relève qu’après leur condamnation à mort par la Haute cour le 25 novembre 2011, les requérants ont interjeté appel de la décision devant la Cour d'appel qui, le 22 mars 2013, a rejeté leur appel. La Cour note, en outre, que la Cour d'appel est la plus haute juridiction de l’État défendeur.
45. De ce qui précède, la Cour conclut que les recours internes ont été épuisés et rejette l’exception de l’État défendeur relatif au non-épuisement des recours internes.
5 Voir Requête No. 006/2016. Arrêt du 7 décembre 2018 (fond), Yf Xm Bc c. République-Unie de Tanzanie, para 46. Voir aussi Xs Ak AG Ba (fond), paras 60-62 ; Yr Bl AG Ba (fond), paras 66- 70; et Requête No. 011/2015. Arrêt du 28 septembre 2017 (fond), Cd Cw c. République-Unie de Tanzanie, para 44.
6 Voir Cl Cg c. Tanzanie (fond et réparations), para 50. Voir aussi Xs Ak AG Ba (fond), paras 60-65 ; et Requête No. 003/2015. Arrêt du 28 septembre 2017 (fond), Ch Cn Cp et As Bh Cz Xk c. République-Unie de Tanzanie, para 54.
Rajabu et autres c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 562 573
iii Exception relative au dépôt de la requête dans un délai non-raisonnable
46. L'État défendeur soutient que le délai de deux (2) ans qui s’est écoulé entre le prononcé de l'arrêt de la Cour d'appel, le 22 mars 2013 et le dépôt devant la Cour de céans de la présente requête n’est pas un délai raisonnable au sens de l’article 56(5) de la Charte. Se référant à la jurisprudence de la Commission dans l’affaire Bj Xl c. République du Zimbabwe, il demande à la Cour de déclarer la requête irrecevable, car déposée plus de six mois après l'épuisement des recours internes.
47. Les requérants, quant à eux, soutiennent que la requête doit être considérée comme ayant été déposée dans un délai raisonnable, compte tenu des circonstances particulières de l'affaire et de leur situation de profanes en matière de droit, indigents et incarcérés. Ils prient, en outre, la Cour de tenir compte du temps qu’ils ont passé à tenter de faire entendre leur demande de révision devant la Cour d'appel qui, à maintes reprises, a ajourné l'affaire.
48. La Cour rappelle que conformément à l’article 56(6) de la Charte, les requêtes dont elle est saisie doivent être déposées « dans un délai raisonnable après épuisement de recours internes » ou « depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa propre saisine. »
49. La Cour relève, en l'espèce, que les parties s'accordent sur le fait que le délai dans lequel la requête devait être déposée doit être calculé à partir de la date de l'arrêt de la Cour d’appel, soit le 22 mars 2013. La requête ayant été déposée devant la Cour le 26 mars 2015, le délai à examiner est de deux (2) ans et quatre (4) jours.
50. || résulte de la jurisprudence constante de la Cour que l’exigence selon laquelle une requête doit être déposée dans un délai raisonnable après l'épuisement de recours internes doit être évaluée au cas par cas.” Parmi les facteurs pertinents, la Cour a fondé son évaluation sur la situation des requérants, notamment,
7 Voir Cl Cg c. Tanzanie (fond et réparations), paras 55-57. Voir aussi Bn Cq Bn et un autre c. Tanzanie (fond), paras 45-50; Norbert 574 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
l'épuisement des recours internes et leur état de profanes en matière de droit, indigents et incarcérés.®
51. La Cour relève, comme susmentionné dans les faits de la cause, qu’après avoir déposé, le 24 mars 2014, leur requête en révision de l'arrêt de la Cour d’appel du 22 mars 2013, les requérants devaient attendre l'issue de leur recours en révision avant de saisir la Cour de céans, le 26 mars 2015. Étant donné que le recours en révision est un droit prévu par la loi, les requérants ne peuvent pas être pénalisés pour l’avoir exercé et le temps passé à l'exercer doit être pris en compte lorsqu'il s’agit d'apprécier le caractère raisonnable du délai, au sens de l’article 56(6) de la
52. La Cour note également que, dans le cas d'espèce, les requérants sont des profanes en matière de droit, indigents et incarcérés. Compte tenu de leur situation, la Cour leur a accordé l'assistance d’un conseil dans le cadre de son programme d'assistance judiciaire.
53. Dans ces circonstances, la Cour ne peut affirmer que le délai dans lequel ils ont déposé la requête n’est pas raisonnable.
54. La Cour rejette donc l'exception de l’État défendeur relative au non-dépôt de la requête dans un délai raisonnable.
B. Conditions de recevabilité non-contestées par les parties
55. La Cour constate qu’il n’y a pas de contestation entre les parties quant à la question de savoir si la requête remplit les conditions énoncées aux articles 56(1), (2), (3), (4) et (7) de la Charte et 40(1), (2), (3), (4) et (7) du Règlement, concernant respectivement l'identité du requérant, la compatibilité de la requête avec l’Acte constitutif de l’Union africaine, le langage utilisé dans la requête, la nature des preuves présentées et un règlement antérieur de
Zongo et autres c. Am Cx (exceptions préliminaires) », (2013) 1 RICA 204, para 121 ; et Xs Ak AG Ba (fond), paras 73-74.
8 Voir: Cd Cw c. Tanzanie (fond), para 53. Voir aussi Yr Bl AG Ba (fond), para 92 ; et Xs Ak AG Ba (fond), para
9 Voir Cl Cg c. Tanzanie (fond et réparations), paras 36-38; Requête No. 016/2017. Arrêt du 28 mars 2019 (compétence et recevabilité), Bs Xn Be c. République du Ghana. Voir également Requête No. 038/2016. Arrêt du 22 mars 2018 (compétence et recevabilité), Ay Ys Al c. République de Côte d'Ivoire, para 37 ; et Ch Cn Cp et un autre c. Tanzanie (fond), para 65.
Rajabu et autres c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 562 575
56. Notant, en outre, que rien dans le dossier n'indique le contraire, la Cour constate que la requête remplit les critères énoncés dans ces dispositions.
57. A la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que la requête remplit toutes les conditions de recevabilité énoncées à l’article 56 de la Charte et reprises à l’article 40 du Règlement et, en conséquence, la déclare recevable.
VII. Fond
58. Les requérants allèguent que l’État défendeur a violé leurs droits à un procès équitable, à la vie et à la dignité.
A. Sur la violation alléguée du droit à un procès équitable
59. Le droit à un procès équitable dont violation est alléguée en l'espèce se compose (i) du droit d’être jugé dans un délai raisonnable, (ii) du droit à ce que sa cause soit entendue, et (iii) du droit d’être jugé par une juridiction compétente.
i. Le droit d’être jugé dans un délai raisonnable
60. Les requérants allèguent que le retard accusé par la Cour d’appel pour conclure le processus de révision constitue une violation du droit d’être jugé dans un délai raisonnable. Dans leur réplique, ils soutiennent que même si le processus est finalement achevé, il ne l’a été qu’après le dépôt de la requête, soit le 26 mars 2015, alors que l’avis de recours en révision avait été déposé le 24 mars 2013.
61. Aumomentoüils déposaient leur requête devant la Cour de céans, affirment les requérants, l'audience de la demande de révision n’était pas encore programmée. Le retard dans la conclusion du processus de révision, poursuivent-ils, n’est justifié par aucun des facteurs reconnus par la Cour, à savoir la complexité de l'affaire, les actions des parties concernées et le comportement des autorités judiciaires.
62. L'État défendeur réfute l’allégation selon laquelle la demande de révision a été retardée en soutenant que les requérants n'avaient pas fourni copie de leur demande de révision.
576 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
63. L'article 7(1)(d) de la Charte prévoit que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue, droit qui comprend celui « d’être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale ».
64. La Cour estime, conformément à sa jurisprudence, que divers facteurs interviennent lorsqu'il faut déterminer si justice a été rendue dans un délai raisonnable au sens de l’article 7(1)(d) de la Charte. Ces facteurs comprennent notamment la complexité de l'affaire, le comportement des parties et celui des autorités judiciaires qui assument l'obligation de diligence lorsque des peines sévères ont été infligées.‘°
65. La Cour relève qu’en l'espèce, le processus de révision s’est achevé le 24 mai 2017, comme en témoigne la copie au dossier de l'arrêt de la Cour d'appel qui a rejeté la demande de révision des requérants. Cette demande, déposée le 24 mars 2013, était donc en instance depuis deux (2) ans au moment où les requérants saisissaient la Cour de céans. Ledit processus a duré quatre (4) ans et deux (2) mois avant de s'achever. La Cour estime donc que cette dernière période doit être prise en compte lors de l'évaluation du caractère raisonnable, étant donné que la demande est restée sans suite pendant toute cette période.
66. La principale question qui se pose est donc celle de savoir si la période de quatre (4) ans et deux (2) mois qu’il a fallu à la Cour d'appel pour mener à terme le processus de révision est raisonnable, eu égard aux facteurs susmentionnés.
67. Se penchant d’abord sur la complexité de l'affaire, la Cour relève que le retard dénoncé par les requérants est celui du processus de révision, intervenu après leur procès, leur condamnation par la Haute cour et leur recours devant la Cour d’appel. Ainsi, il a été demandé à la Cour d'appel de revoir des questions examinées deux fois déjà, en fait et en droit. En outre, l’arrêt de la Cour d'appel indique clairement que la demande a été rejetée au motif qu’elle était sans fondement, puisqu’elle ne remplissait pas les critères favorables à la révision. À la lumière de ces considérations, le processus de révision n'avait pas besoin de durer plus de quatre (4) ans. En conséquence, la Cour considère que la complexité de la question n’est pas significative pour lui permettre d'apprécier le
10 Voir Cl Cg c. Tanzanie (fond et réparations), paras 122-124. Voir également Xs Ak AG Ba (fond), para 104 ; Aj Xt Bf et autres c. République-Unie de Tanzanie (fond), (2016) 1 RICA 526, para 155 ; et Al Yb et autres c. Am Cx, (fond) (2014) 1 RJCA 226, paras 92-97, 152.
Rajabu et autres c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 562 577
caractère raisonnable dans la présente affaire.
68. Par contre, de l’avis de la Cour, la question cruciale que pose ce retard, c’est celle de la responsabilité que se rejettent les deux parties, rendant opportun l'examen conjoint des deux autres facteurs liés à cette question, à savoir le comportement du requérant et celui des autorités judiciaires de l’État défendeur, au regard, notamment, de leur devoir de diligence raisonnable.
69. La Cour note à cet égard que les requérants soutiennent que le retard est imputable à l’État défendeur, dans la mesure où « aucune mesure substantielle n’a été prise pour régler la question ». A l'appui de leur argument, ils font valoir qu'après le 24 mars 2013, date du dépôt de l’avis, le 23 mai 2016, l'affaire a été ajournée sine die, et aucune audience n’a été programmée plus de deux (2) ans après le dépôt de l'avis, jusqu’au jour où la Cour de céans a été saisie. Pour sa part, l’État défendeur affirme que les requérants sont responsables de ce retard, dans la mesure où ils n’ont pas fourni copie de leur demande de révision pour permettre que l'affaire soit entendue.
70. À la lumière des informations qui figurent au dossier, la Cour note que les requérants ne fournissent pas la preuve que la Cour d'appel a intentionnellement retardé le processus de révision ; pas plus qu’ils ne fournissent la preuve du dépôt, dans les délais requis, de la copie de la demande de révision. La Cour fait observer qu’affirmer simplement que des actes importants n’ont pas été accomplis, sans le prouver, n’établit pas l’intention ou la faute. De même, il serait inapproprié de considérer, comme le soutiennent les requérants, que renvoyer une affaire sine die équivaut automatiquement à un retard indu, sans évaluer le motif du renvoi. En tout état de cause, le jugement en révision a été rendu le 24 mai 2017, soit un an après l’ajournement de l'affaire. 71. Par contre, la Cour d’appel ne pouvait connaître de la demande de révision, tant que les requérants n’en avaient pas déposé copie relève la Cour. D’après la conclusion ci-dessus, ils ont effectivement déposé la copie au moment où après soumission de la présente requête, d’où un retard de plus de deux (2) ans sur les quatre (4) ans qu’a duré la procédure de révision.
