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24/11/2017 | CADHP | N°003/2014

CADHP | Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 24 novembre 2017, 003/2014


Texte (pseudonymisé)
Xv Z… c. Rwanda (fond) (2017) 2 RICA 171
AG Ap c. Rwanda (fond) (2017) 2 RICA 171
Requête 003/2014, AG B c. République du Rwanda
Arrêt, 24 novembre 2017. Fait en anglais et en français, le texte
français faisant foi.
Juges ORÉ, KIOKO, NIYUNGEKO, RAMADHANI, TAMBALA,
GUISSÉ, BEN ACHOUR et BOSSA
La requérante, dirigeante d'un parti politique, a été condamnée pour
discours ayant minimisé le génocide rwandais. Elle a demandé à la
Cour d'abroger certaines lois, d’ordonner le réexamen de l'affaire,
d'annuler les décisions prises à son encontre, de

la remettre en liberté
et de condamner l’État défendeur au paiement des réparations et des
dépens. ...

Xv Z… c. Rwanda (fond) (2017) 2 RICA 171
AG Ap c. Rwanda (fond) (2017) 2 RICA 171
Requête 003/2014, AG B c. République du Rwanda
Arrêt, 24 novembre 2017. Fait en anglais et en français, le texte
français faisant foi.
Juges ORÉ, KIOKO, NIYUNGEKO, RAMADHANI, TAMBALA,
GUISSÉ, BEN ACHOUR et BOSSA
La requérante, dirigeante d'un parti politique, a été condamnée pour
discours ayant minimisé le génocide rwandais. Elle a demandé à la
Cour d'abroger certaines lois, d’ordonner le réexamen de l'affaire,
d'annuler les décisions prises à son encontre, de la remettre en liberté
et de condamner l’État défendeur au paiement des réparations et des
dépens. La Cour a estimé qu'il existait des versions contradictoires de
l’un des discours et qu’une autre version ne violait manifestement pas
la loi. Un autre discours a été qualifié de critique politique. Selon la
Cour, sa condamnation n’était donc ni nécessaire ni proportionnelle et
viole le droit à la liberté d'expression. La Cour a estimé qu’elle n'avait
pas le pouvoir d’abroger une loi et qu’il n’y avait pas de circonstances
exceptionnelles et impérieuses pouvant justifier d’ordonner sa remise
en liberté.
Recevabilité (épuisement des recours internes, recours extraordinaire,
70, 72)
Procès équitable (présomption d’innocence, 83, 84 ; défense, 94-98 ;
non-rétroactivité, 116)
Expression (importance, limitations, 132, 139 ; conformes au droit
international des droits de l'homme, 135 ; intérêt légitime, 140, 146 ;
nécessité et proportionnalité, 141-143, 147, 161 versions
contradictoires du discours, 156 discours ne violant pas
manifestement la loi, 158 les critiques politiques devraient être
permises, 160)
Redressement (abrogation de la législation nationale, 166 ; remise en
I Les parties
1 La requête est déposée par Mme AG B (ci- après dénommée «la requérante»), en vertu des articles 5(3) et 34(6) du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après dénommé « le Protocole »).
2. La requête est introduite contre la République du Rwanda (ci- après dénommée « l’État défendeur »). Il est devenu partie à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après dénommée
«la Charte») le 21 octobre 1986, au Protocole le 25 mai 2004 et au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après dénommé « le PIDCP ») le 23 mars 1976. L'État défendeur a déposé la déclaration prévue à l'article 34(6) du Protocole le 22 janvier 2016 et le 29 février 2016 il a notifié la Commission de l'Union africaine de son intention de retirer ladite déclaration.
Il. Objet de la requête
3. La présente requête fait suite aux jugements rendus le 30 octobre 2012 par la Haute Cour à Kigali dans l'affaire pénale N° (...) et le 13 décembre 2013 par la Cour suprême du Rwanda dans l'affaire pénale (...). La requête porte sur l'arrestation, la détention et les procédures judiciaires la concernant, à propos desquels elle allègue la violation de ses droits de l'homme et libertés fondamentales.
A Les faits de la cause
4, Le 3 octobre 2014, la requérante a saisi la Cour, affirmant qu'au début du génocide au Rwanda, en avril 1994, elle se trouvait aux Pays-Bas où elle poursuivait ses études universitaires en économie et gestion des affaires.
5. La requérante soutient qu'en 2000 elle a été portée à la tête d’un parti politique appelé le Rassemblement républicain pour la démocratie au Rwanda (RDR). Elle affirme que la fusion entre ce parti et deux autres partis d’opposition (l'ADR et le FRD) avait conduit à la création d’un nouveau parti politique, les Forces démocratiques Unifiées (FDU Inkingi), qu'elle dirige jusqu'à ce jour.
6. Elle affirme qu'en 2010, après près de dix-sept (17) ans passés à l'étranger, elle avait décidé de rentrer au Rwanda afin, selon ses propos, de contribuer à la construction de la nation. Parmi ses priorités figurait l'enregistrement du parti politique FDU Inkingi conformément à la loi rwandaise sur les partis politiques, ce qui lui aurait permis de faire connaître le parti politique au niveau national, en prévision des élections à venir.
7. La requérante soutient qu’elle n'a pas pu atteindre cet objectif car, dès le 10 février 2010, des accusations avaient été portées contre elle par la police judiciaire, le Procureur et les tribunaux de l'État défendeur.
8. Elle soutient également que le 21 avril 2010, elle avait été placée en détention provisoire par la police, accusée d'avoir commis les crimes ci-après :
1 Voir arrêt de la Cour du 3/6/2016 sur le retrait par l’État défendeur de la
déclaration qu'il avait faite en vertu de l'article 34(6) du Protocole.
« a. Crime [propagation de | idéologie du génocide, visé et puni par la loi N° 18/2008 du 23 juillet 2008 portant répression du crime d'idéologie du génocide ;
b. Soutien et concours au terrorisme, visé et sanctionné par la loi N° 45/2008 du 9 septembre 2008 relative à la répression de l'infraction de terrorisme ;
c. Sectarisme et divisionnisme, visé et réprimé par la loi N° 47/2001 du 18 décembre 2001 ; (sic) sectarisme et divisionnisme ;
d. Atteinte à la sécurité intérieure de l’État, diffusion de rumeurs susceptibles d'inciter la population à se soulever contre les pouvoirs publics et de monter les citoyens les uns contre les autres, visé et puni par la loi N° 21/77 du 18 août 1997 ; portant Code pénal et
e. Création de la branche armée d’un mouvement rebelle, une infraction réprimée par l’article 163 de la loi N° 21/77 du 18 août 1997; portant Code pénal et
f. Tentative de recours au terrorisme, à la force armée et à toute forme de violence en vue de déstabiliser le pouvoir établi et de violer les principes constitutionnels, des infractions réprimées par les articles 21, 22, 24 et 164 de la loi N° 21/77 du 18 août 1997, portant Code pénal ».
B. …Violations alléguées
9. Sur la base de ce qui précède, la requérante allègue la
violation de certaines dispositions des instruments suivants :
«a. Articles 1, 7, 10, 11, 18 et 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme;
b. Articles 3, 7 et 9 de la Charte ; et
c. Articles 7, 14, 15, 18 et 19 du PIDCP ».
IN. Procédure au niveau national telle que présentée par la requérante
10. Selon la requérante, en date du 10 février 2010, elle a reçu une convocation lui enjoignant de se présenter sans délai devant un officier de la Police judiciaire du Criminal Ao Ai (CID). Elle affirme qu’elle était accusée de soutien et de concours au terrorisme, crime prévu et réprimé par l’article 12 de la loi N° 45/2008 du 9 septembre 2008, portant répression de l'infraction de terrorisme. Elle fait valoir que les allégations étaient « centrées exclusivement sur des contacts qu’elle aurait eus avec certains transfuges des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), en vue de la création d’une branche armée proche d'un parti politique dénommé Forces démocratiques unifiées, dont elle assume la présidence ». Elle affirme également avoir été accusée de « propagation du crime d’idéologie du génocide, de sectarisme et de divisionnisme ».
11. La requérante soutient en outre que le 21 avril 2010, elle avait été arrêtée et placée en garde à vue puis déféré devant un Juge près le Tribunal de Grande Instance de Gasabo
« pour produire ses moyens de défense sur une requête diligentée par l’Organe de la loi près cette juridiction, par laquelle ce dernier sollicitait sa mise en détention provisoire, aux motifs qu’il existerait des indices sérieux de culpabilité, graves et concordants pouvant laisser croire que la requérante aurait commis les infractions de complicité de terrorisme et d'idéologie du génocide telles qu’énoncées plus haut ».
12. La requérante affirme encore qu'en son audience publique du 22 avril 2010, le Tribunal de Grande Instance de Gasabo a rendu une ordonnance de mise en liberté provisoire, assortie de certaines conditions, telle la confiscation de son passeport, l'interdiction de quitter la ville de Kigali sans autorisation, se présenter deux fois par mois devant l’Organe national des poursuites judiciaires (ONPJ) ». Mais, le 14 octobre 2010, elle a été à nouveau arrêtée et conduite à la Direction générale du CID, où il lui a été une fois de plus imputé des actes terroristes, crime prévu et réprimé par l'article 12 de la loi N° 45/2008 du 9 septembre 2008.
13. L'État défendeur n'a pas contesté les faits présentés par la requérante.
B. Devant la Haute Cour
14 Toujours selon la requérante, elle était poursuivie devant la Haute Cour pour les infractions énumérées au paragraphe 8 ci- dessus. Elle soutient par ailleurs l'affaire devait être entendue le 16 mai 2011 et, le jour de l'audience, il a été procédé à la jonction l'instance avec l'affaire État du Ak c. N. T. Am et H. N, avant de renvoyer l'affaire au 20 juin 2011.
15. La requérante déclare que le 20 juin 2011, l'affaire a été à nouveau renvoyée au 5 septembre 2011 et que le 5 septembre 2011, elle a déploré « diverses exactions caractérisées par des fouilles systématiques à son endroit, orchestrées par les services de sécurité ». Selon elle,
« cette situation fera l’objet d’une vive protestation devant la Haute Cour qui, par arrêt avant dire droit, va considérer que lesdits services avaient la latitude de procéder aux fouilles de toutes les personnes présentes dans la salle d'audience, y compris les conseils de la défense ».
16. Elle soutient qu’un appel a été formé contre cette décision de la Haute Cour, mais « conformément à la législation rwandaise en la matière, l'examen de ce recours devait attendre que le fond soit vidé
17. La requérante affirme avoir soulevé, le 26 septembre 2011, in limine litis « plusieurs exceptions tirées de la violation par l'acte d'accusation de certains principes tels que la légalité des délits et des peines, la non rétroactivité et l'incompétence, etc. ». La requérante soutient en outre que par lettre datée du 27 septembre 2011, adressée au Président de la Haute Cour, avec ampliations à la Présidente de la Cour suprême, au Procureur général de la République et au Bâtonnier, elle a informé « toutes ces institutions sur la gravité de cette situation ».
18. Selon la requérante, « par arrêt avant dire droit rendu le 13 octobre 2011, la Haute Cour a rejeté systématiquement toutes les exceptions et demandes ». Elle affirme que :
« à partir de ce moment-là, le siège a procédé à l'examen du fond du litige ne s'en tenant rien qu'aux arguments du Ministère public et des prévenus qui avaient opté pour le plaidoyer de culpabilité. À chaque fois que la défense entreprenait d'interroger ces prévenus afin de ressortir le caractère mensonger de leurs déclarations et dénoncer leur collusion avec le Ministère Public et les services de sécurité, elle était rappelée à l’ordre par la Présidente du siège, qui en réalité se comportait non pas en juge, mais plutôt en organe des poursuites. C’est dans cette atmosphère empreinte de méfiance et de suspicion, qu’intervint l'audition du témoin à charge Ab C.…».
