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28/03/2014 | CADHP | N°RANDOM1907654571

CADHP | Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 28 mars 2014, RANDOM1907654571


Texte (pseudonymisé)
Xy Z…. et autres c. Ag Aq (fond) (2014) 1 RJCA 226 Ayants droit de feus Xy Z.…
Mouvement Burkinabé des
Ag Aq (fond) (2014) et Ab C..., De F... et Ghlet
droits de l'homme et des peuples c.
1 RICA 226 Ayant droits de feus Xy Z.…. et Ab C..., De F... et Gh ! et Mouvement
burkinabé pour la défense des droits des peuples c. Ag Aq
Arrêt du 28 mars 2014. Fait en anglais et en français, le texte français
faisant foi.
Juges : AKUFFO, NGOEPE, NIYUNGEKO, OUGUERGOUZ, TAMBALA,
THOMPSON, ORÉ, GUISSE et ABA
L'affaire concernait le meurtre d’un journaliste d'invest

igation et de ses
compagnons en 1998. Leurs corps calcinés avaient été retrouvés dans
une vo...

Xy Z…. et autres c. Ag Aq (fond) (2014) 1 RJCA 226 Ayants droit de feus Xy Z.…
Mouvement Burkinabé des
Ag Aq (fond) (2014) et Ab C..., De F... et Ghlet
droits de l'homme et des peuples c.
1 RICA 226 Ayant droits de feus Xy Z.…. et Ab C..., De F... et Gh ! et Mouvement
burkinabé pour la défense des droits des peuples c. Ag Aq
Arrêt du 28 mars 2014. Fait en anglais et en français, le texte français
faisant foi.
Juges : AKUFFO, NGOEPE, NIYUNGEKO, OUGUERGOUZ, TAMBALA,
THOMPSON, ORÉ, GUISSE et ABA
L'affaire concernait le meurtre d’un journaliste d'investigation et de ses
compagnons en 1998. Leurs corps calcinés avaient été retrouvés dans
une voiture. La Cour a estimé que l’État n'avait pas agi avec la diligence
requise pour arrêter, maintenir en détention et juger les responsables,
violant ainsi l’article 7 de la Charte.
Recevabilité (épuisement des voies de recours internes, prolongation
anormale, 106)
Procès équitable (caractère anormalement long de la procédure, 151,
152
Responsabilité des États (diligence requise dans les enquêtes, 156)
Égalité devant la loi (complexité de l'affaire, 167-169)
Liberté d’expression (peur causée par des exécutions extrajudiciaires,
186, 187)
Opinion individuelle X AP, OUGUERGOUZ, GUISSE and ABA
Expression (peur causée par une exécution extra-judiciaire ; preuve, 6)
L Objet de la requête
1. La Cour a été saisie de cette affaire par lettre en date du 11 décembre 2011, émanant de M. AO AG, qui déclare agir au nom de la famille et des avocats de feu Ab Ae. Selon le document intitulé « Communication/Plainte », daté du 10 décembre 2011 et attaché à la lettre précitée, la requête est introduite contre le Ag Aq par les ayants droit de feus Xy Z.…., Ab C..., De F... et Gh |, et par le Mouvement Burkinabé des Droits de l'Homme et des Peuples.
A Les faits à l’origine de l’affaire
2. Aux termes de la requête, les faits remontent à l'assassinat, le 13 décembre 1998, de Xy Z..., journaliste d'investigation, et de ses compagnons précités. Les sieurs Ab C…. et De F... et étaient des collaborateurs de M. Ae, alors que le sieur Gh |. était son jeune frère.
3. Les requérants précisent que « [I]e journaliste d'investigation et directeur de l'hebdomadaire L'Indépendant Xy Z.…. et les sieurs Ab C.…., De F.. et Gh |. ont été retrouvés calcinés le 13 décembre 1998 dans la voiture qui les transportait à sept kilomètres de Sapouy, sur la route en direction de Leo, dans le sud du Ag Aq »
4. En se fondant principalement sur le Rapport de la Commission d'enquête indépendante mise en place par le Gouvernement pour déterminer les causes de la mort de ces personnes, les requérants allèguent que « le quadruple assassinat, le 13 décembre 1998 (...) est lié aux enquêtes que Xy Z.. menait sur de nombreux scandales politiques, économiques et sociaux que le Ag Aq connaissait à cette époque, notamment ses investigations concernant le décès de Mn At..., le chauffeur de A Y.., frère du Président du Faso et Conseiller à la Présidence de la République ».
5. Les requérants indiquent que « [c]hauffeur de son état et employé de Mr A AN..(...), Mn At.. est décédé le (...) à l'infirmerie de la Présidence du Faso vraisemblablement des suites des mauvais traitements infligés par des éléments de la sécurité présidentielle qui enquêtaient sur une affaire de vol d'argent commis au préjudice de l'épouse de celui-ci [A AN.] ».
6. Les requérants ajoutent que «Xy Z… consacra une série d'articles très critiques sur cette affaire dans lesquels il mit en exergue beaucoup d'irrégularités, le refus des personnes « impliquées » de répondre à la justice et surtout la tentative d'étouffer une affaire très embarrassante dans laquelle la famille du frère du Président est fortement impliquée ».
B. Les violations alléguées
7. Les requérants allèguent cumulativement des violations de diverses dispositions d'instruments internationaux des droits de l'homme, auxquels le Ag Aq est Partie.
8. S'agissant de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après « la Charte »), ils allèguent les violations de l'article 1er (obligation d'adopter les mesures législatives ou autres pour assurer l'exercice des droits garantis par la Charte); de l’article 3 (égalité de tous devant la loi et égale protection de la loi); de l'article 4 (droit à la vie); de l’article 7 (droit à ce que sa cause soit entendue par les juridictions nationales compétentes); et de l'article 9 (droit d'exprimer et de diffuser ses opinions).
9. Par rapport au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après P.I.D.C.P.), ils allèguent la violation des articles 2(3) (droit à un recours en cas de violations des droits); 6(1)(droit à la vie); 14 (droit à ce que sa cause soit entendue par un juge compétent, indépendant et impartial), et 19(2) (liberté d'expression). 10. Concernant le Traité révisé de la Communauté Économique des États de l'Afrique de l'Ouest » (CEDEAO), ils allèguent la violation de l’article 66(2)(c) (obligation de respecter les droits du journaliste).
11. Pour ce qui est de Déclaration universelle des droits de l'homme, les requérants allèguent la violation de l'article 8 (droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes en cas de violation des droits)).
12. De façon particulière, les requérants soulignent que «… l'élément essentiel de l'obligation de protéger le droit à la vie et de garantir l'existence de voies de recours efficaces lorsque ledit droit est violé est le devoir d’enquêter sur les auteurs d'homicides, comme celui de Xy Z…, de les identifier et de les traduire en justice (...) »
13. ls ajoutent qu’« [alu lieu de remplir cette obligation, le Ag Aq a manifestement et de manière répétée choisi de faire échouer les efforts des familles de Xy Z.… et de ses compagnons visant à faire en sorte que les responsables de leur assassinat rendent compte de leur acte ».
14. Ils précisent encore qu'« [e]n s'abstenant d'ouvrir une enquête efficace afin de déterminer les circonstances dans lesquelles est intervenu l'assassinat de Xy Z.… et de veiller à ce que ses auteurs soient identifiés, poursuivis et condamnés, le Ag Aq a violé le droit de Xy Z.… à la vie garanti par les articles 4 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et 6(1) du PIDCP et celui à une égale protection de la loi prévue par le paragraphe 2 de l’article 3 de la Charte ».
15. Enfin, ils indiquent que « [l]es actes imputables au Ag Aq violent (...) le paragraphe 2 de l’article 9 de la Charte africaine et les paragraphes 1 et 2 de l'article 9 du PIDCP... », qui garantissent la
n. Le traitement de l’affaire au niveau national
16. Il convient ici d'indiquer en résumé la manière dont cette affaire a été traitée au niveau national. D'après la relation des événements par les requérants, aussi bien dans leur requête que dans leur mémoire en réplique sur le fond, et lors de l'audience publique des 28 et 29 novembre 2013, le traitement de cette affaire est passé principalement par les étapes suivantes :
« saisine par le Procureur du Faso, par réquisitoire du 24 décembre 1998, du Doyen des Juges d'instruction du Cabinet no 1 du Tribunal de grande instance de Ar, en vue de l'ouverture d’une information pour rechercher les causes de la mort des occupants de la voiture de Xy Z.…;
« sur commissions de ce Juge, réalisation d’autopsies sur les corps exhumés et des expertises sur les objets trouvés sur les lieux du crime ; - lettre de plainte et de constitution de parties civiles par les requérants : 6 janvier 1999 ; - création d’une Commission d'enquête indépendante chargée de « mener toutes investigations permettant de déterminer les causes de la mort des occupants du véhicule 4x4 immatriculé (...) survenue le (.…) 1998 sur l'axe routier Ar (Province de AvAQ, dont le journaliste Xy Z.…» (décembre 1998); la Commission rendra son rapport en mai 1999 ;
« décision d’un Conseil des Ministres extra-ordinaire de transmettre sans délai à la Justice le rapport de la C.E.l. (mai 1999) ;
« mise sur pied d’un Collège des Sages chargé de passer en revue tous les problèmes pendants de l'heure et de proposer des recommandations à même d'emporter l'adhésion de tous les protagonistes de la scène politique nationale (mai 1999); le Collège rendra son rapport en juillet 1999 ;
« convocation, le 16 janvier 2001, par un premier Juge d'instruction, de M. AMZ , sans que ce dernier déferre à la convocation ;
- audition de M. A AN par un second Juge d'instruction, après que le premier, qui l'avait inculpé de meurtre et de recel de cadavre, ait été dessaisi (janvier 2001); - inculpation d’un des suspects identifiés précédemment par la C.E.l. (février 2001); l’inculpé ayant été donné pour malade, l'instruction fut gelée pendant plus de cinq ans ;
« ordonnance de non- lieu en faveur de l'inculpé, prise par le Juge d'instruction près le Tribunal de grande instance de Ouagadougou, après qu’un témoin se soit rétracté (juillet 2006) ;
« appel contre l'ordonnance de non-lieu, interjeté par la famille de Xy Z….. auprès de la Chambre d'accusation de la Cour d'appel de Ouagadougou ; cette dernière rejette l'appel et confirme le non-lieu (août 2006).