72. Compte tenu de ces circonstances, la Cour estime qu’après présentation du document requis, il a fallu deux (2) ans à la Cour d'appel pour vider la procédure de révision. Rien ne permet d'affirmer que ce délai n’est pas raisonnable pour une affaire de meurtre punissable de la peine capitale, dans laquelle la Cour d'appel devait prendre suffisamment de temps pour se prononcer, et ce, compte tenu des contraintes de calendrier du système 578 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
judiciaire interne. ;
73. En conséquence de ce qui précède, la Cour conclut que l'Etat défendeur n’a pas violé l’article 7(1)(d) de la Charte.
ii. Le droit à ce que sa cause soit entendue
74. Les requérants allèguent de graves divergences entre les dépositions de PW1 et PW2, deux (2) des témoins à charge. À l’appui de cette affirmation, ils soulignent que l’un des témoins a affirmé qu’il avait « [sic] réussi à sortir de la maison par une fenêtre (la seule sans grille métallique) et, se rapprochant des bandits, était arrivé près du bandit armé et avait allumé une lampe torche pour les identifier ». Les requérants soutiennent que « [sic] cela aurait été un acte exceptionnel de bravoure, si seulement cela avait été vrai ». Les requérants n’ont toutefois pas indiqué en quoi les dépositions des deux témoins étaient divergentes.
75. Selon les requérants, telles que les enquêtes préliminaires ont été menées, l'agent de police qui en avait la responsabilité a pu y mettre du sien. Ils soutiennent à cet égard que ce policier a géré tout seul l'ensemble du processus, de l'arrestation des accusés à l'enregistrement des déclarations des témoins, y compris le transport du corps du défunt à l'hôpital, l'ébauche du croquis de la scène du crime et son assistance à l'établissement du rapport
76. Pour sa part, l’État défendeur affiime que l’allégation des requérants est inexacte et devrait être rejetée. || fait valoir que pour déterminer si la décision de déclarer les requérants coupables a été fondée sur une erreur manifeste, la considération la plus importante devrait être la preuve de leur identification. À cet égard, l’État défendeur soutient que la Cour d’appel a procédé à une nouvelle évaluation non seulement de l'identification des requérants, notamment des conditions de leur identification, mais aussi de la crédibilité des témoins, du nombre de témoins requis par la loi pour prouver un fait. Elle a également cherché à savoir si l’identification par un seul témoin pouvait aboutir à une condamnation. L'État défendeur soutient, en outre, qu’il n’y a pas eu de violation, la Cour d'appel ayant conclu que les conditions d'identification étaient favorables et que les requérants avaient été suffisamment identifiés sur les lieux du crime.
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77. L'article 7(1) de la Charte est libellé comme suit :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend :
a. Le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et garantis par les conventions, les lois, règlements et coutumes en vigueur ;
b. Le droit à la présomption d’innocence, jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie par une juridiction compétente ;
c. Le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix ;
d. Le droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale ».
78. La Cour fait observer que l’article 7(1) de la Charte garantit la protection des droits liés à un procès équitable, au-delà de ceux expressément énoncés dans les quatre (4) paragraphes ci-dessus. Ces dispositions peuvent donc être lues à la lumière de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui traite plus amplement de ce droit." Les extraits pertinents de cet article 14 sont libellés comme suit: « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit du bien fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ».'? De la lecture conjointe des dispositions de deux instruments, il ressort que toute personne accusée a droit à un procès équitable.
79. La Cour considère, comme elle l’a toujours soutenu, que le respect du droit à ce que sa cause soit entendue exige, dans les affaires pénales, que la déclaration de culpabilité et la condamnation soient prouvées au-delà du doute raisonnable.'* La Cour estime que l'application de ce critère est plus pertinente lorsque, d’une manière générale, la personne accusée est passible d’une lourde
11 Voir Cl Cg c. Tanzanie (fond et réparations), para 73. Voir aussi Aj Xt Bf et autres c. Tanzanie (fond), para 33-36 ; et Requête No. 012/2015, arrêt du 22 mars 2018 (fond), Yj Xa Yj c. Tanzanie, paras 100 et 106.
12 L'État défendeur est devenu partie au PIDCP le 11 juillet 1976.
13 Cl Cg c. Tanzanie (fond et réparations), paras 105-111. Voir aussi Bn Cq Bn et un autre c. Tanzanie (fond), paras 59 à 64; et Yr Bl AG Ba (fond), paras 174, 193 et 194.
580 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
peine,‘* comme la peine de mort, tel que c’est le cas en l’espèce. 80. La Cour fait observer, en outre, qu’elle ne se substitue pas, certes, aux juridictions nationales pour évaluer les particularités des éléments de preuve utilisés dans les procédures internes, mais elle conserve le pouvoir de vérifier si la manière dont ces preuves ont été évaluées est compatible avec les normes internationales des droits de l'homme.‘5 L’une des préoccupations principales à cet égard est de veiller à ce que l'évaluation des faits et des preuves par les juridictions nationales ne soit pas manifestement arbitraire ou ne conduise pas à une erreur judiciaire au détriment
81. En l'espèce, la Cour observe que la question principale qui se pose, relativement à l'identification visuelle et au rôle d’un seul policier est celle de savoir si la déclaration de culpabilité et la peine prononcées dans leurs conclusions par les juridictions nationales ont été conformes aux normes sus - énoncées. À cet
égard, la Cour relève que ces questions ont été examinées par la Haute cour dans son arrêt du 25 novembre 2011 (pages 34 à 37 de cette décision). La Haute cour a examiné toutes les preuves présentées et les a jugées crédibles. En outre, les requérants n’invoquent aucune disposition de la loi nationale qui interdit qu’un agent de police mène seul des enquêtes dans une affaire pénale.
82. La Cour note, par ailleurs, que dans son arrêt du 22 mars 2013, la Cour d'appel a précisé que l'identification des requérants constituait la question principale à examiner dans la procédure d'appel.” La Cour d'appel a, ensuite, procédé à un examen approfondi des faits et de la jurisprudence tanzanienne en matière d'identification, y compris le recours à un seul et unique témoin et l’utilisation de l'identification visuelle.‘® L'examen a mené la Cour à la conclusion selon laquelle l'accusation avait établi, dans les
14 Voir Requête No. 053/2016. Arrêt du 28 mars 2019 (fond), Yg Ai c. République-Unie de Tanzanie, para 51. Voir également Requête No. 032/2015.
15 Voir Yr Bl AG Ba (fond), paras 26 et 173. Voir aussi : Bv Yh c. Tanzanie (fond), para 61 ; Yg Ai c. Tanzanie (fond), paras 52 à 63 ; Cl Cg c. Tanzanie (fond et réparations), paras 105-111 ; Bn Cq Bn et un autre c. Tanzanie (fond), paras 59-64.
16 Voir Yr Bl AG Ba (fond), paras 26 et 173 ; et Ch Cn Cp et un autre c. Tanzanie (fond), para 38.
17 Voir Bu A et autres c. la République, Appel pénal No. 43 de 2012, arrêt de la Cour d'appel du 22 mars 2013, p. 5.
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normes prescrites par la loi, que les requérants avaient commis un homicide volontaire, et que le tribunal de première instance ne s'était pas trompé dans ses conclusions.‘°
83. La Cour fait, enfin, observer que la Cour d'appel a examiné la question de savoir si la déclaration de culpabilité était fondée sur les éléments de preuve versés au dossier. À cet égard, tout en reconnaissant que le juge de première instance n’avait pas reconnu la culpabilité avant de prononcer la condamnation, la Cour d'appel a usé du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 388 du Code de procédure pénale pour corriger l’irrégularité dénoncée, notamment après avoir constaté que cette erreur n’avait pas occasionné un déni de justice.
84. À la lumière de ce qui précède, la Cour considère que la manière dont les juridictions internes, en particulier la Cour d'appel, ont évalué les éléments de preuve ne révèle aucune erreur apparente ou manifeste ayant entraîné un déni de justice au détriment des requérants.
85. La Cour en conclut que l’État défendeur n’a pas violé le droit des requérants à un procès équitable, droit inscrit à l’article 7(1) de la Charte.
iii. Sur le droit d’être jugé par une juridiction compétente
86. Les requérants allèguent que leur droit d’être jugés par une juridiction compétente a été violé, du fait que l'audience préliminaire et le procès se sont déroulés devant deux juges différents. Ils affirment que cela n’était pas conforme aux dispositions du paragraphe 192(5) du Code de procédure pénale, qui prévoit que le même juge préside aussi bien l’audience préliminaire que le procès proprement dit.
87. Pour sa part, l’État défendeur affirme que les requérants n’ont pas correctement interprété les dispositions de la loi, qui n’imposent pas que les deux phases de la procédure soient présidées par un même juge. Il ajoute que les requérants auraient dû soulever cette question au cours du procès.
582 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
88. L'article 7(1)(a) de la Charte dispose : toute personne a « le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout acte violant ses droits fondamentaux reconnus et garantis par les conventions, les lois, les règlements et les coutumes en vigueur ». 89. La Cour relève que les dispositions de l’article 192(5) du Code de procédure pénale tanzanien, dont l’interprétation fait l’objet de contestation entre les parties, sont libellées comme suit : « Dans la mesure du possible, l'accusé doit être jugé immédiatement après l'audience préliminaire et si l'affaire doit être ajournée en raison de l'absence de témoins ou pour toute autre raison, aucune disposition du présent article ne doit être interprétée comme obligeant le même juge ou magistrat, qui a tenu l'audience préliminaire en vertu de cet article, à présider le procès » [traduction].
90. La Cour considère qu’à la lecture de l’article 192 du Code de procédure pénale tanzanien, il est évident que la loi n’oblige pas un même juge à présider l'audience préliminaire et le procès. L'’argument des requérants à cet égard, sans fondement, est donc rejeté.
91. La Cour conclut que l’État défendeur n’a pas violé le droit des requérants inscrit à l’article 7(1)(a) de la Charte, en ce qui concerne le déroulement de la procédure préliminaire et du procès.
Sur la violation alléguée du droit à la vie
92. Les requérants allèguent que l’État défendeur a violé les articles 1 et 4 de la Charte, pour n'avoir pas modifié l’article 197 du Code pénal de Tanzanie, qui prévoit l'imposition obligatoire de la peine capitale pour l'infraction de meurtre. Ils affirment que si l’État défendeur avait adopté les mesures législatives et autres énoncées à l’article 1 de la Charte, la Haute cour et la Cour d'appel auraient vraisemblablement tenu des raisonnements et décisions différents. L'État défendeur, poursuivent les requérants, n’avait pas reconnu que « les droits de l'homme sont inviolables et que les êtres humains, y compris les requérants, ont droit au respect de leur vie et à l'intégrité de leurs personnes, droit garanti à l’article 4 de la Charte africaine (…) ».
93. L'État défendeur n’a pas répondu aux arguments des requérants sur ce point. Toutefois, dans sa réponse à l'ordonnance portant mesures provisoires rendue dans le cadre de la requête en l'espèce, l’État défendeur a fait valoir que la disposition relative à la peine capitale dans sa législation est conforme aux normes Rajabu et autres c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RJCA 562 583
internationales, qui n’interdisent pas l'imposition de cette peine.
94. La Cour relève que les requérants allèguent la violation simultanée des articles 1 et 4 de la Charte. Toutefois, conformément à sa jurisprudence, elle n’examine une allégation de violation de l’article 1 de la Charte que si elle constate la violation d’une disposition de fond de la Charte.” La Cour examinera donc d’abord la violation alléguée de l’article 4 de la Charte.
95. L'article 4 de la Charte dispose que « La personne humaine est inviolable. Tout être humain a droit au respect de sa vie et à l'intégrité de sa personne. Nul ne peut être privé arbitrairement de ce droit ».
96. Avant d’examiner le grief des requérants en l'espèce, la Cour relève que la question qui se pose au sujet de la peine de mort, dans le contexte de l’article 4 de la Charte, est celle de savoir si l’imposition de cette peine constitue une privation arbitraire du droit à la vie. En effet, l’article 4 de la Charte ne mentionne pas la peine de mort. La Cour observe que malgré la tendance internationale à l'abolition de la peine de mort, notamment par l'adoption du deuxième Protocole facultatif relatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, l'interdiction de la peine de mort en droit international n’est pas encore absolue. 97. Pour en revenir au cas d’espèce, la Cour note que les requérants allèguent que l’État défendeur a violé le droit à la vie garanti à l’article 4 de la Charte en ne modifiant pas la disposition de sa législation relative à l'imposition obligatoire de la peine de mort. Cette disposition est l’article 197 du Code pénal de Tanzanie, qui dispose : « Toute personne déclarée coupable de meurtre sera condamnée à la peine capitale ». La question est donc de savoir si les dispositions de la loi relatives à l'imposition obligatoire de la peine capitale pour meurtre sont en violation du droit à la vie, garanti à l’article 4 de la Charte.
98. La Cour relève que même si l’article 4 de la Charte prévoit l'inviolabilité de la vie, il envisage la privation de celle-ci tant
21 Voir Cl Cg c. Tanzanie (fond et réparations), paras 149 et 150. Voir aussi Ch Cn Cp et un autre c. Tanzanie (fond), paras 158 et 159 ; et Xs Ak AG Ba (fond), para 135.