19. Toujours selon la requérante, « par exploit de citation à témoin initié à la requête du Greffier en chef près la Haute Cour, … le nommé Ab C… a été invité à comparaître par devant cette juridiction siégeant en matières répressives à l'audience publique du 11 avril 2012 comme témoin à charge ». Les avocats de la défense ont pu poser des questions à ce témoin en vue d'obtenir des éclaircissements et selon la requérante,
« à toutes ces questions, le témoin a apporté des réponses claires, concises et précises remettant ainsi en cause toute l’ossature des accusations du Ministère public, étalant au grand jour toute la mascarade et le scénario qui avaient été orchestrés sur la base des déclarations mensongères du prévenu De F..., de connivence avec le Parquet et divers autres services ».
20. La requérante affirme qu'après avoir constaté que sa stratégie jusque-là fondée sur les déclarations des prévenus De F..., N. T. Ket le Parquet avait été battue en brèche par le témoin, le Ministère public, pris de panique, « a entrepris d’intimider le témoin en recourant à des subterfuges et des manœuvres d'intimidation ». Elle allègue que :
« à l’insu du siège et de la défense, le Ministère public a alors ordonné aux services de la prison de procéder à la fouille des effets du témoin en son absence. Dans la soirée du 11 avril 2012, il fut interrogé sur le témoignage fait à la Cour ».
21. La requérante affirme encore qu'à l'audience publique du 12 avril 2012,
« le Ministère public va se fonder sur cette fouille manifestement illégale pour prétexter avoir découvert des documents soi-disant compromettants pour la défense. De l'examen du contenu de ce procès-verbal, Il est ressorti ce qui suit : i) « l’interrogatoire s'est tenu en dehors des heures légales requises ; ii) le témoin n'était pas assisté d’un conseil de son choix ; iii) l’interrogatoire a porté sur des déclarations faites par le témoin dans la matinée devant la Cour ».
22. Toujours selon la requérante :
« la défense a tenté vainement de protester devant la Cour contre ces pratiques, mais elle était chaque fois invectivée et interrompue sèchement par la Présidente du siège. Ces actes ont entamé considérablement le caractère équitable du procès et influé sur la décision prise par la requérante de quitter le procès ».
23. La requérante fait valoir que le 30 octobre 2012, la Haute Cour a rendu un arrêt dans lequel elle :
«i. reçoit la requête de l'Organe national des poursuites judiciaires et la déclare partiellement fondée…
ii. dit pour droit que AG B. est coupable du chef des infractions de complot en vue de porter atteinte au pouvoir établi et aux principes constitutionnels en recourant au terrorisme et à la force armée tels qu'ils sont punis par laloi N° 21/1977 portant Code pénal ; dit également que Madame AG B est coupable du chef de l'infraction de minimisation du génocide prévu et réprimé par l'article 4 de la loi N° 6/09/2003 portant répression du génocide, du crime contre l'humanité et du crime de guerre ;
iii. la condamne de ce chef à huit (8) ans de servitude pénale principale ».
24. La requérante soutient que la Haute Cour, dans son jugement, a précisé que tout recours en appel « devait être formé dans un délai de 30 jours courant à partir de la date du jugement ».
25. La Cour constate que l’État défendeur n’a pas contesté les faits présentés par la requérant.
C. Requête devant la Cour suprême
26. Alors que l'affaire était toujours pendante devant la Haute Cour, la requérante a introduit, le 16 mai 2012, devant la Cour suprême siégeant en matière constitutionnelle, une requête aux fins d’abrogation des articles 2 à 9 de la loi N° 18/2018 du 23 juillet 2008 réprimant le crime de l'idéologie du génocide, ainsi que de l'article 4 de la loi N° 33bis/2003 du 6 septembre 2003, qui réprime le crime de génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre, au motif que ces dispositions étaient incompatibles avec les articles 20, 33 et 34 de la Constitution de la République du Rwanda du 4 juin 2003 telle que modifiée et amendée à ce jour.
27. — Selon la requérante :
« ces dispositions législatives ont été formulées en des termes inintelligibles et ambigus susceptibles de semer la confusion et de donner lieu à des décisions arbitraires pouvant aller jusqu'à de graves violations des droits fondamentaux des individus consacrés par la Constitution, notamment en ce qui concerne la liberté de s'exprimer sur le génocide survenu au Rwanda. En outre, ces dispositions se prêtent à plusieurs interprétations ».
28. Dans son arrêt rendu le 18 octobre 2012, la Cour suprême :
« i. déclare irrecevable comme sans objet la demande de AG B. tendant à l'annulation de l’article 4 de la loi N° 33 bis/2003 du 6 septembre 2003 réprimant le crime d'idéologie du génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre ;
ii. déclare irrecevable comme sans objet la demande de AG B. tendant à l'annulation des articles 4 à 9 de la loi N° 18/2008 du 23 juillet portant répression du crime d’idéologie du génocide ; iii. déclare recevable la demande de AG Z… tendant à l'annulation des articles 2 et 3 de la loi N° 18/2008 du 23 juillet portant répression du crime de l'idéologie du génocide, mais la juge non fondée. »
D. Pourvoi devant la Cour suprême
29. — Suite à l’arrêt rendu par la Haute Cour le 30 octobre 2012, tant la requérante que l’État défendeur ont formé un pourvoi devant la Cour suprême du Rwanda.
30. Le Ministère public a soutenu, notamment, (i) qu’il n’était pas satisfait, du fait que la requérante n'avait pas été déclarée coupable du crime de création d’un groupe armé en vue de mener des attaques,
(ii) que la requérante avait été acquittée du chef de propagation intentionnelle de rumeurs dans l'intention d'inciter la population à se soulever contre les autorités publiques, pour n'avoir pas tenu compte de la législation en vigueur à l'époque et (iii) que la peine prononcée à l'encontre de la requérante pour les crimes dont elle avait été reconnue coupable était extrêmement réduite au vu de la gravité des crimes en question.
31. Pour sa part, la requérante avait fait valoir en appel que la Haute Cour n'avait pas pris en considération les questions préliminaires soulevées par son avocat et que la procédure en première instance n'avait pas respecté les principes fondamentaux d’un procès équitable et qu'elle avait même été condamnée pour des crimes qu'elle n'avait pas commis.
32. La requérante affirme que la Cour suprême, dans son arrêt du 13 décembre 2013, l'a « reconnue coupable d'entente en vue de porter atteinte au gouvernement et à la Constitution par des actes de terrorisme, de guerre et par d'autres moyens violents, y compris la minimisation du génocide et la diffusion de rumeurs en vue d'inciter la population à se soulever contre les autorités existantes ». Elle a été condamnée à 15 ans de réclusion par la Cour suprême.
33. La Cour constate que l’État défendeur n’a pas contesté les faits présentés par la requérante.
IV. Procédure devant la Cour de céans
34. Par lettre datée du 3 octobre 2014, la requérante a saisi la Cour de la requête, par l'intermédiaire de son avocat. La requête a été signifiée à l'État défendeur par lettre en date du 19 novembre 2014 et un délai de 60 jours lui a été fixé pour y répondre.
35. Par lettre du 6 février 2015, en application de l'article 35(2) et (3) du Règlement, la Cour a transmis la requête à l'Etat défendeur, à la Présidente de la Commission de l'Union africaine et, par son intermédiaire, au Conseil exécutif de l'Union africaine ainsi qu'aux Etats parties au Protocole.
36. Par lettre datée du 23 janvier 2015, l'État défendeur a transmis à la Cour sa réponse à la requête.
37. Par lettre du 9 juin 2015, la Commission nationale de lutte contre le génocide a demandé à la Cour l'autorisation d'intervenir en qualité d'amicus curiae en l'espèce et, le 10 juillet 2015, la Cour a fait droit à la demande.
38. Par lettre en date du 6 avril 2015, la requérante a déposé sa réplique à la réponse de l'Etat défendeur.
39. Le 7 octobre 2015, à sa trente-neuvième session ordinaire, la Cour a ordonné à l’État défendeur de déposer certains documents pertinents… ». L'Etat défendeur n’a pas répondu.
40. Par lettre en date du 4 janvier 2016, le Greffe a informé les parties de la tenue d’une audience publique le 4 mars 2016.
41. Par lettre datée du 1er mars 2016, l’État défendeur a notifié à la Cour le dépôt de l'instrument de retrait de la déclaration qu’il avait faite en vertu de l’article 34 (6) du Protocole. Dans sa lettre, l’État défendeur a précisé que la République du Rwanda demandait qu'après le dépôt dudit instrument de retrait, la Cour suspende toutes les affaires concernant le Rwanda jusqu'à ce qu’une révision de la Déclaration soit faite et notifiée à la Cour en temps opportun.
42. Par lettre du 3 mars 2016, le Conseiller juridique de la Commission de l'Union africaine ont notifié à la Cour le dépôt, par l’État défendeur, de l'instrument de retrait de la déclaration faite en vertu de l’article 34 (6) du Protocole, reçu à la Commission de l'Union africaine le 29 février 2016.
43. Lors de l'audience publique du 4 mars 2016, la requérante était représentée par M° Gatera Gashabana, avocat et le Dr Gh |... L'État défendeur n’a pas comparu à l'audience. La Cour a entendu les représentants de la requérante sur les questions de procédure qui demandaient à la Cour de:
« a. l'admission du mémoire de l’amicus curiae présenté par la Commission nationale de lutte contre le génocide ;
b. la facilitation de l'accès des représentants de la requérante à leur cliente ;
c. la facilitation de l’accès à la technologie de vidéoconférence pour permettre à la requérante de suivre la procédure en l'espèce devant la Cour ;
d. la mise en œuvre de l'ordonnance rendue par la Cour le 7 octobre 2015 relative au dépôt de documents pertinents ».
44. Dans une ordonnance rendue le 18 mars 2016, la Cour a décidé comme suit :
« a. Demande aux Parties de déposer leurs observations écrites sur les effets du retrait par l’État défendeur, de la déclaration faite en vertu de l’article 34 (6) du Protocole de la Cour, dans les quinze (15) jours suivant réception de la présente ordonnance. b. La décision de la Cour sur les effets du retrait par l’État défendeur de la déclaration qu'il avait faite en vertu de l’article 34 (6) du Protocole de la Cour sera rendue à une date ultérieure qui sera dûment notifiée aux Parties.
c. Demande à la requérante de déposer ses observations écrites sur les questions de procédure énoncées au paragraphe 14 ci- dessus, dans les quinze (15) jours suivant réception de la présente ordonnance ».
45. Le 3 juin 2016, la Cour a rendu un arrêt sur le retrait, par l'État défendeur, de la déclaration qu'il avait faite en vertu de l’article 34 (6) du Protocole. Dans cet arrêt, la Cour a décidé entre autres que « le retrait par l’État défendeur de sa déclaration n’a aucun effet sur la requête en l'espèce et la Cour est compétente pour continuer son examen ».
46. Le 22 mars 2017, une audience publique a été tenue pour recevoir les arguments sur la compétence, la recevabilité et le fond. La requérante était représentée par M° Gatera Gashabana et Dr. Gh |. L'État défendeur n'a pas comparu à l'audience.
