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08/08/2019 | CADHP | N°23/2019

CADHP | Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 08 août 2019, 23/2019


Texte (pseudonymisé)
800 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
A c. Bénin (mesures provisoires) (2019) 3 RICA 800
Requête No. 23/2019, Af Aa A c. République du Bénin
Ordonnance du 8 août 2019. Fait en anglais et en français, le texte
français faisant foi.
Juges ORÉ, KIOKO, BEN ACHOUR, MATUSSE, MENGUE,
MUKAMULISA, CHIZUMILA, BENSAOULA, TCHIKAYA, ANUKAM et
ABOUD
Le requérant, ancien Président du Bénin, a allégué la violation de
son droit à la vie et à l'intégrité physique, de son droit à la liberté de
manifestation et de réunion et de son droit

d’être jugé dans un délai
raisonnable. Il a demandé à la Cour de surseoir à tout acte d’instructi...

800 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
A c. Bénin (mesures provisoires) (2019) 3 RICA 800
Requête No. 23/2019, Af Aa A c. République du Bénin
Ordonnance du 8 août 2019. Fait en anglais et en français, le texte
français faisant foi.
Juges ORÉ, KIOKO, BEN ACHOUR, MATUSSE, MENGUE,
MUKAMULISA, CHIZUMILA, BENSAOULA, TCHIKAYA, ANUKAM et
ABOUD
Le requérant, ancien Président du Bénin, a allégué la violation de
son droit à la vie et à l'intégrité physique, de son droit à la liberté de
manifestation et de réunion et de son droit d’être jugé dans un délai
raisonnable. Il a demandé à la Cour de surseoir à tout acte d’instruction,
de poursuite et de jugement à son encontre et de libérer les manifestants
qui ont été arrêtés arbitrairement. La Cour a décidé de ne pas accorder
de mesures provisoires étant donné que le requérant a été autorisé à
quitter le pays pour recevoir un traitement médical et que l'affaire ne
présentait pas une situation d'extrême gravité.
Compétence (prima facie, 15-19)
Mesures provisoires (demande sans objet, 27 ; absence d'extrême
gravité, 29 ; Preuve, 30).
Les parties
Le 11 juin 2019, la Cour a reçu une requête introduite par Af Aa A (ci-après dénommé « le requérant »), ancien Président de la République du Benin.
La République du Bénin (ci-après dénommée « l’État défen- deur »), est devenue partie à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après désignée « la Charte ») le 21 octobre 1986, au Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme et des .peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après désigné « le Protocole »), le 22 aout 2014. L'État défendeur a également déposé, le 8 février 2016, la déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole par laquelle il accepte la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes émanant des individus et des organisations non gouvernementales.
Il Objet de la requête
Le requérant soutient que, le 1er mai 2019 la police et l’armée ont encerclé son domicile en vue de son arrestation. Cette tentative d'arrestation a suscité la colère des voisins et les partisans du A c. Bénin (mesures provisoires) (2019) 3 RJCA 800 801
requérant se sont mobilisés en signe de protestation. Afin de disperser la foule, l’armée a tiré à balles réelles faisant des victimes dont certaines finiront par succomber de leurs blessures. Le requérant soutient en outre que, le 2 mai 2019, des militaires ont encore ouvert le feu sur les manifestants non armés qui venaient le soutenir, causant d’énormes pertes en vies humaines et des arrestations en masse.
Par la suite, le 19 mai 2019, le requérant a saisi la Cour de justice de la Communauté des États de l'Afrique de l’Ouest (la Cour de justice de la CEDEAO) d'un recours en procédure accélérée pour voir constater la violation de ses droits fondamentaux et lui accorder des réparations.
Le requérant affirme en outre avoir reçu une lettre du juge d'instruction du Tribunal de première instance de première classe de Cotonou, en charge de l'instruction de l'affaire relative aux violences postélectorales des 1er et 2 mai 2019, en vue de l’auditionner à son domicile le 7 juin 2019 à 15 heures. Selon le requérant, malgré l'opposition de son conseil, évoquant des raisons de santé de son client, le requérant a été auditionné et assigné à résidence surveillée sans fondement juridique.
