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04/07/2019 | CADHP | N°007/2013

CADHP | Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 04 juillet 2019, 007/2013


Texte (pseudonymisé)
Bc c. Tanzanie (réparations)
Bc c. Tanzanie (réparations) (2019) (2019) 3 RICA 349 349
3 RJ CA 349 Requête 007/2013, Ae Bc c. R épublique-Unie de Tanzanie
Arrêt du 4 juillet 2019. Fait en anglais et en français, le texte anglais
faisant foi
uges ORE KIOKO, BEN ACHOUR MATUSSE MENGUE
MUKAMULISA, CHIZUMILA, BENSAOULA, TCHIKAYA et ANUKAM
S'est récusée en application de l'article 22 : ABOUD
Le requérant a déposé une demande de réparation à la suite de l'arrêt
sur le fond par lequel la Cour à conclu que l'État défendeur avait
violé les droits du requ

rant à la défense et à l'assistance judiciaire
gratuite. Le requérant a demandé à la Cour d'ord...

Bc c. Tanzanie (réparations)
Bc c. Tanzanie (réparations) (2019) (2019) 3 RICA 349 349
3 RJ CA 349 Requête 007/2013, Ae Bc c. R épublique-Unie de Tanzanie
Arrêt du 4 juillet 2019. Fait en anglais et en français, le texte anglais
faisant foi
uges ORE KIOKO, BEN ACHOUR MATUSSE MENGUE
MUKAMULISA, CHIZUMILA, BENSAOULA, TCHIKAYA et ANUKAM
S'est récusée en application de l'article 22 : ABOUD
Le requérant a déposé une demande de réparation à la suite de l'arrêt
sur le fond par lequel la Cour à conclu que l'État défendeur avait
violé les droits du requérant à la défense et à l'assistance judiciaire
gratuite. Le requérant a demandé à la Cour d'ordonner sa remise en
liberté, moral, d'ordonner d'accorder à des l'Etat dommages-intérêts défendeur de garantir pour f réjudices non-répétition matériel de et la
violation de ses droits et la publication de l'arrêt. La Cour a accordé des
dommages-intérêts pour préjudice moral au requérant, à sa femme et à
son fils, et a ordonné à l'Etat défendeur de publier l'arrêt. Elle a rejeté
les demandes de réparation faites par le requérant au titre du préjudice
matériel, des frais de justice, du préjudice subi par d'autres victimes
indirectes et la remise en liberté.
Réparations (dommages-intérêts pour préjudice matériel 35, 36
dommages-intérêts pour préjudice moral, 45-47 victimes indirectes
62-64 ; remise en liberté, 68 ; non-répétition, 72-73 ; rapport d’exécution
74 ; publication de l'arrêt, 79 ; frais de justice, 86)
Objet de la requête
1. La demande de réparations a été introduite par M. Ae Bb Bc Cci-après désigné « le requérant ») contre la République-Unie de Tanzanie (ci-après désignée « l'État défendeur »), en application de l'arrêt sur le fond rendu par la Cour le 3 juin 2016. Dans cet arrêt, la Cour a conclu que l'État défendeur avait violé l’article 7 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après désignée « la Charte ») et l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après désigné « le PIDCP »), relativement :
i Au droit allégué du requérant de se défendre et de bénéficier de l’assistance d’un avocat au moment de son arrestation ;
Il Au droit du requérant d'obtenir l'assistance judiciaire gratuite au cours de la procédure judiciaire
Hl Au droit du requérant de disposer promptement des pièces du dossier pour lui permettre de se défendre
IV. Au droit du requérant de voir son moyen de défense basé sur le fait que le Procureur devant le tribunal de district aurait été dans une 350
2.
3.
Il
4.
5.
6.
7.
RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
situation de conflit d'intérêt par rapport à la victime du vol à main armée, considéré par le juge
Au droit du requérant de ne pas être condamné sur la base du témoignage incohérent d'un seul témoin et en l'absence de toute parade d'’identification ; et
VI Au droit du requérant de voir sa défense d'alibi prise sérieusement en considération par la police et les autorités judiciaires de l'Etat défendeur.!
Ayant constaté ces violations la Cour a ordonné à l'État défendeur de prendre toutes les mesures appropriées dans un délai raisonnable, pour remédier aux violations constatées, à l'exclusion de la réouverture du procès, et d'informer la Cour, dans un délai de six mois à partir de la date de l'arrêt, des mesures ainsi prises
Conformément à l'article 63 du Règlement, la Cour a ordonné au requérant de déposer son mémoire sur les réparations dans les trente (30) jours suivant le jugement du 3 juin 2016 et à l'Etat défendeur son mémoire en réponse dans les trente (30) jours suivant la réception du mémoire du requérant.
Historique de l’affaire
L'arrêtsusmentionné, rendu par la Cour le 3 juin 2016, se rapporte au fond de la requête introduite par le requérantle 8 octobre 2013 dans laquelle il allègue que son droit à un procès équitable a été violé par l'État défendeur au cours de son procès devant les juridictions internes à l'issue duquel il a été reconnu coupable de vol à main armée et condamné à trente (30) ans de réclusion
Procédure
Le 6 juin 2016, le greffe a transmis aux parties une copie certifiée conforme de l'arrêt sur le fond
Les parties ont déposé leurs mémoires sur les réparations dans les délais fixés par la Cour.
La procédure écrite a été clôturée le 28 septembre 2018 et les parties en ont été dûment informées
Requête No. 007/2013. Arrêt du 3 juin 2016 (fond), Ae Bc c. République-Unie de Tanzanie (ci-après désigné « Ae Bc c. Tanzanie » (fond)), para 242 (ix).
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IV. Mesures demandées par les parties
A. Mesures demandées par le requérant
Le requérant demande à la Cour de lui accorder les réparations ci-après :
« i. Les sommes indiquées aux paragraphes 63 à 68 [de la demande de réparations] ;
ï. Une ordonnance enjoignant à l'État défendeur de remettre le requérant en liberté, car il purge actuellement une peine contraire à
ii. L'application du principe de proportionnalité lorsque la Cour statuera sur les montants des réparations à octroyer ;
iv. Une ordonnance enjoignant à l'État défendeur de prendre des mesures de garantie de non-répétition des violations subies par le requérant. Ordonner également à l'État défendeur de lui faire rapport tous les six mois jusqu'à la mise en œuvre complète des ordonnances qui serontrendues à l'issue de l'examen de la demande de réparations ;
v. Une ordonnance enjoignant à l'État défendeur, de publier dans le journal officiel l'arrêt de la Cour du 3 juin 2016, en anglais et en swahili, à titre de mesure de satisfaction ;
vi. L'octroi de toute autre réparation que la Cour estime nécessaire ».
