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04/07/2019 | CADHP | N°009/2017

CADHP | Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 04 juillet 2019, 009/2017


Texte (pseudonymisé)
An
An c.
c. Rwanda (compétence et recevabilité) (2019) 3 RICA 407 407
Rwanda (compétence et recevabilité) (2019) Requête 009/2017, Ag An c. République du Rwanda
Arrêt du 4 juillet 2019. Fait en anglais et en français, le texte français
faisant foi.
Juges A, BEN ACHOUR, MATUSSE, MENGUE, CHIZUMILA,
BENSAOULA, TCHIKAYA etANUKAM
S'est récusée en application de l'article 22 : MUKAMULISA
Le requérant a déclaré que son véhicule avait été illégalement confisqué
et vendu aux enchères par l’État défendeur. || a affirmé que l’État
défendeur a

violé son droit de propriété, son droit au travail, a violé son
obligation de réparation et manqué d’ adopter...

An
An c.
c. Rwanda (compétence et recevabilité) (2019) 3 RICA 407 407
Rwanda (compétence et recevabilité) (2019) Requête 009/2017, Ag An c. République du Rwanda
Arrêt du 4 juillet 2019. Fait en anglais et en français, le texte français
faisant foi.
Juges A, BEN ACHOUR, MATUSSE, MENGUE, CHIZUMILA,
BENSAOULA, TCHIKAYA etANUKAM
S'est récusée en application de l'article 22 : MUKAMULISA
Le requérant a déclaré que son véhicule avait été illégalement confisqué
et vendu aux enchères par l’État défendeur. || a affirmé que l’État
défendeur a violé son droit de propriété, son droit au travail, a violé son
obligation de réparation et manqué d’ adopter des mesures législatives
et autres pour donner effet aux instruments internationaux auxquels il
est partie. La Cour a rejeté la requête au motif que le requérant, de son
propre aveu, n'avait pas épuisé les recours internes.
Procédure (jugement par défaut, 15)
Recevabilité (absence de preuves, 31 ; épuisement de recours internes,
32,3
Opinion individuelle: Bensaoula
Procédure (jugement par défaut, 5; 14)
Les parties
Ag An (ci-après « le requérant») estun ressortissant de la République du Rwanda, résidant à Kigali, qui se plaint d’avoir été victime de violations relatives à son activité de transport urbain.
L'État défendeur est la République du Rwanda, devenue partie à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après « la Charte ») le 21 octobre 1986 et au Protocole le 25 mai 2004. L'État défendeur a également déposé, le 22 janvier 2013, la déclaration prévue à l'article 34(6) du Protocole, acceptant la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes émanant des individus etdes organisations non gouvernementales. Cependant, le 29 février 2016, l'État défendeur a porté à la connaissance de la Commission de l'Union africaine sa décision de retirer ladite déclaration. Le 3 mars 2016, l'Union africaine en a informé la Cour. Le 3 juin 2016, la Cour a rendu une ordonnance, indiquant 408
Il
A.
1 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
que le retrait de la déclaration prendra effet le 1er mars 2017!
Objet de la requête
Faits de la cause
Le requérant allègue que le 21 mars 2009, un agent de police a arrêté sa voiture pour manque de pneu de réserve etpourabsence d'autorisation de transport. Il s’est vu imposer une amende de vingt mille (20 000) francs rwandais et « comme garantie de ce paiement la police a saisi la carte jaune ». Il affirme que, le 23 mars 2009, il a payé ladite amende mais que sa carte jaune ne lui a pas été restituée.