47. Au cours de l'audience publique, les Juges de la Cour ont posé des questions aux représentants de la requérante et ils y ont répondu.
V. Mesures demandées par les parties
A. Mesures demandées par la requérante
48. La requérante demande qu'il plaise à la Cour de prendre les mesures suivantes :
« a. Abroger, avec effet rétroactif, les articles 116 et 463 de la loi organique N° 01/2012 du 2 mai 2012 relative au Code pénal ainsi que ceux de la loi N° 84/ 2013 du 28 octobre 2013 relative à la répression du crime d’idéologie du génocide ;
b. Ordonner la révision du procès ;
c. Annuler toutes les décisions qui ont été prises depuis l'instruction préliminaire jusqu’au prononcé du dernier arrêt ;
d. Ordonner la mise en liberté conditionnelle de la requérante ; et e. Ordonner le paiement des frais et de réparations ».
La requérante a réitéré ces demandes à l'audience publique du 22
mars 2017.
B. Mesures demandées par l’État défendeur
49. Dans sa réponse, l’État défendeur demande qu'il plaise à la
Cour de :
«a. Déclarer la requête vexatoire, fantaisiste et sans fondement ;
b. La rejeter avec dépens ».
VI. Compétence
50. Conformément à l’article 39(1) de son Règlement intérieur, la Cour procède à un examen préliminaire de sa compétence avant d'examiner la requête quant au fond.
A _ Exception d’incompétence matérielle de la Cour
51. L'État défendeur soutient que la requérante a saisi la cour de céans comme si celle-ci était une instance d'appel, car elle lui demande de modifier ou d'annuler les décisions des tribunaux de l’État défendeur et d'agir en lieu et place des institutions législatives et judiciaires de l'État défendeur. Selon l'État défendeur, « …la Cour africaine n’est ni une juridiction d'appel, ni un organe législatif doté du pouvoir d'annuler ou de réformer des décisions judiciaires et passer des lois à la place des assemblées législatives nationales ». Il ajoute à cet égard que « toute requête demandant à la Cour de poser de tels actes devrait être rejetée ».
52. Dans sa réplique à la réponse de l’État défendeur, la requérante soutient que l'argument de l’État défendeur ne correspond en rien à la réalité et qu’il ne peut résister à la moindre analyse sérieuse. Elle ajoute que la requête mentionne « les instruments juridiques relatifs aux droits de l'homme dûment ratifiés par l'État du Rwanda et qui ont été violés à diverses reprises ou simplement ignorés durant la procédure ». Elle réitère ce qui suit :
« il est manifeste que la Cour de céans n’a pas été saisie en tant que juridiction d’appel comme l’affirme à tort l’État défendeur, mais plutôt en tant que Cour chargée de trancher les multiples violations des droits de l’homme qui ont compromis la cause qui oppose la requérante à l’Autorité des poursuites respectivement devant la Haute Cour et devant la Cour suprême. »
53. Par ailleurs, concernant l’allégation de l’État défendeur selon laquelle la Cour de céans est saisie comme une juridiction d'appel, la Cour rappelle sa position affirmée dans l'arrêt E. F. M c.
République de Malawi,” dans laquelle elle a réaffirmé qu’elle n’était pas une instance d'appel en ce qui concerne les décisions rendues par les juridictions nationales. Cependant, elle a souligné dans l'arrêt du 20 novembre 2015 A. T c. République-Unie de Tanzanie, qu’elle a confirmé dans l'arrêt du 3 juin 2016 M. A c. République-Unie de Tanzanie, que cette situation ne l'empêche pas d'examiner si les procédures devant les juridictions nationales sont conformes aux normes internationales indiquées dans la Charte ou dans d’autres instruments des droits de l'homme auxquels l’État
2 Requête 001/2013, Décision sur la compétence du 15/3/2013, E. F. M c.
République du Malawi, paragraphe 14.
défendeur est partie.*
54. En conséquence, la Cour rejette l'exception soulevée par l'État défendeur tirée du fait que la Cour agirait en l'espèce comme une juridiction d'appel et dit qu’elle a la compétence matérielle pour connaître de l'espèce.
55. La Cour relève que sa compétence matérielle est garantie par l'article 3(1) du Protocole, qui dispose que la Cour est compétente pour connaitre « de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et l'application de la Charte, Protocole et tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme ratifié par les États concernés». En l'espèce, étant donné que la requérante allègue la violation de certains instruments internationaux auxquels l’État défendeur est partie, la Cour a la compétence matérielle pour connaitre de la présente affaire.
B. … Autres aspects de la compétence de la Cour
56. La Cour relève que sa compétence personnelle, temporelle et territoriale n’a pas été contestée par l'État défendeur et que rien dans le dossier n'indique qu’elle n'a pas la compétence en l'espèce. La Cour conclut en conséquence qu'elle :
i. a la compétence personnelle, compte tenu du fait que l'État défendeur est Partie au Protocole et qu’il a déposé la Déclaration exigée à l’article 34 (6), qui a permis à la requérante de saisir directement la Cour en application de l’article 5(3) du Protocole ;
ii. a la compétence temporelle, étant donné que les violations alléguées se poursuivent, vu que la requérante est toujours reconnue coupable, suite à une procédure qu’elle estime inéquitable ;
iii. a la compétence territoriale, les faits de la cause s'étant produits sur le territoire d’un État Partie au Protocole, à savoir l'État défendeur en l'espèce.
57. Sur la base de ce qui précède, la Cour conclut qu'elle est compétente pour connaître de l'espèce.
58. En vertu de l'article 39(1) du Règlement, « la Cour procède à un examen préliminaire [.….] des conditions de recevabilité de la requête
3 Requête 005/2013. Arrêt sur le fond du 20/11/2015, A. T c. République- Unie de Tanzanie (ci-après désigné « arrêt Alex Thomas »), paragraphe 130 ; requête 007/2013, arrêt sur le fond du 3/6/2006, M. A c. République-Unie de Tanzanie (ci-après désigné « arrêt M. À »), paragraphe 29.
telles que prévues par les articles 50 et 56 de la Charte et l’article 40 du présent Règlement ».
59. L'article 40 du Règlement qui reprend en substance les dispositions de l’article 56 de la Charte qui est libellé comme suit :
« En conformité avec les dispositions de l’article 56 de la Charte auxquelles renvoie l'article 6.2 du Protocole, pour être examinées, les requêtes doivent remplir les conditions ci-après :
1. Indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la Cour de garder l'anonymat ;
2. Être compatible avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la Charte ;
3. Ne pas contenir de termes outrageants ou insultants ;
4. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse ;
5. Être postérieures à l'épuisement des recours internes s'ils existent, à moins qu'il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
6. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa propre saisine ;
7. Ne pas concerner des cas qui ont été réglés conformément soit aux principes de la Charte des Nations Unies, soit de l’Acte constitutif de l'Union africaine et soit des dispositions de la Charte ou de tout autre instrument juridique de l'Union africaine ».
60. Bien que certaines des conditions ci-dessus ne font l’objet d'aucune contestation entre les Parties, l’État défendeur a soulevé une exception tirée du non-épuisement par la requérante alléguée des voies de recours internes en application de l’article 56(5) de la Charte et de l’article 40(5) du Règlement.
A. Exception tirée du non-respect des dispositions de l’article 56(5) de la Charte et de l’article 40(5) du Règlement
61. L'État défendeur soutient que la requérante n’a pas saisi la Cour suprême siégeant en matière constitutionnelle pour contester les dispositions des lois rwandaises qui, selon la requérante, sont incompatibles avec la Charte et les autres instruments internationaux pertinents. II soutient encore que la requérante conteste la conformité de la loi N° 33 bis du 6 septembre 2003 relative à la répression du génocide, des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre et que sa Constitution habilite la Cour suprême à connaître des requêtes visant à la révision des lois incompatibles avec la Constitution.
&. — L'État défendeur affirme en outre qu’en vertu de l’article 145 (3) de la Constitution du Rwanda du 3 juin 2003, « la Cour suprême est la juridiction compétente pour statuer sur les requêtes en révision de lois adoptées qui sont incompatibles avec la Constitution », tandis que l’article 53 de la Loi organique n°03/2012/OL du 13 juin 2012 portant organisation, fonctionnement et compétence de la Cour suprême confère à celle-ci, à la demande de tout requérant, la compétence pour
«annuler en tout ou en partie toute loi organique ou décret-loi pour non-conformité à la Constitution ».
6. L'État défendeur soutient encore qu’étant donné que la requérante allègue que la loi N° 33 bis du 6 septembre 2003 n'est pas conforme à la Constitution, « elle doit dès lors épuiser les recours internes disponibles à cette fin, à savoir introduire une requête en révision devant la Cour suprême siégeant en matière constitutionnelle… » L'État défendeur ajoute que « la requérante ne l'ayant pas fait, la requête est irrecevable, pour non-conformité avec les articles 56 (5) [de la Charte] et 40 du Règlement intérieur de la Cour ».
64. Toujours selon l'État défendeur, la requérante n'a pas saisi les juridictions compétentes pour exercer le contrôle judiciaire des décisions prises à son encontre. L'État défendeur fait valoir que l’article 78 de la Loi organique N° 03/2012/01 du 13/6/2012 prescrit que la Cour suprême est la seule juridiction compétente pour connaître des recours en révision contre une décision judiciaire définitive entachée d'injustice, tandis que l'article 81(2) précise les conditions d'examen des recours en révision contre une telle décision judiciaire définitive entachée d'injustice, notamment lorsqu'il existe des dispositions à cette fin et des preuves irréfutables dont le Juge n'a pas tenu compte pour rendre son jugement. L'État défendeur maintient que « la requérante n'a pas saisi la Cour suprême d'une requête en révision d’une décision qu'elle estime injuste, et que de ce fait, elle n'a pas rempli la condition énoncée aux articles 56 (6) de la Charte et 40 du Règlement intérieur ». Il invite donc la Cour à déclarer la requête irrecevable.
65. La requérante soutient que les juridictions de l'État défendeur ne sont pas habilitées à statuer sur les différends concernant l'interprétation et l'application de la Charte, du Protocole et d'autres instruments relatifs aux droits de l'homme. De l'avis de la requérante, « le droit positif rwandais n’a jamais mis en place des juridictions ou des tribunaux spéciaux compétents pour statuer sur les questions relatives aux droits de l'homme». Elle conclut à cet égard qu' « en l'absence de juridictions ou de tribunaux rwandais compétents pour connaître des affaires et des différends relatifs à l'interprétation et à l'application de la Charte, du Protocole et de tout autre instrument relatif aux droits de l'homme », l'argument portant sur la violation alléguée par la requérante de l’article 56 (5) de la Charte et l'article 40 (5) du Règlement sont dépourvus de tout fondement juridique et l'exception doit donc être déclarée « infondée ».
66. S'agissant de l'argument de l’État défendeur selon lequel la requérante n'a pas contesté la constitutionnalité de la loi N° 33 bis du 6 septembre 2003 devant la Cour suprême, la requérante soutient qu'« elle a déposé devant la Cour suprême une requête visant à contester la constitutionnalité de la loi N° 33 bis du 6 septembre 2003 réprimant le crime de génocide, le crime contre l'humanité et les crimes de guerre ». Pour étayer son argument, elle ajoute que l'affaire a été inscrite au rôle sous la référence N° RINST / PEN / 002/12 / CS, qu’elle été examinée et plaidée devant la Cour suprême en vue d’une décision sur le fond en audience publique le 19 juillet 2012 ». La requérante conclut qu'« à l’audience publique du 10 octobre 2012, la Cour suprême a rejeté la requête, l'ayant déclarée sans fondement » et que, selon la Cour suprême, la loi N° 33 bis du 6 septembre 2003 est clairement conforme à la Constitution».