17. Dans son Mémoire en réponse portant sur les exceptions préliminaires, et dans son Mémoire en réponse sur le fond de l'affaire, l'État défendeur confirme la mise en place d'une Commission indépendante d'enquête (décret du décembre 1998, modifié le 7 janvier 1999) et d'un Collège de Sages (annonce dans le discours du Président du Faso du 21 mai 1999 et création effective du Collège le 1er juin 1999) en donnant des détails sur leur composition, leur mandat et le travail accompli par eux.
18. En : outre, il mentionne en particulier les actes de procédure suivants
« arrivée sur les lieux du crime de la police de Sapouy, le 13 décembre 1998 à 16h 45 ;
« arrivée sur les lieux du Procureur du Faso près le Tribunal de grande instance de Ouagadougou le 14 décembre 1998 ;
« identification des corps par un médecin du Centre médical de Léo pratiquée le 15 décembre 1998 ;
« demande, le 24 décembre 1998, par le Procureur du Faso, de l'ouverture d’une information pour recherche des causes de la mort des occupants du véhicule immatriculé no (...), et saisine du Juge d'instruction du cabinet no 1 à cet effet ; - dépôt, le 7 mai 1999, du Rapport de la Commission d'enquête indépendante ;
« transmission par le Gouvernement, le 10 mai 1999, du Rapport de la Commission d'enquête indépendante à la Justice ;
« rapports d'expertises médico- légale et balistique ordonnées par le Juge d'instruction ;
« demande, le 21 mai 1999, par le Procureur du Faso, de l'ouverture d'une information contre X pour assassinat de Xy Z..., Ab C..., De F... et Gh |; -instruction du dossier par le juge d'instruction, puis inculpation et mise sous mandat de dépôt du principal suspect, le 2 février 2001 ; - confrontation, le 15 mai 2001, entre le principal suspect, adjudant St U… et le témoin Vw X...; - suspension de la confrontation entre l’inculpé et un témoin, en raison de l'état de santé de l'inculpé en mai 2001, et reprise de la confrontation le 31 mai 2006 ;
« réquisitoire définitif du Procureur le 13 juillet 2006, requérant d'abandonner les poursuites contre l'unique inculpe, -ordonnance de non- lieu par le juge d'instruction en date du 18 juillet 2006 ;
« recours en appel des parties civiles contre l'ordonnance de non- lieu, en date du 19 juillet 2006 auprès de la Chambre d'accusation de la Cour d'appel de Ouagadougou ;
« arrêt de cette Cour en date du 16 août 2006, confirmant l'ordonnance de non- lieu prise par le juge d'instruction.
19. La Cour observera que dans l'ensemble, la relation des faits en rapport avec le traitement de l'affaire au niveau national faite par les requérants et celle faite par l' État défendeur sont complémentaires et concordantes, sauf sur trois points également débattus au cours des audiences publiques des 7 et 8 mars 2013, et des 28 et 29 novembre 2013 Tout d'abord, l’État défendeur a indiqué qu’il n'y avait eu qu'un seul juge d’ instruction à s’ occuper de l'affaire, contredisant l'allégation des requérants selon laquelle un premier juge en avait été dessaisi. Ce à quoi un des Conseils des requérants a répondu en donnant les noms de deux Juges d'instruction successifs. Finalement, au cours de l'audience publique du 29 novembre 2013, les Conseils des requérants ont reconnu que, dans l'affaire Xy Z… et autres, il n'y avait eu qu’un seul Juge d'instruction (infra, paragraphe 129).
Ensuite, alors que les requérants prétendent que M. A AkZ a refusé de comparaître devant un premier juge, avant de comparaître une seule fois devant un second juge qui l'avait remplacé après son dessaisissement, l'Etat défendeur affirme que M. A Y a comparu au moins deux fois devant le seul Juge d'instruction qui a eu à s'occuper de l'affaire.
Enfin, l'État défendeur a nié l'allégation des requérants selon laquelle l'instruction de l'affaire fut gelée entre 2001 et 2006, en indiquant que des actes d'instruction, notamment l'audition de témoins, furent posés durant cette période
La Cour aura l’occasion de revenir sur toutes ces allégations au cours de l'examen de l'allégation de violation du droit à ce que sa cause soit entendue par les juridictions nationales compétentes.
" Résumé de la procédure devant la Cour ‘
1 Le détail de la procédure devant la Cour ayant abouti à son arrêt du 21 juin 2013
sur les exceptions préliminaires est à retrouver aux paragraphes 20 à 49 dudit
arrêt.
20. La requête a été reçue au Greffe de la Cour le 11 décembre 2011 21. Par lettres successives en date du 11 et du 23 janvier 2012, adressées au Ministre des Affaires étrangères du Ag Aq, le Greffe lui a transmis la requête en application de l’article 35(4)(a) du Règlement intérieur, et lui a demandé d'indiquer à la Cour dans un délai de trente (30) jours, les noms et adresses des représentants du Gouvernement ; et, en application de l’article 37 dudit Règlement, il lui a demandé de répondre à la requête dans un délai de soixante (60) jours.
22. Par lettre en date du 13 mars 2012 adressée au Greffier, transmise par une Note verbale de l'Ambassade du Ag Aq, Mission permanente auprès de l'Union africaine, Ad Af, Ethiopie, en date du 23 mars 2012, le Ministre de la Communication, Porte-parole du Gouvernement assurant l'intérim du Ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale du Ag Aq, a communiqué les noms et adresses des représentants du Gouvernement du Ag Aq.
23. Par communications successives en dates du 11 avril, du 25 avril, du 8 mai et du 15 mai 2012, l’État défendeur a transmis au Greffe de la Cour, le Mémoire en réponse contenant ses observations sur la recevabilité de la requête
24. Dans son Mémoire en réponse en date du 11 avril 2012 reçu au Greffe de la Cour le 17 avril 2012, l'État défendeur soulève une exception d'incompétence de la Cour ratione temporis, et des exceptions d'irrecevabilité de la requête tirées du non- épuisement des voies de recours internes, et du non- respect du délai raisonnable dans la soumission de la requête à la Cour.
25. Par lettres en date des 6 et 8 juin 2012 adressées aux requérants, le Greffier leur a transmis une copie du Mémoire en réponse de l'État défendeur.
26. Dans leur mémoire en réplique reçu au Greffe le 22 août 2012, les requérants rejettent systématiquement les objections préliminaires soulevées par l’État défendeur.
27. Au cours de sa vingt-sixième session ordinaire tenue à Arusha du 17 au 28 septembre 2012, la Cour a décidé que la procédure écrite sur les exceptions préliminaires était close, et qu’elle tiendrait une audience publique sur ces exceptions au cours de sa session ordinaire de mars 2013.
28. La Cour a effectivement tenu cette audience publique les 7 et 8 mars 2013, à la suite de quoi elle a mis l'affaire en délibéré, concernant les exceptions préliminaires.
29. Par lettres en date du 12 avril 2013 adressées aux parties, le Greffier leur a demandé de produire, dans un délai de quinze jours, tout document susceptible de corroborer les allégations faites au cours de l'audience publique ; il a en particulier demandé à l'État défendeur de soumettre toute pièce de nature à établir qu'entre 2001 et 2006, l'instruction de l'affaire s'était poursuivie, notamment par l'audition des témoins.
30. Par lettre en date du 25 avril 2013, un des Conseils de l’État défendeur a transmis au Greffier un inventaire de pièces établi le 20 juillet 2006, reprenant l'ensemble des actes d'instructions de 1999 à 2006, signé conformément à la loi par le Greffier d'Instruction près le Tribunal de Ouagadougou et neuf procès-verbaux de 22 pages d'audition, de confrontation et de déposition sur un total de 63 actes posés dans le cadre de l'instruction du dossier entre la période de suspension des auditions du principal inculpé, et la procédure d'appel.