584 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
qu’elle n’est pas faite de manière arbitraire. La peine capitale est donc implicitement admissible en tant qu’exception au droit à la vie en vertu de l’article 4, à condition qu’elle ne soit pas prononcée de manière arbitraire.
99. Il existe une jurisprudence internationale abondante et bien établie en matière de droits de l'homme sur les critères applicables pour apprécier le caractère arbitraire d’une peine capitale. La Cour relève à cet égard, dans l'affaire Interights et autres (au nom de YpC c. Botswana, que la Commission a mis l'accent sur deux exigences, d’une part, la peine doit être prononcée conformément à la loi et d’autre part, elle doit être imposée par une juridiction
100. La Cour relève, en outre, que dans l'affaire International Pen et autres (Ken ALC c. Ck, la Commission a estimé qu’« étant donné que le procès [à l'issue duquel les exécutions ont été ordonnées] était en violation de l’article 7, que toute mise en œuvre ultérieure de la peine rend la privation de vie qui en résulte arbitraire et contraire à l’article 4 ».* Mettant davantage l'accent sur les garanties d’une procédure régulière, la Commission a également conclu, dans l'affaire Forum of Conscience c. Xf Cb, que « [..….] toute violation du droit à la vie sans procédure régulière équivaut à une privation arbitraire de la vie ».
101. La Cour relève également que le facteur relatif au respect d’une procédure régulière est réaffirmé par tous les principaux organismes internationaux de protection des droits de l'homme qui appliquent des instruments qui prévoient, comme l’article 4 de la Charte, une exception au droit à la vie qui permet l'imposition de la peine capitale.
102. S'agissant en particulier de l'imposition obligatoire de la peine capitale pour l'infraction de meurtre, il convient de rappeler l'affaire Evers/ey Ye c. St. Vincent & Grenadines, dans laquelle le Comité des droits de l'homme des Nations Unies a
22 Voir Yp AG Bw, 42-48.
23 Voir International Pen et autres (au nom de ALC c. Ck, Communications 137/94, 139/94, 154/96, 161/97 (2000) AHRLR 212 (CADHP 1998), paras 1-10, 103.
24 Forum of Conscience c. Xf Cb, Communication 223/98 (2000) 293 (CADHP 2000), para 20.
25 Voir article 6(1) du PIDCP : « Le droit à la vie est inhérent à la personne humaine. Ce droit doit être protégé par la loi. Nul ne peut être arbitrairement privé de la vie. », et article 4(1) de la Convention américaine relative aux droits de l'homme : « Toute personne a droit au respect de sa vie. Ce droit doit être protégé par la loi, et en général à partir de la conception. Nul ne peut être privé arbitrairement de la vie ».
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été appelé à statuer sur l'affirmation du requérant selon laquelle le caractère obligatoire de l'imposition de la peine de mort et son application dans les circonstances constituaient une privation arbitraire de la vie. Le Comité a conclu qu’« un tel système d'imposition obligatoire de la peine de mort prive l’individu de son droit le plus fondamental, le droit à la vie, sans considérer si cette forme exceptionnelle de châtiment est appropriée dans les circonstances particulières de son affaire ». Le Comité a donc conclu qu’exécuter la peine capitale dans le cas de l’auteur aurait constitué une privation arbitraire de sa vie en violation de l’article 6(1) du Pacte car il ne tenait pas compte de la situation particulière de l’auteur de l’infraction.”°
103. La Cour note également que dans son interprétation de l’article 4 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme, la Cour interaméricaine des droits de l'homme a mis davantage l’accent sur le respect de la procédure régulière lorsqu’elle s’est prononcée dans l'affaire Hilaire, Constantine & Xi c. Trinité et Bk, en précisant que certaines limitations s'appliquent aux États qui n’ont pas aboli la peine de mort. Il ressort de ces limitations que « (.…) l'application est soumise à certaines exigences de procédure » « qui doivent être strictement observées » et « (.…) à certaines considérations concernant la personne du défendeur (…) »” [traduction]. La Cour a conclu qu’en « prescrivant de manière automatique et généralisée la peine de mort pour meurtre, la loi de l’État défendeur était arbitraire, au sens de l’article 4(1) de la Convention américaine ».*
104. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime qu’il convient d'évaluer le caractère arbitraire de la privation de vie au sens de l’article 4 de la Charte au regard de trois critères. Premièrement, elle doit être prévue par la loi. Deuxièmement, elle doit être imposée par un tribunal compétent. Troisièmement, elle doit être l'aboutissement d’une procédure régulière.
105. La Cour note, en ce qui concerne l'exigence de légalité, que l'imposition obligatoire de la peine capitale est prévue à l’article 197 du Code pénal de Tanzanie. La condition que cette peine doit
26 Voir article 6(2) du PIDCP ; Evers/ey Ye c. Saint Vincent-et-les-Grenadines, Communication No. 806/1998, UN Doc. CCPR/C/70/D/806/1998 (2000) (CDHNU) 8.2.
27 Filaire, Constantine & Xi c. Trinité-et-Tobago, Cour interaméricaine des droits de l'homme (ser. C) No. 94, 21 juin 2002, para 100. Voir aussi : Boyce et Ai c. Barbade, Cour interaméricaine des droits de l’homme (ser. C) No 169, 20 novembre 2007.
28 Hilaire, Constantine & Xi c. Trinité-et-Tobago, para 103.
586 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
être prévue par la loi est donc remplie.
106. S'agissant de l'exigence selon laquelle la peine capitale doit être prononcée par une juridiction compétente à l'issue d’une procédure régulière, la Cour relève que les requérants ne contestent pas le fait que les tribunaux de l’État défendeur étaient compétents pour mener les processus qui ont abouti à l'imposition de la peine capitale. Leur argument porte plutôt sur le fait que la Haute cour a imposé la peine capitale simplement parce qu’elle était prévue par la loi comme peine obligatoire, sans discrétion aucune de l'officier de justice.
107. Sur la question de savoir si l'imposition obligatoire de la peine de mort répond à l’exigence d’une procédure régulière, la Cour note qu’à la lecture conjointe des articles 1er, 7(1) et 26 de la Charte,” une procédure régulière ne se limite pas uniquement aux droits relatifs à la procédure au sens strict, comme le droit à ce que sa cause soit entendue, le droit d’interjeter appel et de pouvoir se défendre, mais s'étend également au processus de détermination de la peine. C’est la raison pour laquelle toute sanction doit être ordonnée par une juridiction indépendante en ce sens qu’elle conserve toute discrétion pour statuer sur les questions de fait et de droit.
108. En l'espèce, la Cour relève, en premier lieu, que l'imposition obligatoire de la peine capitale est prévue à l'article 197 du Code pénal de l’État défendeur comme suit : « Toute personne reconnue coupable du crime de meurtre sera condamnée à la peine capitale ». L'application automatique et mécanique de cette disposition en cas de meurtre est confirmée par le libellé de la sentence, telle qu’elle a été prononcée par la Haute cour : « La seule sentence que cette Cour est autorisée à prononcer conformément à la loi est celle de mort par pendaison. En conséquence, la Cour ordonne la peine de mort par pendaison pour tous les accusés ».°°
109. À lalumière de ce qui précède, la Cour fait observer que l'imposition obligatoire de la peine capitale telle que prévue à l’article 197 du Code pénal de la Tanzanie ne permet pas à la personne condamnée de présenter des éléments de preuve atténuants et
29 L'article 26 de la Charte se lit comme suit : « Les Etats parties à la présente Charte ont le devoir de garantir l'indépendance des Tribunaux et de permettre l’établissement et le perfectionnement d'institutions nationales appropriées chargées de la promotion et de la protection des droits et libertés garantis par la présente Charte ».
30 Voir La République c. Bu A et autres, Arrêt de la Haute cour du 22 mars 2013, dispositif.
Rajabu et autres c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 562 587
s'applique donc à tous les condamnés, indépendamment des circonstances dans lesquelles l'infraction a été commise. Ensuite, la juridiction d’instance n’a pas d'autre choix que d'imposer la peine capitale dans tous les cas de meurtre. Cette juridiction est donc privée du pouvoir discrétionnaire inhérent à toute juridiction indépendante qui doit l'exercer au moment d’apprécier aussi bien les faits que l'application de la loi, en particulier la manière dont le principe de proportionnalité devrait s'appliquer entre les faits et la sanction. Dans le même ordre d’idées, le tribunal de première instance n’a pas le pouvoir discrétionnaire de prendre en compte des circonstances spécifiques et cruciales comme la participation de chaque délinquant au crime.
110. La Cour souligne que ce précédent raisonnement sur le caractère arbitraire de l'imposition obligatoire de la peine capitale et la violation du droit à un procès équitable est confirmé par la jurisprudence des juridictions internationales.* En outre, les tribunaux nationaux de certains pays africains ont adopté cette même interprétation, jugeant l'imposition obligatoire de la peine de mort arbitraire et en violation de la procédure régulière.‘
111. De ce qui précède, la Cour conclut que l'imposition obligatoire de la peine de mort, prévue à l’article 197 du Code pénal de l’État défendeur et appliquée par la Haute cour en ce qui concerne les requérants est contraire à l'équité et à la régularité de la procédure telles que garanties à l’article 7(1) de la Charte.
112. Après ces constatations, la Cour note que l’article 4 de la Charte, tout en ne prohibant pas la peine de mort, est essentiellement consacré au droit à la vie considérée « inviolable » et vise à garantir « l'intégrité » donc le caractère sacré, de la vie humaine. La Cour note, en outre, que l’article 4 de la Charte ne fait aucune mention de la peine de mort. En conséquence, la Cour estime qu’une telle disposition du droit à la vie, libellée en des termes aussi forts, l'emporte sur la clause limitative. De l’avis de la Cour et d’après cette interprétation de la disposition en question, le fait que l'imposition obligatoire de la peine de mort soit contraire au critère de l’équité rend cette peine antithétique au droit à la vie
31 Voir Ye, op. cit. Ch c. Trinité-et-Tobago, Comm. No 845/1999, doc. CCPR/C/67/D/845/1999 (2002) (CDHNU), para 7(3) ; Yk c. Guyana, Comm. No 913/2000, Doc. CCPR/C/85/D/913/2000 (2006) (CDHNU), para 6(5) ; Baptiste, op. cit, McKenzie, op. cit. ; Hilaire et autres, op. cit. ; Boyce et un autre, op. cit.
32 Voir Ca Bz Cf et un autre c. la République [2017] eKLR; Xj c. République, Appel pénal No. 17 de 2008, para 8, 24, 35 (30 juillet 2010) (Cour d'appel du Kenya) ; Xu c. An Ce, [2007] MWHC 1 (Haute cour du Malawi) ; et An Ce AG Bp (SC), [2009] UGSC 6, para 37-45 (Cour 588 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
prévu à l’article 4.
113. À la lumière de l’article 60 de la Charte, la position de la Cour sur ce point est renforcée également par la concordance déterminante d’une lecture combinée des principaux instruments internationaux et africains des droits.°°
114. De ce qui précède, la Cour considère que le caractère obligatoire de l'imposition de la peine de mort prévue à l’article 197 du Code pénal de Tanzanie constitue une privation arbitraire du droit à la vie. La Cour en conclut que l’État défendeur a violé l’article 4 de la Charte.
C. Violation alléguée du droit à la dignité
115. Les requérants allèguent que l'imposition de la peine de mort par pendaison constitue une violation de l’interdiction de la torture et des traitements cruels, innumains et dégradants inscrite à l’article 5 de la Charte.
116. L'État défendeur n’a pas répondu à l’argument des requérants concernant cette allégation. Toutefois, dans sa réponse à l'ordonnance portant mesures provisoires rendue par la Cour, l’État défendeur soutient que l’on ne peut dire de l'imposition de la peine capitale par ses juridictions qu’elle viole les droits du requérant, étant donné que cette peine n’est pas interdite par le droit international.
117. L'article 5 de la Charte est libellé comme suit :
« Tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine et à la reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes formes d’exploitation et d'’avillissement de l'homme notamment l'esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale,
33 Voir l’article 3 de la Déclaration universelle des droits de l'homme (qui a autorité en Droit international coutumier et qui a inspiré les instruments internationaux contraignants en matière de droits de l'homme) ; articles 1 et 2 du Deuxième Protocole facultatif relatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (qui abolit la peine de mort en temps de paix) ; articles 5(3) et 30(e) de la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant et 4(2)(j) du Protocole à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples relatif aux droits de la femme en Afrique (les deux instruments imposent des restrictions à l'application de la peine de mort).
Rajabu et autres c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 562 589
et les peines ou les traitements cruels innumains ou dégradants sont interdits ».