Aux paragraphes 63 à 68 de ses observations sur les réparations, le requérant demande à la Cour de lui accorder des réparations pécuniaires, comme suit :
« a. Pour le préjudice moral qu'il a subi, le requérant demande à la Cour de lui octroyer deux cent soixante et un mille cent onze (261 111) dollars des États-Unis américains, à titre de réparation, pour avoir été emprisonné pendant dix-neuf ans (19) et sept (7) mois.
b. Pour la perte de revenus, le requérant demande à la Cour de lui octroyer six cent cinquante-deux mille sept cent soixante-dix-huit (652 778) dollars américains, à titre de réparation.
c. Pour les frais de justice, le requérant demande à la Cour de lui octroyer une réparation pour les honoraires d'avocat comme suit: frais d'assistance judiciaire pour 400 heures de travail juridique, dont 300 heures pour deux conseils assistants et 100 heures pour le conseil principal, à raison de deux cents (200) dollars américains par heure pour le conseil principal et cent cinquante (150) dollars américains pour les conseils assistants, soit un total de vingt mille (20 000) dollars américains pour le conseil principal et quarante-cinq mille (45 000) dollars américains pour les deux conseils assistants. d. Pour le préjudice moral subi par les victimes indirectes, le requérant demande à la Cour d’octroyer des réparations à ses proches comme 352 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
suit :
i. Six cent cinquante-deux mille sept cent soixante-dix-huit (652 778) dollars américains à son épouse, Be Bm Ae ;
ii. Trois cent quatre-vingt-onze mille six cent soixante-sept (391 667) dollars américains à son fils Aq Ae ;
ii. Deux cent soixante-et-un mille cent onze (261 111) dollars américains à sa sœur Bd Ab ;
iv. Deux cent soixante-et-un mille cent onze (261 111) dollars américains à sa sœur Aj Ap ;
v. Deux cent soixante-et-un mille cent onze (261 111) dollars américains, à son frère cadet At Bc ;
vi. Deux cent soixante-et-un mille cent onze (261 111) dollars américains à son neveu Aa Ac.
e. Pour les autres dépenses engagées, à savoir pour le transport, l'affranchissement, et les articles de papeterie, le requérant demande à la Cour d'ordonner à l'État défendeur le remboursement total de ces frais, qui s'élèvent à mille trois cent quatre-vingt-dix-neuf (1 399 dollars américains, ventilés comme suit :
i. Affranchissement - dix-sept (17) dollars américains ;
il. Impression et photocopie - deux cent soixante-deux (262) dollars américains ;
ii. Déplacements à destination et en provenance de la prison de Karanga - mille cent vingt (1 120) dollars américains. »
B. Mesures demandées par l’État défendeur
10. Dans son mémoire en réponse, l'État défendeur rejette les observations du requérant sur les réparations et demande à la Cour ce qui suit :
« i. Dire que l'arrêt de la Cour du 3 juin 2016 constitue une réparation suffisante des griefs exposés dans la demande de réparation du requérant ;
ii. Ordonner au requérant de soumettre à la Cour et à l’État défendeur les éléments de preuve pour justifier le montant total demandé ;
iii. Dire que les demandes de remboursement des honoraires de l'avocat du requérant doivent se conformer au barème du montant de l'assistance judiciaire établi par la Cour, tant pour la requête principale que pour la requête subséquente aux fins de réparations ; iv. Rejeter la demande de remise en liberté du requérant ;
v. Dire que la demande de remise en liberté du requérant est un outrage à l’égard de l'arrêt de la Cour africaine ;
vi. Dire qu’il n’y a pas eu de violation flagrante du droit international des droits de l'homme et du droit international humanitaire ;
vil. Dire que le requérant n’a pas droit aux réparations ;
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viii. Rejeter la demande de réparation du requérant dans son entièreté avec dépens ;
ix. Et que justice serait faite ;
x. Étant donné que toutes les violations alléguées ont été commises avant le dépôt par la Tanzanie de sa déclaration acceptant les requêtes émanant d'individus, la Cour ne peut pas ordonner la réparation des actes commis avant le 29 mars 2010 ».
Sur l’exception d'incompétence
11. L'État défendeur soulève une exception d'incompétence de la Cour et conteste sa compétence pour ordonner des réparations, en faisant valoir que « la Cour africaine n'a pas compétence pour octroyer des réparations au requérant pour des actes ou des violations qui se sont produits avant le dépôt par la Tanzanie de sa déclaration acceptant la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes introduites par des individus et des organisations non gouvernementales ».
12. L'État défendeur soutient que le dernier jugement rendu par une juridiction nationale datait du 5 octobre 2004 et que la Tanzanie a déposé la déclaration le 29 mars 2010, ce qui signifie que la Cour n’est pas habilitée à ordonner des réparations pour des actes commis avantle 29 mars 2010.
13. Dans son mémoire en réplique, le requérant demande à la Cour de rejeter cette exception préliminaire, faisant valoir que l’article 52(2) du Règlement intérieur de la Cour prescrit le moment où les exceptions préliminaires doivent être soulevées.
14. Le requérant soutient en outre que le fait de soulever une exception préliminaire après le prononcé de l'arrêt dans une affaire est superflu et constitue une perte de temps. || affirme également que la violation alléguée est de nature continue et qu’en conséquence, l'État est lié par le dépôt de sa déclaration, ce qui confère ainsi à la Cour la compétence en l'espèce et le pouvoir d’ordonner des réparations.
15. L'article 27(1) du Protocole dispose que : « Lorsqu'elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris le paiement d'une juste compensation ou 354 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
l'octroi d'une réparation ».
16. La Cour a établi sa compétence dans l'arrêt rendu sur le fond de la requête, dans lequel elle constate la violation des articles 7 de la Charte et 14 du PIDCP.? La Cour estime que sa compétence s'étend aussi à la partie de la requête relative aux réparations car il s'agit des mêmes parties et des mêmes faits. La Cour considère que lorsqu'elle constate une violation, elle est habilitée, par le Protocole, à décider des réparations à accorder au requérant.