31. Par lettre en date du 28 avril 2013, les requérants ont répondu à la lettre du Greffier mentionnée au paragraphe 29, en réitérant leur position selon laquelle, l'instruction de l'affaire fut gelée entre 2001 et 2006, et en produisant une copie du Réquisitoire définitif de non- lieu du Procureur du Faso, daté du 13 juillet 2006, ainsi qu'une copie de la Convocation à Conseil en vue de l'audition de l'épouse de Xy Z.…, datée du 28 avril 2006
32.En date du 21 juin 2013, la Cour a rendu son arrêt, dont le dispositif est ainsi libellé :
« Par tous ces motifs,
LA COUR, à l'unanimité,
1 Retient l'exception d’incompétence rationae temporis de la Cour en ce qui concerne l’allégation de violation du droit à la vie, fondée sur
2 Rejette l'exception d’incompétence rationae temporis de la Cour en ce qui concerne l'allégation de violation du droit des requérants à ce que leur cause soit entendue par un juge, fondée sur l'ensemble des actes de procédure judiciaire intervenus lors du traitement de l'affaire au niveau national ;
3. Rejette l'exception d’incompétence rationae temporis de la Cour en ce qui concerne les allégations de violations des droits de l'homme en rapport avec l'obligation de garantir le respect des droits de l'homme, le droit à une égale protection de la loi et à l'égalité devant la loi, et le droit à la liberté d'expression et à la protection des journalistes, pour autant que ces allégations soient directement reliées à l’allégation de violation du droit à ce que la cause des requérants soit entendue par les juridictions nationales compétentes
4 Déclare que, dans les circonstances de l'affaire, l'exception d'irrecevabilité de la requête tirée du non-épuisement des voies de recours internes n'a pas un caractère exclusivement préliminaire, et la joint au fond ;
5. Rejette l'exception d’irrecevabilité de la requête, tirée du non-respect d’un délai raisonnable dans la soumission de la requête à la Cour ;
6 Décide de passer à l'examen du fond de l'affaire ;
7. Ordonne à l'État défendeur de soumettre à la Cour son Mémoire en réponse sur le fond de l'affaire, dans les trente jours qui suivent la date du présent arrêt ; ordonne également aux requérants de soumettre à la Cour [leur] Mémoire en réplique sur le fond de l'affaire dans les trente jours qui suivront la date de réception du Mémoire en réponse de l’État défendeur ».
33. Par lettres en date du 3 juillet 2013 adressées aux parties, le Greffier leur a notifié une copie de l'arrêt du 21 juin 2013 sur les exceptions préliminaires, et les a informées que l'audience publique sur le fond de l'affaire aura lieu les 19 et 20 septembre 2013 au siège de la Cour à Arusha.
34. Par lettre en date du 19 juillet 2013, l'État défendeur a transmis au Greffier, deux exemplaires de son Mémoire en réponse, en conformité avec le dispositif de l'arrêt de la Cour du 21 juin 2013. 35. Par lettre en date du 30 juillet 2013, le Greffier a notifié aux requérants le Mémoire précité de l'Etat défendeur, en les invitant à soumettre, le cas échéant, leur réplique, dans les trente jours de la réception de cette notification.
36. Par lettre en date 27 août 2013 adressée au Greffier, les requérants ont demandé qu’un délai supplémentaire de trente jours leur soit accordé pour qu'ils puissent réunir tous les éléments de preuve qu'ils souhaitent annexer à leur réplique.
37. Par lettre en date du 3 septembre 2013, le Greffier a informé les requérants que la Cour a décidé de proroger de trente jours le délai de dépôt de leur réplique, à compter du 6 septembre 2013, et que l'audience publique était en conséquence reportée à une date ultérieure qui leur sera communiquée.
38. Par la suite, la Cour a décidé que l'audience publique sur le fond de l'affaire aurait lieu au cours de sa session ordinaire de novembre- décembre 2013, à des dates encore à préciser. Au cours de sa trentième session ordinaire tenue à Arusha du 16 au 28 septembre 2013, la Cour a fixé l'audience publique aux dates des 28 et 29 novembre 2013.
39. Par courriel en date du 7 octobre 2013, reçu au Greffe le même jour, les requérants ont soumis leur mémoire en réplique daté du 6 octobre 2013.
40. L'audience publique a eu lieu aux dates prévues, au siège de la Cour, à Arusha, et celle-ci a entendu les observations orales des Parties Pour les requérants :
- Me Benewende Stanislas Sankara, Conseil
« Me Ibrahima Kane, Conseil
« Me Chidi Anselm Odinkalu, Conseil
Pour l'État défendeur :
- M. Ai Ai Aw, Directeur général des affaires juridiques et consulaires au Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération régionale
« Me Antoinette Ouedraogo, Conseil
« Me Anicet Some, Conseil
41. Durant l'audience, les Juges de la Cour ont posé des questions aux Parties et celles-ci y ont répondu.
42. Par lettre en date du 18 décembre 2013 adressée au Greffier, l’État défendeur a transmis à la Cour, comme suite à sa demande lors de l'audience publique du 29 novembre 2013, une série de documents tendant à montrer que la procédure d'instruction n'avait pas été suspendue entre 2001 et 2006 du fait de la maladie de l'inculpé StU…., et qu’elle avait suivi son cours normal.
Les documents ainsi produits sont : des lettres de constitution d'Avocats aux côtés des ayants droit des feus Xy Z… et autres, des lettres d'Avocat demandant à ce que des témoins soient entendus ; des actes de mise en détention et de prolongation de détention de l'inculpé ; divers documents médicaux relatifs à l'état de santé de l'inculpé ; diverses convocations de témoins et de l'inculpé ; vingt-sept (27) procès-verbaux d'audition.
43. Par lettre du Greffier en date du 2 janvier 2014, ces documents ont été communiqués aux requérants.
44. Par lettre en date du 29 janvier 2014, les requérants ont transmis à la Cour, comme suite à sa demande lors de l'audience publique du 29 novembre 2013, les Notes de plaidoiries de Maître B.S. Sankara à cette audience, ainsi que des documents annexes à ces Notes. Les documents ainsi produits sont, entre autres : la lettre de plainte des requérants avec constitution de partie civile ; divers procès-verbaux d’interrogatoire et de confrontation : échange de correspondances entre les requérants et le Procureur du Faso au sujet de la réouverture de l'information sur l'affaire, après l'ordonnance de non- lieu du 18 juillet 2006.
45. Dans la procédure écrite, les conclusions ci-après ont été présentées par les parties :
Au nom des requérants, dans la requête
« 52. Au vu des points de fait et de droit ci-dessus mentionnés, et sans préjudice des éléments de fait et de droit et des éléments de preuve qui pourraient être ultérieurement produits, ainsi que du droit de compléter et amender le présent document, les ayants droit de Feus Xy Z... Ab C.…, De F... et Gh |... et le MBDHP prient respectueusement votre Cour de :
(1) Déclarer la requête recevable ; Et y faisant droit de :
(2) Constater que l'Etat du Ag Aq a violé les dispositions pertinentes de la Déclaration universelle des droits de l'homme (article 8), du PIDCP [articles 2(3), 6(1) et 19(2)], de la Charte [articles 1, 3, 4, 7,9 et 13] et du Traité révisé de la CEDEAO [article
(3) Condamner le Ag Aq à verser aux ayants droit de feus Xy Z… et au MBDHP les dommages et intérêts suivants :
a. Les dommages et intérêts pour toutes les pertes de soutien familial consécutifs à l'assassinat de Xy Z.…., Ab C.…., De F... et Gh |... les frais encourus pour leur inhumation et la perte du véhicule qu’ils utilisaient au moment de leur assassinat ;
b. Les dommages et intérêts généraux pour la douleur, la souffrance physique et les souffrances et traumatismes émotionnels endurés par les ayants droit de Feus Xt Z.…. Ab C.…, De F... et Gh |... et le MBDHP pendant toute la durée du deuil et de cette longue procédure judiciaire totalement imputable aux autorités burkinabés ;
c. Les dommages et intérêts à titre répressif en vue de dissuader le Ag Aq à permettre la répétition de tels crimes sur son territoire et l’obliger à harmoniser sa législation avec les principes et standards internationaux en matière de procédure judiciaire.
Les plaignants s’en remettent à la sagesse de [la] Cour pour la détermination du quantum de chacun des dommages et intérêts ci- dessus mentionnés ».
dans le Mémoire en réplique sur les exceptions préliminaires :
« 62. Au vu donc des points de faits et de droit ci-dessus mentionnés, et sans préjudice des éléments de faits et de droit et des éléments de preuve qui pourront être ultérieurement produits, ainsi que du droit de compléter et amender le présent document, les ayants droit de Feus Xy Z… et de ses trois compagnons prient la Cour de rejeter les objections préliminaires du Ag Aq et d'examiner la recevabilité de ladite plainte ».
dans le Mémoire en réplique sur le fond de l'affaire
« 41. S'agissant de la détermination du quantum des dommages et intérêts que nous réclamons, nous nous en remettons a la sagesse de votre auguste Cour en lui demandant de tenir compte de l'angoisse et de la pression psychologique dont les ayants droits de Xy Z..., Ab C..., De F... et Gh |. ont souffert et souffrent encore parce qu’ils ne connaissent pas encore les assassins de leurs parents. À quoi, il faudra ajouter les pertes en ressources financières subies depuis la disparition de personnes qui assuraient l'essentiel des moyens de survie de leur
42. [Nous prions la Cour de] «.. faire droit à la demande (...) de paiement de dommages et intérêts, qu'ils soient particuliers, généraux et à titre répressif »
Au nom de l'État défendeur,
dans le Mémoire en réponse portant sur les exceptions préliminaires :
« 89. En conséquence de ce qui précède, le Gouvernement du Ag Aq prie respectueusement la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples de déclarer irrecevable la communication no 013/2011 du 11 décembre 2011 des ayants droit de feus Xy Z.…., Ab C.…, De F... et Gh 1... et du Mouvement burkinabè des droits de l'homme et des peuples (MBDHP) introduite contre l'État du Ag Aq ».