118.La Cour relève qu’en l'espèce, les requérants contestent l’application de la peine de mort par pendaison telle qu’imposée dans leur cas. La Cour fait observer que de nombreuses méthodes utilisées pour appliquer la peine de mort peuvent être assimilables à la torture, ainsi qu’aux traitements cruels, inhumains et dégradants, compte tenu des souffrances qui y sont inhérentes.“ Conformément à la raison même d'interdire les méthodes d'exécution assimilables à la torture ou au traitement cruel, inhumain et dégradant, il conviendrait donc de prescrire, dans les cas où la peine de mort est permise, que les méthodes d'exécution excluent la souffrance ou entraînent le moins de
119. La Cour fait observer que l'exécution par pendaison, une des méthodes sus visées, est dégradante par nature. Par ailleurs, ayant conclu que l'imposition obligatoire de la peine capitale est en violation du droit à la vie compte tenu de son caractère arbitraire, la Cour considère qu’en tant que méthode d’application de cette peine, la pendaison porte inévitablement atteinte à la dignité, eu égard à l'interdiction des traitements cruels, inhumains et dégradants.
120. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que l'État défendeur a violé l’article 5 de la Charte.
D. Violation alléguée de l’article 1er de la Charte
121. Les requérants allèguent que pour n'avoir pas modifié son Code pénal en vue d'y supprimer l'imposition obligatoire de la peine de mort, l’État défendeur n’a pas rempli les obligations qui lui
34 Voir Aa AG Aw, Arrêt au fond, Req No. 40035/98, CEDH 2000-VIII (l'expulsion d’une femme qui risquait la mort par lapidation en Iran constituerait une violation de l'interdiction de la torture) ; Cv AJ c. Canada, Comm. No. 469/1991, 49e Session, Doc. CCPR/C/49/D/469/1991 (5 novembre 1993), Comm. des DH, 16.4 (l’asphyxie par un gaz constitue un TCID en raison du temps qu’il a fallu pour tuer et des méthodes alternatives moins cruelles disponibles). Le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies décrit la lapidation comme un moyen d'exécution particulièrement cruel et inhumain, Conseil des droits de l'homme, Résolution 2003/67, Question de la peine de mort, E/CN.4/RES / 2003/67, para 4(i) (24 avril 2003) ; Conseil des droits de l'homme, Résolution 2004/67, Question de la peine de mort, E / CN.4 / RES / 2004/67, para 4(i) (21 avril 2004) ; Conseil des droits de l'homme, Résolution 2005/59, Question de la peine de mort, E/CN.4 / RES / 2005/59, para'7(i), 4(h) (20 avril 2005).
35 Voir : Cv AJ, op. cit., 16.2.
590 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
incombent en vertu de l'article 1 de la Charte.
122. L’État défendeur n’a pas répondu aux observations des requérants sur cette allégation. Toutefois, dans son rapport sur l’état de la mise en œuvre de l’ordonnance de la Cour portant mesures provisoires, il affirme que le fait que ses tribunaux prévoient l'imposition obligatoire de la peine capitale ne peut être considéré comme une violation des droits des requérants, cette peine n’étant pas interdite par le droit international.
123. L'article premier de la Charte dispose que « Les États membres de l'Organisation de l'Unité africaine, parties à la présente Charte, reconnaissent les droits, devoirs et libertés énoncés dans cette Charte et s'engagent à adopter des mesures législatives ou autres pour les appliquer ».
124. La Cour estime, comme elle l’a indiqué dans ses arrêts antérieurs, qu’examiner une violation alléguée de l’article 1 de la Charte exige de déterminer non seulement si les mesures adoptées par l’État défendeur sont disponibles, mais également si ces mesures ont été appliquées de manière à réaliser l’objet et le but de la Charte. En conséquence, chaque fois que l’un des droits fondamentaux garantis par la Charte est violé du fait du non-respect par l’État défendeur de ses obligations, l'article premier s'en trouve violé.*° 125. En l’espèce, la Cour a conclu que l’État défendeur a violé l’article 4 de la Charte en prévoyant l'imposition obligatoire de la peine de mort dans sa législation. Elle a également conclu à une violation consécutive de l’article 5 de la Charte en raison de l'exécution de cette peine par pendaison. La Cour note que l’État défendeur a promulgué son Code pénal en 1981, c’est-à-dire avant de devenir partie à la Charte, mais l’a modifié en 2002, après l’entrée en vigueur de la Charte. En l'espèce, pour se conformer à l’article 1 de la Charte, l’État défendeur aurait dû supprimer la peine de mort obligatoire de sa législation après l’entrée en vigueur de la
36 Voir Cl Cg c. Tanzanie (fond et réparations), paras 149-150. Voir aussi Ch Cn Cp et un autre c. Tanzanie (fond), paras 158-159 ; et Xs Ak AG Ba (fond), para 135.
Rajabu et autres c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 562 591
Charte à son égard, ce qu’il n’a pas fait.
126. La Cour estime, en conclusion, que l’État défendeur a violé l’article 1 de la Charte en raison de l'imposition obligatoire de la peine capitale inscrite dans son Code pénal et de son application par pendaison.
127. Aux termes de l’article 27(1) du Protocole, « Lorsqu'elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris par le paiement d’une juste compensation ou l'octroi d’une réparation ».
128. À cet égard, l’article 63 du Règlement intérieur de la Cour dispose : « La Cour statue sur la demande de réparation (…) dans l'arrêt par lequel elle constate une violation d’un droit de l'homme ou des peuples ou, si les circonstances l’exigent, dans un arrêt séparé ». 129. En l'espèce, la Cour décide de statuer à la fois sur les violations alléguées et sur tous les redressements et autres réparations demandés dans le présent arrêt.
130. Les requérants demandent à la Cour de rendre les mesures
ci-après : ;
«i. Dire que l’État défendeur a violé le droit des requérants d’être jugés dans un délai raisonnable par une juridiction compétente, en application de l’article 7(1) de la Charte ;
ii. Dire que la peine de mort prononcée à l'égard des requérants par l’État défendeur viole le droit inhérent à la vie et à la dignité humaine garanti, respectivement, par les articles 4 et 5 de la Charte africaine
iii. Dire que l’État défendeur n’ayant pas modifié l’article 197 du Code pénal, chapitre 16 des lois de Tanzanie (édition révisée de 2002), n’a entrepris aucune mesure, ni législative ni autre, pour donner effet dans sa législation nationale aux droits garantis par la Charte africaine ; en conséquence, il a violé l’article 1 de la Charte africaine; iv. Ordonner à l’État défendeur d'annuler la déclaration de culpabilité et la peine prononcée à leur encontre et de les remettre en liberté ;
v. Ordonner à l’État défendeur de faire rapport à la Cour, tous les six (6) mois, sur la mise en œuvre du présent arrêt ;
vi. Ordonner des mesures de réparations ;
vii. Ordonner toute autre mesure que cette auguste Cour jugera appropriée ».
131. Les requérants demandent, en outre, à la Cour d’octroyer, à titre 592 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
de préjudice matériel et préjudice moral subis, réparation à eux- mêmes et aux membres de leurs familles, tel que précisé dans la partie du présent arrêt consacrée aux mesures demandées par les parties.
132. L'État défendeur demande à la Cour de rejeter les demandes de réparation formées par les requérants, au motif qu’elles ne sont ni justifiées ni étayées.
133. La Cour réitère sa jurisprudence constante selon laquelle des réparations ne peuvent être accordées que si, premièrement, l’État défendeur est internationalement responsable de l’acte illicite et si, deuxièmement, un lien de causalité est établi entre l'acte répréhensible et le préjudice allégué. En plus, lorsqu'elle est accordée, la réparation doit couvrir l'intégralité du préjudice subi. Enfin, il incombe au requérant de justifier les demandes de
134. Comme la Cour l’a déjà constaté, l’État défendeur a violé le droit des requérants à la vie et à la dignité garantis à l’article 4 et 5 de la Charte. Sur la base de ces constatations, la responsabilité de l’État défendeur et le lien de causalité sont établis. Les demandes de réparation sont donc examinées au regard de ces conclusions. 135. Comme indiqué précédemment, les requérants doivent étayer leurs demandes de réparation pour préjudice matériel. La Cour a également indiqué antérieurement que les réparations ont pour but de placer la victime dans la situation précédant la violation.°° 136.La Cour a également considéré que le préjudice moral est présumé en matière de violation des droits de l'homme“ et que son évaluation doit être menée avec équité et en tenant compte
37 Voir Cl Cg c. Tanzanie (fond et réparations), para 157. Voir également Al Yb et autres c. Am Cx (réparations) (2015) 1 RJCA 265, paras 20-31 ; Ci Ya Ae c. Am Cx (réparations) »), (2016) 1 RJCA 358, paras 52-59 ; et Xb Cd Xq Bd c. République-Unie de Tanzanie (réparations), paras 27-29.
38 Voir Cl Cg c. Tanzanie (fond et réparations) ; Requête No. 009/2015. Arrêt du 28 mars 2019 (fond et réparations), Bb Av Af c. République- Unie de Tanzanie; et Al Yb et autres c. Am Cx (réparations), paras 57-62.
39 Voir Cl Cg c. Tanzanie (fond et réparations), para 55 ; et Bb Av Af c. Tanzanie (fond et réparations), para 58.
Rajabu et autres c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 562 593
des circonstances de l’espèce.‘’ Dans de tels cas, la Cour a adopté la pratique qui consiste à octroyer un montant forfaitaire.“ 137. La Cour note que les demandes de réparation des requérants sont formulées en dollars américains. Dans ses arrêts antérieurs, la Cour a indiqué qu’en principe et dans la mesure du possible, les dommages-intérêts doivent être accordés dans la monnaie dans laquelle la perte a été subie.‘? En l'espèce, appliquant cette norme, la Cour octroiera, s’il échet, les réparations pécuniaires en shillings tanzaniens.
A. Réparations pécuniaires
138. Les requérants demandent divers montants à titre de réparation pour « angoisse émotionnelle endurée au cours de leur procès et de leur emprisonnement, souffrance émotionnelle au cours de la procédure d'appel, séparation d'avec leurs épouses du fait de leur emprisonnement, impossibilité de s'occuper de leurs enfants, perturbations et pertes de revenu, des droits conjugaux et d'opportunités d'augmenter le nombre de bébés garçons et filles, perte de contact avec les parents et les amis proches, perturbation de leurs relations avec leurs mères, détérioration de leur santé pendant leur détention et perte de statut social ».
139. Les requérants demandent, en outre, à la Cour d’indemniser les membres de leur famille, en tant que victimes indirectes, pour le préjudice subi, car « les épouses ont été affectées chacune par la perte subite de leurs maris, uniques sources de revenus ; elles ont vécu avec la stigmatisation d’avoir des prisonniers pour époux, ont dû élever seules les enfants, n'étaient pas en mesure d'accroître le nombre d'enfants » ; « les mères des requérants n’avaient plus de fils du fait de leur emprisonnement et elles ont été victimes de la stigmatisation sociale en tant que mères de criminels ».
140. Enfin, les requérants demandent à la Cour de leur octroyer diverses compensations pour frais d'avocat et autres frais procéduraux devant les juridictions nationales et devant la Cour
40 Voir Al Yb et autres c. Am Cx (réparations), para 61.
41 Voir Cl Cg c. Tanzanie (fond et réparations), Bb Av Af c. Tanzanie (fond et réparations); et Al Yb et autres c. Am Cx (réparations), para 62.
42 Voir Lucien lkili Af c. Tanzanie (fond et réparations) ; et Requête No. 003/2014. Arrêt du 07 décembre 2018 (réparations), Ar Br Xr c. République du Rwanda, para 45.
594 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
de céans.
i. Sur le préjudice matériel
a. Perte de revenus
141. S'agissant de la demande d'indemnisation pour perte de revenus et de biens, la Cour fait observer que les requérants affirment qu’ils faisaient des affaires au moment de leur incarcération et qu’ils ont perdu leurs vaches, poules, maisons, vélos et autres biens. Toutefois, ils ne fournissent aucune preuve à l'appui de ces demandes.‘ Cette demande est donc rejetée.