17. En conséquence, la Cour conclut qu'elle est compétente pour rendre une décision sur les réparations dans la présente requête et rejette l'exception soulevée par l'État défendeur à ce sujet.
VI. Sur les réparations
18. L'article 27(1) du Protocole dispose que : « Lorsqu'elle estime qu'il y a eu violation d'un droit de l'homme ou des peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste compensation ou l'octroi d'une réparation ».
19. La Cour rappelle ses précédents arrêts * et réitère sa conclusion selon laquelle « pour examiner les demandes en réparation des préjudices résultants des violations des droits de l'homme, elle tient compte du principe selon lequel l'État reconnu auteur d’un fait internationalement illicite a l'obligation de réparer intégralement les conséquences de manière à couvrir l'ensemble des dommages subis par la victime ».*
20. La Cour réitère également que, l'objectif de la réparation étant la restitution intégrale, elle « doit, autant que possible, effacer toutes les conséquences de l'acte illicite et rétablir l'état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n'avait pas été commis ».° 21. Les mesures qu'un État doit prendre pour réparer une violation des droits de l'homme comprennent la restitution, l'indemnisation,
2 Ae Bc c. Tanzanie (fond), paras 233 et 242 (xili).
3 Nos on equête ert c. Bf No. Al 013/2011. et Faso autres Arrêt c. Al du 5 juin Faso 2015 (ci- après 20 (réparations), Requête désigné No. « Ayants-droit Ak Bf de Arrêt feu et du 3 juin 2016 (réparations), (réparations) Lohé Issa »), Bg para c. ; Al Ar, (ci- 004/2013, après désigné « Bg AG Al Ar (réparations) »), para 15.
4 Requête No. 003/2014. Arrêt du 7 décembre 2018 (réparations), Ao Ba Ai c. République du Rwanda (ci-après désigné « Ao Ba c. Rwanda (réparations)»), paras 20-22.
5 CPJI, Usine de Chorzôw, Bj c. Pologne, (compétence) (demande d indemnisation) (fond) 26 juillet 1927, 16 décembre 1927 et 13 septembre 1928,
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la réadaptation de la victime, les mesures de satisfaction et les mesures propres à garantir la non répétition des violations, compte tenu des circonstances de chaque affaire.°
22. La Cour rappelle également, pour ce qui concerne la question du préjudice matériel, qu'il doit exister un lien de causalité entre la violation alléguée et le préjudice causé et que la charge de la preuve incombe au requérant qui doit fournir les preuves justificatives de ses réclamations.’ L'exception à cette règle est que la charge de la preuve peut être transférée à l'État défendeur si la violation constatée est à l'origine d'une présomption de préjudice moral causé au requérant.
23. Le requéranta demandé son indemnisation en dollars américains. En règle générale, les dommages et intérêts doivent être, dans la mesure du possible, accordés dans la monnaie dans laquelle la perte a été subie.” La Cour déterminera le quantum des réparations et la monnaie dans laquelle elles seront payées en veillant à l'équité et à ce que le requérant ne subisse pas les effets négatifs des fluctuations inhérentes aux activités financières.
24, La Cour note que la demande du requérant en vue du paiement de la compensation en dollars américains n’est pas justifiée. La Cour relève que le requérant est un ressortissant tanzanien résidant dans ce pays où la violation a été commise et que l'État défendeur est la République-Unie de Tanzanie dont la monnaie officielle est le shilling tanzanien; pour cela, la Cour octroiera les montants de la réparation en shillings tanzaniens.
25. Le requérant a demandé des réparations pécuniaires pour (a) préjudice matériel, (b) préjudice moral subi par lui-même et les victimes indirectes et, enfin, des réparations non-pécuniaires par (a) sa remise en liberté, (b) des garanties de non-répétition et (c) des mesures de satisfaction.
Ao Ba c. Rwanda (réparations), para 20.
Bg c Al Ar (réparations), para 15 ; Ak Bf et autres c. Al (Réparations), Faso (réparations) Révérend paras 20-30 Christopher ; Requête R. Au A 011/2011. c. République-Unie Décision du de 13 j juin Tanzanie 2014 (ci-après désignée « Am Au AG Aw (réparations) »), paras 27, 28 et40.
Ao Ba c. Rwanda (réparations), para 45.
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A. Réparations pécuniaires
i. Préjudice matériel - Perte de revenus et du projet de vie
26. Le requérant fait valoir que, même si l'arrêt du 3 juin 2016 constitue une forme de réparation, la Cour devrait envisager de lui octroyer une compensation financière pour les pertes subies, sur la base du principe de l'équité.
27. À cet égard, le requérant affirme qu’il était un homme d'affaires et qu’il soutenait financièrement son épouse, son fils, ses parents, ses frères et ses sœurs. Il affirme en outre qu’il a tout perdu suite à son emprisonnement et que, s'il était remis en liberté, il ne disposerait d'aucune source de revenu. Il se fonde sur la jurisprudence de la Cour interaméricaine dans l'affaire Aloeboetoe c. Suriname° pour étayer son argument concernant l'octroi de réparations pour la perte de revenus.
28. Le requérant affirme également que son projet de vie a été perturbé et qu'il n'a pas été en mesure de réaliser ses projets et ses objectifs en raison de son arrestation, son procès et son emprisonnement. Il cite la Cour interaméricaine dans l'affaire Z c. Pérou!° pour étayer l'argument selon lequel il a droit à une réparation pour la perte de son projet de vie.
29. Le requérant demande donc à la Cour de lui octroyer le montant de six cent cinquante-deux mille sept cent soixante-dix-huit (652 778) dollars américains à titre de réparation pour la perte de ses revenus et de son projet de vie.
30. L'État défendeur conteste les observations du requérant et soutient que celui-ci a été mis en accusation, jugé, déclaré coupable et condamné en raison d'actes criminels. En outre, sa condamnation a été prononcée selon les procédures réglementaires et conformément aux lois en vigueur en
31. L'État défendeur soutient en outre que le requérant a subi une perte de revenus du fait de ses propres actes car il voulait gagner de l'argent rapidement sans vraiment travailler. || ajoute que son projet de vie a été perturbé à cause des actes criminels qu'il a commis et qui ont par ailleurs bouleversé la vie des victimes du
9 Cour interaméricaine des droits de l'homme (CIADH), affaire Aloeboetoe et al. c. Suriname, arrêt du 10 septembre 1993, (réparations et dépens), para 68.