dans le Mémoire en réponse sur le fond de l'affaire :
« 103. En conséquence, il sollicite qu’il plaise à la Cour,
1. Enla forme,
de bien vouloir déclarer la communication/plainte no (.) du 11 décembre 2011 irrecevable, pour non épuisement préalable des voies de recours internes (articles 56(5) de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et 40(5) du Règlement intérieur intérimaire de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples), car d’une part, la plus haute juridiction judiciaire du Ag Aq (la Cour de cassation) n'a pas été saisie par les ayants droit de Xy Z.…., Ab C.…, De F... et Gh |... et par le Mouvement Burkinabè des Droits de l'Homme et des Peuples (MBDHP) avant leur recours devant la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, et d'autre part, la procédure des recours internes ne s’est pas prolongée de façon anormale ;
2 Au fond,
et au cas où elle déclarerait recevable la communication/plainte, la Cour voudra bien la rejeter comme étant non fondée et en conséquence, débouter les ayants droit de Xy Z.…., Ab C.…, De F... et Gh |... ainsi que le Mouvement Burkinabè des Droits de l'Homme et des Peuples (MBDHP) de l'ensemble de leurs demandes en paiement de dommages et intérêts, qu'ils soient particuliers, généraux ou à titre répressif »,
46.A l'audience publique des 28 et 29 novembre 2013, les requérants n'ont pas modifié leurs conclusions et l'État défendeur a maintenu les siennes
v. La compétence de la Cour
47. Aux termes de l'article 39.1 du Règlement intérieur de la Cour, « La Cour procède à un examen préliminaire de sa compétence. ». 48. En ce qui concerne sa compétence matérielle, l'article 3.1 du Protocole portant création de la Cour (ci-après, le Protocole) dispose qu'elle « a compétence pour connaître de toutes de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et l'application de la Charte, du présent Protocole et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par les États concernés ». Dans la présente affaire, les requérants allèguent la violation par l'État défendeur, des dispositions de la Charte, du PIDCP,? ainsi que d’une disposition du Traité révisé de la CEDEAO qui garantit les droits des journalistes (supra, paragraphes 7 à 11).
Par voie de conséquence, la Cour a compétence matérielle pour examiner de telles allégations.
49. Pour ce qui est de la compétence personnelle de la Cour, le Protocole exige d'abord que l’État contre lequel une action est introduite ait non seulement ratifié ledit Protocole et les autres instruments des droits de l'homme invoqués (article 3(1) précité), mais également, s'agissant de requêtes émanant de particuliers, qu'il ait fait et déposé la déclaration de reconnaissance de la compétence de la Cour pour examiner de telles requêtes, prévue par son article 34.6. Dans la présente affaire, il ressort du dossier que le Ag Aq est devenu partie à la Charte le 21 octobre 1986, au PIDCP le 4 avril 1999, et a ratifié le Traité révisé de la CEDEAO le 24 juin 1994 ; et qu'il a également déposé la déclaration prévue par l'article 34.6 précité le 28 juillet 1998.
Le Protocole prévoit ensuite que « [la Cour peut permettre aux individus ainsi qu'aux organisations non gouvernementales (ONG) dotées du statut d'observateur auprès de la Commission d'introduire des requêtes directement devant elle, conformément à l'article 34(6) de ce Protocole ». En l'espèce, les ayants droits de Xy Z… et autres sont des individus, et il ressort du dossier que le M.B.D.H.P. est une ONG qui a un statut d'observateur auprès de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après, la Commission).*
2 Les requérants allèguent en même temps une violation de la Déclaration universelle des droits de l'homme, qui n'est pas un traité.
3 Le statut d’observateur a été accordé par la Commission à cette organisation au cours de sa 6 session ordinaire tenue à Banjul, en Gambie, du 23 octobre au 4 novembre 1989. Voir : www.achpr.org En conséquence de ce qui précède, la Cour note qu'elle a également une compétence personnelle à examiner la présente affaire, aussi bien dans le chef des requérants que dans le chef de l'État défendeur.
50. S'agissant de la compétence temporelle de la Cour, celle-ci a déjà eu l’occasion de se prononcer sur les exceptions préliminaires soulevées par l'État défendeur, à cet égard. Dans l'arrêt qu'elle a rendu le 21 juin 2013, à ce sujet, la Cour a retenu l'exception d'incompétence ratione temporis concernant l'allégation de violation du droit à la vie, mais a rejeté l'exception d'incompétence ratione temporis en ce qui concerne l'allégation de violation du droit des requérants à ce que leur cause soit entendue par un juge, ainsi que les allégations de violations des droits de l'homme en rapport avec l'obligation de garantir le respect des droits de l'homme, le droit à une égale protection de la loi et à l'égalité devant la loi, et le droit à la liberté d'expression et à la protection des journalistes (supra, paragraphe 32).
51. Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que la Cour a compétence pour examiner toutes les allégations de violations des droits de l'homme avancées par les requérants, à l'exception de l’allégation de violation du droit à la vie.
v. La recevabilité de la requête
52. Selon l'article 39 de son Règlement intérieur, « [Ia Cour procède à un examen préliminaire (..) des conditions de recevabilité de la requête telles que prévues par les articles 50 et 56 de la Charte et de l’article 40 du présent Règlement ».
Aux termes de l’article 6.2 du Protocole, « [Ja Cour statue sur la recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l'article 56 de la Charte ». L'article 40 du Règlement intérieur qui reprend en substance le contenu de l’article 56 de la Charte, dispose comme suit : « En conformité avec les dispositions de l’article 56 de la Charte auxquelles renvoie l’article 6.2 du Protocole, pour être examinées, les requêtes doivent remplir les conditions ci- après :
1. Indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la Cour de garder l'anonymat ;
2. Être compatible avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la Charte
3. Ne pas contenir de termes outrageants ou insultants ;
4. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse ;
5. Être postérieures à l'épuisement des recours internes s'ils existent, à moins qu'il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
6. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa propre saisine ;
7. Ne pas concerner des cas qui ont été réglés conformément soit aux principes de la Charte des Nations Unies, soit de l’Acte constitutif de l'Union africaine et soit des dispositions de la Charte ou de tout autre instrument juridique de l'Union africaine ».
A. Les conditions de recevabilité qui ne sont pas en discussion entre les parties
53. Les conditions relatives à l'identité des requérants, à la compatibilité de la requête avec l'Acte constitutif de l'Union africaine et la Charte, au langage utilisé dans la requête, à la nature des preuves, et au principe non bis in idem, (points 1, 2, 3, 4 et 7 de l'article 40 du Règlement intérieur) ne sont pas en discussion entre les parties.
Pour sa part, la Cour observe également que rien dans le dossier qui lui a été soumis par les parties ne suggère que l'une ou l'autre de ces conditions ne serait pas remplie en l'espèce. Par voie de conséquence, la Cour considère que les conditions sous examen ici sont pleinement remplies dans la présente affaire.
B. La condition relative au délai de saisine de la Cour
54, Dans son mémoire en réponse sur les exceptions préliminaires, l'État défendeur avait soulevé une exception d’irrecevabilité de la requête tirée du non-respect d'un délai raisonnable dans la soumission de la requête à la Cour (point 6 de l'article 40 du Règlement intérieur).
Dans son arrêt en date du 21 juin 2013, la Cour a cependant rejeté cette exception (supra, paragraphe 32).
Il en résulte que la condition relative au délai de saisine de la Cour par les requérants est également remplie en l'espèce.
C. L’exception d’irrecevabilité de la requête tirée du non- épuisement des voies de recours internes
55. Dans son Mémoire en réponse portant sur les exceptions préliminaires, l'Etat défendeur avait également soulevé une exception d'irrecevabilité de la requête tirée du non-épuisement des voies de recours internes (point 5 de l'article 40 du Règlement intérieur).
Dans son arrêt du 21 juin 2013, la Cour avait cependant déclaré que cette exception n'avait pas un caractère exclusivement préliminaire, et l'avait jointe au fond, en conformité avec l'article 52(3) du Règlement intérieur de la Cour (supra, paragraphe 32).
A ce stade de l'examen de l'affaire, la Cour va donc se prononcer sur ladite exception.
56. L'examen du dossier révèle que le fait que les requérants individuels n'ont pas épuisé la totalité des recours judiciaires internes mis à leur disposition par le système juridique burkinabé n'est pas contesté. Il est en effet clairement établi qu'ils ont décidé de ne pas se pourvoir en cassation. Ce qui en revanche est en discussion ici entre les parties, c'est d'abord la question de savoir si le recours en cassation, Occulté par les requérants individuels, était ou non en lui- même, un recours efficace. C'est ensuite la question de savoir si, en l'espèce, la procédure des recours exercés s'était prolongée d'une façon anormale au sens de l'article 56.5 de la Charte.
Par ailleurs, il conviendra de traiter séparément la question de savoir si le Mouvement burkinabé des droits de l'homme et des peuples avait lui aussi ou non à épuiser les voies de recours internes.
i. La question de l’efficacité du recours en cassation
57. Dans son Mémoire en réponse en date du 13 avril 2012, l'État défendeur relève que la plus haute juridiction judiciaire du Ag Aq, la Cour de cassation, n'a pas été saisie avant le recours à la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples.
58. Il fait valoir qu'alors qu’ils en avaient la possibilité, les requérants ne se sont pas pourvus en cassation devant la Chambre criminelle de la Cour de cassation et qu'ils « n'ont donc pas épuisé tous les recours internes disponibles ».