142. La demande d'indemnisation pour détérioration de la santé et pour divers frais d’hospitalisation pendant l’incarcération est également rejetée pour défaut de preuves.
b. Frais de procédure devant les juridictions nationales
143. Conformément à ses précédents arrêts, la Cour estime que la réparation peut inclure le paiement des frais de justice et autres frais encourus dans le cadre d’une procédure devant les juridictions nationales.“* Le requérant doit, toutefois, justifier les
144. La Cour relève que les requérants ne fournissent aucune preuve à l’appui de leur demande de paiement des frais qu’ils affirment avoir exposés au cours des procédures devant les juridictions nationales. Leurs demandes respectives sont donc rejetées.
a. Pertes subies par les requérants
145. En ce qui concerne le préjudice subi du fait de la perte de statut social et des limitations dans les relations avec les membres de leurs familles, la Cour fait observer que dans le présent arrêt elle
43 Voir Cl Cg c. Tanzanie (fond et réparations), para 178.
44 Voir Al Yb et autres c. Am Cx (réparations), paras 79 à 93 ; et Xb Cd Xq Bd c. Tanzanie (réparations), para 39.
45 Ibid, para 81 ; et Ibid, para 40.
Rajabu et autres c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 562 595
n’a pas conclu que l’incarcération des requérants était illégale.‘ Les demandes liées à leur réclusion sont ainsi sans fondement et, en conséquence, rejetées.
146. La Cour rappelle, toutefois, qu’elle a conclu que l'imposition obligatoire de la peine de mort était contraire à l'article 4 de la Charte. Pour remédier à cette violation, eu égard aux circonstances de l'espèce, il faudrait évaluer les pertes causées par le fait illicite et le montant de la réparation à octroyer. Sur ce point, la Cour rappelle sa jurisprudence, selon laquelle, en cas de violation de droits de l'homme, le préjudice moral est présumé. Néanmoins, le préjudice doit être évalué et quantifié, même si la Cour conserve le pouvoir discrétionnaire d’en déterminer la réparation.
147. Enl’espèce, bien que la peine capitale ne soit pas encore exécutée, des préjudices ont inévitablement résulté de la violation établie causée par la condamnation à cette peine. La Cour reconnaît que la condamnation à mort est une des punitions les plus sévères, suivie des plus graves conséquences psychologiques, dans la mesure où les personnes condamnées s’attendent à perdre leur droit ultime qu'est la vie.
148.La Cour examine également le préjudice postérieur à la condamnation. Elle rappelle que la peine de mort à laquelle les requérants ont été condamnés a été prononcée par la Haute cour le 25 novembre 2011 et confirmée par la Cour d’appel le 22 mars 2013. La Cour constate que depuis la date du prononcé de la peine, le préjudice est réel et l'incertitude liée à l’attente de l'issue du processus d’appel a aggravé la tension psychologique des requérants. Pendant les huit (8) ans qui se sont écoulés entre le prononcé de la peine et le présent arrêt, les requérants vivent d’incertitude, conscients qu’à tout moment ils peuvent être exécutés. Cette attente et sa durée ont non seulement prolongé, mais encore, aggravé l’anxiété des requérants.
149. Pour conclure sur cette question, la Cour fait sienne les conclusions de la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire Bm c. Royaume-Uni” Dans cette affaire, parlant de la peine de mort, la Cour européenne a relevé que la longue détention préventive dans l’attente de l'exécution faisait subir aux personnes condamnées « une anxiété mentale grave s’ajoutant à d’autres circonstances, notamment, (.…) la manière dont la peine avait été infligée, le défaut de considération des caractéristiques personnelles de l'accusé, la dis-proportionnalité
46 Voir Cl Cg c. Tanzanie (fond et réparations) para 178.
47 Bm c. Royaume Uni. Arrêt du 7 juillet 1989, Series A, Vol. 161 596 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
entre le châtiment et le crime commis, (.…) le fait que le juge ne tienne pas compte de l’âge ou de l’état mental du condamné ainsi qu’une anticipation continue sur les manières possibles de les
150. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que les requérants ont enduré des souffrances morales et psychologiques et décide de leur accorder à chacun quatre millions (4.000.000) de shillings tanzaniens à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral.
151. Pour ce qui est du préjudice causé par l'angoisse endurée pendant leur procès et leur emprisonnement, la Cour estime que le raisonnement adopté relativement à la perte alléguée de statut social doit être ici appliqué. Les mesures demandées à cet égard sont donc rejetées.
b. Préjudice subi par la famille du Requérant
152. La Cour estime, comme dans ses arrêts antérieurs, que les victimes indirectes doivent prouver que leurs relations avec le requérant donnent droit à réparation.’ Les documents requis incluent les certificats de naissance pour les enfants, l'attestation de paternité ou de maternité pour les parents et les certificats de mariage pour les conjoints ou toute preuve équivalente.“ La Cour relève qu'en l’espèce, les requérants mentionnent les noms des membres de leur famille, mais ne fournissent aucun élément de preuve établissant le lien de parenté.
153. En tout état de cause, le préjudice allégué causé aux membres des familles des requérants résultait de l’incarcération de ces derniers, que la Cour de céans n’a pas jugé illégale. Les demandes sont donc rejetées.
B. Réparations non pécuniaires
154. Les requérants demandent à la Cour d'annuler la déclaration de culpabilité ainsi que la peine prononcée à leur encontre et
48 Ibid, para 77.
49 Voir : Xs Ak AG Ba, Arrêt du 04 juin 2019 (réparations), paras 49-60 ; Yr Bl AG Ba, Arrêt du 04 juin 2019 (réparations), paras 59-64. 50 Voir Xs Ak AG Ba (réparations), para 51 ; Yr Bl AG Ba (réparations), para 61.
Rajabu et autres c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RJCA 562 597
d’ordonner leur remise en liberté. Ils demandent également à la Cour d’ordonner « leur rétablissement dans la situation initiale d'avant violation ».
155. La Cour considère, en ce qui concerne ces demandes, que même si elle ne peut pas se constituer en juridiction d’appel des décisions des tribunaux internes," elle a le pouvoir pour les ordonner comme appropriées si elle conclut que la procédure interne n’a pas été menée conformément aux normes internationales.
156. Comme elle l’a précédemment indiqué, de telles mesures ne peuvent être ordonnées que si les circonstances l’exigent.©? Ces circonstances doivent être appréciées au cas par cas, en tenant dûment compte principalement de la proportionnalité entre la mesure demandée et l'étendue de la violation constatée. En conséquence, la violation à l’origine d’une demande de réparation particulière doit avoir affecté fondamentalement les processus internes pour justifier une telle demande. En fin de compte, la détermination doit être faite dans le but ultime de maintenir
157. En ce qui concerne la demande en annulation de la déclaration de culpabilité, la Cour note qu’en l'espèce, ses conclusions n’affectent pas la déclaration de culpabilité des requérants.“ La demande est donc rejetée.
158. Pour ce qui est de la demande d'annulation de la peine prononcée, la Cour a conclu en l'espèce que la disposition prévoyant
51 Voir Cl Cg c. Tanzanie (fond et réparations), para 33 ; Requête No. 027/2015. Arrêt du 21 novembre 2018, Ao Aq c. République-Unie de Tanzanie (fond), para 8 ; Yr Bl AG Ba (fond), op. cit., para 28.
52 Voir par exemple Xs Ak AG Ba, op. cit., para 157.
53 Voir Cl Cg c. Tanzanie, op. cit., para 164; Requête No. 016/216. Arrêt du 21 novembre 2018 (fond), Cj Yd c. République-Unie de Tanzanie, para 101 ; Ao Aq c. Tanzanie, op. cit., para 82 ; Z c. Pérou (fond), CIDH, série C No 33, [1997], para 83 et 84 ; Del Bq Xd c. Espagne, 42750/09. Arrêt de la Grande Chambre, [2013] CEDH 1004, para 83 ; Annette Pagnoulle (au nom d’Xz XvC c. Cameroun (2000) AHRLR 57 (CADHP 1997), Dispositif ; et Communication No. 796/1998, L/oyd Reece c. Jamaïque, Constatations au titre de l’article 5(4) du Protocole facultatif, 21 juillet 2003, doc. CCPR/C/78/D/796/1998, para 9.
54 Voir Requête No. 006/2013. Arrêt du 04 juin 2019 (réparations), Aj Xt Bf et autres c. Tanzanie (réparations), para 66.
598 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
l'imposition obligatoire de la peine de mort dans le cadre judiciaire de l’État défendeur viole le droit à la vie inscrit à l’article 4 de la Charte. Toutefois, à la lumière de la conclusion de la Cour selon laquelle cette violation n'a pas eu d’incidence sur la culpabilité et la condamnation des requérants, le verdict n’est affecté qu’en ce qui concerne le caractère obligatoire de la peine. Une réparation est donc justifiée à cet égard. La Cour ordonne, en conséquence, à bÉtat défendeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour que l'affaire soit jugée à nouveau au moyen d’une procédure qui ne prévoit pas l'imposition obligatoire de la peine de mort et reconnaît au juge ses pleins pouvoirs discrétionnaires.
159. S'agissant de la demande de remise en liberté des requérants, la Cour décide, compte tenu de ses conclusions antérieures concernant la déclaration de culpabilité et la condamnation des requérants, qu’une mesure de remise en liberté n’est pas justifiée. La demande est donc rejetée.
160. En ce qui concerne la demande de restauration de la situation antérieure aux violations, la Cour estime que les conclusions relatives à la demande de libération des requérants s'appliquent. Cette demande est également rejetée.
161. Les requérants demandent à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de garantir la non-répétition des violations qu’ils ont subies et de lui faire rapport tous les six (6) mois jusqu’à la mise en œuvre complète des mesures ordonnées.
162. La Cour considère, comme elle l’a estimé dans l’affaire Bb Av Af c. République-Unie de Tanzanie, que les garanties de non-répétition visent généralement à remédier aux violations de nature systémique et structurelle plutôt qu’à réparer un préjudice individuel.°° Toutefois, la Cour a également estimé que la non- répétition pouvait s'appliquer à des cas individuels dans lesquels
55 Voir Bb Av Af c. Tanzanie, op cit, para 146-149. Voir aussi Cl Cg c. Tanzanie, op. cit, para 19 ; et Al Yb et autres c. Am Cx (réparations), paras 103-106.
Rajabu et autres c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 562 599
existe un risque de violations persistantes ou répétées.*
163. En l’espèce, la Cour a déjà conclu que l’État défendeur a violé l’article 4 de la Charte du fait de l'imposition obligatoire de la peine de mort dans son Code pénal et l’article 5, du fait de l'application de cette sentence par pendaison. La Cour estime que sa décision antérieure de faire reprendre le procès des requérants équivaut à une mesure systémique, car elle nécessitera inévitablement une modification de la loi. La Cour ordonne, par conséquent, à l’État défendeur de prendre les mesures nécessaires pour abroger de son Code pénal la disposition relative à l'imposition obligatoire de la peine de mort.
iii. Publication de l’arrêt
164. La Cour relève que les requérants n’ont pas demandé la publication du présent arrêt.
165. Toutefois, la Cour estime qu’elle peut, de sa propre initiative, ordonner la publication de ses décisions, lorsque les circonstances
166. La Cour fait observer qu’en l’espèce, la violation précédemment établie du droit à la vie du fait de l'imposition obligatoire de la peine de mort s'étend au-delà du cas particulier des requérants car de nature systémique. La Cour fait, en outre, observer que sa conclusion dans le présent arrêt met en relief un droit suprême inscrit dans la Charte, à savoir le droit à la vie.
167. Dans ces conditions, la Cour estime approprié de prendre, d'office, une mesure relative à la publication de l'arrêt. Elle ordonne donc que le présent arrêt soit publié sur les sites web du pouvoir judiciaire et du ministère des Affaires constitutionnelles et judiciaires et y reste accessible au moins un (1) an après la date de publication.
IX. Frais de procédure
168. Aux termes de l’article 30 de son Règlement, « À moins que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses frais de
56 Voir Bb Av Af c. Tanzanie, op. cit., Voir aussi Cl Cg c. Tanzanie, op. cit. ; et Xb Cd Xq Bd c. Tanzanie (réparations), para 43.
57 Voir Cl Cg c. Tanzanie, op. cit, para 194 ; Xb Cd Xq Bd c. Tanzanie (réparations), para 45 et 46(5) ; et Al Yb et Autres c. Am Cx (réparations), para 98.
600 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
procédure ».
169. Aucune des parties n’a déposé d'observations sur les frais de procédure.
170. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime qu’elle n’a, en l'espèce, aucune raison de déroger aux dispositions de l’article 30 du Règlement et, en conséquence, décide que chaque partie supporte ses propres frais de procédure.
X. Dispositif
171. Par ces motifs :
La Cour,
À l’unanimité :
Sur la compétence
i. Rejette les exceptions d’incompétence ;
ii. Dit qu’elle est compétente.
Sur la recevabilité
iii. Rejette les exceptions d’irrecevabilité de la requête ;
iv. Déclare la Requête recevable.