10 CIADH, arrêt du 17 septembre 1997, Z c. Pérou, para 150.
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vol à main armée qui ont subi un grave préjudice et un profond traumatisme, du fait de ses actes.
32. La Cour rappelle sa conclusion dans l’affaire Bf, selon laquelle « conformément au droit international, pour qu’une réparation soit due, il faut qu'il y ait un lien de causalité entre le fait illicite établi
33. La Cour rappelle également sa jurisprudence établie dans l'affaire Au dans laquelle elle a tiré la conclusion suivante :
«Il ne suffit pas d’établir que l’État défendeur a enfreint des dispositions de la Charte, il faut également fournir la preuve du préjudice dont le requérant demande au Défendeur de fournir la compensation. En principe, une violation de la Charte ne suffit pas en elle-même pour établir un préjudice matériel ».
34. La Cour note que les affirmations du requérant selon lesquelles il était un homme d’affaires avant son arrestation et sa condamnation ne sont pas étayées par des preuves. Elle rappelle également que dans son arrêt sur le fond, elle avait relevé que rien dans le dossier du requérant ne prouvait qu'il avait un revenu régulier avant son arrestation.'* || ressort également des observations du requérant que le fait qu’il n’ait pas bénéficié d’une assistance judiciaire gratuite de la part de l’État défendeur était dû à une discrimination fondée sur son état de pauvreté.
35. La Cour estime donc que le requérant, n'ayant aucune source de revenu régulier, n’a pas fourni de preuve pour justifier sa demande d'indemnisation s’élevant à six cent cinquante-deux mille sept cent soixante-dix-huit (652 778,00) dollars américains, pour le préjudice matériel dû à la perte de revenus et de son projet de vie.
36. Au vu de ce qui précède, la Cour estime qu'il n'existe pas de raison valable de faire droit à ces prétentions. Cette demande
11 Ak Bf et autres c. Al Ar (réparations), para 24.
12 Christopher R. Au AG Aw (réparations), para 31
13 Ae Bc c. Tanzanie (fond), para 143.
358 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
relative au préjudice matériel est donc rejetée.
a. Préjudice moral subi par le requérant
37. Dans sa déclaration sous serment, le requérant affirme qu’il a été soumis à une souffrance émotionnelle, physique et financière à cause des procédures judiciaires, de son emprisonnement et de son incapacité à exercer ses droits conjugaux auprès de son épouse. || affirme également qu’il a perdu son statut social au sein de sa communauté, ce qui a été source d'embarras pour lui, car il est dorénavant perçu comme un criminel et non plus comme un homme d'affaires crédible.
38. Le requérant affirme également que son état de santé s’est considérablement détérioré et qu’il souffre aujourd’hui de problèmes, dont entre autres, un bras cassé, une baisse de la vue, des hémorroïdes, des fissures anales et des maladies de la peau.
39. Le requérant demande à la Cour d'appliquer le principe de l'équité et de prendre en compte la gravité de la violation ainsi que l'impact qu’elle a eu sur sa personne, dans le calcul du montant des dommages moraux. Il demande également à la Cour de tenir compte de la durée de son emprisonnement et d'octroyer des réparations qui vont au moins atténuer les souffrances subies. En se référant à la décision de la Cour dans l'affaire Bg,!* dans laquelle la Cour a octroyé la somme de vingt mille (20 000) dollars américains au titre du préjudice moral subi pour avoir passé dix- huit (18) mois en prison, le requérant est d'avis qu'il a subi un préjudice plus grave et que la durée de son emprisonnement, à savoir dix-neuf (19) ans et sept (7) mois, est aussi nettement plus longue que celle du requérant dans l'affaire Bg.
40. En conséquence, le requérant demande à la Cour de lui octroyer la somme de deux cent soixante-et-un mille cent onze (261 111) dollars américains, à titre de compensation pour le préjudice moral subi en tant que victime directe.
41. L'Étatdéfendeur réfute ces allégations etsoutient que le requérant souffrait de problèmes de santé avant même son incarcération et qu'il n'existe aucun élément de preuve démontrant que s'il n'avait pas été emprisonné, il ne serait pas tombé malade. || soutient
14 Bg AG Al Ar (réparations), para 60(v).
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également que le requérant a perdu son statut social du fait du vol à main armée qu'il a commis.
42. L'État défendeur soutient en outre que ce sont les actes criminels commis par le requérant qui lui ont causé une souffrance émotionnelle et qu'un procès est nécessairement éprouvant. Selon lui, l’État ne peut cependant pas renoncer à poursuivre des personnes accusées de crimes par crainte de leur causer des souffrances émotionnelles. L'État défendeur fait également valoir que la perte de contact avec ses proches est un problème personnel qui n'a aucun lien avec la loi et que ses proches avaient la possibilité de lui rendre visite en prison. Par ailleurs, le fait qu'il n'ait pas pu exercer ses droits conjugaux auprès de son épouse est dû à son emprisonnement, qui est le résultat des actes criminels de vol à main armée qu'il a commis et pour lesquels il a été condamné à une peine d'emprisonnement.
43. La Cour rappelle qu'il y a présomption de préjudice moral subi par le requérant dès lors qu’elle a constaté la violation des droits de celui-ci et qu'il n'a donc plus besoin de prouver l'existence d’un lien entre le tort causé et le préjudice."
44. En outre, la Cour a également jugé que l'évaluation des montants à octroyer au titre du préjudice moral devait être faite en toute équité et en tenant compte des circonstances de l’espèce.!° Dans de tels cas, la norme générale applicable est d'attribuer des
45. La Cour note en l'espèce que la demande de réparation du préjudice moral du requérant résulte de la décision de la Cour selon laquelle l'État défendeur a violé son droit à un procès équitable et son droit à la défense.
46. Cependant, la Cour estime que le montant demandé par le requérant à titre de compensation pour préjudice moral, soit deux cent soixante et un mille cent onze (261 111) dollars américains,
15 Ak Bf c. Al Ar (réparations), para 61 ; Ao Ba c. Rwanda, para 59.
16 Ibid, para 61.
17 Ibid, para 62.
360 et RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
est excessif.