59. L'État défendeur souligne encore que «.… la Cour [de cassation) était légalement en mesure de leur donner satisfaction » puisqu’ (aux termes de l'article 605 du Code de procédure pénale, [lorsqu'elle annule un arrêt ou un jugement, la Chambre [criminelle de la Cour de cassation) renvoie le procès et les parties devant une juridiction de même ordre et de même degré que celle qui a rendu la décision attaquée ou, à défaut, devant la même juridiction autrement composée
»
60. L'État défendeur a réitéré cette position au cours des audiences publiques des 7 et 8 mars 2013, en soulignant que bien que le prononcé de la décision de la Cour de cassation ne soit soumise à aucun délai, le recours devant cette juridiction, facile à intenter au demeurant, était un recours utile, efficace, et suffisant et « pouvait aboutir à une décision différente de celle du juge d'instruction et de celle de la Chambre d'accusation ».
61. Dans son Mémoire en réponse sur le fond de l'affaire, l'État défendeur plaide encore que : « ayant par eux-mêmes renoncé à en utiliser devant la Cour de cassation, alors que pareil recours était bel et bien disponible, facilement accessible et pouvait aboutir à la cassation de l'arrêt du 16 août 2006, ils ne peuvent plus reprocher à la Justice burkinabè une quelconque inefficacité ou ‘incapacité à enquêter, identifier et traduire en justice avec diligence les auteurs de l'assassinat de Xy Z.…».
62. Dans leur requête, les requérants indiquent qu'«en droit burkinabé, il existe bien la possibilité d’un pourvoi en cassation, prévue par l'article 575 du Code de procédure pénale », mais que « la famille de Xy Z.. a délibérément décidé de ne pas l'utiliser et de saisir [la Cour africaine) parce que les voies judiciaires auxquelles elle a eu recours pendant ces 9 années de procédures se sont avérées inefficaces et insatisfaisantes et la saisine de la Cour de cassation inopérante ».
63. Ils soulignent que « [I]e recours devant la Cour de cassation aurait été inutile en ce sens qu'il est de notoriété publique que la juridiction suprême met environ cinq ans après sa saisine pour se prononcer sur le moindre dossier ».
64. Dans leur Mémoire en réplique sur les exceptions préliminaires, les requérants plaident principalement qu'« [u]n requérant n’est pas tenu d'exercer un recours inefficace ou inadéquat, à savoir un recours qui n’est pas de nature à porter un remède aux allégations de violations de droits de la personne ».
65. Au cours de l'audience publique du 07 mars 2013, les requérants ont réitéré cette même position, en insistant sur le caractère inefficace du pourvoi en cassation, qui selon eux n'offre pas « l'opportunité de changer dans le fond les décisions qui ont été prises ».
66. La Cour observe que dans le système juridique burkinabé, le pourvoi en cassation est un recours qui vise à faire annuler, pour violation de la loi, un arrêt ou un jugement rendu en dernier ressort (Code de procédure pénale du 21 février 1968, articles 567 et s.).
67. Comme on vient de le voir, selon l'État défendeur, le pourvoi en cassation est un recours juridique parfaitement efficace qui permet à la plus haute juridiction du pays de sanctionner les violations de la loi commises par les juridictions inférieures. Selon les requérants en revanche, dans la présente espèce, ce recours n'aurait pas été efficace, parce que la Cour de cassation se limite à sanctionner les violations de la loi sans se prononcer sur le fond de
68. Dans le langage courant, est efficace ce « [q]ui produit l'effet qu’on en attend » (Le Ap Ab, 2011, p. 824). Par rapport au point sous examen, l'efficacité d’un recours en tant que tel est donc sa capacité à remédier à la situation dont se plaint celui ou celle qui
69. En la présente affaire, personne ne peut douter a priori de la capacité ultime de la Cour de cassation à provoquer la modification de la situation des auteurs du pourvoi, sur le fond de l'affaire, dans le cas où elle aurait été venue à constater des violations de la loi concernant le traitement qui a été réservé à l'affaire par la juridiction dont l'arrêt est attaqué.
A cet égard, il faut même relever qu'aux termes de l'article 605 du Code de procédure pénale du Ag Aq, «… Si le jugement ou l'arrêt qui intervient sur renvoi est cassé (à nouveau) pour les mêmes motifs que le premier, la Chambre judiciaire appliquera aux faits reconnus constants par les juges du fond des dispositions de la loi », ce qui signifie qu'en fin de compte, elle tranchera elle-même l'affaire au fond.
Par ailleurs, selon l’article 18 de la Loi organique no 013-2000/AN du 9 mai 2000 portant organisation, attributions et fonctionnement de la Cour de cassation et procédure applicable devant elle, « …[IJorsque le renvoi est ordonné par les chambres réunies, la juridiction de renvoi doit se conformer à la décision des chambres réunies sur les points de droit jugés par celles-ci ».
Enfin, aux termes de l'article 19 de cette même loi, « … [la Cour de cassation] peut aussi en cassant sans renvoi, mettre fin au litige lorsque les faits sont tels qu'ils permettent d'appliquer la règle de droit appropriée »
70. Il est donc clair que le pourvoi en cassation n’est pas un recours inutile, puisque la Cour de cassation peut, dans certaines circonstances, conduire au changement ou changer le fond de la décision attaquée. Et sauf à avoir exercé ce recours, l’on ne peut pas savoir ce que la Cour de cassation aurait décidé.
Comme l'a relevé la Cour européenne des droits de l'homme dans une affaire impliquant la France qui appartient à la même famille juridique que le Ag Aq : « le pourvoi en cassation figure parmi les voies
de recours à épuiser en principe pour se conformer à l'article 35 [de la Convention] ».*
Il en résulte que le pourvoi en cassation prévu par le système juridique burkinabé est un recours efficace, que les requérants individuels devaient pouvoir exercer, pour se conformer à la règle de l'épuisement des voies de recours internes portée par l'article 56.5 de la Charte et l'article 40.5 du Règlement intérieur de la Cour.
71. Il est entendu qu'une telle conclusion ne préjuge en rien de la question bien distincte de savoir si la procédure relative à un recours donné s'est prolongée d'une façon anormale, question que la Cour va examiner à présent.
ii. La question de la prolongation de la procédure relative aux recours
72. Dans son Mémoire en réponse portant sur les exceptions préliminaires, et concernant l'argument des requérants tiré de la prolongation anormale de la procédure des recours, l'État défendeur soutient d'abord que « [I]a prolongation anormale … est appréciée dans le seul chef du ou des recours disponibles et efficaces non utilisés mais non sur l'ensemble d'une procédure », ajoutant que «[lJa prolongation anormale est écartée lorsqu'un recours disponible, en l'espèce le pourvoi en cassation, n'a pas été utilisé » alors que « ce recours était accessible aux plaignants sans aucune entrave ».
73.11 plaide ensuite que « [IJa prolongation anormale est encore écartée lorsque la voie de recours disponible et accessible est efficace en ce qu'elle offre aux justiciables la possibilité de faire réparer la violation alléguée », avant de faire observer :
« Paradoxalement, les cinq (5) années qu'ils n'ont pas voulu « perdre » devant la Cour de cassation, ont été utilisées à patienter avant de saisir la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples (...) alors que la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples était fonctionnelle pour connaître des violations alléguées… ».
74. L'État défendeur soutient en outre, en se fondant sur une jurisprudence de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, qu'« il appartient au plaignant qui invoque la dérogation de prouver la véracité des faits allégués, soit par une tentative de saisine des juridictions [nationales], soit par la présentation d’un cas précis analogue pour lequel les actions en justice s'étaient révélées en fin de compte ineffectives… », et que dans le cas présent « les plaignants n'apportent aucune preuve de la véracité des faits qu'ils allèguent ».
4 Affaire Ac c. France, arrêt du 28 septembre 1999, paragraphe 41. Voir aussi la jurisprudence citée dans le même sens ainsi que le paragraphe 43. Voir en outre, l’Affaire Ax c. France, arrêt du 20 janvier 2000, paragraphe 32.
75. Enfin, l’État défendeur plaide que « [Ja durée de l'instruction du dossier Xy Z.… ne saurait être assimilée à une prolongation anormale des voies de recours » et que « cette durée est liée à la complexité du dossier, à l'absence de preuves formelles concernant l'identification des auteurs et au souci des juridictions de respecter la présomption
76. Dans son Mémoire en réponse sur le fond de l'affaire, en invoquant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, l'État défendeur soutient que « le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et en raison, en particulier de la complexité de l'affaire, du comportement du requérant et de celui des autorités compétentes ».
77. Dans la foulée, il s'attache à démontrer de nouveau la complexité de l'affaire (assassinat commis en rase campagne, absence de témoins oculaires ; véhicule et corps calcinés ; expertises et autopsies pratiquées par des experts au Ag Aq et à l'étranger ; audition de centaines de témoins) et conclut que « plus l'affaire est complexe, plus l'instruction est longue ».
78. Il ajoute ensuite que le comportement des défenseurs des requérants a pu accroître la durée de l'instruction. Il en veut pour preuve le fait que le représentant de Au Am Ah et Sieur M. At qui déclaraient détenir des informations utiles pour l'instruction ne les aient pas transmises au Procureur du Faso au moment de l'instruction, et aient attendu la fin de l'affaire pour en faire état ; ainsi que le fait que le représentant du Mouvement burkinabè des droits de l'homme et des peuples qui présidait la Commission d'enquête indépendante « n'ait pas saisi le Procureur du Faso de ces faits’ qu’il ne pouvait ignorer ».