Il soutient en outre que « . sur complicité, le chauffer … déclara qu'il a perdu la contravention et la déclaration de recette, et la police déclara verbalement qu'elle a perdu la carte jaune. » Le requérant a donc saisi les services des impôts pour obtenir le duplicata de la carte jaune, mais en vain. Il soutient que « plus tard, par l'entremise d’un convoyeur [il a] pu récupérer l'original de la contravention … et celui de la déclaration de recette … »
Le requérant allègue qu'« [e]n vertu de la disposition de l’article 40 de la loi rwandaise No. 34/1987 du 17 septembre 1987 relative à la police du roulage et de la circulation routière, le versement de l'amende forfaitaire éteint l'action publique. Par conséquent, le paiement de l'amende de vingt mille (20.000) Frw en date de 23 mars 2009 éteignait l'infraction et [il] devrait être immédiatement rétabli dans [ses] droits … ». || affirme que « cependant cela n’a pas été le cas et la voiture a été garée pour absence de carte jaune à un endroit où les militaires de la garde présidentielle l'ont saisie et confisquée à la police ».
Le requérant allègue qu'il a parlé au Président de la République lorsque ce dernier effectuait une visite à la population le 08 juin 2010. Malgré cette initiative, le véhicule en question a été vendu aux enchères le 6 avril 2011.
Voir Requête No. 003/2014. Ordonnance du 03 juin 2016 (compétence, retrait), Au Ac Ap c. Rwanda, 1 RJ CA 575.
« Carte jaune » signifie « Carte d'enregistrement de voiture ».
An c. Rwanda (compétence et recevabilité) (2019) 3 RICA 407 409
B. Violations alléguées
2. Le requérant affirme que l’État défendeur a :
i. Violé son droità la propriété, prévu aux articles 17(2) de la Déclaration universelle des droits de l'homme (DUDH) et 14 de la Charte ;
ii. Manqué à son engagement de fournir les recours requis en vertu de de l'article 2(3)(c) du Pacte International relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) ;
ii. Manqué à son engagement d'adopter des mesures législatives et autres pour l’application des instruments internationaux ratifiés, tel que prévu à l’article 1er de la Charte ;
iv. Violé son droit au travail, prévu à l'article 6(1) du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC).
I. Résumé de la procédure devant la Cour
3. La requête a été déposée le 27 février 2017 et signifiée à l’État défendeur le 16 mars 2017, l'invitantà déposer sa Réponse dans un délai de 60 jours, à compter de la date de réception de la notification.
4. Le 11 mai 2017, le greffe a reçu une lettre de l’État défendeur lui rappelant le retrait de sa déclaration faite en vertu de l'article 34(6) du Protocole et l'informant qu'il ne participerait à aucune procédure devant la Cour. Il a par conséquent, demandé à la Cour de s'abstenir de lui transmettre toute information relative aux affaires concernant le Rwanda, jusqu’à ce qu’il termine le réexamen de ladite déclaration et communique sa position à la Cour.
5. Le 22 juin 2017, la Cour a répondu à l’État défendeur, en précisant « qu'en tant qu'institution judiciaire et conformément aux dispositions du Protocole et de son Règlement intérieur, la Cour est tenue de communiquer toutes les pièces de procédure aux parties concernées. »
6. Le 30 juin 2017, la requête a été transmise à la Présidente de la Commission de l'Union africaine et, par son intermédiaire, au Conseil exécutif de l’Union africaine et aux États parties au Protocole, conformément à l'article 35(3) du Règlement.
7. Le 5 octobre 2017, la Cour a, proprio motu, prorogé de quarante- cinq (45) jours le délai accordé à l'État défendeur pour déposer sa réponse, indiquant qu'elle rendra un arrêt par défaut si la réponse n’était pas déposée.
8. En application de l’article 63 du Règlement, à sa quarante- neuvième session ordinaire, tenue du 16 avril au 11 mai 2018, la Cour a décidé de statuer sur le fond et les réparations par 410 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
un seul et même arrêt. Le 6 août 2018, le Requérant a déposé ses observations sur les réparations et l'État défendeur en a été notifié le 9 août 2018, pour qu’il y réponde dans un délai de 30 jours.