67. Sur l’allégation de l’État défendeur selon laquelle la requérante n'a pas exercé le recours en révision judiciaire, la requérante soutient que «l’action intentée pour l'examen d’une décision judiciaire finale entachée d’injustice ne respecte ni les critères d'efficacité, de disponibilité et de satisfaction ni les autres critères exigés par la jurisprudence internationale ». Elle déclare à cet égard que conformément à l’article 79 de la Loi organique N° 03/2012 de juin 2012, seul l'Office de l'Ombudsman peut saisir la Cour suprême de requêtes aux fins de révision ; elle ajoute que le recours en révision judiciaire est assujetti au pouvoir discrétionnaire de l'Office de l’'Ombudsman, de l'Inspection générale des tribunaux et du Président de la Cour suprême et que ce recours peut se prolonger de manière injustifiée.
68. En ce qui concerne le recours en inconstitutionnalité, la Cour relève du dossier que la requérante a, saisi la Cour suprême du Rwanda, qui est la plus haute instance de l’État défendeur. Pour contester la constitutionnalité de la loi n° 33bis du 6 septembre 2003 sur la répression du génocide, des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre et la Cour suprême a rendu, le 18 octobre 2012, sa décision déclarant la requête sans fondement.
69. Pour ce qui est du recours en révision, la Cour note en outre qu’en vertu de l’article 81 de la loi organique n°03/2012 de juin 2012 sur l’organisation, le fonctionnement et la compétence de la Cour suprême, seules les requêtes en révision pour les motifs suivants peuvent être entendues :
« 1. lorsqu'il existe des preuves incontestables de corruption, de favoritisme ou de népotisme ayant motivé le jugement ou l'arrêt et qui étaient inconnues de la partie perdante au cours du procès 2. lorsque, au cours du jugement, le juge a ignoré des dispositions légales ou des preuves de façon flagrante ;
3. lorsque le jugement ou l'arrêt ne peut pas être exécuté compte tenu du libellé de son contenu. »
70. L'examen de ces motifs montre que le recours en révision n'aurait pas suffi à réparer les griefs de la requérante qui concernaient la violation substantielle alléguée de ses droits de l'homme et non pas seulement des allégations de partialité ou de vice de procédure. En outre, conformément à la Loi organique n°03/2012, qui régit les procédures de saisine de la Cour suprême de recours en révision des décisions définitives en raison d’injustice :
« L'Office de l'Ombudsman est seul compétent pour saisir la Cour suprême des recours en révision contre une décision judiciaire définitive
Lorsqu'il apparaît des preuves d'’injustice visées à l'article 81 de la présent Loi organique après que la décision judiciaire définitive ait été rendue, les parties à l'affaire peuvent en informer l'Office de
Lorsque l'Office de l’'Ombudsman constate que la décision judiciaire rendue est entachée d’injustice, il adresse une lettre au Président de la Cour suprême demandant que l'affaire soit jugée à nouveau. L'Office lui transmet un rapport à cet effet ainsi que les preuves de cette injustice ».
71. || ressort des dispositions ci-dessus que la qualité pour exercer un recours en révision est exclusivement dévolue à l'Ombudsman qui use à cet effet de son pouvoir discrétionnaire. Il revient donc à l'Ombudsman de déterminer s'il y a eu injustice ou non.
2 De l'avis de la Cour et compte tenu des circonstances de l'espèce, une requête en révision dans le système juridique rwandais est un recours extraordinaire ne constituerait pas un recours efficace et efficient que la requérante n'a pas exercé.”
73. _ À la lumière de ce qui précède, la Cour rejette l'exception de l'Etat défendeur et constate que la requête en l'espèce remplit les conditions de recevabilité prescrites par l'article 56 (5) de la Charte et l'article 40 (5) du Règlement.
B. Conformité à l’article 40(1), (2), (3), (4), (6) et (7) du Règlement
74. La Cour constate que la question du respect des alinéas (1),
4 Voir arrêta A. T, paragraphe 63 (2), (3), (4), (6) et (7) de l’article 40 du Règlement n’est pas contestée et que rien dans le dossier n'indique que ces dispositions n'ont pas été respectées. Par voie de conséquence, la Cour conclut que les exigences de ces alinéas ont été remplies.
75. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que la présente requête remplit toutes les conditions de recevabilité prescrites à l’article 56 de la Charte et à l’article 40 de son Règlement et déclare la requête recevable.
VIII. Sur le fond
76. La requérante allègue la violation des articles 3, 7 et 9 de la Charte ; des articles 7, 14, 15, 18 et 19 du PIDCP et des articles 7, 10, 11, 18 et 19 de la Déclaration universelle. Il ressort du dossier que les allégations de la requérante portent sur les droits à un procès équitable, à l'égalité devant la loi et à la liberté d'opinion et
77. || convient de préciser ici que bien que, dans sa requête, la requérante allègue la violation des articles 3 de la Charte et des articles 7 et 18 du PIDCP, elle n'a pas fait état de ces allégations au cours de la procédure et la Cour ne se prononcera donc pas sur ces allégations.
A Dudroit à un procès équitable
78. Les aspects du droit à un procès équitable soulevés dans la
présente affaire sont les suivants :
a le droit à la présomption d’innocence
b. le droit à la défense
c. le droit d’être jugé par un tribunal neutre et impartial
d. le principe de la légalité des peines et la non-rétroactivité de la loi pénale.
i. Le droit à la présomption d’innocence
79. La requérante soutient que les allégations de l’État défendeur liées aux attentats terroristes survenus dans la ville de Kigali étaient un prétexte orchestré par l'accusation pour imputer l'infraction de complicité dans le terrorisme à la requérante en se basant sur les aveux émanant de ses co-accusés et obtenues de manière illégale. Selon la requérante, les co-accusés auraient été forcés de témoigner contre eux-mêmes et de s'avouer coupables et c'est sur la base de ces irrégularités que l'accusation a justifié sa mise en détention. La requérante conclut que c'est une violation du principe de la
80. Pour L'État défendeur, les accusations de la requérante sont sans fondement parce que son procès s'est déroulé avec toutes les garanties prévues par la loi et conformément aux normes internationales. Selon l'État défendeur, la requérante a eu la possibilité de comparaitre devant les tribunaux, d'être assisté par des avocats et finalement condamnée légalement. L'État défendeur soutient que le droit à la présomption d'innocence de la requérante, et par conséquent, son droit à un procès équitable n'a pas été violé.
81. La Cour note que la présomption d’'innocence est un droit de l'Homme fondamental. Ce droit est consacré par les instruments internationaux dont la Charte qui stipule en son article 7(1)(b)
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend le droit à la présomption d’innocence jusqu'à ce que sa culpabilité soit établie par une juridiction compétente ».
82. Le PIDC en son article 14 (2) prévoit également le même droit en ces termes :
« Toute personne accusée d’une infraction pénale est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ».
83. Selon le principe du droit à la présomption d’innocence, tout suspect dans un procès pénal est considéré comme innocent durant toutes phases de la procédure, depuis l'instruction préparatoire jusqu'à la délivrance du jugement et que sa culpabilité soit légalement établie.
84. La Cour note sur la base des documents versés au dossier qu'elle ne dispose pas d'éléments prouvant que le principe de la présomption a été violé et par conséquent rejette cette allégation.
ii. Le droit de la défense
85. La requérante soutient que le ministère public a intimidé son témoin, M. Y C…, en utilisant des subterfuges et des manœuvres d’intimidation. Elle allègue qu'à l'insu du juge et de la défense, le Procureur de la République a ordonné aux services pénitentiaires d'effectuer une fouille de tous les effets personnels du témoin, en son absence, dans la soirée du 11 avril 2012. Par la suite, le témoin aurait subi un interrogatoire sur sa déposition faite au tribunal plus tôt ce jour-là.
86. La requérante soutient en outre que lors de l'audience publique du 12 avril 2012, le ministère public a utilisé du matériel résultant de la fouille pour prétendre avoir découvert des documents compromettants contre elle. Les documents saisis comprenaient une lettre portant référence (..), du 11 avril 2012 envoyée par le surintendant de la prison de Remera à laquelle était joint un rapport sur l'audition du témoin.
87. Elle souligne que l'analyse du contenu du rapport a indiqué que l'interrogatoire avait eu lieu en dehors des heures légales applicables, que le témoin n’était pas assisté par un avocat de son choix et que l'interrogatoire a insisté sur les déclarations faites par le témoin dans la matinée au tribunal. Selon la requérante, il s'agissait d’une tentative d'intimidation du témoin et, par l'intermédiaire de son avocat, elle a essayé de protester pendant le procès contre de telles pratiques, en vain ; au contraire, chaque fois ils étaient insultés et grossièrement interrompus par le président du tribunal.
88. La requérante fait état également « divers exactions » caractérisées par des fouilles systématiques de l'équipe de la défense par les services de sécurité. Selon elle, cette mesure de sécurité n’était pas imposée à l'équipe du Procureur, créant ainsi une inégalité de traitement. La requérante mentionne le fait que les juges de la Haute Cour retiraient la parole « systématiquement » à son équipe de Conseils. Les protestations écrites et orales de la Défense aussi bien au niveau de la Haute Cour que de la Cour Suprême seraient restées sans suite. Pour la requérante, tous ces faits entre autres, constituent une violation du droit à un procès équitable.
89. Selon la requérante, les actes d’intimidation et les menaces auxquels le témoin à décharge a été soumis portent atteinte au droit à la défense. Elle affirme que l’un des juges a plutôt déclaré que le Conseil n'aurait pas dû intervenir en faveur d'une personne qui n’était pas son client. Suite à cet incident, la Présidente de la Cour Suprême a mis fin à l'interrogatoire du témoin de la Défense et il s'en est suivi le retrait du procès de AG B.. Pour la requérante, ceci constitue une violation flagrante des articles 7 de la Charte ; 14(1) du PIDC et 10 de la Déclaration universelle.
9%. — L'État défendeur avoue que la fouille sur les témoins de la défense a été effectuée après que le témoin a fait sa déposition orale et écrite au tribunal. L'État défendeur soutient en outre que la pratique courante veut que les garde-prisonniers fouillent les prisonniers de temps à autre. Il ajoute aussi que la fouille sur les membres de l’équipe de la défense été effectuée dans le cadre des mesures de sécurité étant donné qu'à l'approche du procès, il y avait eu des attaques à la grenade à Kigali.
91. L'État défendeur soutient que la requérante a bénéficié de l'assistance d’une équipe de deux Avocats de son choix dont un international, tout le long de la procédure et que ces derniers ont eu toute la latitude pour organiser sa défense sans entrave. L'État défendeur ajoute que le procès a duré deux ans et par conséquent, toutes les parties ont eu le temps nécessaire pour défendre leur cause. L'État défendeur conclut que les allégations de violation du droit de la Défense ne sont pas fondées.
92. La Cour note que l’article 7(1)(c) de la Charte stipule comme suit:
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit
comprend :
c le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix ».
93. Le droit d'appeler des témoins à sa défense constitue un aspect essentiel du droit à la défense. Les témoins à leur tour doivent nécessairement être protégés contre des actes d’intimidation et de représailles, pour pouvoir aider les accusés et les autorités à prendre des décisions justes.