Sur le fond
v. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit des requérants à ce que leur cause soit entendue, droit inscrit à l’article 7(1) de la Charte ;
vi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit des requérants d’être jugés par une juridiction compétente, droit protégé à l’article 7(1) (a) de la Charte ;
vi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit des requérants d’être jugés dans un délai raisonnable, droit protégé à l’article 7(1)(d) de la Charte ;
viii. Dit que l’État défendeur a violé le droit à la vie inscrit à l’article 4 de la Charte, relativement à l'imposition obligatoire de la peine capitale, qui supprime le pouvoir discrétionnaire du juge ;
ix. Dit que l’État défendeur a violé le droit à la dignité inscrit à l’article 5 de la Charte en prévoyant l'exécution de la peine capitale imposée de manière obligatoire.
Sur les réparations
Réparations pécuniaires
x. Rejette les demandes de réparation relatives aux préjudices matériels ;
xi. Octroie quatre millions (4 000 000) de shillings tanzaniens (TZS) à chacun des requérants pour le préjudice moral résultant de leur Rajabu et autres c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 562 601
condamnation ;
xii. Ordonne à L'État défendeur de payer le montant indiqué à l'alinéa (xi) en franchise de taxe dans un délai de six (6) mois à compter de la notification du présent arrêt, faute de quoi il paiera des intérêts moratoires calculés sur la base du taux applicable de la Banque de Tanzanie pendant toute la période de retard de paiement et jusqu’à paiement complet du montant cumulé.
Réparations non pécuniaires
xiii. Rejette les demandes visant l'annulation de la déclaration de culpabilité et la remise en liberté des requérants, ainsi que les mesures de restitution ;
xiv. Rejette la demande de garanties de non-répétition des violations constatées à l'égard des requérants ;
xv. Ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les mesures nécessaires, dans un délai d’un (1) an à compter de la notification du présent arrêt, pour supprimer l'imposition obligatoire de la peine de mort dans son Code pénal parce qu’elle enlève tout pouvoir discrétionnaire au juge ;
xvi. Ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les mesures nécessaires, dans le cadre de ses procédures internes et dans un délai d’un (1) an à compter de la notification du présent arrêt, pour faire entendre de nouveau l’affaire sur la détermination de la peine des requérants, dans le cadre d’une procédure qui ne prévoit pas l'imposition obligatoire de la peine de mort et reconnaît au juge ses pleins pouvoirs discrétionnaires.
xvii. Ordonne à l’État défendeur de publier le présent arrêt dans un délai de trois (3) mois à compter de la date de notification, sur les sites web du pouvoir judiciaire et du ministère des Affaires constitutionnelles et judiciaires, et de veiller à ce que le texte de l'arrêt y demeure accessible pendant au moins un (1) an après la date de publication ;
xviii. Ordonne à l’État défendeur de lui soumettre, dans un délai de six (6) mois à compter de la date de notification du présent arrêt, un rapport sur la mise en œuvre des décisions rendues dans le présent arrêt et, par la suite, tous les six (6) mois, jusqu’à ce qu’elle considère toutes ses décisions entièrement exécutées.
Sur les frais de procédure
xix. Ordonne que chaque partie supporte ses propres frais de procédure.
602 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
Opinion individuelle : BENSAOULA
1. Je partage l'opinion de la majorité des juges quant à la compétence de la Cour et au dispositif de l’arrêt.
2. En revanche, je pense que la manière dont la Cour a traité la recevabilité de la requête en ce qui concerne les exceptions soulevées par l'Etat défendeur relatives à l'épuisement de recours internes et au délai raisonnable mérite qu’on s’y attarde.
A. Quant à la recevabilité de la requête fondée sur le rejet de l’exception soulevée par l’Etat défendeur relative à l’épuisement des recours internes.
3. Amonavis, la réflexion de la Cour va à l’encontre des fondements de l'obligation d’épuiser les recours internes avant sa saisine, d’une part et d'autre part, des prérogatives et compétence des juges d'appel devant les juridictions nationales.
« Des fondements de l’obligation d’épuiser les recours internes avant la saisine de la Cour
4. | est constant que la Cour a repris, dans sa jurisprudence,* la conclusion de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples selon laquelle la condition énoncée aux articles 56 de la Charte et 40 du Règlement dans leurs paragraphes 5, relative à l'épuisement des recours internes « renforce la primauté des tribunaux nationaux par rapport à la Cour dans la protection des droits de l’homme ». Dès lors, elle vise à donner aux Etats la possibilité de faire face aux violations des droits de l'homme commises sur leurs territoires avant qu’une instance internationale de protection des droits de l'homme ne soit appelée à déterminer leurs responsabilités dans lesdites violations.
5. Pourtant, il ressort de l’arrêt objet de l'opinion individuelle qu’en cette matière, la Cour s’est approprié la théorie des « faisceaux de droits » pour extirper certaines demandes de l'obligation d’épuiser les recours internes.
6. Or, le fondement de cette théorie démontre qu’elle a été créée et employée en matière de droit de la propriété, car souvent, chez
1 Requête No. 006/2012, Arrêt du 26 mai 2017, Commission africaine des droits de l’homme et des peuples c. République du Kenya, para 93 ; Requête No. 005/2013, Xs Ak c. Ab Xy de Tanzanie, Arrêt du 20 novembre 2015 ; Requête No. 001/2015, Arrêt du 07 décembre 2016, Cl Cg c. République de Côte d'Ivoire.
Rajabu et autres c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 562 603
les économistes, elle était assimilée à la propriété privée. La démonstration qui découle de la théorie a surtout fait évoluer la propriété commune en mettant en exergue les démembrements de la propriété, d’où son application en matière de droits des peuples autochtones.
Il ressort des exceptions soulevées par l'Etat défendeur qu'il reproche aux requérants de ne pas avoir exposé certaines demandes devant la justice nationale avant de le faire devant la Cour de céans, méconnaissant ainsi la condition de l'épuisement des recours internes. Il en est ainsi de leurs allégations relatives au droit à ce que leur cause soit entendue et au caractère inconstitutionnel de la peine prononcée.
En réponse à ces allégations, la Cour a, pour ce qui est du recours en inconstitutionnalité, a maintenu sa jurisprudence en considérant que les voies recours internes ne concernaient que les recours ordinaires.
En ce qui concerne l’allégation selon laquelle le droit des requérants à ce que leur cause soit entendue a été violé, la Cour a rappelé « sa jurisprudence établie selon laquelle le droit invoqué par les requérants fait partie d’un ensemble de droits et de garanties qui constituent le fondement des procédures devant la Haute cour et devant la Cour d'appel. Pour cette raison, lorsqu'il est établi que les autorités judiciaires nationales avaient la possibilité de remédier à la violation procédurale alléguée, même si le requérant n’a pas soulevé la question, les recours internes doivent été considérés comme ayant été épuisés ».?
10. Elle a ajouté « qu’en l'espèce, étant donné que la Cour d'appel était en mesure d’examiner plusieurs griefs des requérants portant sur la manière dont la Haute cour avait mené la procédure, elle avait amplement la possibilité de vérifier si le droit à ce que leur cause soit entendue avait été examiné par la juridiction
11. Dans plusieurs arrêts, la Cour a usé de cette théorie de faisceau de droits ou ensemble de droits, en reprenant celle de « bundle of rights », pour extirper certaines demandes exposées devant elle de l'obligation d’épuiser les recours internes.
12. Appliquer cette théorie en matière de recours internes revient, à mon avis, à en dénaturer la base et les fondements.
13. Les droits des requérants sont diversifiés et de nature différente et les allégations y afférentes, si dans la Charte, peuvent
Para 38 de l’Arrêt.
Para 39 de l’Arrêt.
604 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
être intégrées dans un ensemble de droits tels que le droit à l'information, à la liberté d'expression, au procès équitable…
14. Auplan national, les codes, quels qu’ils soient, spécifient l'étendue et les règles pour chaque droit. || appartient au juge national de considérer certains droits comme faisant partie d’un faisceau et de les juger comme tels.
15. Endéfinissant ces faisceaux de droits par rapport au juge national, la Cour a ignoré les compétences et prérogatives des juges d’une façon générale et, en appel, d’une façon plus restreinte, d'autant plus que les requérants n’ont, à aucun moment, allégué que les juges d’appel avaient la faculté de le faire — conformément aux textes nationaux - et pouvaient, par contre, considérer les demandes exposées, pour la première fois, devant la Cour africaine comme faisant partie d’un faisceau de droits.
« Quant aux prérogatives et compétence des juges d’appel devant les juridictions nationales
16. || est constant que « le recours en appel » répond à deux distinctions :
« L'effet dévolutif de l’appel et
« L'appel cantonné à certains points du jugement.
< Si l’effet dévolutif de l’appel signifie que la Cour d’appel à entière et totale connaissance du litige et doit statuer en fait et en droit, avec les mêmes pouvoirs que le premier juge, la dévolution ne se réalise que si l’appel porte sur toutes les dispositions du premier jugement.
17. L'étendue de l'effet dévolutif de l'appel va être ainsi déterminée par deux actes de procédure que sont la déclaration d’appel ou l’acte d’appel qui va circonscrire les demandes de l'appelant, d’une part et, d’autre part, les conclusions des parties qui peuvent contenir des demandes nouvelles non visées dans l’acte d’appel. L'appel cantonné signifie, quant à lui, la limitation de l'appel à certains points du jugement.
18. Si le juge statue en dehors de ces deux cas d'espèce et se prononce sur des demandes non exprimées, il aura statué ultra petita, ce qui engendre des effets juridiques quant à la décision. 19. La conclusion de la Cour, pour ce qui est des recours internes par rapport à des demandes n'ayant pas fait l’objet de tels recours,
- comme souligné précédemment - touche profondément aux prérogatives des juridictions d'appel et à l'étendue de leur Rajabu et autres c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 562 605
compétence quant à la discussion de l'affaire engagée devant eux, d’une part et, d'autre part, à la finalité d’imposer les recours internes aux requérants comme un droit des Etats défendeurs à revoir leurs décisions et éviter, ainsi, d’être attraits devant des instances internationales .
20. La Cour aurait dû se référer aux textes nationaux qui régissent la procédure et la compétence des juges d'appel en matière pénale et non pas à cette notion élastique qu'est celle des faisceaux des droits qui, à tous les coups, lui donnera le pouvoir de discuter et de juger des demandes qui n’ont pas fait l’objet de recours internes et minimiser, ainsi, l'importance desdits recours par rapport à sa saisine.
21. A mon avis, cela va à l'encontre du fondement de l'obligation d’épuiser les recours internes et des droits des Etats en la matière.
B. Quant à l’exception relative au délai raisonnable, l’application de cette notion par la Cour va à l’encontre des dispositions des articles 56 de la Charte, 6(2) du Protocole, 39 et 40 du Règlement
22. Au vu de l’article 40 du Règlement dans son paragraphe 6, il est clairement dit des requêtes qu’elles doivent être « introduites dans un délai raisonnable courant depuis l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa propre saisine ».
23. Il est clair que le législateur a dicté deux (2) options quant à la manière de définir le point de départ du délai raisonnable :
a. la date de l'épuisement des recours internes fixée par la Cour au 22 mars 2013, date de l’arrêt de la Cour d’Appel. Entre cette date et celle de la saisine de la Cour, deux (2) ans se sont écoulés.*
b. la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa propre saisine, à savoir, la date du dépôt du recours en révision, soit le 24 mars 2014, que la Cour n’a pas prise en considération comme tel, mais comme un fait.
24. La Cour a passé sous silence cette date, en se contentant de dire qu’il ressort des faits de la cause qu'après avoir déposé leur requête en révision, le 24 mars 2014, les requérants devaient attendre quelques temps avant de la saisir, le 26 mars 2015. Mais, étant donné que le recours en révision est un droit prévu
4 Para 46 de l’Arrêt.
606 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
par la loi, ils ne peuvent pas être pénalisés pour l’avoir exercé.® 25. Ainsi, la Cour a considéré le délai de deux (2) ans comme étant raisonnable bien qu’elle ait pris en considération la période passée à attendre les suites du recours en révision, donc d’un fait survenu après l’épuisement des recours internes. Pourtant, elle aurait pu, en application des articles sus — visés, fixer la date de sa saisine par rapport à la requête en révision puisque l’arrêt y relatif n’a pas été rendu, ce qui aurait engendré un délai de saisine plus raisonnable d’un (1) an au lieu de deux (2).
Opinion individuelle : TCHIKAYA
1. Comme mes honorables collègues, j'ai adopté dans l’ensemble, le dispositif de l'arrêt Bu A et autres c. Ab Xy de Tanzanie, rendu le 28 novembre 2019. Sans m’opposer au dispositif, il y a lieu néanmoins, pour ma part, de dire qu’il eut été plus clair que la Cour prenne une position plus franche dans ses motivations. Tout en invalidant, les dispositions de la Tanzanie sur la peine de mort obligatoire, elle a laissé ce « clair- obscur » inutile sur le droit applicable à la peine de mort en Afrique. Elle a manqué une occasion de renforcer le droit international sur ce point. Cette appréciation du droit sur la peine de mort, par distinction de catégorie de crimes ou d’infractions, n’est plus, de jure, susceptible d’être soutenue. La Cour de céans, juridiction des droits de l'homme, devrait s'aligner au niveau de l’évolution du droit international.