79. L'État défendeur plaide enfin qu'« [i]| ne peut être reproché une inerte ou une inaction de la part des autorités politiques, administratives et judiciaires » (création de la CEI dont des organisations de journalistes tant nationales qu'internationales et le MBDHP étaient respectivement membres et président ; saisine de la Justice sur la base du rapport de la CEI). Il ajoute qu'« [i]| ne peut non plus leur être reproché de n'avoir pas mis à la disposition des ayants droits de Xy Z.. et de ses compagnons des recours internes effectifs et efficaces » (ouverture d’une information judiciaire contre X, octroi de moyens financiers et matériels importants au juge d'instruction ; réalisation des autopsies et des expertises sur les objets trouvés dans le véhicule et sur des armes et munitions semblables à celles trouvées sur les lieux du sinistre, des prises de vues, des transports sur les lieux, et des auditions de dizaines de témoins ; inculpation et mise sous mandat de dépôt du suspect le 02 février 2001). Il conclut que «… l'on ne peut pas faire grief (au Juge d'instruction) d'avoir attendu deux (2) ans pour interroger les premiers suspects, comme si aucun acte de procédure préalable (auditions de témoins, demande d'expertises, etc. ) n’[avait] été posé par lui depuis
qu'il a été saisi »
80. Concernant la période comprise entre 2001 et 2006, en s'appuyant sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme,
l'Etat défendeur explique que « [m]ême le ralentissement de l'instruction qui pourrait être provoqué (ce qui n’est pas prouvé) par la suspension pendant cinq (5) ans de la confrontation du suspect avec le témoin ne saurait lui être imputable, étant donné qu'« [] a été en effet maintes fois jugé que l'État ne peut se voir reprocher l'allongement de la durée de la procédure en raison de la maladie ».
81. S'agissant des dates entre lesquelles la durée du délai raisonnable devrait être appréciée, l'État défendeur estime que le dies a quo est le jour où le suspect a été inculpé (le O2 février 2001) et le dies ad quem est le jour où l'arrêt est devenu définitif, en l'absence de pourvoi en cassation (le 31 août 2006), soit cinq ans, six mois et 29 jours.
82. L'État défendeur conclut qu'« [au] regard de la complexité de la cause et des comportements des requérants ou de leurs défenseurs, tels que précédemment décrits, l'on peut convenir que l'instruction a eu une durée normale grâce à l'efficacité du juge d'instruction et à l'importante contribution des autorités politiques et administratives burkinabè », et qu'« [u]ne telle durée répond aux exigences de délai raisonnable prévues par les dispositions communautaires et internationales dont les violations sont à tort alléguées à l'encontre du Ag Aq ».
83. Dans leur requête, les requérants rappellent que les voies judiciaires auxquelles ils ont eu recours ont duré 9 années et qu'elles se seraient encore prolongées environ cinq années si la Cour de cassation avait été saisie.
84. Ils précisent que « … concernant le cas d'espèce, il est probable que, vu la mauvaise volonté manifestée par les autorités politiques, ce délai aurait pu être allongé à souhait » et affirment que « le paragraphe 5 de l’article 56 de la Charte précise qu'un requérant devant [la] Cour n’est pas tenu, lorsque la procédure judiciaire se prolonge de façon anormale’ de les respecter » (sic).
85. Dans leur Mémoire en réplique sur les exceptions préliminaires, les requérants notent que dans la présente affaire, « il a fallu. attendre près de deux ans, pour que le frère du Président du Faso, qui semble être au coeur de cette affaire de meurtre du journaliste et de ses compagnons, soit entendu par un juge d'instruction », avant d'ajouter :
« Une autre bizarrerie du dossier est le gel de l'instruction pendant plus de cinq ans pour cause de maladie du principal accusé. Mais ce dernier bénéficiera d’un non- lieu dès la reprise de son audition par le juge d'instruction avant de décéder »,
86.Les requérants citent ensuite en exemple l'affaire Al Aj, ancien Président du Faso, dans laquelle, selon eux, « la famille Sankara a, pendant quinze (15) bonnes années, demandé, sans jamais y parvenir, à la justice burkinabé d'identifier les auteurs de l'assassinat de l'ancien Président du Faso et surtout de lui indiquer le lieu où il a été enterré ».
87. Dans leur correspondance en date du 28 avril 2013, soumise suite à une demande de la Cour adressée aux parties de produire tout document susceptible de corroborer les allégations faites au cours de l'audience publique des 7 et 8 mars 2013, les requérants maintiennent la position selon laquelle l'instruction de l'affaire a été interrompue entre 2001 et 2006 en indiquant que « … la machine judiciaire n'a été réellement mis en branle dans notre affaire qu'en mai 2006 avec la vraie confrontation, devant le juge d'instruction W. H |. entre le principal suspect et le témoin à charge de l'affaire ». Ils précisent encore que « [c]e n’est … que le 04 mai 2006, que le même Juge d'instruction a entendu, pour la première fois, la veuve de Xy Z.…. en tant que partie civile dans le dossier ». Ils concluent en soulignant que « dans tous les procès-verbaux d'audition qui ont clôturé le dossier Xy Z…, à moins que l'Etat ne prouve le contraire, il n'est pas fait mention d'auditions, de confrontations ou d'autres actes posés par le juge d'instruction entre le 16 mai 2001 et le 30 mai 2006 ».
88. La Cour se doit de rappeler ici qu'aux termes des articles 56.5 de la Charte et 40 du Règlement intérieur il y a exception à l'obligation d’épuiser les recours internes lorsque « la procédure de ces recours se prolonge d’une façon anormale ».
a La notion de procédure des recours
89. A cet égard, il existe d'abord une divergence de vues entre les parties sur ce que recouvre exactement la notion de « procédure des recours ». Alors que pour l'État défendeur la longueur de la procédure doit être appréciée par rapport au seul recours non utilisé, pour les requérants, elle doit être appréciée par rapport à l'ensemble de la procédure suivie au niveau national.
90. De l'avis de la Cour, la prolongation anormale de la procédure dont il est question à l'article 56.5 de la Charte concerne l’ensemble des recours internes exercés par les concernés ou susceptibles d'être exercés encore par eux. Le libellé de cet article qui parle de l'épuisement « des recours internes » et de la procédure de « ces recours » est très clair et ne comporte aucune disposition tendant à limiter le critère de la prolongation anormale aux seuls recours non encore utilisés. D'ailleurs, il serait difficile d'apprécier la prolongation d’une procédure d'un recours que l'on n'a même pas tenté d'exercer.
b. La durée de la procédure des recours
91. L'État défendeur soutient ensuite-on l’a vu que la durée de l'instruction de l'affaire est simplement fonction de la complexité du dossier, de l'absence de preuves formelles concernant l'identification des auteurs, du souci des juridictions de respecter la présomption d’innocence, du comportement des requérants eux- mêmes, et du comportement de ses propres institutions. I| rejette en particulier l’allégation des requérants selon laquelle l'instruction de l'affaire a été gelée entre 2001 et 2006, et indique que « Pendant la période de la maladie du principal accusé, d'autres actes d'instruction ont été accomplis comme des auditions de témoins ». Pour leur part, les requérants maintiennent que la procédure a été anormalement longue, étant donné en particulier qu'il a fallu attendre près de deux ans pour que le frère du Président du Faso soit entendu par un juge d'instruction,
et que par la suite l'instruction du dossier a été gelée pendant plus de cinq ans pour cause de maladie du principal accusé.
92. La Cour considère que l'appréciation du caractère normal ou anormal de la durée de la procédure relative aux recours internes doit en effet être effectuée au cas par cas, en fonction des circonstances propres à chaque affaire.
93. Concernant la complexité alléguée de l'affaire, l'Etat défendeur ne démontre pas en quoi cette dernière est plus compliquée que d’autres affaires d’assassinats commis sans témoins oculaires. Il n'indique pas en particulier les facteurs qui auraient pu empêcher la Police et le Ministère public de retrouver les coupables. Il ne montre pas davantage les obstacles dirimants auxquels se seraient heurtés les efforts de ses services à cet égard.
94. Pour ce qui est de l'absence de preuves formelles concernant l'identification des auteurs, il est précisément de la responsabilité de l'État défendeur de mettre en oeuvre tous les moyens à sa disposition pour retrouver les auteurs présumés de l'assassinat, même lorsqu'ils sont au départ inconnu.
95. Quant au souci, bien légitime, de respecter la présomption d'innocence des prévenus, il ne dispense pas l'État défendeur de faire avancer raisonnablement la procédure engagée. Dans la présente affaire, l'on ne voit pas en quoi les garanties procédurales devant être accordées aux personnes inculpées ont pu véritablement retarder la procédure.
96. S'agissant du comportement des requérants, ces derniers n'avaient manifestement aucun intérêt à retarder la procédure, et ne peuvent pas être tenus pour responsables du comportement de témoins (le représentant de Reporters Sans Frontières et le nommé M. AtAQ qui n'auraient pas transmis en temps utile à la Justice burkinabè des informations en leur possession. Par ailleurs, les demandes par ces témoins d'être entendus par la Justice ne peuvent pas avoir retardé la procédure qui s'est déroulée jusqu'en août 2006, puisqu'elles sont intervenues en octobre 2006, après la clôture Judiciaire de l'affaire.
97. En ce qui concerne la diligence avec laquelle les autorités de l’État défendeur se sont comportées, c'est là une Question qui concerne plutôt le fond de l'affaire, et qui sera examinée en rapport avec l’allégation de violation du droit à ce que sa cause soit entendue par les juridictions nationales compétentes (infra, paragraphes 141 à 156).