94. En l'espèce, la Cour note que la requérante fait valoir deux principales allégations quant au droit de la défense : les fouilles dont son conseil a fait l’objet au niveau de la Haute cour et la fouille du témoin à décharge au niveau de la prison. Il ressort du dossier qu'après que le conseil de la défense se soit plaint devant la Haute Cour, celle-ci a ordonné que les fouilles soient faites sur toutes les parties, y compris le grand public, pour des raisons de sécurité.
95. Concernant la fouille des prisonniers et des prévenus, la Cour estime qu’il s’agit d’une pratique normale dans les prisons. Dans le même ordre d'idées, la fouille à laquelle le conseil de la défense et le grand public ont été soumis peut faire partie des mesures de sécurité prises par le tribunal étant donné que Ac avait été le théâtre d'attaques à la grenade à l'approche du procès. Pour ce qui est des fouilles menées en prison et sur la personne du conseil de la défense à la Haute Cour, la Cour considère en conséquence que le droit de la défense de la requérante n’a pas été violé.
96. La Cour note cependant que selon le contenu du dossier en sa possession cette fouille a conduit à la saisine de certains documents inconnus de la défense et qui auraient été utilisés contre la requérante devant la Haute Cour. En outre, la requérante s’est plainte du refus des juges de leur permettre d'interroger un co-accusé ; de l'interrogatoire et des menaces auxquelles le témoin à décharge a été soumis en raison de sa déposition dès son retour à la prison ; des difficultés pour les avocats de rendre visite à leur cliente ; du fait d'utiliser les déclarations des co-accusés obtenues dans des conditions suspectes après le séjour de ces derniers dans un camp militaire. L'État défendeur n’a pas réfuté ces allégations individuellement, mais les a niées en bloc, faisant valoir que les allégations de violation du droit à la défense ne sont pas fondées.
97. La Cour fait observer que le droit de la défense d’un justiciable ne se limite pas au choix de son conseil. Ce droit intègre également des principes comme l'accès aux témoins, la possibilité pour ce conseil de s'exprimer, de se concerter avec son client, d'interroger et de contre interroger les témoins. Le droit de la défense s'entend également du droit d'avoir connaissance et d'exploiter les documents à charge. En l'espèce, la difficulté rencontrée par le conseil de la requérante à interroger les témoins à charge, les menaces et intimidations dont le témoin à décharge a été l’objet et l'utilisation contre la requérante des documents saisis lors de la fouille de la prison, sans lui donné la possibilité de les examiner sont incompatibles avec les normes internationales relatives aux droits de la défense. La Cour en conclut que le droit de la défense de la requérante prévu à l’article 7(1)(c) de la Charte a été violé.
98. Pour ce qui est de l’interrogatoire d’un témoin par les autorités pénitentiaires sur sa déposition devant la cour, la Cour de céans note en outre que cet acte est contraire aux normes visant à promouvoir un procès équitable. De telles pratiques peuvent avoir un effet d’intimidation sur la volonté et la disponibilité des témoins à coopérer ainsi qu'à faire des dépositions qui ne sont pas forcément favorables à l'Etat défendeur. Ceci est particulièrement le cas pour les témoins placés en garde à vue ou qui purgent déjà des peines d'emprisonnement. Toutefois, l’interrogatoire s'étant déroulé après la déposition du témoin, la Cour conclut que dans les circonstances de l'espèce, ceci ne constitue pas une violation du droit de la défense.
iii. Le droit à être jugé par un tribunal neutre et impartial
99. La requérante soutient que le fait que les juges de la Cour Suprême et de la Haute Cour n'aient pas réagit face aux manœuvres d’intimidation de l’Organe National des poursuites à l'endroit d’un témoin à décharge, un certain Ab C… et le fait aussi pour la Cour d'estimer que ces actes d’intimidation n'avaient eu aucun impact sur le contenu de son témoignage, est une preuve de leur partialité. La requérante ajoute qu'au niveau de la Cour Suprême, ses conseils ont énergiquement protesté pour dénoncer les abus et excès de l'Organe de poursuite vis-à-vis d’un témoin de la défense.
100. L'État défendeur soutient que cette allégation est sans fondement étant donné que toutes les garanties prévues par la loi ont été observées.
101. La Cour note que la Charte en son article 7(1)(d) «Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend d. le droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale. » Le PIDC en son article 14(1) et la Déclaration Universelle en son article 10° protègent aussi le droit à un procès par un tribunal neutre indépendant et impartial.®
102. D'après les Directives et principes sur le droit à un procès équitable et à l'assistance judiciaire en Afrique, «pour déterminer l'impartialité d’une instance juridictionnelle, il convient de tenir compte de trois facteurs pertinents » :
1. si le juge est en mesure de jouer un rôle essentiel dans la procédure ;
2. si le juge peut avoir une opinion préconçue risquant de peser lourdement sur la décision ; et
a si le juge doit statuer sur une décision qu’il a prise dans l'exercice d’une autre fonction.”
impartiale, si :
« 1. Un ancien procureur ou avocat siège en qualité de juge dans une affaire où il a exercé les fonctions de Parquet ou d'avocat ;
2. Le magistrat a participé secrètement à l'instruction de l'affaire ;
3. Il existe entre le magistrat et l'affaire ou une des parties à l'affaire un lien qui risque de préjuger la décision ;
4 Un magistrat siège en qualité de membre d'une juridiction d'appel pour connaître d’une affaire qu’il a déjà tranchée ou dans laquelle il a été impliqué dans une juridiction inférieure ».°
104. En l'espèce, les éléments de preuve présentés par la requérante ne démontrent pas suffisamment que l’un ou l'autre des facteurs susmentionnés existait au cours de son procès. Dans ces circonstances, la Cour rejette cette allégation.
iv. Respect du principe de légalité des incriminations et des peines et de non-rétroactivité des lois pénales
105. La requérante soutient qu'elle a initialement été inculpée et reconnue coupable du crime de propagation de l'idéologie du
5 Article 14 du PIDCP « Tous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la
6 Article 10 de la Déclaration universelle des droits de l'homme : « Toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ».
7 Directives et Buincipes sur le droit à un procès équitable et à l'assistance judiciaire en Afrique, 2003 ; principe 5.
8 Ibidem.
génocide en vertu de la loi n° 18/2008 du 23 juillet 2008. Par la suite, la Cour suprême l’a reconnue coupable de minimisation du génocide, requalifiant ainsi les actes en vertu d’une nouvelle loi, notamment la loi n° 84/2013 sur la répression de l'idéologie du crime de génocide, entrée en vigueur le 28 octobre 2013. Elle fait également valoir que la référence à cette nouvelle loi par la Cour suprême a violé le principe de non-rétroactivité de la loi et de l'application non rétroactive d'une sanction pénale.
106. L'État défendeur soutient que le principe de légalité des incriminations et des peines tel que le prévoit l’article 7(1) et (2) de la Charte a été pleinement respecté au cours du procès. Pour L'État défendeur, tout Juge à la Haute Cour et à la Cour suprême peut en dernier ressort, requalifier et appliquer la loi appropriée, sans pour autant que cela constitue une violation du principe de légalité et de non-rétroactivité de la loi.
107. La Cour relève que la disposition pertinente en l'espèce est l’article 7(2) de la Charte, qui est libellé comme suit :
« Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui ne constituait pas, au moment où elle a eu lieu, une infraction légalement punissable. Aucune peine ne peut être infligée si elle n’a pas été prévue au moment où l'infraction a été commise… »
108. La non-rétroactivité de la loi pénale est un principe important inhérent au principe de légalité, qui prévoit notamment, que la responsabilité pénale et la peine ne doivent être fondées que sur la promulgation préalable de lois interdisant un comportement particulier. Le principe de légalité des incriminations commande que la société soit au préalable informée des comportements interdits avant l'entrée en vigueur d’une loi interdisant ou criminalisant un tel comportement. En d’autres termes, le comportement prohibé doit être clair et vérifiable et la sanction à laquelle expose une infraction doit être précisée avant que les individus n'en soient tenus responsables.
rétrospective d’une loi pénale à des actes commis avant l'adoption de cette loi lorsqu'elle rend délictuels des actes antérieurement licites ou impose une nouvelle peine aux actes délictuels existants. La seule exception en vertu de laquelle une loi pénale peut s'appliquer rétroactivement est lorsque son application est favorable à un individu, en dépénalisant un acte antérieurement délictuel dont il est accusé ou lorsqu'elle prévoit une peine plus légère que celle prévue par la loi qui était applicable au moment où l'infraction a été commise.°
110. En l'espèce, la Cour relève que les crimes pour lesquels
9 Voir article 15(1) du PIDCP.
la requérante a été condamnée auraient été commis entre 2003 et 2010. Durant cette période, quatre lois pénales en vigueur dans l’État défendeur régissant les crimes dont elle était accusée : la loi de 1977 portant Code pénal, la loi n°33/2003 du 06 septembre 2003 portant sur la répression des crimes de génocide et des crimes contre l'humanité de 2003, la loi n°18/2008 du 23 juillet 2008 portant sur la répression du crime d’idéologie du génocide et la loi n°45/2008 relative à la lutte contre le terrorisme. La loi n°18/2008 a abrogé la loi n°33/2003, dans la mesure où celle-ci contient des dispositions contraires à l'ancienne loi.
111. La Cour note que l’article 4 de la loi n°33/2003 de 2003 contient une disposition incriminant la minimisation du génocide alors que la loi n°18/2008 de 2008 sur le crime de l'idéologie du génocide ne contient aucune disposition similaire. En d'autres termes, en ce qui concerne le crime de minimisation du génocide, la loi n°33/2003 de 2003 continue de s'appliquer. Cependant, en 2013, la loi n°33/2003 de 2003 et la loi n°18/2008 de 2008 ont, toutes les deux, été abrogées par la loi n°84/2013 de 2003 sur les crimes de génocide et autres infractions connexes. De même, la loi de 1977 portant Code pénal a été remplacée par la Loi organique de 2012 portant nouveau Code pénal.
112. En vertu de son article 6, la loi n°84/2013 de 2003 contient des dispositions sur la minimisation du génocide. Comparée à la loi n°33/2003 de 2003 qui prévoit 10 à 20 ans d'emprisonnement pour le crime de minimisation du génocide, la loi n° 84/2013 prévoit cinq (5) à 10 ans d'emprisonnement pour le même crime”°. D'autre part, pour les crimes de conspiration et menaces à la sécurité de l’État et à la Constitution, et les crimes de propagation de rumeurs visant à inciter la population contre les autorités en place, le Code pénal de 1977 prévoit une peine pénale pouvant aller jusqu'à l'emprisonnement à vie, alors que le Code pénal de 2012 prévoit une peine maximale de 20 à 25 ans pour les mêmes crimes.
113. La Cour relève que la requérante a été initialement accusée de propagation de l'idéologie du génocide devant la Haute Cour, en vertu de la loi n°18/2008 de 2008. Cependant, la Haute Cour a requalifié le chef d'accusation et l'a reconnue coupable de crime de révisionnisme du génocide sur la base de l'article 4 de la loi n°33/2003 de 2003 et du crime de trahison pour menace à la sécurité de l'État et la Constitution, en vertu du Code pénal de 1977, et l’a condamnée à huit ans d'emprisonnement. En appel, la Cour suprême a confirmé la condamnation mais a rejeté les circonstances atténuantes invoquées
10 Article 12(3) de la loi n° 84/2013 et article 116 de la loi organique de 2012 portant Code pénal par la requérante devant la Haute Cour. Alors que la Haute Cour avait acquitté la requérante concernant le crime de propager des rumeurs avec l'intention d'inciter la population au soulèvement contre les institutions étatiques en les discréditant, la Cour Suprême l’a reconnue coupable pour ce crime. La Cour suprême, invoquant l'existence de concours d’infractions, a prononcé une peine de 15 ans d'emprisonnement, en vertu de la loi n°84/2013 de 2013 et du Code pénal de 2012, pour crime de minimisation du génocide et crimes de conspiration et de menace à la sécurité de l'État.