9. Le 9 octobre 2018, la Cour a, proprio motu, prorogé de 30 jours, le délai accordé à l’État défendeur pour déposer sa réponse, indiquant qu'il s'agissait de la dernière prorogation de délai et qu'elle rendra un arrêt par défautsila réponse n'était pas déposée. La notification a été envoyée par courrier à l’État défendeur qui l’a reçue le 11 octobre 2018.
10. Bien qu'ayant reçu toutes ces notifications, l’État défendeur n’a répondu à aucune d'elles. Par conséquent, dans l'intérêt de la justice, la Cour rend le présent arrêt par défaut, conformément à l’article 55 du Règlement?
IV. Mesures demandées par les parties
11. Le requérant demande à la Cour de prendre les mesures suivantes :
i. Ordonner à l'État rwandais de lui payer des dommages et intérêts ; ii, Ordonner la restitution de son véhicule ou de lui verser le montant équivalent ;
ii. Reconnaître que le Rwanda a violé des instruments juridiques pertinents des droits de l'homme qu'il a ratifiés.
12. Le requérant demande aussi à la Cour de lui octroyer ce qui suit, à titre de réparation :
i. La restitution du taxi minibus Ay Al RAA417H en l’état où il était ou le versement de la somme de quarante millions trois cent quarante-neuf mille cent (40.349.100) Frw à titre de compensation ; il. Une compensation journalière de cent onze mille cinq cent quarante (111 540) Frw à compter du 23 mars 2009 jusqu'à la date de restitution du véhicule ;
iii. La somme de vingt-trois milliards quarante-trois millions deux cent trente-six mille cinq cent trente-trois (23.043.236.533) Frw pour le revenu sur le réinvestissement ;
iv. Sept virgule quatre (7,4) pourcent des intérêts sur les revenus non perçus ;
v. La somme de quarante millions (40.000.000) de Frw en guise de dommages et intérêts pour les souffrances subies ;
3 Requête No. 003/2014. Arrêt du 07 décembre 2018 (réparations), Au Ac Ap c. Rwanda, 2 RJ CA 209, paras 14, 15 et 17.
An c. Rwanda (compétence et recevabilité) (2019) 3 RICA 407 411
vi. La somme de deux millions (2.000.000) de Frw pour les frais de procédure devant les juridictions nationales et trois millions (3.000.000) de Frw devant la Cour de céans ;
vil. Les honoraires d'avocat devant la Cour.
13. L'État défendeur ayant refusé de participer à la procédure, il n'a pas formulé de demande.
Compétence
14, En vertu de l'article 3(1) du Protocole, « [[Ja Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et l'application de la Charte, du Protocole et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par les États concernés ». Par ailleurs, l'article 39(1) du Règlement prévoit que « [IJa Cour procède à un examen préliminaire de sa compétence. ».
15. Après avoir procédé à l'examen préliminaire de sa compétence, etétant donné que rien dans le dossier n'indique qu'elle n’est pas compétente, la Cour conclut qu’en l'espèce, elle a :
i. La compétence personnelle étant donné que l’État défendeur est partie au Protocole et a déposé la déclaration prévue à l'article 34(6) dudit Protocole, ce qui a permis au requérant de saisir la Cour au sens de l'article 5(3) du Protocole. Par ailleurs, la requête a été déposée dans le délai d'un an fixé par la Cour pour la prise d'effet du retrait de la Déclaration de l'Etat défendeur ;
ii, La compétence matérielle puisqu'il estallégué la violation des articles 1 et 14 de la Charte ; de l’article 2(3)(c) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) ; de l’article 6(1) du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) ; de l’article 17(2) de la déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), tous ces instruments ayant été ratifiés par l'État défendeur et la Cour étantiinvestie du pouvoir de les interpréter et de les appliquer, en vertu de l’article 3 du Protocole;
ii. La compétence temporelle, les violations alléguées étant de nature continue dans la mesure où le véhicule du requérant est toujours saisi ;*
iv. La compétence territoriale car les faits de la cause se sont produits sur le territoire d'un État partie au Protocole, à savoir l'État défendeur. 16. Au vu de ce qui précède, la Cour dit qu’elle est compétente en
Voir Requête No. 013/2011. Arrêt du 21 juin 2013 (exceptions préliminaires), Ayants droits de feus Ad Ah, Ak Ab dit Ablassé, As Ah, Bd Ba et Le Mouvement burkinabè des droits de l'homme et des peuples c. Ar Aq, 1 RJ CA 204, paras 71 à 77.