98. S'agissant de l'audition du témoin A AN en janvier 2001, la Cour estime qu'elle n'a retardé déraisonnablement l'instruction, étant donné que d’autres pas actes d’instruction étaient posés par les autorités de l’État défendeur entre la date de la commission des assassinats et la date de ladite audition (supra, paragraphe 16).
99. Enfin, il reste la question de savoir si comme les requérants l'affirment, l'instruction du dossier a été gelée pendant plus de cinq ans entre 2001 et 2006. Répondant à une question d'un membre de la Cour sur ce point lors de l'audience publique du 8 mars 2013, un Conseil de l'État défendeur a nié cette allégation et indiqué que des actes d'instruction, notamment l'audition de témoins, furent posés durant cette période.
100. Comme cela a été relevé plus haut, par lettre en date du 25 avril 2013, l'État défendeur a transmis au Greffe de la Cour, entre autres, neuf (9) procès-verbaux d’'audition, de confrontation et de déposition intervenues dans le cadre de l'instruction du dossier durant la période de suspension des auditions du principal inculpé (supra, paragraphe 30).
101. A la suite de l'audience publique du 29 novembre 2013, l'État défendeur a envoyé en outre à la Cour, par lettre en date du 18 décembre 2013, des documents supplémentaires, dont un certain nombre d'autres procès-verbaux d’audition de témoins ou de parties civiles (supra, paragraphe 42).
102. L'examen de l’ensemble de ces documents soumis à la Cour, et notamment des procès-verbaux d’'audition, révèle qu'entre le 15 mai 2001 (date d'une première confrontation entre le principal inculpé et le principal témoin à charge) et le 31 mai 2006 (date de la deuxième et ultime confrontation entre ces deux mêmes personnes), il y a eu effectivement un certain nombre d'auditions de témoins ou de parties civiles. L'audition des témoins est ainsi intervenue aux dates suivantes : 30 mai 2001 (un); 02 novembre 2001 (deux) ; 18 décembre 2003 (un) ; 19 décembre 2003 (un); 26 décembre 2003 (trois); 22 avril 2004 (un) ; 23 avril 2004 (un) ; 05 mai 2004 (deux) ; 06 mai 2004 (un) ; 05 janvier 2005 (un) ; 09 mai 2006 (un). Quant à l'audition des parties civiles, elle a eu lieu aux dates suivantes : 22 février 2006 (trois); 04 mai 2006 (une).
103.11 apparaît donc clairement que, si la confrontation entre le principal inculpé et le principal témoin à charge a été effectivement suspendue entre 2001 et 2006 pour cause de maladie, par contre l'instruction de l'affaire s'est poursuivie durant cette période, notamment par l'audition de témoins On ne peut donc pas reprocher à l'Etat défendeur d'avoir suspendu l'instruction de l'affaire durant cette période.
104.Quant à la question de savoir à partir de quelle date il faut considérer que la procédure des recours internes a commencé, il faut d'abord préciser que, contrairement à ce qu'affirme l'État défendeur (supra, paragraphe 81), la procédure dont il est question ici n'est pas celle de la poursuite et du jugement du principal inculpé dans l'affaire, mais celle de la recherche, de la poursuite et du jugement des assassins de feu Xy Z.… et de ses compagnons, puisque ce sont les ayants droit de ces derniers qui revendiquent devant la Cour, notamment, le droit à ce que leur cause soit entendue par les juridictions nationales compétentes. Dans cet entendement, la date de départ est donc celle où la Justice de l’État défendeur a commencé à s'occuper de l'affaire. L'examen du dossier révèle que la Police a commencé à faire les constatations d'usage sur les lieux du crime le jour même de l'assassinat, c'est-à- dire le 13 décembre 1998 (supra, paragraphe 18). C’est donc à partir de cette date que la Justice burkinabé s'est mise en marche et c'est à partir de cette date qu'il faut apprécier la longueur de la procédure des recours internes ici considérés.
105. La procédure judiciaire interne ayant été clôturée le jour où les délais de pourvoi en cassation ont expiré, c'est-à-dire le 21 aout 2006,° la durée de l'ensemble de la procédure doit être appréciée par rapport à cette date. Au total, la procédure des voies de recours internes a donc duré du 13 décembre 1998 au 21 août 2006, soit sept (7) ans, huit (8) mois et dix (10) jours.
106. Au vu de l'ensemble des considérations qui précèdent, et bien que l'instruction de l'affaire ne fût pas gelée entre 2001 et 2006, la Cour considère que la procédure concernant les recours internes relatifs à l'affaire entre 1998 et 2006, soit près de huit années, s’est prolongée de façon anormale au sens de l'article 56.5 de la Charte. Par ailleurs, cette procédure se serait prolongée davantage si un pourvoi en cassation avait été exercé par les requérants, quelle qu’eut été par ailleurs, la célérité avec laquelle la Cour de cassation aurait statuée sur l'affaire. En conséquence, la Cour conclut, dans ces conditions, que les requérants individuels n'avaient plus à épuiser les autres voies de recours internes offerts par le système juridique du Ag Aq.
ii. Dans le chef du Mouvement burkinabé des droits de l’homme et des peuples
107. Dans la formulation de l'exception d'irrecevabilité pour non- épuisement des voies de recours internes, l'État défendeur ne fait pas de distinction entre les démarches entreprises par les requérants individuels d'une part, et celles entreprises par le Mouvement burkinabé des droits de l'homme et des peuples d'autre part.
108. En réponse à une question d’un membre de la Cour lors de l'audience publique du 8 mars 2013, un Conseil des requérants a précisé qu'en vertu du droit burkinabé, seules les victimes peuvent intenter des recours devant les juridictions pénales. Il a cité à cet égard l'article 2 du Code de procédure pénale du Ag Aq qui dispose :
« L'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé », et Indique que le Mouvement burkinabè des droits de l'homme et des peuples n'étant pas une victime directe dans cette affaire, ne pouvait pas aller devant la justice burkinabé.
109. Selon l’article 56(5) de la Charte précité un requérant n'a à épuiser les voies de recours internes que pour autant que ces recours
« existent » en ce qui le concerne.
110. Dans le cas présent, il apparaît, au vu de ce qui précède, que le Mouvement burkinabé des droits de l'homme ne pouvait intenter aucune action en justice au Ag Aq dans cette affaire.
5 Voir dans cette même affaire, l'arrêt de la Cour sur les exceptions préliminaires en date du 21 juin 2013, paragraphe 118.
111. Par voie de conséquence, l'État défendeur ne saurait opposer à la requête, l'exception d'irrecevabilité tirée du non- épuisement des voies de recours internes au motif qu'un des requérants, le Mouvement burkinabé des droits de l'homme et des peuples n'a pas épuisé ces recours.
112. De l'ensemble des considérations qui précèdent, la Cour conclut que l'exception d’irrecevabilité de la requête tirée du non- épuisement des voies de recours internes, soulevée par l'État défendeur, doit être rejetée, aussi bien en ce qui concerne les requérants individuels qu'en ce qui concerne le Mouvement burkinabé des droits de l’homme et des peuples.
113. La Cour ayant examiné ci-dessus toutes les conditions de recevabilité de la requête selon les termes de l’article 56(5) de la Charte et de l'article 40(5) de son Règlement intérieur, conclut que la requête est recevable.
vu. Le fond de l’affaire
A. _ Allégation de violation du droit des requérants à ce que leur cause soit entendue par les juridictions nationales compétentes
114.Le droit à ce que sa cause soit entendue par les juridictions nationales compétentes est garanti par l'article 7(1) de la Charte et les articles 2(3) et 14 du PIDCP. Il est en outre proclamé par l'article 8 de la Déclaration universelle des droits de l'homme.
115. Selon l'article 7 de la Charte :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend :
(a) le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par les conventions, les lois, règlements et coutumes en vigueur :. »
116. Aux termes de l’article 2(3) du Pacte :
« Les États parties au présent Pacte s'engagent à :
a) Garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le présent Pacte auront été violés disposera d’un recours utile, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles ;
b) Garantir que l'autorité compétente, judiciaire, administrative ou législative, ou toute autre autorité compétente selon la législation de l’État, statuera sur les droits de la personne qui forme le recours et développer les possibilités de recours juridictionnel ;
c) Garantir la bonne suite donnée par les autorités compétentes à tout recours qui aura été reconnu justifié ».
De son côté, l'article 14 du Pacte stipule ce qui suit :
« 1... Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil. ».
117. Quant à l’article 8 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, il dispose : « Toute personne a droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la Constitution ou par la loi ».
118. La Cour examinera l’allégation de violation à ce que sa cause soit entendue par les juridictions nationales compétentes, d’abord par rapport à l'article 7 de la Charte, et ensuite, s'il y a lieu, par rapport aux dispositions des autres instruments internationaux invoqués par les parties.