2. Une requête fut présentée à la Cour africaine le 26 mars 2015 par les sieurs M. Bu A, Yi X AI Xc, Ap Xg alias Babu, Cm Bj alias Atuu et Ax Cc, ressortissants tanzaniens condamnés à la peine capitale pour meurtre. La question de sa recevabilité et celle de la compétence
5 Para 48 de l’Arrêt.
Rajabu et autres c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 562 607
n’embarrassèrent pas la Cour qui les régla sans difficultés.‘ Cependant, sur le fond, il restait à prendre une position claire quant à la question de la peine obligatoire qui était la peine confirmée par les juges nationaux.
Le problème vient des éléments d'interprétation apportés au paragraphe 108 de la décision qui se présente comme suit : « la Cour note que l’article 4 de la Charte, tout en ne prohibant pas la peine de mort, est essentiellement consacré au droit à la vie considérée comme « inviolable » et vise à garantir « l'intégrité », et donc le caractère sacré, de la vie humaine. La Cour note en outre que l’article 4 de la Charte ne fait aucune mention de la peine de mort ».? Or, quoique l’on dise, les éléments juridiques prohibitifs de la peine sont aujourd’hui légion sur le plan international.* Il ne tient qu’au juge de leur donner l'effet voulu.
Cette opinion va de ce fait entreprendre de montrer la vacuité de la distinction de peine de mort dite obligatoire des autres peines de mort (I.) qui alimente l'arrêt Rajabu et autres ; ensuite, il sera examiné le fait que la Cour de céans aurait pu accéder à un régime d'interdiction de la peine capitale quelle qu’en fut la forme, comme le lui suggère abondamment, à notre avis, l’article 4 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (II.).
La vacuité de la distinction de la peine de mort de celle dite obligatoire
Le requérant dit à la Cour « qu’en ne modifiant pas l’article 197 de son Code pénal, qui prévoit /a peine de mort obligatoire en cas de meurtre, l’État défendeur a violé le droit à la vie et ne respecte pas l'obligation de donner effet à ce droit tel que garanti par la Charte ».° Il revenait donc à la Cour à situer cette atteinte dans son contexte juridique : outre le droit à la vie, l'application de la peine de mort était en cause. Comme dans sa récente affaire Xn Be Bs, le régime applicable à la peine de mort obligatoire a constitué le point d'ancrage de la controverse entre le requérant et l’État défendeur. Cette distinction dans cette peine
Cour africaine, Affaire Rajabu et autres c. Ab Xy de Tanzanie, 8 décembre 2019, para 14-53.
Idem., para 108.
La résolution (A/RES/44/128) est intitulée « Élaboration d’un deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort », est votée le 5 janvier 1990 (A/44/PV.82, p.8-9). ldem., para 14.
608 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
de mort n’est ni opérationnelle, ni justifiée dans sa signification juridique. Elle est très relative.
6. Les législateurs nationaux se retrouvent avec un pouvoir pénal étendu sur un sujet que règle dorénavant le droit international pénal. On sait que formellement, la peine de mort, comme sanction pénale, relevait de l’ordre public interne. Il s’agit d’une question relevant des ordres des différents Etats qui déterminent leur politique pénale et la hiérarchie des peines inscrites dans leurs codes. La notion de domaine réservé, dans tout son sens en droit international, s'appliquait à ces « affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un Etat », au sens de l’article 2(7) de la Charte (1). La distinction entre les deux sortes de peine de mort en cause, en l'espèce, n’est que relative.
A. Une distinction relative et insuffisante des deux sortes
de peine de mort
7. L'article 197 du Code pénal tanzanien dispose: « Toute personne déclarée coupable de meurtre sera condamnée à la peine capitale ». L’adjectif obligatoire n’y figure pas, mais le langage juridique, sans y mettre des éléments de procédure, a interprété ces dispositions comme obligeant à la sanction capitale.
8. Cette sanction et son application effective, en tout état de cause, ne peuvent intervenir qu’à la suite d’une procédure soumise à l'appréciation du juge. Et, ces éléments sont autant présents dans le cas de la peine de mort non obligatoire, décidée par le juge sans contrainte législative. C’est ce que souligne le Comité des Nations-Unies pour les droits de l'homme dans l’Affaire Dexter en disant que : « Dans ce contexte, il rappelle sa jurisprudence et réaffirme que l'imposition automatique et obligatoire de la peine de mort constitue une privation arbitraire de la vie, incompatible avec le paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte, dès lors que la peine capitale est prononcée sans que la situation personnelle de l'accusé ou les circonstances particulières du crime ne soient prises en considération. L'existence d’un moratoire de fait sur les exécutions ne suffit pas à rendre la peine de mort obligatoire
5 W Schabas The abolition of the death penalty in International Law (Grotius, Cambridge 1993) 384.
Rajabu et autres c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 562 609
compatible avec le Pacte ».°
9. Ala lecture de ces motivations du Comité deux éléments peuvent être relevés : 1) la peine de mort obligatoire n’est qu’un avatar de la peine de mort initiale ; elle constitue une privation arbitraire de la vie et que 2) elle n’est pas compatible avec les exigences du droit international des droits de l'homme. La distinction entre les deux est résolument insuffisante.
10. Cette opinion veut souligner que ce qui est réprouvé dans la peine de mort tout-court se retrouve mutatis mutandis dans la peine de mort obligatoire. Cette dernière n'est d’aucun apport significatif quant à la distinction qu’on devrait lui faire au regard de la peine de mort initiale. La peine de mort obligatoire serait comme une super peine de mort qui s'appliquerait contre les crimes suprêmes. Or, une peine de mort est par définition une peine capitale. L'assiette de cette peine de mort obligatoire et ses éléments de procédure ne se distinguent qu’insuffisamment, un régime unique avec la peine de mort initiale était plus approprié.
B. Un régime juridique unique est applicable
11. Cela commence par le Pacte de 1966.” Le texte du Pacte ne fait aucune distinction : « 1. Aucune personne relevant de la juridiction d’un Etat partie au présent Protocole ne sera exécutée. 2. Chaque Etat partie prendra toutes les mesures voulues pour abolir la peine de mort dans le ressort de sa juridiction » (article premier).® Autant « la peine de mort est une abomination pour tous les condamnés » (les mots de Br Cs),° autant la règle de droit international se refuse de la distinguer en sa forme : la peine de mort obligatoire ou non. Cette distinction qui n’est pas une création des États africains existe aussi aux États-Unis. La Cour suprême américaine, en restreignant l’application de la peine capitale aux États-Unis, l’a réservée aux meurtres touchant les crimes sur les personnes et en excluant les complices dont la
6 CDH, Communication Bs Xn Be AG Cr, 28 mars 2014, paras 9 et s ; v. aussi Communication 1406/2005, Yc c. Sri Xo, constatations adoptées le 17 mars 2009, para 7.2.
7 Le pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) a été adopté à New-York le 16 décembre 1966 par JAGONU dans sa résolution 2200 A (XXI), entré en vigueur le 23 mars 1976.
8 AGONU, Deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, Résolution 44/128 du 15 décembre 1989
9 H Hugo Le dernier jour d’un condamné (Livre de poche, Galimard, 2009) 288.
610 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
participation n’est que périphérique.'°
12. Les analyses du Comité des Nations-Unies des droits de l'homme sur le caractère commun de ces condamnations capitales le montrent. Dans l'affaire Cu Ye c. St. Vincent & les Grenadines, le Comité des droits de l'homme statua sur l'affirmation du requérant selon laquelle le caractère obligatoire de la peine de mort et son application constituaient une privation arbitraire de la vie. Le Comité soulignait qu’« un tel système d'imposition obligatoire de la peine de mort prive l'individu de son droit le plus fondamental, le droit à la vie, sans considérer si cette forme exceptionnelle de châtiment est appropriée dans les circonstances particulières de son affaire ». || en résultait donc que la peine de mort obligatoire est une privation arbitraire de sa vie en violation de l’article 6(1) du Pacte.”
13. Il était parfaitement possible à la Cour africaine de considérer en l'espèce que l’état du droit international recommandait un régime commun d'interdiction applicable à toutes les « sortes de peines de de mort ». Le système européen qui exclut les réserves par l’article 3 de son dernier Protocole qui interdit la peine de mort en donne le ton. On relève qu'«[a]ucune réserve n’est admise aux dispositions du présent Protocole au titre de l’article 57 de la Convention ». Le Protocole prend le soin de souligner que « La peine de mort est abolie. Nul ne peut être condamné à une telle peine ni exécuté ».'” || est, en outre, indiqué que ceci constitue un « pas ultime afin d’abolir la peine de mort en toutes
14. La Cour de céans, dans cette décision, fut très circonspecte et « légaliste ». Elle s'attachait à observer scrupuleusement la souveraineté normative de l'Etat défendeur. Dans son dispositif sur les mesures non-pécuniaires, elle ordonnait pourtant à l’État défendeur de « prendre toutes les mesures nécessaires, dans un délai d’un an à compter de la notification du présent arrêt,
10 Aux Etats-Unis en effet, on trouve pareil système. V. notamment la Cour suprême, Xx Yl Ag c. État de Géorgie, 28 mars 1977 ; voir aussi Cour suprême, Patrick O. Ch v. State of Louisiane, 25 juin 2008 : La Cour suprême des Etats Unis jugeait la peine de mort contraire au VIIIe amendement lorsqu»elle syapplique à des crimes contre les personnes mayant pas entraîné la mort. Il était question de viol sur une fille de moins de 12 ans.
11 Voir article 6(2) du PIDCP ; Evers/ey Ye c. Saint Vincent-et-les-Grenadines, Communication No. 806/1998, UN Doc. CCPR/C/70/D/806/1998 (2000) (UNHCR), 8.2.
12 Article premier, Protocole No. 13, Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, relatif à l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances, Vilnius, 3 mai 2002
13 Idem., préambule du Protocole Rajabu et autres c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 562 611
pour supprimer la peine de mort obligatoire de son dispositif juridique ». Là réside le sens de la présente opinion. Ce « clair- obscur » entretenu sur le régime de la peine de mort mérite discussion. N’existe pas, en l’état du droit international, des « peines de mort », aux qualificatifs variables.“ Un régime juridique unique est applicable. Le terme « obligatoire » ne modifie pas le rejet majoritaire de cette sanction par la communauté internationale."° Au demeurant, la suppression appelée par le juge, en tout état de cause, ne devrait concerner utilement que la peine de mort, sans autre distinction. Comme rappelle la Cour internationale de justice « il existe au-delà des textes applicables à des domaines spécifiques une obligation générale, à la charge des Etats de prévenir la commission par d’autres personnes ou entités des actes contraires à certaines normes du droit international pénal ».‘° C’est une obligation de conformité au droit des gens. Ainsi, l’arrêt Rajabu et autres, sous cet angle, traduit une lecture limitée de l’article 4 de la Charte.
Une lecture encore limitée de l’article 4 de la Charte
15. Cette lecture sera considérée avant d’en référer à la remarquable
14 Il en sera de même de la discutée peine de mort en temps de guerre. Cet aspect fut débattu lorsque, le 15 décembre 1980, l'Assemblée générale de l'ONU convenait de l'élaboration d’un projet de protocole visant à l'abolition de la peine de mort. Elle réaffirmait sa volonté en 1981. Le 18 décembre 1982, l'AGONU demandait la Commission des droits de l'homme de l'ONU la mise en place du 2eme Protocole facultatif du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. La sous-commission à la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités eu donc comme mission d'y travaille. Le rapporteur de la Sous- Commission, Ad Ac Az, expert belge, introduira l'exception du temps de guerre, parce ce que disait-il : « un plus grand nombre d'Etats seront ainsi à même de devenir parties du 2e Protocole facultatif ». v. M Az, Guide to the travaux préparatoires of the International Covenant on Civil and Bt AK AHAu, Dordrecht-Boston-Lancaster, 1987) 851.
15 Le premier Pacte international des droits civils et politiques de 1966 entré en vigueur le 23 mars 1976, conformément aux dispositions de l’article 49 avait pour mission à cet égard la protection du droit a été actualisée sur le sujet. Le Deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort 11 juillet 1991, conformément à l’article 8.