412 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
l'espèce.
17. Aux termes de l’article 6(2) du Protocole « La Cour statue sur la recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l'article 56 de la Charte ». Conformément à l’article 39(1) de son Règlement intérieur, « la Cour procède à l'examen préliminaire … des conditions de recevabilité de la requête telles que prévues par les articles … et56 de la Charte et 40 du présent Règlement ».
18. L'article 40 du Règlement, qui reprend en substance l’article 56 de la Charte, est libellé comme suit :
« En conformité avec les dispositions de l'article 56 de la Charte auxquelles renvoie l'article 6(2) du Protocole, pour être examinées, les requêtes doivent remplir les conditions ci-après:
1. Indiquer l'identité de leur auteur, même si celui-ci demande à la Cour de garder l'anonymat ;
2. Être compatible avec l’Acte constitutif de l'Union africaine et la Charte ;
3. Ne pas contenir de termes outrageants ou insultants ;
4. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse ;
5. Être postérieures à l'épuisement des recours internes, s'ils existent, à moins qu'il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
6. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa propre saisine ;
7. Ne pas concerner des cas qui ont été réglés conformément soit aux principes de la Charte des Nations Unies, soit de l’Acte constitutif de l'Union africaine et soit des dispositions de la Charte ou de tout autre instrument juridique de l'Union africaine ».
8. La Cour note que les conditions de recevabilité énoncées à l’article 40 du Règlement ne sont pas en discussion entre les parties, l’État défendeur n'ayant pas participé à la procédure. Toutefois, en application de l'article 39(1) du Règlement, la Cour procède à l'examen des conditions de recevabilité de la requête. 9. La Cour note que le requérant allègue que la requête respecte toutes les conditions de recevabilité prévues aux alinéas 1 à 7 de l’article 40 du Règlement.
10. || ressort clairement du dossier que l'identité du requérant est connue, de même que sa nationalité. La requête n’est pas An c. Rwanda (compétence et recevabilité) (2019) 3 RJCA 407 413
incompatible avec l’Acte constitutif de l'Union africaine et la Charte. Elle n'est pas rédigée dans un langage outrageant ou insultant et ne se fonde pas exclusivement sur des informations diffusées par les moyens de communication de masse.
11. Sur l'épuisement des recours internes, le requérant affirme avoir engagé des démarches pour rencontrer les hautes autorités politiques et administratives du pays, notamment la Police, le Parquet, le Ministère des infrastructures en charge du transport, le Ministère de la sécurité intérieure en charge de la police, le Ministère de la justice, l'Ombudsman, la Primature, le Parlement, le Sénat, le Président de la République, la Commission nationale des droits de l'homme, le At Am et la Société civile.
12. Le requérant soutient aussi que « [le] recours aux juridictions n’a pas été envisagé du fait qu'un dossier dans lequel la garde présidentielle est présumée impliquée ne pourrait pas aboutir au niveau des juridictions, et en plus la requête aujourd’hui serait irrecevable suite à l'écoulement des délais après le recours gracieux, prévus par les dispositions de l’article 339 de la loi No. 18/2004 du 26 juin 2004 portant Code de procédure civile, commerciale, sociale et administrative ».
13. La Cour fait observer que seuls des recours judiciaires ordinaires doivent être épuisés ,° sauf s'ils ne sont pas disponibles, efficaces et suffisants ou si les procédures internes y relatives se prolongent de façon anormale.° En effet, les recours non judiciaires exercés par le requérant ne sont pas considérés pertinents en ce qui concerne l'épuisement des recours internes.