Le requérant fait valoir que les manifestants arbitrairement arrêtés entre le 1er et le 13 mai 2019 ont comparu devant le juge des flagrants délits le 28 mai 2019 et que la durée de la détention excède le délai légal prévu à l’article 402 du Code de procédure pénale.
Le requérant soutient que dans la nuit du 21 au 22 juin 2019, la police a retiré tout le dispositif encerclant son domicile, lui permettant ainsi de se rendre en France pour des soins médicaux.
Les violations alléguées
Le requérant allègue que l’État défendeur a violé les droits ci-après prévus par les instruments internationaux auxquels il est
| Le droit à la vie et à l'intégrité physique de la personne humaine, garanti à l’article 4 de la Charte .
il Le droit à la liberté de manifestation et de réunion, énoncé à l’article 11 de la Charte,
iii. Le droit à la liberté d’expression énoncé à l’article 1(1) du Protocole A/SPl/12/01 de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel au Protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité:
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iv. Le droit d’être jugé dans un délai raisonnable, garanti à l’article 402 du Code de procédure pénale et à l’article 7(1)(d) de la Charte;
v. Les droits garantis par les articles 7, et 26 de la Charte.
IV. Résumé de la procédure devant la Cour de céans
10. Le 11 juin 2019, la Cour a reçu un courrier relatif à une « requête additionnelle » à la requête 021/2019, aux fins de mesures provisoires et, le 18 juin 2019, le requérant a fait parvenir à la Cour une note d’information complémentaire suite au communiqué publié après un point de presse donné par le Procureur de l’État défendeur sur la situation de l’ancien chef de l’État.
11. La requête ainsi que la demande de mesures provisoires ont été signifiées à l’État défendeur le 20 juin 2019 et un délai de sept (7) jours lui a été accordé pour y répondre.
12. L'État défendeur a déposé ses observations sur la demande de mesures provisoires le 15 juillet 2019 après les délais impartis par la Cour.
13. Le 26 juin 2019, le requérant a communiqué d’autres informations supplémentaires à la Cour sur l’état de la situation.
V. Sur la compétence de la Cour
14. Lorsqu'elle est saisie d’une requête, la Cour procède à un examen préliminaire de sa compétence, sur la base des articles 3 et 5(3) du Protocole.
15. Toutefois, s'agissant des mesures provisoires, la Cour n’a pas à s'assurer qu’elle a compétence sur le fond de l'affaire, mais simplement qu’elle a compétence prima facie.
16. Aux termes de l’article 5(3) du Protocole, « La Cour peut permettre aux individus ainsi qu’aux organisations non gouvernementales (ONG) dotées du statut d’observateur auprès de la Commission d'introduire des requêtes directement devant elle, conformément à l’article 34(6) de ce Protocole ».
17. Comme mentionné au paragraphe 2 de la présente ordonnance, l’État défendeur est partie à la Charte, au Protocole et a également fait la déclaration acceptant la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes d'individus et des organisations non gouvernementales conformément à l’article 34(6) du Protocole lu
1 Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. Libye (mesures provisoires) (2013) 1 RJCA 149, para 19 ; Ag Ad c. République-Unie de Tanzanie (mesures provisoires) (2016) 1 RJCA 687, para 8.
A c. Bénin (mesures provisoires) (2019) 3 RICA 800 803
conjointement avec l’article 5(3) du Protocole.
18. En l’espèce les droits dont le requérant allègue la violation sont protégés par la Charte et le Protocole de la CEDEAO, qui sont des instruments que la Cour est habilitée à interpréter et appliquer en vertu de l’article 3(1) du Protocole.
19. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle a compétence prima facie pour connaitre de la requête.