114. La Cour considère que le principe d'application non rétroactive de la loi n'exclut pas la requalification d'un chef d'accusation dans un procès en matière pénale découlant des mêmes faits. Ce qui est plutôt interdit est l'application de nouvelles lois pénales, en l'espèce, la loi n°84/2013 de 2013 et le Code pénal de 2012, aux crimes qui auraient été commis avant l'entrée en vigueur de cette loi.
115. Toutefois, comme indiqué ci-dessus, les peines prévues dans le Code pénal de 1977 pour le crime de menace à la sécurité de l’État et à la Constitution peuvent aller jusqu'à la réclusion à perpétuité et pour le crime de minimisation du génocide, dans la loi n°84/2013 de 2013, elles sont respectivement de 10 à 20 ans, contre 15 ans d'emprisonnement dans le Code pénal de 2012 et 5 à 10 ans d'emprisonnement dans la loi n°84/2013.
116. Il est donc évident que l'application du Code pénal de 2012 et de la loi n°84/2013 à la requérante lui était en général favorable et conforme à l'exception au principe de non-rétroactivité selon lequel de nouvelles lois pénales peuvent être appliquées aux actes commis avant leur adoption lorsque ces lois prévoient une peine plus légère. Le fait que la peine infligée à la requérante par la Cour suprême soit plus élevée que la peine initialement prononcée par la Haute Cour n’était pas dû à l'application rétroactive des nouvelles lois. Comme il ressort du dossier devant la Cour, c'est plutôt parce que la Cour suprême avait rejeté les circonstances atténuantes prises en considération par la Haute Cour, et qu’elle avait condamné la requérante pour une infraction (propagation de rumeurs) à propos de laquelle elle avait été acquittée par la Haute Cour.
117. La Cour conclut donc qu'il n’y pas eu violation de l’article 7(2) de la Charte.
118. Pour éviter tout doute, la Cour tient à préciser que cette conclusion de la Cour relative uniquement à la violation du principe de non-rétroactivité ne préjuge pas de sa position ci-après concernant le droit à la liberté d'opinion et d'expression.
B. … Della liberté d’opinion et d’expression
119. La requérante soutient qu'’ele a été condamnée pour minimisation du génocide alors que les opinions qu'elle avait exprimées lors de son discours au Mémorial du génocide de Kigali portaient sur la gestion du pouvoir, le partage des ressources, l'administration de la justice, l'histoire du pays et l'attaque qui a coûté sa vie à l'ancien président de la République. La requérante soutient qu’elle n’a eu aucune intention de minimiser et de banaliser le génocide ou de pratiquer l'idéologie du génocide et que le droit d'exprimer ses opinions est protégé par la
constitution rwandaise et d’autres instruments internationaux.
120. La requérante estime que les lois rwandaises qui criminalisent la négation du génocide sont vagues et peu claires et ne répondent pas à l'exigence selon laquelle la limitation des droits des individus doit être nécessaire. La requérante déclare également que L'État défendeur a admis l'existence de lacunes dans les lois qui criminalisent la minimisation du génocide.
121. La requérante dit qu’elle a été reconnue coupable de répandre des rumeurs susceptibles de soulever ou tentant de soulever la population contre le pouvoir établi. Elle déclare qu’en la condamnant pour propagation de rumeurs, les tribunaux nationaux n’ont pas démontré ou étayé leurs arguments par des preuves précises et concordantes démontrant que les positions de la requérante étaient susceptibles d'établir sa responsabilité pénale.
122. Au cours de l'audience publique tenue à Aq, le Conseil de la requérante faisant référence à une lettre de la requérante a dit :
« Nous ne sommes pas contre une loi pour réprimer ceux qui minimisent le génocide commis contre les tutsis au Rwanda, comme c'est le cas pour les autres génocides commis ailleurs. Mais nous exigeons des balises solides, pour éviter tout amalgame et instrumentalisation d’une telle loi à des fins politiques. Nous exigeons ainsi que cette loi montre de façon nette la frontière entre d'un’ part de la légitime liberté d'opinion et le vrai crime de minimisation du génocide. »
123. Pour la requérante, la théorie de la marge d'appréciation soutenue par l’État défendeur se réfère à la marge de manœuvre que les organismes internationaux de contrôle (comme la Cour africaine) sont disposés à accorder aux autorités nationales dans leurs efforts d'observation de leurs obligations en vertu des instruments internationaux des droits de l'homme qu'ils ont ratifiés. Cette théorie peut aussi être décrite comme la latitude dont jouit le gouvernement pour évaluer les situations factuelles et appliquer les dispositions des instruments internationaux des droits humains. La théorie repose sur le fait que le processus de réalisation d’une « norme uniforme » pour la protection des droits de l'homme doit être graduel, car le cadre juridique tout entier repose sur les fragiles fondations du consentement des États membres. Selon la requérante, la marge d'appréciation offre la flexibilité nécessaire pour éviter les confrontations dommageables entre tribunaux des droits humains et États membres et elle permet à la Cour d'établir un équilibre entre la souveraineté des États et leurs obligations internationales.
124. L'État défendeur soutient que le droit d'exprimer son opinion est soumis à des limitations et que compte tenu du contexte social, de l’histoire et de l’environnement au Rwanda, il avait des raisons de mettre en place des lois criminalisant la minimisation du génocide. Il relève également que l'arrêt de la Cour suprême a souligné que d’autres pays ont également mis en place des restrictions similaires pour empêcher la minimisation du génocide.
125. L'État défendeur affirme que la Cour de céans devrait appliquer les principes de subsidiarité et une marge d'appréciation lors de l'évaluation de la situation intérieure du Rwanda.
126. L'État défendeur soutient qu'au moment de l'examen de la requête, la Cour devrait prendre en considération la marge d'appréciation pour le respect de l'article 1 de la Charte. À cet égard, L'État défendeur fait valoir que « la substance d’un droit ne peut pas être appliqué dans le vide et, en tant que tel, son champ d'application est fortement influencé par le contexte local au sein duquel ce droit est supposé être appliqué ». À cette fin, L'État défendeur affirme qu’ « il est essentiel que la Cour africaine examine sérieusement le contexte intérieur lorsqu'elle doit évaluer le niveau de conformité d’un État particulier ». S'agissant du principe de subsidiarité, L'État défendeur soutient que :
« étant donné qu'il revient à l’État défendeur au premier chef de donner effet aux droits garantis par la Charte, il doit également avoir l'opportunité, par l'intermédiaire de ses institutions, de décider de la manière de s'acquitter de ce devoir.»
127. La Commission nationale de lutte contre le génocide (CNLG) intervenant en tant que amicus curiae, fait valoir que la théorie du double génocide à laquelle la requérante a fait référence n’est qu'une autre façon de nier le génocide commis en 1994 contre les Tutsis au Rwanda. Selon la CNLG, le révisionnisme est structuré autour d’un certain nombre d’affirmations qui aident à cacher l’intention criminelle qui fait partie intégrante du crime de génocide, sans nier la réalité des massacres et soutenir l’idée du double génocide. La CNLG soutient en outre que la théorie du double génocide vise à transformer le génocide de 1994 contre les Tutsis au Rwanda en un massacre interethnique, en même temps, exonérer les auteurs, leurs complices et sympathisants.
1288 La CNLG allègue en outre que les déclarations faites par la requérante au mémorial du génocide de Kigali constituent une forme d'expression de la théorie du double génocide au Rwanda, une manipulation habilement exécutée et qui sème une confusion autour du génocide commis contre les Tutsis au Rwanda en 1994. Selon la CNLG, cette déclaration signifie qu’il y a eu deux génocides au Rwanda et que les Ab sont donc aussi coupables que leurs bourreaux. La CNLG soutient que les déclarations de la requérante sont une manœuvre révisionniste présentant la particularité d'utiliser une méthodologie partielle et malhonnête pour sélectionner, dissimuler, dévier ou détruire des informations qui corroborent l'existence d’un génocide contre les Tutsis.
129. La Cour relève que la Charte africaine en son article 9(2) consacre le droit à la liberté d'expression. Cette disposition est libellée comme suit :
« Toute personne a le droit d'exprimer de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements. »
130. L'article 19 du PIDCP dispose également que :
«1. Nul ne peut être inquiété pour ses opinions.
2. Toute personne a droit à la liberté d'expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix.
3. L'exercice des libertés prévues au paragraphe 2 du présent article comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales. || peut en conséquence être soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires:
a. au respect des droits ou de la réputation d'autrui;
b. à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l'ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. »
131. Le droit à la liberté d'expression est l'un des droits les plus fondamentaux protégés par le droit international des droits de l'homme, dont le respect est crucial et indispensable au libre épanouissement de la personne humaine et pour créer une société démocratique et un système transparent et responsable de gouvernement. Ce droit comprend notamment la liberté d'exprimer et de communiquer ou de diffuser des informations, des idées ou des opinions de quelque nature et sous quelque forme que ce soit, tant sur le plan national que sur le plan international. Le droit à la liberté d'expression requiert que les États protègent ce droit des restrictions, qu’elles soient du fait de particuliers ou des agents du gouvernement. 132. Certes, la liberté d'expression est aussi importante que tous les autres droits similaires à l'épanouissement personnel des individus dans une société démocratique, mais il n’est pas un droit à exercer sans limites. Dans son arrêt relatif à l'affaire |. K. c. Ah Ag du 5 décembre 2014, la Cour a souligné que la liberté d'expression n’est pas un droit absolu et que, dans certaines circonstances, elle peut être soumise à certaines restrictions. Dans cet arrêt, s'appuyant sur l’article 19 (3) du PIDCP et la jurisprudence de la Commission africaine des droits de l'homme et d’autres organes internationaux et régionaux des droits de l'homme, la Cour a jugé que les termes « dans le cadre des lois » intègrent la possibilité de mettre en place des restrictions à l'exercice de la liberté d'expression, à condition que ces restrictions soient prévues par la loi, servent un but légitime et soient nécessaires et proportionnées, comme on peut s’y attendre dans une
133. En l'espèce, la Cour déduit des arguments non contestés des deux parties que la requérante a été déclarée coupable et condamnée tant devant la Haute Cour que devant la Cour suprême de l’État défendeur pour les propos qu’elle a tenus au Mémorial du génocide de Kigali; lors de ses interviews et autres déclarations faites à différentes occasions. Il ne fait aucun doute que ladite déclaration de culpabilité et la condamnation de la requérante constituent une restriction à sa liberté d'expression aux termes de l'article 9 (2) et de l’article 19 (3) du PIDCP. La question clé à laquelle la Cour devrait donc répondre est de savoir si une telle restriction était raisonnable, dans le sens qu’elle était prévue par la loi, visait un but légitime et était nécessaire et proportionnée dans les circonstances de l'espèce.
i. La restriction était-elle prévue par la loi ?
134. Les parties ne contestent pas le fait que la condamnation de la requérante pour crimes de minimisation (révisionnisme) du génocide, propagation de rumeurs visant à saper l'autorité du gouvernement, propagation de l'idéologie du génocide et atteinte à la sécurité de l’État et à la constitution était fondée sur les lois nationales de l'État défendeur. Le dossier de l'affaire révèle que la Haute Cour et la Cour suprême ont, dans leurs verdicts, invoqué les lois n° 33/2003 et n°84/2013 ainsi que le Code pénal de 2012. Cependant, la requérante conteste la nature de ces lois en affirmant qu’elles sont « vagues et peu claires ».
135. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle la référence à la «loi» de l’article 9(2) et aux autres dispositions de la Charte doit être interprétée à la lumière des normes internationales
11 Requête 004/2013, arrêt sur le fond du 5/12/2014, L. /. Am c. Ah Ag (ci-
après désigné « arrêt /. Am ») paragraphes 145 à 166 relatives aux droits de l'homme," qui exigent des lois nationales sur lesquelles les restrictions des droits et des libertés fondées doivent être suffisamment claires, prévisibles et sont conformes à l’objet de la Charte et des conventions internationales relatives aux droits de l'homme et doivent être d'application générale.‘*
me En l'espèce, s'agissant de l'affirmation de la requérante selon laquelle les lois relatives à la minimisation du génocide sont vagues et peu claires, la Cour relève que certaines dispositions des lois susmentionnées de l’État défendeur sont formulées en termes larges et généraux et peuvent être sujettes à diverses interprétations.
137. Toutefois, la nature des infractions, que ces lois visent à incriminer, est certes difficile à spécifier de manière précise. En outre, compte tenu de la marge d'appréciation dont jouit l'État défendeur pour définir et proscrire certains actes délictuels dans sa législation interne, la Cour estime que les lois contestées prévoient des indications suffisantes pour permettre aux individus adapter leur comportement aux règles.” La Cour estime donc que lesdites lois satisfont à l'exigence de « la loi » telle que stipulée à l'article 9 (2) de la Charte.
ii. La restriction visait-elle un but légitime ?
138. Dans ses observations, l’État défendeur affirme que, compte tenu de son histoire de génocide, les restrictions imposées par le droit interne (et qui ont été appliquées à la requérante) visent à préserver la sécurité de l’État et l’ordre public. La nature des crimes pour lesquels la requérante a été inculpée et condamnée concerne également la préservation de la sécurité nationale des expressions susceptibles de créer des divisions entre les populations et de les soulever contre le
12 Arrêt /. Am, paragraphe 129.
13 A c. Australie, Communication n°560/1993, U.N.Doc. CCPR/C/59/D/560/1993 (1997), paragraphe 9.5, Coard et al. États-Unis, |ADH, Affaire 10.951, Rapport n° 109/99, 29 septembre 1999, paragraphes 42 à 59, voir également Medvedyev et autres c. France, Cour EDH, arrêt, 29 mars 2010, paragraphes 92-100.
14 Voir par exemple l’article 8 de la loi n° 84/2013 du 28 octobre 2013 sur le crime de l'idéologie du génocide, libellé comme suit: « La minimisation du génocide est tout acte intentionnel manifesté en public visant à: 1. minimiser la gravité ou les conséquences du génocide; 2. minimiser les méthodes par lesquelles le génocide a été commis. Quiconque commet un acte prévu à l'alinéa précédent, commet une infraction de minimisation du génocide. » L'article 116 du Code de procédure pénale sur la négation et la minimisation du génocide stipule également que: « Toute personne qui, publiquement manifeste, dans ses paroles, écrits, images ou de quelque manière que ce soit, qu'elle nie le génocide perpétré contre les Tutsi, le minimise grossièrement, cherche à le justifier ou à approuver son fondement ou qui en dissimule ou détruit les preuves, est passible d'un emprisonnement de plus de (5) à (9) ans. »
15 Arrêt /. Am, paragraphe 128.
gouvernement.
139. Contrairement à l’article 19(3) du PIDCP, la Cour observe que l’article 9(2) de la Charte n’'énumère pas les buts légitimes pour lesquels le droit à la liberté d’expression peut être restreint. Toutefois, la clause de limitation générale prévue à l’article 27(2) de la Charte exige que tous les droits et libertés soient exercés «en tenant dûment compte des droits d'autrui, de la sécurité collective, de la moralité et de l'intérêt commun». Dans sa jurisprudence, la Cour a également reconnu que des restrictions à la liberté d'expression peuvent être imposées afin de sauvegarder les droits d'autrui, la sécurité nationale, l'ordre public, la moralité publique et la santé publique”.
140. En l'espèce, la Cour considère que les crimes pour lesquels la requérante a été condamné étaient de nature grave et pouvaient avoir de graves répercussions sur la sécurité de l’État et l’ordre public et que les lois susmentionnées avaient pour but de les sauvegarder. La Cour considère donc que la restriction à la liberté d'expression de la requérante a servi les intérêts légitimes de la protection de la sécurité
nationale et de l’ordre public.
iii. La restriction était-elle nécessaire et proportionnelle ?
11. La Cour note que les restrictions imposées à l'exercice de la liberté d'expression doivent être absolument nécessaires dans une société démocratique et proportionnées aux buts légitimes poursuivis par l'imposition de telles restrictions.” À cet égard, la Cour tient à souligner que la détermination de la nécessité et de la proportionnalité dans les contextes de la liberté d'expression devrait tenir compte de certaines formes d'expression telles que le discours politique, en particulier lorsqu’elles s'adressent au gouvernement et aux fonctionnaires, ou sont prononcées par des personnes ayant un statut spécial, telles que des personnalités publiques, méritent un degré plus élevé de tolérance que d’autres.”*
142. || convient également de noter que la liberté d'expression protège non seulement les «informations» ou les «opinions favorablement accueillies ou considérées comme inoffensives, mais aussi celles
16 Arrêt /. Am, paragraphes 134 et 135.
17 Arrêt /. Am, paragraphe 145.
18 Ibid, paragraphe 155. Affaire Aa Al c. République du Botswana, CADHP (2010), paragraphe 198; Affaire X c. Pérou, arrêt du 6 février 2001, paragraphe 15 ; Affaire X C Ae AZ, Exceptions préliminaires, Fond, Réparations et Dépens), arrêt du 2 juillet 2004, paragraphe 127, Affaire Ad Af c. Paraguay, CIADH, (Fond, Réparations et Frais), arrêt du 31 août 2004, paragraphe 98.
qui heurtent, choquent ou inquiètent» un État ou une frange de la population*°. Comme l'a déclaré la Cour européenne des droits de l'homme dans son arrêt relatif à l'affaire Aj c. Royaume-Uni, il s'agit «des exigences du pluralisme, de la tolérance et de l'esprit d'ouverture sans lesquelles il n'existe pas de ‘société démocratique
143. La Cour est également d'avis que l'évaluation de la nécessité et de la proportionnalité en vertu de l’article 9 (2) de la Charte et de l’article 19 (3) du PIDCP ne peut être faite dans le vide et qu’il convient de tenir compte des contextes particuliers dans lesquels les déclarations incriminées ont été faites.
144. En l'espèce, l'État défendeur et le CNLG affirment dans leurs observations que les diverses déclarations faites par la requérante à différentes occasions, notamment celles faites au Mémorial du génocide de Kigali, visaient à minimiser le génocide commis contre les Tutsis en propageant l'idée de «double génocide» et à saper l'autorité du gouvernement en incitant les citoyens à se retourner contre le gouvernement en répandant des rumeurs susceptibles de créer des divisions et des conflits internes au sein de la population rwandaise. À cet égard, l’État défendeur demande à la Cour, dans l'examen de l'affaire, de tenir compte de son histoire et d'appliquer le principe de la marge d'appréciation et de la subsidiarité.
145. Pour sa part, la requérante insiste sur le fait que les lois du Rwanda qui criminalisent la négation et la minimisation du génocide ne respectent pas l'exigence selon laquelle des restrictions aux droits des individus doivent être nécessaires. La requérante soutient également que sa condamnation pour avoir répandu des rumeurs susceptibles de soulever la population contre le pouvoir établi n'a pas été étayée par des preuves spécifiques et corroborées montrant que ses positions étaient susceptibles d'engager sa responsabilité pénale. 146. La Cour tient à souligner qu'elle est pleinement consciente du fait que le Rwanda a souffert du génocide le plus atroce de l’histoire récente de l'humanité et que cela est reconnu comme tel au niveau international. Ce triste fait de son histoire justifie évidemment que le gouvernement adopte toutes les mesures pour promouvoir la cohésion sociale et la concordance entre les citoyens et empêcher que des incidents similaires ne se reproduisent à l'avenir. Il incombe à l'État de veiller à ce que les lois à cet égard soient respectées et que chaque contrevenant réponde devant la loi. Il va de soi qu'il est tout
19 Affaire Aj c. Royaume-Uni (1976), paragraphe 49, voir aussi An c. Turquie, arrêt du 4 décembre 2003, paragraphe 37, CDH, Observation générale n°34 (2011), paragraphe 11.
20 Affaire Aj c. Royaume-Uni (1976), paragraphe 49.
à fait légitime que l’État ait introduit des lois sur la «minimisation», la
«propagation» ou la «négation» du génocide.
147. Toutefois, les lois en question ne devraient pas être appliquées à tout prix aux droits et libertés des individus ou d’une manière qui ne respecte pas les normes internationales relatives aux droits de l'homme. L'exercice légitime des droits et libertés par les individus est aussi important que l'existence et la bonne application de ces lois et revêt une importance primordiale pour atteindre les objectifs de préservation de la sécurité nationale et de l’ordre public. Dans tous les cas, il est important que les restrictions imposées aux droits et aux libertés fondamentales des citoyens soient justifiées par les contextes particuliers de chaque affaire et la nature des actes qui auraient nécessité de telles restrictions.
148. Il incombe donc à la Cour d'examiner la nature de l'opinion qui aurait été exprimée par la requérante et de déterminer si une telle expression justifiait sa condamnation et son emprisonnement et si cette mesure était proportionnelle aux circonstances.
149. À cet égard, la Cour note qu'il ressort du dossier que les déclarations de la requérante qui auraient été faites à différentes occasions étaient de deux natures: des remarques au sujet du génocide, en particulier au Mémorial du génocide de Kigali et celles dirigées contre le gouvernement, y compris le président de la République, et le pouvoir judiciaire (comprenant les juridictions Gacaca).
150. Au Mémorial du génocide de Kigali, la requérante affirme avoir fait la déclaration suivante en kinyarwanda :
« … Si nous regardons ce mémorial, il ne fait référence qu'aux personnes qui sont mortes pendant le génocide contre les Tutsis. || y a une autre histoire non racontée en ce qui concerne les crimes contre l'humanité commis contre les Hutus. Les Hutus qui ont perdu leurs proches souffrent aussi; ils pensent aux êtres chers qui ont péri et se demandent: ‘Quand se
souviendront-ils de nos morts’? ».*
151. Dans ses conclusions, l’État défendeur n’a fait aucune observation sur l'authenticité de cette déclaration.
152. Toutefois, la Cour relève qu’il ressort du dossier que la déclaration de la requérante au Mémorial, telle qu’elle a été citée par la Haute Cour dans son jugement du 30 octobre 2012, se lit comme suit :
« … Par exemple, ce mémorial, il fait référence seulement aux victimes du génocide contre les Tutsis. Il y a pourtant une autre histoire concernant les crimes contre humanité commis envers les Hutus. Les Hutus qui ont perdu leurs êtres chers souffrent eux aussi ; ils pensent à ces êtres chers qui ont péri et se demandent : «Quand est-ce que nos morts seront eux
21 Observations de la requérante (annexe 3).
aussi commémorés ? ».”