14. Dansla présente affaire, la Cour note que le requérant a clairement reconnu qu'il n'avait pas exercé les recours internes, alléguant que : premièrement, ces recours ne sauraient prospérer parce que les militaires de la garde présidentielle étaient impliqués et, deuxièmement, que le délai pour saisir les juridictions nationales était expiré lorsque les démarches devant les autorités
5 Requête No. 007/2013. Arrêt du 03 juin 2016 (fond), Aj Af c. Républia e-Unie de Tanzanie, 1 RJ CA 624, para 64. Voir aussi Requête No. 005/2013. Arrêt de 20 novembre 2015 (fond), Be Ao c. République-Unie de Tanzanie, 1 RJCA 482, para 64 ; Requête No. 006/2013. Arrêt du 18 mars 2016 (fond), Bc Ae Ai & 9 autres c. République-Unie de Tanzanie, 1 RJ CA 526, para 95.
6 Voir Requête No. 004/2013. Arrêt du 5 décembre 2014 (fond), Av Az Bg c. Ar Aq, 1 RJCA 324, para 77 ; voir aussi Requête No. 003/2012. Décision du 28 mars 2014 (compétence et recevabilité), Ax Aw c. République-Unie de Tanzanie, 1 RJ CA 413, para 40.
414 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
administratives et politiques ont pris fin.
15. En ce qui concerne la première allégation, la Cour relève que, sans aucune preuve à l'appui, le requérant soutient simplement que la procédure devant les juridictions de l’État défendeur était vaine parce que les militaires de la garde présidentielle étaient impliqués. Cette Cour a estimé que «[d]es affirmations d’ordre général … ne sont pas suffisantes. Des preuves plus concrètes sont requises ».” En conséquence, cette allégation est rejetée.
16. S'agissant de la deuxième allégation, la Cour fait observer que le requérant n'a pas introduit son recours devant les juridictions nationales dans le délai car, comme il l’affime, il tentait d'obtenir un règlement devant les instances administratives et politiques. Cependant, rien n'empêchait le requérant d'exercer simultanément les recours non judiciaires et ceux judiciaires. Il aurait donc dû exercer les recours requis pour épuiser les recours internes.
17. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que le requérant n'a pas épuisé les recours internes disponibles dans l'État défendeur et qu'aucun des motifs avancés ne relevait des exceptions prévues à l’article 40(5) du Règlement.
18. Ayant constaté que les recours internes n'ont pas été épuisées et compte tenu du fait que les conditions de recevabilité sont cumulatives, la Cour n'examinera pas la dernière condition de recevabilité prévue à l’article 40 du Règlement
19. Au vu de ce qui précède, la Cour déclare la requête irrecevable.
VII. Sur les frais de procédure
20. La Cour note que l'article 30 de son Règlement intérieur dispose qu’« [à] moins que la Cour n'en décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure ».
21. Compte tenu des circonstances de l'espèce, la Cour décide que chaque partie supportera ses frais de procédure.
7 Arrêt Be Ao c. Tanzanie (fond), para 140.
8 Requête No. 022/2015. Arrêt du 11 mai 2018 (compétence et recevabilité), Bb Aa c. République-Unie de Tanzanie, 2 RJ CA 373, para 48.
An c. Rwanda (compétence et recevabilité) (2019) 3 RICA 407 415
La Cour,
À l'unanimité :
|. Déclare qu'elle est compétente;
ii. Dit que les recours internes n’ont pas été épuisés ;
ii. Déclare la requête irrecevable;
iv. Dit que chaque partie supportera ses frais de procédure.
Opinion individuelle : BENSAOULA
1. ] e partage l'opinion de la majorité des juges quantà la compétence de la Cour et l'irrecevabilité de la requête.
2. En revanche je pense que la manière dont la Cour a traité « le défaut » va à l'encontre :
* des dispositions de l’article 55 du Règlement intérieur.