VI. Sur les mesures provisoires demandées
20. Le requérant demande à la Cour de:
i. Déclarer la requête recevable
iii. Lui donner acte en sa qualité de victime de ce qu'il s'associe pleinement et entièrement à la requête No. 021/2019 du 13 mai 2019 pendante devant la Cour de céans;
iv. Ordonner qu’il soit sursis à tout acte de poursuite, d'instruction et de jugement contre le requérant, Monsieur Ac Ab, ancien député et membre de l'opposition, et les soixante-quatre (64) personnes détenues;
v. Ordonner la remise en liberté provisoire des manifestants détenus arbitrairement jusqu’à la décision sur le fond de la requête No. 021/2019.
vi. Ordonner que tous les obstacles à la liberté de circulation du requérant, de visite des membres de sa famille de ses amis politiques, sympathisants, avocats, médecins soient levés et que toutes les forces de l’ordre et engins militaires en faction aux alentours de son domicile soient retirés.
vii. Ordonner à l’Etat défendeur de faire un rapport à la Cour dans un délai de 15 jours sur les dispositions prises pour la mise en oeuvre des mesures provisoires ordonnées.
21. L'Etat défendeur a pour sa part soulevé deux exceptions, sur la recevabilité de la requête en rapport aux articles 56 de la Charte et 40 du Règlement intérieur.
22. La Cour relève que l’article 27(2) du Protocole dispose comme suit :
« Dans les cas d'extrême gravité et lorsqu'il s'avère nécessaire d’éviter des dommages irréparables à des personnes, la Cour ordonne les mesures provisoires qu’elle juge pertinentes ».
23. L'article 51(1) du Règlement intérieur, par ailleurs, dispose que : « La Cour peut, soit à la demande d’une partie ou de la Commission, soit d'office, indiquer aux parties toutes mesures provisoires qu’elle estime devoir être adoptées dans l'intérêt des parties ou de la justice ».
24. La Cour observe qu’il lui appartient de décider dans chaque 804 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
cas d'espèce si, à la lumière des circonstances particulières de l'affaire, elle doit exercer la compétence qui lui est conférée par les dispositions ci-dessus.
25. En l’espèce la Cour note que le requérant a formulé plusieurs demandes dans la requête aux fins de mesures provisoires.
26. La Cour s'étant déjà prononcée sur sa compétence prima facie, elle se réserve le droit de statuer sur la demande de jonction des requêtes 021/2019 et 023/2019 à une étape ultérieure de la procédure devant elle.
27. Pour ce qui est de la demande de lever tous les obstacles à la liberté de circulation du requérant en retirant toutes les forces de l’ordre et engins militaires en faction aux alentours de son domicile, la Cour a été informée que les barrières policières ont été levées dans la nuit du 21 au 22 juin, permettant ainsi au requérant de se rendre en France pour des soins médicaux. Par conséquent, la Cour estime que cette demande est devenue sans objet.
28. En ce qui concerne la demande de sursis à tout acte de poursuite, d'instruction et de jugement contre le requérant, Monsieur Ae Ab, ancien député et membre de l'opposition, et les soixante-quatre (64) personnes détenues, la Cour note que pour sa propre situation le requérant a évoqué des raisons de santé ne lui permettant pas de répondre à la convocation du juge. Elle note également que l’État défendeur a permis au requérant de quitter le territoire pour des soins médicaux.
29. La Cour tiendra compte du droit applicable en matière de mesures provisoires, qui ont une nature propre. Elles ont un caractère préventif et ne préjugent pas du fond de la requête. La Cour ne peut les ordonner pendente lite que si les conditions de base requises sont réunies : l'extrême gravité, l'urgence et la prévention de dommages irréparables sur les personnes. La Cour estime qu’en dehors des raisons de santé évoquées, les circonstances de l'espèce ne révèlent pas une situation dont la gravité et l’urgence présenteraient un risque de dommages irréparables pour le requérant et les autres personnes ci-dessus visées. La demande est donc rejetée.
30. Pour ce qui est de la demande de remise en liberté provisoire des manifestants détenus arbitrairement jusqu’à la décision sur le fond de la requête No. 021/2019, la Cour note que le requérant n’a pas fourni la preuve de l'extrême gravité de la situation et dans les circonstances de l'espèce, la demande relève des mesures à ordonner après examen du fond de l'affaire. En conséquence,
A c. Bénin (mesures provisoires) (2019) 3 RJCA 800 805
cette demande est également rejetée.
VII. Dispositif
31. Par ces motifs,
La Cour,
ii Décide de ne pas accorder les mesures.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 23/2019
Date de la décision : 08/08/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2023
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