47. À la lumière de ces considérations et sur la base de l'équité, la Cour estime que le requérant a droit à compensation pour le préjudice moral subi et lui accorde deux millions (2 000 000) de b. Préjudice moral subi par les victimes indirectes
48. S'appuyant sur la décision rendue par la Cour dans l'affaire Bf, le requérant demande des réparations en faveur de ses proches parents en tant que victimes indirectes, comme suit :
« i. Six cent cinquante-deux mille sept cent soixante-dix-huit (652 778) dollars américains pour son épouse, Be Bm Ae ;
ii. Trois cent quatre-vingt-onze mille six cent soixante-sept (391 667) dollars américains pour son fils Aq Ae ;
ii. Deux cent soixante-et-un mille cent onze (261 111) dollars américains pour sa sœur Bd Ab ;
iv. Deux cent soixante-et-un mille cent onze (261 111) dollars américains pour sa sœur Aj Ap ;
v. Deux cent soixante-et-un mille cent onze (261 111) dollars américains, pour son frère cadet At Bc ;
vi. Deux cent soixante-et-un mille cent onze (261 111) dollars américains pour son neveu Aa Ac. »
49. Le requérant demande à la Cour de tenir compte du fait que son fils était âgé de deux ans à peine au moment de son arrestation, et qu'il n’a jamais eu la possibilité d'être élevé par un père et d’avoir une bonne éducation en raison de l'incarcération de son père. Il ajoute que son épouse a également souffert de son incarcération car elle a été privée de la compagnie de son meilleur ami, son confident et sa seule source de revenus. Elle a dû s'occuper de leur fils toute seule. Le requérant affirme également qu’elle a fait l'objet de stigmatisation et subi un traumatisme émotionnel, mental, physique et une perte financière du fait d’avoir un époux incarcéré.
50. Le requérant soutient encore que ses parents ont eux aussi souffert de l'absence de leur fils. || fait valoir qu’ils ont connu des souffrances émotionnelles, physiques et mentales du fait de son emprisonnement. Son père est décédé de tuberculose pulmonaire d’'hypertension en 2003 et sa mère s’est battue pour survivre malgré cette stigmatisation sociale due au fait d’avoir un fils qui est un criminel incarcéré. Elle est décédée en 2015 après s'être battue pour trouver de quoi se nourrir.
51. Selon le requérant, ses frère et sœurs, At Bc, Bd Ab et Aj Ap, ont souffert et continuent de Bc c. Tanzanie (réparations) (2019) 3 RICA 349 361
souffrir des effets de son incarcération. Il affirme qu’ils ont dû effectuer des déplacements à plusieurs reprises pour lui rendre visite dans les prisons où il était incarcéré, ce qui leur a causé un préjudice financier et des souffrances mentales, émotionnelles et physiques. Ses frères et sœurs ont dû aussi prendre à leur charge ses dépenses lorsqu'il était en prison, notamment l'achat de médicaments et des autres produits de première nécessité. Ils ont également dû subvenir aux besoins de son épouse et de son fils, en raison de son absence.
52. Le requérant soutient en outre que son neveu Aa Ac a, lui aussi droit à une compensation, étant donné qu'avant son incarcération, il était son unique soutien financier. Il fait également valoir que son neveu Aa a dû faire face à de nombreuses difficultés après son arrestation, et qu’il a perdu un soutien financier, un modèle et l'assistance que lui apportait son oncle. Il a aussi fait l'objet de stigmatisation du fait qu'il était le proche parent d’un criminel.
53. Le requérant demande que, pour évaluer le préjudice moral, la Cour applique le principe de l'équité et prenne en compte la gravité de la violation ainsi que les conséquences qu'elle a eues sur les victimes indirectes.
54. L'État défendeur fait valoir que tout le préjudice que la famille du requérant a subi est la conséquence prévisible des crimes qu'il a commis. L'État défendeur soutient également que le requérant a été condamné par les juridictions compétentes et que ses recours en appel ont été entendus en Tanzanie. L'État défendeur ajoute que le requérant est responsable de sa séparation d'avec son épouse et ses proches et qu'il s'agit d’un problème personnel et non juridique.
55. Toujours selon l’État défendeur, la compensation pour le préjudice subi par les victimes indirectes ne peut être calculée étant donné que le requérant n'est pas en mesure d'évaluer le degré de souffrance car il a affirmé qu’il n’a pas eu de contacts avec eux durant son incarcération et que leur accorder une compensation équivaudrait à enrichir injustement le requérant.
56. L'État défendeur conteste également la filiation du requérant avec ceux qu'il présente comme ses proches, au motif que celui-ci n'a produit aucun élément de preuve établissant qu'il est le père d'Ibrahim Ae et il n’a fourni aucun acte de mariage attestant qu'il est marié à Be Ae. || n'a pas non plus fourni d’acte de naissance pour prouver sa filiation avec ses frères et sœurs ainsi que son neveu, toutes les personnes qu'il a mentionnées en tant que victimes indirectes. L'État défendeur affirme également que les cartes d'identité nationale 362 et RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
ne constituent pas une preuve de leur filiation avec le requérant que celui-ci n'a apporté aucune preuve pour étayer le préjudice allégué.
57. L'État défendeur soutient en outre que le décès des parents du requérant ne peut pas être lié à son incarcération dans la mesure où son père est décédé d'une tuberculose pulmonaire et que sa mère est décédée quinze (15) ans après son incarcération.
58. En conséquence, l'État défendeur demande à la Cour de rejeter la demande de réparation du préjudice moral subi par les victimes indirectes.