* de l’article 28 paragraphe 6 du Protocole.
* de sa jurisprudence et du droit comparé.
3. En effet, l’article 55 du Règlement dispose dans son paragraphe 1 que :
« Lorsqu'une partie ne se présente pas ou s’abstient de faire valoir ses moyens, la Cour peut, à la demande de l'autre partie, rendre un arrêt par défaut après s'être assurée que la partie défaillante a dument reçu notification de la requête et communication des autres pièces de la procédure ».
Il est clair qu'aux termes de ce paragraphe 1 de l’article 55 que la décision de rendre un arrêt par défaut doit répondre à certains critères :
* l'absence de l'une des parties ou
« l'abstention à faire valoir les moyens,
* la demande de l'autre partie,
« la notification à la partie défaillante de la requête,
* la communication des autres pièces de procédure.
4. L'élément essentiel dans ce paragraphe est que le défaut doit être prononcé « à la demande de l'autre partie ». Donc, rendre une décision sur le défaut ne peut être qu'une question de forme 416 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
certes, mais pas de procédure qui nécessite une discussion de fond quant à ses éléments d'appréciation et une assise légale. Or, Il ne ressort ni du dossier ni des demandes du requérant que celui-ci a sollicité la Cour de rendre un arrêt par défaut d'une part, et que la Cour a non seulement inséré sa décision de rendre l'arrêt par défaut dans le chapitre procédure devant la Cour, d'autre part.
5. Enplus, la Cour n'a donné aucune assise légale à cette décision de rendre l'arrêt par défaut sans la demande de l'autre partie se contentant de déclarer dans son paragraphe 15 « titre III, résumé de la procédure devant la Cour » que « le 12 octobre 2018, le greffe a porté à l'attention de l’État défendeur qu’au cours de sa 50ème session ordinaire la Cour a décidé de lui accorder un dernier délai supplémentaire de 45 jours et que passé ce délai elle statuerait sur la requête par défaut conformément à l'article 55 du Règlement et ce dans l'intérêt de la justice …. » et de conclure dans son paragraphe 14 au même titre que « par conséquent, dans l'intérêt de la justice, la Cour rend le présent arrêt par défaut, conformément à l'article 55 du Règlement ».
6. Aucune référence aux fondements de « cet intérêt de la justice » ni en quoi rendre un arrêt par défaut était fondamental pour la Cour d'autant plus que ces arrêts ne sont pas susceptibles d'opposition ni d'appel ni comment une telle décision prise de son pouvoir discrétionnaire pouvait faire référence à l'article 55 du Règlement qui ne vise pas ce pouvoir discrétionnaire.
7. Plus encore la référence à l'arrêt Ingabiré n’est nullement une assise à cette décision du défaut car dans cet arrêt à aucun moment dans le corps de l'arrêt ni dans son dispositif il a été question d'un arrêt par défaut, aucune partie ne l'ayant demandé et que le chapitre (14) visé par cette référence déclare en ces termes « … par conséquent, dans l'intérêt de la justice la Cour examine la présente demande en réparation en l'absence de la réponse de l'état défendeur ».
8. Rendre un arrêt en l'absence du défendeur n’est en aucun cas la définition juridique du défaut qui répond, aux termes de l’article 55 suscité, à des conditions qui doivent être obligatoirement contrôlées par la Cour.
9. I est clair et, tel que mentionné plus haut, que l'arrêt par défaut doit répondre à certaines conditions et que la Cour est dans l'obligation d’asseoir toute décision qu’elle rend, à plus forte raisons quand c'est à l'encontre de dispositions claires d'un article du règlement.
Qu'en statuant de la sorte la Cour a enfreint les dispositions de l’article 28 paragraphe 6 du Protocole qui lui fait obligation de An c. Rwanda (compétence et recevabilité) (2019) 3 RICA 407 417
motiver ses arrêts.