153. La Cour relève également qu'il ressort du dossier que la déclaration de la requérante au Mémorial, telle que citée par la Cour suprême, a été la suivante :
« … Par exemple, ce Mémorial a été dédié aux personnes qui ont été tuées pendant le génocide contre les Tutsis, mais il y a un autre aspect du génocide: celui commis contre les Hutu. Ils ont également souffert: ils ont perdu leurs proches et ils demandent aussi: «Quand notre heure viendra-
154. La question clé qui se pose est celle de savoir si, dans le discours que la requérante a fait au Mémorial du génocide, elle a propagé la
«théorie du double génocide». Selon l'article 5 de la loi n ° 84/2013 de la loi de 2013 : «soutenir une théorie du double génocide pour le Rwanda» fait partie de l'infraction de «négation du génocide». En vertu de l’article 6 de ladite loi :
« La minimisation du génocide est tout acte délibéré, commis en public, visant à :
a. Minimiser la gravité ou les conséquences du génocide
b. Minimiser les méthodes par lesquelles le génocide a été commis ».
155. Compte tenu de ce qui précède, la Cour relève que les versions du discours de la requérante fait au Mémorial, telles qu'elles ont été citées par la Haute Cour et par la Cour suprême, sont en contradiction l’une avec l’autre. Alors que la version du discours, comme indiqué par la Cour Suprême, parle « d’un autre côté du génocide: celui commis contre les Hutu », la version du discours, reprise par la Haute Cour, parle de Hutus comme étant «… victimes de crimes contre l'humanité et des crimes de guerre ».
156. Face à ces versions contradictoires dudit discours de la requérante, citées par les juridictions internes de l'État défendeur, la Cour considère que le doute devrait bénéficier à la requérante. Dans son appréciation, la Cour s'appuiera donc sur le discours de la requérante au Mémorial, tel qu'il a été rapporté par la Haute Cour. En réalité, la version de la Haute Cour est similaire à ce que la requérante affirme elle-même avoir déclaré et qui a été présenté en preuve devant la Cour de céans et qui n’a pas été contestée par l’État défendeur.
157. La Cour reconnaît que, comme dans tout pays où il existe des antécédents de génocide, la question est très sensible et les opinions
22 Voir paragraphe 404 du jugement de la Haute Cour de Kigali du 30 octobre 2012. 23 Arrêt de la Cour suprême du Rwanda du 13 décembre 2013, paragraphe 371.
ou … commentaires formulés en rapport avec le génocide ne peuvent pas être traités de la même manière que les opinions exprimées sur d'autres questions. Les déclarations qui nient ou minimisent l'ampleur ou les effets du génocide ou qui l'insinuent sans équivoque sortent du domaine des limites de l'exercice légitime du droit à la liberté d'expression et devraient être prohibées par la loi. Dans la présente requête, la Cour est cependant d’avis que rien dans les déclarations faites par la requérante ne nie ou minimise le génocide commis contre les Tutsis ou le laisse entendre.
1588 En ce qui concerne l’allégation selon laquelle les mêmes remarques au Mémorial du génocide ont propagé la théorie du «double génocide», la Cour estime également que rien dans les propos de la requérante n’indique qu’elle a avancé ce point de vue. Le paragraphe pertinent que la Haute Cour a utilisé comme preuve (cité ci-dessus au paragraphe 152) indique clairement que la requérante admet « le génocide contre les Tutsis » mais n’a jamais prétendu qu’un génocide avait été commis contre les Hutus. Dans son jugement, la Haute Cour de Kigali reconnaît elle-même que les déclarations de la requérante ne se réfèrent pas à un génocide contre les Hutus, mais la Haute Cour aboutit plutôt à une conclusion différente en se fondant sur le contexte dans lequel elles ont été faites. À cet égard, la Cour comprend que les contextes dans lesquels les déclarations sont faites peuvent impliquer un sens différent du message ordinaire qu’elles véhiculent. Néanmoins, dans des circonstances où les déclarations sont sans équivoque, comme dans le cas présent, imposer des restrictions sévères telles que des sanctions pénales sur les droits des individus uniquement sur la base des contextes créerait une atmosphère où les citoyens ne pourraient jouir librement de leurs libertés et droits fondamentaux, y compris le droit à la liberté d'expression.
159. Le deuxième groupe de déclarations faites par la requérante contient des critiques sévères à l'encontre du gouvernement et des fonctionnaires, notamment des déclarations selon lesquelles le pouvoir politique est « dominé par une petite clique » qui a « une structure secrète parallèle du pouvoir autour du président Kagame, la DRM [Direction des renseignements militaires], la milice de défense locale,
le pouvoir judiciaire et les branches exécutives du gouvernement” »; et déclarant qu’elle est prête à lutter contre « le joug [de la peur], la pauvreté, la faim, la tyrannie, les servitudes, la corruption, le système injuste des tribunaux Gacaca, la répression, la peine d'emprisonnement pour travaux d'intérêt général (TIG), les raisons qui poussent les gens
24 Voir affaire /. V et autres c. Ministère public, jugement de la Haute Cour de Kigali, paragraphe 288.
à fuir le pays, l'inégalité, l’expropriation, le sans-abrisme, le manque d’amour-propre et le meurtre par la torture».
160. La Cour relève que certaines de ces remarques peuvent être offensantes et susceptibles de discréditer l'intégrité des agents publics et des institutions de l’État aux yeux des citoyens. Cependant, ces déclarations sont prévisibles dans une société démocratique et devraient donc être tolérées, surtout lorsqu'elles proviennent d’une personnalité publique comme la requérante”. En raison de leur nature et de leurs statuts, les institutions gouvernementales et les fonctionnaires ne peuvent être à l'abri de critiques, quand bien même elles seraient offensantes; et un haut degré de tolérance est attendu d'eux lorsqu'ils sont la cible de telles critiques de la part de personnalités politiques de l'opposition. Un examen de ces déclarations ne peut raisonnablement être considéré comme susceptible «d'inciter à la discorde»; de créer des «divisions entre les populations» ou de «menacer la sécurité de l'État». En fait, même si ces déclarations ont été faites à différents moments avant que la requérante ne soit incarcérée pour le même motif, rien n'indique que ces déclarations aient provoqué des troubles, le soulèvement des populations ou toute autre menace particulière à la sécurité de l’État ou à l’ordre public.
161. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que la déclaration de culpabilité et la peine prononcées contre la requérante pour avoir fait ces déclarations au Mémorial du génocide de Ac et à d'autres occasions n'étaient pas nécessaires dans une société démocratique. Même si la Cour venait à admettre qu'il était nécessaire d'imposer des restrictions à de telles déclarations, la peine prononcée contre la requérante n’était pas proportionnelle aux buts légitimes que la déclaration de culpabilité et la peine visent à atteindre. À cet égard, la Cour relève que l’État défendeur aurait pu adopter d'autres mesures moins restrictives pour atteindre les mêmes objectifs.
162. La Cour conclut donc à la violation de l'article 9 (2) de la Charte et de l’article 19 du PIDCP.
IX. Sur les mesures demandées
163. Dans la requête, comme cela a été relevé plus haut, il est demandé à la Cour de rendre les mesures suivantes : (a) Abroger, avec effet rétroactif, les articles 116 et 463 de la loi organique n° 01/2012 du 2 mai 2012 relative au Code pénal ainsi que ceux de la loi n° 84/ 2013 du 28 octobre 2013 relative à la répression du crime
Æ Ibid, paragraphe 306.
26 Arrêt /. Am, paragraphe 155.
du génocide ; (b) Ordonner la révision du procès ; (c) Annuler toutes les décisions qui ont été prises depuis l'instruction préliminaire jusqu’au prononcé du dernier arrêt ; (d) Ordonner la mise en liberté conditionnelle de la requérante ; (e) Ordonner le paiement des frais de la procédure et de réparations.
164. L'article 27(1) du Protocole dispose que « [IJorsqu'elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste compensation ou l'octroi d'une réparation ».
165. À cet égard, l’article 63 du Règlement prévoit que « [lJa Cour statue sur la demande de réparation (..) dans l'arrêt par lequel elle constate une violation d’un droit de l'homme ou des peuples, ou, si les circonstances l'exigent, dans un arrêt séparé ».
166. S'agissant des mesures (a), (b) et (c) demandées par la requérante, la Cout tient à rappeler sa décision dans l'affaire E. F. M c. République du Malawi, dans laquelle elle a précisé qu’elle n’est pas une Cour d'appel des décisions rendues et qu’elle n’est pas habilité à abroger la législation nationale. La Cour conclut dès lors qu’elle ne peut pas faire droit à ces demandes.
167. En ce qui concerne la demande par la requérante d'être remise en liberté, la Cour a déjà établi qu'elle ne pourrait ordonner directement une telle mesure que dans des circonstances exceptionnelles et impérieuses”. En l'espèce, la requérante n'a pas fourni la preuve de telles circonstances. La Cour ne fait donc pas droit à cette demande.
168. La Cour relève cependant que cette position n'empêche pas l'État défendeur d'envisager une telle mesure de sa propre initiative.
169. La Cour relève enfin que les parties n’ont pas soumis d'opinions sur les autres formes de réparation. Elle statuera donc sur cette question à une phase ultérieure de la procédure, après avoir entendu les parties.
X. Frais de procédure
170. Aux termes de l’article 30 du Règlement intérieur « [à] moins que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure ».
171. Après avoir considéré les circonstances de la présente affaire, la Cour décide que la question des frais de la procédure sera examinée au moment où la Cour statuera sur les réparations.
172. Par ces motifs :
27 Arrêt A. T, paragaphe 157, arrêt A. M paragraphe 234.
La Cour,
À l’unanimité
Sur la compétence
i. Rejette l'exception d'incompétence de la Cour soulevée par
ii. Dit qu’elle est compétente pour connaître de la présente requête. Sur la recevabilité
iii. Rejette l'exception d'irrecevabilité de la requête soulevée par l'État défendeur ;
iv. Dit que la requête est recevable.
Sur le Fond
v. Dit que l'État défendeur n’a pas violé l’article 7(1)(b) et d de la Charte en ce qui concerne le droit à la présomption d'innocence et le droit d'être jugée par un tribunal neutre et impartial ;
vi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé l'article 7(1)(c) de la Charte concernant les fouilles effectuées sur les Conseils et le témoin de la défense.
vi. Dit que l’État défendeur a violé l’article 7(1)(c) de la Charte africaine des droits de l'homme et des Peuples, en ce qui concerne les irrégularités de procédure qui ont affecté le droit de la défense énumérées au paragraphe 96 de l'arrêt.
vii. Dit que l’État défendeur a violé les articles 9(2) de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et 19 du Pacte international des droits civils et politiques en ce qui concerne le droit à la liberté d'opinion et d'expression ;
ix. Ordonne à l'État défendeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour rétablir la requérante dans ses droits et faire rapport à la Cour dans un délai de six (6) mois sur les mesures prises ;
x. Ne fait pas droit à la demande de la requérante visant à ordonner directement sa remise en liberté, sans préjudice du pouvoir de l’État défendeur d'envisager lui-même cette mesure ;
Xi. Sursoit sa décision sur les autres formes de réparation ;
Xi. Accorde à la requérante, en application de l'article 63 du Règlement intérieur de la Cour, un délai de 30 jours pour déposer sa requête aux fins de réparation à compter de la date du présent arrêt, et à l’État défendeur d'y répondre dans un délai de trente (30) jours à compter de la date de réception des observations de la requérante.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 003/2014
Date de la décision : 24/11/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 20/06/2022
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