59. S'agissant du préjudice moral subi par les proches parents du requérant, la Cour a conclu que l'appréciation de la réparation pour le préjudice moral subi par les proches d’un requérant se fera au cas par cas, en fonction des circonstances de chaque affaire." En l'espèce, la Cour estime que l'épouse, l'enfant et les parents du requérant sont ses proches parents et ce sont eux qui auraient souffert émotionnellement et mentalement de son
60. Cependant, la Cour ne peut accorder une réparation aux proches en question pour le préjudice moral qu'ils ont subi que si une preuve est fournie pour établir la filiation entre le requérant et les personnes indiquées. La Cour rappelle également que le statut de victime doit être établi pour justifier l’octroi de la réparation.”° 61. La Cour rappelle qu'un acte de mariage ou tout autre document équivalent est une preuve suffisante du mariage et qu>un acte de naissance ou tout autre document équivalent suffit pour prouver la filiation entre un enfant et un requérant. Dans le même ordre d'idées, « les pères et mères de victimes directes ne doivent produire qu'une attestation de paternité ou de maternité ainsi
18 Ak Bf et autres c. Al Ar (réparations), op. cit, para 49.
19 Ao Ba c. Rwanda (réparations), op. cit., para 66.
20 Requête No 0241/2015. Arrêt du 7 décembre 2018 (fond et réparations), Bk Af c. République-Unie de Tanzanie (ci-après désigné « Bk Af c. Tanzanie (fond et réparations) »), para 182. Ak Bf et autres c. Al Ar (réparations), op. cit, paras 45-54.
Bc c. Tanzanie (réparations) (2019) 3 RICA 349 363
qu’un certificat de vie ou toute autre preuve équivalente ».?!
62. La Cour fait observer que le requérant n'a fourni aucun acte officiel de mariage attestant qu’il est marié à Be Ah Ag. Elle relève toutefois l'existence de mariages de fait, lorsqu'un couple est légalement considéré comme marié, sans avoir officiellement enregistré sa relation comme étant un mariage civil ou religieux. Les lois de l'État défendeur sur le mariage prévoient la présomption de mariage lorsqu'il y a eu cohabitation entre un homme et une femme et elles reconnaissent aussi que le non- enregistrement d’un mariage ne compromet pas la validité de cette union.” Par ailleurs, une telle présomption est d'autant renforcée que dans l'acte de naissance de leur fils, Be Ah Ag est désignée comme mère d'Ibrahim Ae dont le requérant est le père, établissant ainsi un lien clair entre lui et Be Ah Ag. La Cour décide donc que Be Ah Ag a droit à réparation du préjudice moral subi en tant que victime indirecte et lui accorde un million cinq cent mille (1 500 000) shillings tanzaniens à ce titre.
63. En ce qui concerne la demande du requérant relative au préjudice moral subi par son fils, Aq Ax Ad, la Cour note que le requérant a étayé sa demande par un acte de naissance qui est une pièce officielle établissant qu’il est le père du garçon. Compte tenu de ce qui précède, la Cour décide qu'Ibrahim Ax Ad a droit à une réparation du préjudice moral subi en tant que victime indirecte et lui accorde un million (1 000 000) de shillings tanzaniens à ce titre.
64. La Cour relève, en ce qui concerne les frères et sœurs ainsi que le neveu du requérant, que celui-ci n'a présenté aucun document officiel attestant de sa consanguinité, ni aucune preuve de leurs liens par la naissance ou le sang. Les cartes d'identité nationales et les actes de naissance joints à l'appui de sa demande ne prouvent pas la filiation avec le requérant, ces documents attestant uniquement de leur identité. Sa demande de réparation du préjudice moral causé à son frère, ses sœurs ainsi qu'à ses neveux, à savoir At Bn Ad, Aj Ap, J udith Nelson et Aa Ac Ad n’est donc pas justifiée et est rejetée.
21 Ak Bf et autres c. Al Ar (réparations), op.cit., para 54.
22 Aux termes des articles 41(f) et 160(1) de la Loi sur le mariage en Tanzanie (1971) l'absence d'enregistrement d'un mariage ne compromet ni sa validité, ni la présomption de mariage lorsqu'un homme et une femme ont vécu ensemble pendant deux ans ou plus.
364 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
B. Réparations non pécuniaires
i. Remise en liberté du requérant
65. Dans ses observations, le requérant affirme qu’il ne peut certes pas revenir à l'état où il se trouvait avant son incarcération, mais que sa liberté peut être rétablie comme deuxième meilleure mesure, compte tenu des circonstances. Il fonde sa demande sur la décision de la Commission africaine dans les affaires B et An Ay for Av Bl.*
66. L'État défendeur réfute les arguments du requérant et affirme que celui-ci a été condamné à une peine d'emprisonnement par les tribunaux tanzaniens compétents, pour avoir commis des actes criminels qui constituaient une violation des articles 285 et 286 du Code pénal, de l’article 26 de la Constitution de l'État défendeur et des articles 27 et 28 de la Charte africaine.
67. En outre, l'État défendeur soutient que l'incarcération du requérant était « légale, appropriée et conforme à la loi », raison pour laquelle, dans son arrêt sur le fond, la Cour de céans n'a pas fait droit à sa demande de remise en liberté.
68. La Cour note que, le 13 novembre 2019, le représentant du requérant (UPA) a adressé une correspondance à la Cour pour l'informer que le requérant avait été remis en liberté depuis le 28 juillet 2017, après avoir purgé sa peine. Par conséquent, la Cour rejette cette demande.
ii. Garanties de non-répétition et rapport sur la mise en œuvre
69. Le requérant demande à la Cour d'ordonner à l'État défendeur
23 Communication No. 279/03-296/05, Organisation soudanaise des droits de l'homme et Centre pour le droit au logement et contre les expulsions (B) c. Soudan, 27 mai 2009.
24 Communication No. 334/06, An Ay for Av Bl et Bi c. République arabe d'Égypte, 1 mars 2011, para 233(VI).
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de garantir la non-répétition de la violation de ses droits et de faire rapport à la Cour tous les six mois, jusqu'à la mise en œuvre complète, des mesures que la Cour rendra dans son arrêt sur les réparations.
70. L'État défendeur conteste fermement la demande du requérant concernant une ordonnance relative aux garanties de non- répétition, affirmant que c’est une demande « intenable, maladroite, sans fondement et mal conçue ». L'État défendeur conteste également la demande du requérant d’enjoindre à l'État défendeur de faire rapport à la Cour tous les six mois, affirmant qu’elle est irrecevable, car le requérant « demande à l'État défendeur de faire rapport à la Cour sur des ordonnances jamais accordées ».
71. La Cour rappelle que les garanties de non-répétition s'appliquent généralement en cas de violations systémiques. Toutefois, ce type de réparation n'est pertinent que dans des cas individuels où la violation n'a pas cessé, est susceptible de se reproduire ou est de nature structurelle.