[11.] En droit comparé, une jurisprudence abondante soutient ce raisonnement tel l'arrêt du 30 novembre 1987 : H.C/Belgique où la Cour européenne des droits de l'homme a reconnu pour la première fois le droit à la motivation des décisions juridictionnelles en ces termes : « cette imprécision même (imprécision de la notion légale de « circonstances exceptionnelles ») appelait une motivation adéquate des deux décisions litigieuses sur le point considéré. Or, elles se sont bornés à constater l'absence de pareilles circonstances sans expliquer en quoi celles qu’invoquait l'intéressé ne possédaient pas un caractère exceptionnel » (para 53) et dans l'arrêt du 16 décembre 1992 : Bf c/ la Grèce, la Cour a estimé que « l'obligation de motivation constitue une garantie minimale qui se limite à l'exigence d'une clarté suffisante des motifs sur lesquels les juges fondent leurs décisions ».
[12.] Dans son paragraphe 2, l’article 55 du Règlement spécifie clairement que « la Cour avant de faire droit aux prétentions de la partie comparante, c'est-à-dire à la demande de rendre l'arrêt par défaut, doit s'assurer non seulement qu'elle a compétence, mais également que la requête est recevable et que les conclusions sont fondées en fait et en droit ».
[13.]11 est incontestable que ce paragraphe 2 institue d'autres conditions qui orientent la Cour sur la forme et le fond de l'arrêt par défaut qu’elle rendra.
La Cour doit et avant toute chose :
* s'assurer qu'elle est non seulement compétente,
* mais également que la requête est recevable.
« et que les conclusions sont fondées en fait et en droit.
[14.] Il est incontestable donc que prendre la décision de rendre un arrêt par défaut nécessite une motivation claire et ne peut en aucun cas se suffire d’une ligne dans le chapitre procédure devant la Cour en faisant fi des conditions exigées par l’article 55 citées plus haut.
[15.] A mon humble avis, il ressort de la lecture de ce paragraphe 2 de l’article 55 que l'arrêt par défaut ne peut être rendu si la Cour :
« Déclare la requête irrecevable.
* Ou que les demandes ne sont pas fondées.
[16.] Il est clair qu'à la lecture de l'article susvisé que le défaut ne fait nullement parti de la procédure et qu'il reste une question de forme à laquelle la Cour doit répondre par rapport à sa compétence, la 418 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
recevabilité et le fondement des prétentions du requérant.
[17.JEt que même si la Cour opte pour user de son pouvoir discrétionnaire de se saisir d'office et de statuer par défaut elle ne peut le faire en considérant ce point de droit qui constitue un des éléments de la procédure et de se contenter d'asseoir sa décision sur l'intérêt de la justice sans préciser et expliquer en quoi rendre un arrêt par défaut est dans l'intérêt de la justice.
[18.] En droit comparé, nombreuses juridictions des droits de l'homme traitent la décision de défaut comme une décision de forme qui vient bien après la compétence et la recevabilité.
[19.JEn ne citant qu'une, rendue par la Cour de justice de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'ouest le 16 février 2016, arrêt No. ECW/CC]/J UGG/03/16, la Cour a dans son chapitre II! motifs de la décision, sous le paragraphe libellé « en la forme », après avoir traité la recevabilité de la requête et la compétence, a abordé la question du défaut à l'encontre de la République de Guinée pour après au fond abordé les allégations de violations des droits de l'homme.
[20.] Et par la suite dans son dispositif elle déclare « la Cour statuant publiquement, par défaut à l'encontre de la République de Guinée, en matière de violations des droits de l'homme, en premier et dernier ressort
En la forme … ».
[21.] En jugeant comme elle l'a fait, la Cour a rendu un arrêt dénué de tout fondement juridique et contraire aux dispositions des articles sus cités quant au défaut d'autant plus que cette disposition du défaut n'apparait pas non plus dans son dispositif.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 009/2017
Date de la décision : 04/07/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2023
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