16 ClJ, Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948, avis consultatif, 28 mai 1951, Rec. 1951, p. 496 ; cité par A Pellet ‘D'un crime à l'autre — La responsabilité de l’État pour violation de ses obligations en matière de droits humains’, Études en l'honneur du professeur Rafaâ Ben Achour — Mouvances du droit (Konrad-Adenauer-Stiftung, 2015, tome 612 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
vague abolitionnisme qui s'est déjà emparée du continent.
A. L'’élan quasi-total contre la peine de mort en Afrique devrait être reflété par la protection des droits de l’homme
16. La doctrine internationale contre la peine de mort s'est construite à travers la dénonciation progressive des violations des droits de la personne, un traitement cruel, inhumain et dégradant, d’une part et une violation du droit à la vie, d'autre part. I! est irréfutable que le rejet de cette peine est total aujourd'hui.” Cela pourrait avoir deux explications complémentaires : la complexité socio- politique de son érection comme sanction pénale et l’utilisation qui pourrait en être faite, fût-elle par un juge, ce dernier n’étant pas exempt d'erreur judiciaire.
17. ll ressort de l'observation que le continent africain fait partie de ce mouvement international dont le but est l'abolition de la peine de mort. Aujourd’hui, sur les (55) cinquante-cinq ( États- membres de l'Union africaine, près d’une vingtaine n’exécutent plus les condamnés à mort, et près d’une quarantaine de pays sont abolitionnistes en droit ou en pratique… Il est possible de dire que la majorité de ces États refuse cette sanction ultime.‘
18. || était, en effet, souhaitable qu’une lecture des dispositions internationales oriente la décision de la Cour. Cette lecture devrait s'appuyer sur la jurisprudence internationale, voire nationale des Etats africains qui, ont, pour beaucoup d’entre — eux, introduit des moratoires à l'exécution de la peine capitale. Une lecture qui aurait pu aussi s'appuyer sur l’évolution normative internationale dans ce même domaine.
19. Nombreux pays en Afrique connaissent des moratoires de fait à la peine de mort.‘° Ils refusent l'exécution fatale des individus, une sorte de peine de mort partielle comme l’est la peine de mort obligatoire en cela qu’elle s'applique à certains crimes. Ces pays africains ayant réduit le champ d’application de la peine de mort devraient en arriver à sa suppression, ce que suggérait déjà
17 D Breillat L'abolition mondiale de la peine de mort, A propos du 2e Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort (RSC, 1991) 261.
18 A cette date, le Congo-Brazzaville et Madagascar ayant aboli la peine capitale en 2015 et la Guinée en 2016 sont les derniers Etats africains abolitionnistes.
19 Depuis l'adoption en 27 décembre 2007 par l'Assemblée générale des Nations Unies de la première résolution appelant à un moratoire sur l’utilisation de la peine de mort, 170 Etats ont soit aboli soit introduit un moratoire à la peine de mort.
Rajabu et autres c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 562 613
l’article 4 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples.
L’article 4 de la Charte africaine permettait une interprétation contre la peine de mort
20. Outre l’opinion générale qui soutient que la peine de mort viole des droits humains, le droit à la vie reste le droit que viole fondamentalement et manifestement un ordre étatique favorable à la peine de mort. C’est un traitement inhumain qui comporte de la torture psychologique. L'attente entre la condamnation et l'exécution constitue un supplice superflu. On note a contrario que la plupart des condamnés à perpétuité — réelle - ne récidivent pas. Libérés, ils retrouvent une vie normale. On cite régulièrement le cas de Monsieur Ym Co, qui, tout en étant particulier, reste instructif. Ce monsieur fut condamné à mort en 1980, sa condamnation fut commuée à la réclusion criminelle à perpétuité en 1981 pour le meurtre de deux policiers. En prison, il fit des études d'Histoire et, aujourd>hui en liberté conditionnelle, il est docteur en histoire médiévale et Chargé de recherches dans une École supérieure (EHESS, France).
21. Le droit à la vie reste l'élément majeur de l’article 4 de la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples : « La personne humaine est inviolable. Tout être humain a droit au respect de sa vie et à l'intégrité physique et morale de sa personne : Nul ne peut être privé arbitrairement de ce droit ». C’est, en effet, cet article que vise l'arrêt de la Cour. J'adhère à la finalité de l’analyse, mais le raisonnement de la Cour au paragraphe 92 reste peu lisible : « (.…) En effet, l’article 4 de la Charte ne mentionne pas la peine de mort. La Cour observe que malgré la tendance internationale à l'abolition de la peine de mort, notamment par l’adoption du Deuxième Protocole Facultatif relatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, l'interdiction de cette peine en Droit international n’est pas encore absolue ». Cette recherche inexpliquée de l'absolu et le manque d’engagement prétorien
20 Position que l’on retrouve en doctrine, notamment chez Alain Pellet, Rapporteur du Comité français présidé par Xf By, écrivait : « le Comité est résolument opposé à la peine de mort; aussi abomi- nables que soient les infractions, ‘utiliser contre les terroristes la logique de mort qu’ils pratiquent sans merci, c'est pour une démocratie faire siennes les valeurs des terroristes’; seule reste donc la réclusion perpétuelle ». v. dans A Ascensio, E Decaux & A Pellet (dirs) Droit international pénal (Pedone, Paris 2000) 843.
614 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
limitent le pouvoir d'interprétation de la Cour.
22. La Charte africaine n’est pas le seul instrument contre la peine capitale qui, sans mentionner la suppression de la peine de mort, n’évoque pas cette suppression, mais proclame le droit à la vie, comme devant être protégé. La Déclaration universelle des droits de l'Homme (10 décembre 1948) possède cette même approche.’ Ces instruments appartiennent à l’époque des dissensions de la Guerre froide. Ce qui explique l'avènement du Deuxième protocole évoqué qui est consacré spécifiquement à la suppression de la peine de mort. Comme pour la Déclaration en 1948, pour la Charte africaine, l’option qui a prévalu fut le « compromis ». La mention au droit à la vie, en des termes absolus, sans allusion à l’abolition de la peine de mort.” Cette dernière idée était pourtant bien présente.
24. Le Ck qui a demandé dans son rapport périodique à la Commission africaine de 1993, l'abolition de la peine capitale pour le trafic de drogue, les accords illégaux concernant les produits pétroliers a fait savoir que le phénomène du « couloir de la mort » était incompatible avec la Charte africaine. Il faut, enfin, noter que la Charte africaine des droits et du Bien-être de l'Enfant, abondamment ratifiée, prescrit que la peine de mort ne soit prononcée pour des crimes commis par des mineurs de moins de 18 ans et qu’elle ne peut pas être exécutée sur des femmes enceintes, ou mères de bébés ou d'enfants en bas âge. 25. Malgré des avancées du droit international pénal, la décision Rajabu et autres semble reculer. Elle se porte peu d'attention aux pouvoirs prétoriens du juge des droits de l'homme pour faire avancer la protection du droit à la vie. Il y a une fonction interprétative de la règle de droit à mettre en œuvre pour compléter et clarifier la protection du droit à la vie que suppose l’article 4 de la Charte africaine. L'ancien juge M. Ouguergouz
21 La Déclaration ne mentionne pas la peine de mort. L'article 3 affirme que « tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne ». C’est dans le contexte du droit à la vie que la question de la peine capitale a été débattue pendant les travaux préparatoires de la Déclaration.
22 A Dieng ‘Le droit à la vie dans la Charte africaine des Droits de l'Homme et des peuples’ in F Montant & D Premont (eds) Proceedings of the symposium on the right to life (1992) 77-79.
23 OUA, Doc. CAB/LEG/24.9/49 (1990), article 46.
24 Article 5 : « La peine de mort n’est pas prononcée pour les crimes commis par des enfants ». L'article 30 à l'alinéa e) dit qu’il faut « veiller à interdire qu'une sentence de mort soit rendue contre ces mères » (Charte du 1er juillet 1990).
Rajabu et autres c. Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 562 615
(F.)® a coutume de rappeler le caractère libéral de la compétence ratione materiae que les Etats ont voulu donner à la Cour africaine à travers l’article 7 du Protocole créant la Cour, intitulé « Droit applicable ». Il est, en effet, prévu que « la Cour applique les dispositions de la Charte ainsi que tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par l’État concerné ».
26. Le différend qui opposa le gouvernement du Guatemala à la Commission interaméricaine au sujet des tribunaux d'exception créés au Guatemala illustre à suffisance ce problème. Ces tribunaux fonctionnaient et siégeaient en secret. L'élément le plus macabre de ces tribunaux résidait dans le fait qu’ils prononcèrent une série de condamnations à mort, nombreuses furent exécutées. Le gouvernement du Guatemala justifia la légalité de celles-ci en faisant valoir qu’en ratifiant la Convention avec une réserve à l'égard de l’article 4(4),® il l'avait fait avec l'intention de continuer à appliquer la peine capitale aux crimes de droit commun de nature politique. Il a fallu que la Commission usât de son pouvoir d'interprétation pour rejeter cette lecture et solliciter l’avis de la Cour.”” La question est identique dans le présent arrêt Rajabu et autres.
27. L'esprit de l’article 4 de la Charte africaine est interprété de façon restrictive dans cet arrêt. Cette limitative interprétation rappelle l’article 80 de la Convention internationale de Rome (créant la CPI) qui dispose « rien dans le présent chapitre du Statut n’affecte l'application par les Etats des peines que prévoit leur droit interne, ni l’application du droit des Etats qui ne prévoient pas les peines prévues dans le présent chapitre ». Ainsi qu’il a été dit, cette
25 F Ouguergouz La Cour africaine des droits de l'homme et des peuples - Gros plan sur le premier organe judiciaire africain à vocation continentale, AFDI (2006) 213- 240.
26 Convention interaméricaine des droits de l'homme (Yo Xe, Bx Xw, le 22 novembre 1969), L'Article 4 intitulé Droit à la vie : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie. Ce droit doit être protégé par la loi, et en général à partir de la conception. Nul ne peut être privé arbitrairement de la vie. (…) 4. En aucun cas la peine de mort ne peut être infligée pour des délits politiques ou pour des crimes de droit commun connexes à ces délits.
27 Report on the Situation of B AK in the Republic of Guatemala, OEA./ Ser.L/Il.61, Doc. 47, Rev. 1, octobre 1983, pp. 43 à 60. v. Xp Bi (M.), La Cour interaméricaine des Droits de l'Homme — les premières affaires, AFD/, 1983. pp. 300-312
28 Toutefois, selon l’article 77 du Statut sur les « Peines applicables » : « la Cour peut prononcer contre une personne déclarée coupable d’un crime visé à l'article 5 du présent Statut l’une des peines suivantes : a) une peine d’ emprisonnement à temps de trente ans au plus; b) une peine d'emprisonnement à perpétuité, si l’extrême gravité du crime et la situation personnelle du condamné le justifient ».
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approche est manifestement interniste.
28. La Cour africaine, dans cette décision, en cela qu’elle dénonce seulement la peine de mort obligatoire, se retrouve en décalage au regard de la position, qui peut être vue comme constante de la Commission des Nations-Unies pour le droit international. La Commission de droit international s’est montrée « convaincue que l’abolition de la peine de mort contribue au renforcement de la dignité humaine et à l'élargissement progressif des droits fondamentaux ». Cette évolution se trouve dans les prises de position de la Cour interaméricaine qui soulignait que le défaut d'assistance consulaire est une atteinte aux droits fondamentaux. Dans ces circonstances, pousuivait-elle « the death penalty is a violation of the right not to be ‘arbitrarily’ deprived of one's life, in the terms of the relevant provisions of the B AK treaties
29. La Cour tout en demandant à la Tanzanie de revoir sa législation sur une catégorie de peine de mort — la peine de mort obligatoire,* se refuse d'orienter sa décision vers une condamnation de la peine de mort. Elle laisse perdurer des ilots de tolérance à cette peine. Sur cet arrêt, elle s'écarte du mouvement du droit pénal international. Quant à l’universalité de l'abolition de la peine de mort, il faut rappeler sans nécessairement s'étendre, que dans son arrêt sur le Plateau continental de la mer du Nord,’ la Cour internationale de justice avait soigneusement examiné les rapports entre normes conventionnelles et coutumières. Elle a considèré que les conventions internationales pouvaient produire des adhésions coutumières applicables.
29 Res.1997/12, 3 avril 1997. (24) et la Res. 1998/8, 3 avril 1998.
30 CIDH, O.C., 1er octobre 1999, p. 264, para 37 et p. 268, para 141.
31 L'article 197 du Code pénal de Tanzanie dispose que : « Toute personne déclarée coupable de meurtre sera condamnée à la peine capitale ».
32 CIJ., Plateau continental de la mer du Nord, Cy et Pays-Bas c . RFA, ClJ, 20 février 1969


Synthèse
Numéro d'arrêt : 007/2015
Date de la décision : 28/11/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2023
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