72, Étant donné que le requérant a été condamné à l'issue d'une procédure pénale, la Cour n'estime pas nécessaire de rendre une ordonnance de non-répétition des violations des droits du requérant, dans la mesure où il n'existe aucune possibilité que de telles violations se reproduisent.”
73. La Cour note également que dans son rapport déposé le 3 janvier 2017 sur l'exécution de l'arrêtsurle fond, l’État défendeur l'a informé du projet de loi sur l'assistance judiciaire, qui vise à mettre en place un cadre général pour l'assistance judiciaire en faveur des justiciables indigents, tant en matière civile que pénale. Le projet de loi sur l'assistance judiciaire a été adopté par le Parlement de l’État défendeur le 21 février 2017 et publié dans le Journal officiel en mars 2017. La publication de cette
25 Bk Af c. Tanzanie (fond et réparations), para 191 ; Ak Bf et autres c. Al Ar (réparations), paras 103-106.
26 Bk Af c, Tanzanie (fond et réparations), para 191 ; et Bh Am Az Au AG Aw (réparations), para 43.
27 Bk Af c. Tanzanie (fond et réparations), para 191 et 192.
366 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
loi constitue donc une mesure qui garantit la non-répétition des cas dans lesquels les justiciables indigents ne bénéficient pas d'assistance judiciaire. La demande est donc rejetée.
74. En ce qui concerne la demande d’enjoindre à l'État défendeur de faire rapport sur la mise en œuvre de l'arrêt, la Cour note qu’une telle ordonnance est consubstantielle à ses arrêts. Cependant, elle réitère l'obligation incombant à l’État défendeur en vertu de l'article 30 du Protocole et enjoint à l'État défendeur de prendre les mesures appropriées pour mettre en œuvre l'arrêt sur les réparations et en faire rapport à la Cour.
ii. Mesures de satisfaction
75. Le requérant demande à la Cour d'enjoindre à bÉtat défendeur de publier l>arrêt du 3 juin 2016 dans le Journal officiel de la R épublique-Unie de Tanzanie, en anglais et en swahili, à titre de mesure de satisfaction.
76. L'État défendeur soutient qu'il n'est pas nécessaire de publier la décision de la Cour. Il ajoute qu'il n'est pas possible de publier une décision de soixante-quatorze (74) pages dans le J ournal officiel.
77. S'agissant de la publication de l'arrêt qu’elle a rendu, la Cour rappelle sa décision dans l'affaire Bf, dans laquelle elle à relevé que la publication des décisions des juridictions internationales des droits de l'homme comme mesure de satisfaction était de pratique courante.?* La Cour rappelle également son arrêt dans l'affaire Au, dans laquelle elle a décidé, de sa propre initiative, d’ordonner la publication de ses décisions à titre de mesure de
78. La Cour estime que même si un arrêt peut constituer une forme de réparation, elle peut toutefois ordonner d’autres formes de réparations qu'elle juge appropriées, y compris la publication de l'arrêt. La publication constitue un outil de sensibilisation accrue
28 Ak Bf et autres c. Al Ar (réparations), op. cit, para 98.
29 Christopher R. Au AG Aw, para 45 et 46(5).
Bc c. Tanzanie (réparations) (2019) 3 RICA 349 367
du public aux décisions de la Cour.
79. Cependant, tout en tenant compte de l'argument de l'État défendeur, qui a affirmé qu’il serait impossible de publier un arrêt de soixante-quatorze (74) pages dans le Journal officiel, la Cour décide que l'État défendeur doit recourir aux nouvelles technologies pour diffuser les arrêts sur le fond, y compris, suo motu, le présent arrêt sur les réparations, sur les sites internet des services judiciaires et du ministère des affaires constitutionnelles et juridiques de l'État défendeur et garantir son accessibilité pendant un (1) an, au moins, après sa date de publication.
VII. Sur les frais de procédure
80. Aux termes de l’article 30 du Règlement « À moins que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure. »
81. La Cour rappelle que, conformément à ses arrêts précédents, la réparation peut comprendre le paiement de frais de procédure et autres dépenses encourues dans le cadre des procédures internationales.’ Néanmoins, le requérant doit justifier les
A. Frais de procédure devant la Cour de céans
82. En se référant à la décision de la Cour dans l'affaire Bf,” dans laquelle la Cour a estimé que les réparations octroyées aux victimes peuvent comprendre le remboursement des honoraires d'avocats, le requérant demande à la Cour de lui accorder des réparations au titre des frais de procédure devant la Cour, comme suit :
« i. Honoraires d'avocat pour cent (100) heures de travail facturés en dollars américains, à raison de deux cents (200) dollars américains l'heure pour le conseil principal, soit un total de vingt mille (20 000) dollars américains ;
ii. Honoraires d'avocat pour trois cent (300) heures de travail facturés en dollars américains, à raison de cent cinquante (150) dollars américains l'heure pour deux conseils assistants, soit un total de quarante-cinq mille (45 000) dollars américains. »
30 Voir Ak Bf et autres c. Al Ar (réparations), paras 79-93 ; et Bh Am Az Au AG Aw (réparations), para 39.
31 Ak Bf et autres c. Al Ar (réparations), para 81 ; et Bh Az Au AG Aw (réparations), para 40.
32 Ak Bf et autres c. Al Ar (réparations), op. cit., para 79.
368 et RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
83. L'État défendeur conteste les réclamations du requérant concernant la compensation pour les honoraires d'avocat, faisant valoir que le requérant a bénéficié de l'assistance judiciaire de la Cour après avoir déposé une demande à cet effet. || n’a donc pas engagé de conseil lui-même et de ce fait, il n'a pas encouru de frais de procédure devant la Cour de céans.
84. Toujours selon l'État défendeur, l’Union panafricaine des avocats (UPA) a accepté de représenter le requérant et le montant réclamé au titre des frais de procédure est exagéré. Par ailleurs, les deux conseils assistants dont les noms n'ont pas été indiqués qui sont mentionnés dans la requête sont une idée après coup, étant donné que durant la procédure, le requérant n'a mentionné qu’un seul nom, celui du conseil qui l'a représenté, à savoir Maître Donald Deya.
85. La Cour rappelle que, dans l'affaire Bf, elle a conclu que : « la réparation due aux victimes des violations des droits de l'homme peut également inclure le remboursement des honoraires
86. La Cour note qu'en l'espèce, l'avocat de l'Union panafricaine des avocats (UPA) a représenté le requérant devant la Cour à titre gracieux, dans le cadre du Programme d'assistance judiciaire actuel de la Cour.* La Cour estime donc qu'il n'y a aucune base pour faire droit à la demande relative aux honoraires d'avocat concernant l'UPA et rejette cette demande en conséquence.
B. Autres frais encourus devant la Cour de céans
87. Se fondant sur l’affaire Bf dans laquelle la Cour a estimé que la réparation peut également inclure le remboursement des frais de déplacement et de séjour, le requérant demande à la Cour de lui octroyer des réparations au titre des dépenses engagées par ses conseils pour le transport, les articles de papeterie et
33 Ak Bf et autres c. Al Ar (réparations), para 79.
34 À la demande de la Cour, l'Union panafricaine des avocats a accepté de représenter le requérant à titre gracieux.
35 Ak Bf et autres c. Al Ar (réparations), para 91.
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d'autres frais, représentant un montant total de mille trois cent quatre-vingt-dix-neuf (1 399) dollars américains, ventilé comme suit, les reçus justificatifs produits à l’appui :
i. Affranchissement - dix-sept (17) dollars américains ;
ii. Impression et photocopie - deux cent soixante-deux (262) dollars
ii. Transport à destination et en provenance de la prison de Karanga- mille cent vingt (1 120) dollars américains.
88. L'État défendeur conteste les réclamations du requérant relatives aux frais engagés, faisant valoir que le requérant a bénéficié d’une assistance judiciaire de la Cour et qu'en conséquence, le conseil qui l'a représenté à titre gracieux n'a pas droit à une compensation pour d’autres frais.
89. L'État défendeur soutient que le requérant n'a pas demandé l'octroi d’une compensation pour les frais encourus dans sa requête sur le fond. || ajoute qu'il n'y a pas lieu de payer des frais d'affranchissement dans la mesure où le conseil du requérant habite à Arusha, que la Cour a pris en charge tous les frais
versée par la Cour est suffisante pour couvrir tous les frais encourus, sans oublier que son conseil réside à As.
90. La Cour rappelle sa position dans l'affaire Au, dans laquelle elle a conclu que : « les frais et les dépens font partie du concept de ‘réparation’. Toutefois, le requérant doit fournir la justification des sommes réclamées ».
91. La Cour estime que les frais liés au transport, à l’affranchissement, à l'achat des articles de papeterie font partie des « catégories de dépenses qui seront supportées » par le Programme d'assistance judiciaire actuel de la Cour au titre duquel l'UPA a représenté le requérant.”
92. La Cour note toutefois que le montant réclamé par le requérant et les reçus présentés à l'appui des demandes dépassentle montant
36 Am Au AG Aw (réparations), para 40 ; Ak Bf et autres c. Al Ar (réparations), para 81.
37 Programme d'assistance judiciaire de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples 2013-2014, 2015-2016 et à partir de 2017.
370 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 3 (2019)
accordé par la Cour à titre symbolique au conseil qui a représenté le requérant devant elle, pour couvrir ses dépenses.* Elle estime que, dans ces circonstances, ces frais d’un montant de trois-cent quatre-vingt-dix-neuf (399) dollars américains devraient être pris en charge par le Programme d'assistance judiciaire de la Cour et non par l'État défendeur.
93. Sur la base des considérations qui précèdent, la Cour décide que chaque Partie supportera ses frais de procédure.
La Cour,
À l'unanimité :
Sur l'exception d'incompétence
ii Rejette l'exception d'incompétence soulevée par l'État défendeur ;
i. Se déclare compétente ;
Sur les réparations pécuniaires
ii. Rejette la demande de réparations du requérant pour la perte de revenus et de son projet de vie ;
iv. Rejette la demande du requérant relative à la réparation du préjudice moral subi par ses frères et sœurs, At Bn Ad, Aj Ap, J udith Nelson, et son neveu, Aa Ac Ad ;
v. Fait droit à la demande de réparation du requérant pour le préjudice moral subi par lui ainsi que les victimes indirectes, et leur accorde une indemnisation comme suit :
a. deux millions (2 000 000) de shillings tanzaniens au requérant;
b. un million cinq cent mille (1 500 000) shillings tanzaniens à l'épouse du requérant, Be L. Ag ; et
c. un million (1 000 000) de shillings tanzaniens au fils du requérant, Aq Ax Ad.
vi. Ordonne à l'État défendeur de payer les montants indiqués aux alinéas (v)(a)(b) et (c), en franchise d'impôts, dans un délai de six (6) mois, à partir de la date de notification du présent arrêt, faute de quoi il paiera également des intérêts moratoires calculés sur la base du taux applicable fixé par la Banque Centrale de la
38 Dans le cadre du Programme d'assistance judiciaire, la somme symbolique de mille (1 000) dollars américains est versée au conseil qui est désigné pour représenter les requérants.
Bc c. Tanzanie (réparations) (2019) 3 RJCA 349 371
République-Unie de Tanzanie, pendant toute la période de retard de paiement et jusqu’au paiement intégral des sommes dues ;
Sur les réparations non pécuniaires
vi. Rejette la demande du requérant visant sa remise en liberté, devenue sans objet ;
vil. Rejette la demande du requérant relative aux garanties de non- répétition des violations constatées ;
ix. Ordonne à lÉtat défendeur de publier le présent arrêt sur les réparations et l'arrêt de la Cour du 3 juin 2016 sur le fond dans un délai de trois (3) mois et à compter de la date de notification du présent arrêt, sur les sites Internet officiels des services judiciaires et du ministère des Affaires constitutionnelles et juridiques, à titre de mesure de satisfaction, et de maintenir son accessibilité pendant au moins un (1) an.
Sur la mise en œuvre et les rapports
x. Ordonne à lÉtat défendeur de faire rapport dans un délai de six (6) mois à compter de la date de notification du présent arrêt sur les mesures prises pour le mettre en œuvre et, par la suite, tous les six (6) mois jusqu>à ce que la Cour estime quil a été intégralement exécuté ;
Sur les frais de procédure
xi. Rejette la demande du requérant relative aux honoraires d'avocat, aux frais et autres dépenses encourues dans le cadre de la procédure devant la Cour ;
xii. Dit que chaque partie supportera ses frais de procédure.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 007/2013
Date de la décision : 04/07/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2023
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