119. Le droit à ce que sa cause soit entendue par les juridictions nationales compétentes comporte plusieurs aspects. Dans la présente affaire, les aspects qui ont été soulevés et discutés par les parties sont les suivants : la durée de la procédure relative au recours en justice ; la place du Procureur dans le système juridique de l'État défendeur ; la question du dessaisissement d'un juge d'instruction ; la question de la non-comparution d'un témoin ; la question de l'implication des parties civiles ; ainsi que la question de la diligence avec laquelle l'État défendeur a garanti ce droit en l'espèce.
i. La durée de la procédure relative au recours
120. Il est entendu que la procédure relative à un recours auquel une partie a droit doit se dérouler dans un délai raisonnable. Dans la présente affaire, au terme d'un examen de l'argumentation des parties en rapport avec la règle de l'épuisement des voies de recours internes, la Cour a conclu que la procédure relative au recours en justice en faveur des requérants individuels s'est prolongée de façon anormale (supra, paragraphe 106). En rapport avec l'allégation de violation du droit à ce que sa cause soit entendue par les juridictions nationales compétentes garanti par l'article 7 de la Charte, la Cour se doit de conclure que, pour les mêmes raisons, les recours en faveur des requérants ne se sont pas déroulés dans un délai raisonnable.
ii. La place du Procureur dans le système juridique de
121. Dans leur Mémoire en réplique sur le fond de l'affaire, les requérants s'attachent à démontrer qu'il y a eu de la part de l'Exécutif, à travers le Procureur du Faso- des obstructions à l'accès à la justice. Ce faisant, ils se focalisent sur le fait que « le Procureur du Faso en tant que magistrat du Parquet est placé sous la direction et le contrôle de son supérieur hiérarchique et sous l'autorité du ministre en charge de la justice’, ce qui lui impose une obligation de loyauté vis-à-vis de ses supérieurs ».
122.lls ajoutent que « [toutes les lenteurs constatées dans l'instruction du dossier de Xy Z.… et de ses compagnons s'expliquent par l'interférence de l'exécutif dans le fonctionnement de la machine Judiciaire, notamment par l'entremise du procureur du Faso(...) qui est intervenu aussi bien dans le choix des personnes à auditionner que les affectations du personnel judiciaire intervenues à cette période permettant ainsi aux vrais complices des suspects identifiés par 250 RECUEIL DE TURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1
l'enquête indépendante d'échapper aux fourches caudines de la justice »
123.Au cours des audiences publiques des 28 et 29 novembre 2013, les requérants ont réitéré la position selon laquelle la place qu'occupe le Procureur dans le système juridique burkinabé, du fait notamment de sa soumission hiérarchique au Ministre de la Justice est une violation de la lettre et de l'esprit de la Charte.
124. Au cours de l'audience publique du 28 novembre 2013, un Conseil de l'État défendeur rétorque, à propos de la place du procureur dans le système juridique burkinabé, que le Burkina n'est pas « un genre étrange en matière de droit » et qu'il « fait partie du système romano- germanique du droit », comme de nombreux autres pays. Il indique que le procureur est avant tout un magistrat qui prête serment de travailler en indépendance et dignité.
125. L'article 7 de la Charte parle du droit à ce que sa cause soit entendue par les juridictions nationales compétentes (italique ajouté). Ce qui importe donc au sens de cet article, c'est l'indépendance du juge saisi du recours. Or, rien dans le dossier soumis à la Cour ne montre que dans le système juridique burkinabé, le juge doive suivre les positions du procureur, lorsqu'il prend une décision dans une affaire donnée. Au contraire, les articles 129 et 130 de la Constitution du Ag Aq prévoient respectivement que « le pouvoir judiciaire est indépendant » et que « [Iles magistrats du siège ne sont soumis dans l'exercice de leurs fonctions qu'à l'autorité de la loi [et] sont inamovibles
». Seuls des comportements particuliers d'un procureur dans une affaire donnée, comme ceux avancés par ailleurs par les requérants (infra, paragraphes 127 et s.), pourraient éventuellement s'analyser s'ils sont établis-, comme des atteintes à l'indépendance du juge.
126. Par voie de conséquence, on ne saurait dire que l'institution et le profil du procureur dans le système juridique burkinabé, soit en soi et par nature contraire à l'article 7 de la Charte, dès lors que l'existence de cette institution n'affecte pas l'indépendance des juridictions saisies.
iii La question du dessaisissement d’un juge d’instruction
127.Dans leur Mémoire en réplique sur le fond de l'affaire, les requérants avancent qu'à l'initiative du procureur et en violation de la loi, il y à eu dessaisissement d’un juge au profit d’un autre qui « s'est arrangé pour ne pas entendre Mr A Y. ». Ils concluent que « [c[ette intrusion du Procureur du Faso, homme lige du Ministre de la justice, dans la procédure peut être considérée comme une obstruction au cours normal de la justice et une tentative de confier le dossier à des personnes plus fiables »
128.Au cours de l'audience publique du 28 novembre 2013, un Conseil des requérants a réitéré cette allégation.
129. Toutefois, au cours de l'audience publique du 29 novembre 2013, en répondant à une question de la Cour, un Conseil des requérants a finalement déclaré que c'est l'amalgame avec une autre affaire qui a créé la confusion, et a reconnu qu'il n'y avait pas eu de dessaisissement d'un juge, et que c’est un seul juge d'instruction qui s'est occupé de l'affaire Xy Z… et autres, de bout en bout.
130. Au cours de l'audience publique du 28 novembre 2013, les Conseils de l'État défendeur avaient clairement indiqué qu'il n'y a jamais eu de dessaisissement d'un juge quelconque et qu'un seul juge avait traité le dossier du début à la fin.
131. Les requérants ayant eux-mêmes reconnu qu'ils s'étaient trompés en affirmant qu’il y avait eu dessaisissement d’un juge de nature à affecter l'indépendance de la justice, la Cour considère qu'il n’y a jamais eu un tel dessaisissement et que l'affaire a été examinée par un seul juge tout au long de la procédure. Par voie de conséquence, on ne saurait reprocher à l'État défendeur d'avoir porté atteinte à l'indépendance du juge, à cet égard.
iv. La question de la non-comparution d’un témoin
132.En rapport avec leur accusation d'une obstruction au cours normal de la justice portée contre l'État défendeur, les requérants avancent encore, dans leur Mémoire en réponse sur le fond de l'affaire, que tout a été fait pour que M. A AN. ne soit pas entendu par la justice.
133. Au cours de l'audience du 28 novembre 2013, l'État défendeur a fait observer que les requérants se contredisaient en avançant une telle allégation alors qu'ils déclaraient en même temps eux-mêmes, dans leur requête, que M. A Y avait été entendu le 16 janvier 2001 (supra, paragraphe 16). Il indique que l'intéressé a été entendu comme témoin au moins deux fois.
134. Au cours de l'audience du 29 novembre 2013, en réponse à une question de la Cour, un Conseil de l'État défendeur a confirmé que M. A AN avait été entendu au moins deux fois.
135. Il ressort de l'ensemble des procès-verbaux d'audition que l’État défendeur a produit par ses lettres en dates du 25 avril 2013 et du 18 décembre 2013 que M. A AN a été entendu par le même juge d'instruction comme témoin dans l'affaire Xy Z.…. et autres, à deux reprises, à savoir le 17 janvier 2001 et le 9 mai 2006. Par conséquent, l'allégation des requérants selon laquelle M. A AN. n'a jamais été entendu par la justice n’est pas fondée. Il en résulte qu'il ne peut être reproché à l'État défendeur d’avoir fait obstruction à la justice à cet égard.
v. La question de l’implication des parties civiles“
la procédure dans
6 Dans le système de droit civil, une partie civile est un « individu ayant personnellement souffert d'un dommage directement causé par une infraction, qui exerce contre les auteurs de ce dommage l'action civile en réparation du préjudice causé par l'infraction » (Vocabulaire juridique, Aa AK, ed. 8° éd., 2009, p. 664).
136.En rapport avec le caractère équitable de la procédure, un Conseil des requérants a indiqué, en réponse à une question de la Cour, à l'audience publique du 29 novembre 2013, qu'entre 2001 et 2006, les parties civiles n'ont jamais été informées du déroulement de la procédure, n’ont jamais été associées aux actes d'instruction avant 2006, et qu’il n'y a jamais eu de confrontation les impliquant, 137.Dans sa lettre en date du 18 décembre 2013 ayant pour objet la transmission de documents demandés par la Cour lors de l'audience publique du 29 novembre 2013, l'État défendeur explique qu'aux termes du Code de procédure pénale burkinabè [articles 111 à 118] les confrontations « ne sont nécessaires que si le Juge d'instruction estime qu'ils peuvent conduire à la manifestation de la vérité ». II ajoute qu’en
« l'espèce, si le juge d'instruction a considéré que la confrontation entre l'inculpé et le témoin était nécessaire pour la manifestation de la vérité, en revanche, il n'a pas trouvé utile de confronter l'inculpé aux parties civiles qui sont toutes des ayants droit et qui n’ont pas été témoins oculaires des crimes ». Il conclut en plaidant que de toute façon, « le juge d'instruction n'a jamais refusé de procéder à la confrontation de l’'inculpé avec les parties civiles, confrontation qui pouvait être demandée par les requérants, ce qu'aucun d'eux, ni aucun de leur nombreux Conseils n’a fait ».
138. L'examen des documents produits par l'État défendeur qui viennent d'être mentionnés montre d'une part que de fait aucune confrontation n'a été faite entre l'inculpé et les parties civiles, et d'autre part qu’il y a eu des auditions de parties civiles par le juge d'instruction le 22 février 2006 et le 04 mai 2006.
139. S'agissant des auditions des parties civiles, même si elles sont intervenues vers la fin de la procédure, elles ont eu lieu avant que le juge ne rende sa décision, et c'est cette dernière circonstance qui est pertinente par rapport à la question de savoir si la procédure a été équitable. Par voie de conséquence, de l'avis de la Cour, on ne saurait reprocher à l'État défendeur d'avoir violé le principe d’une procédure équitable à cet égard.
140. Concernant l'absence de confrontation entre l'inculpé et les parties civiles, il revient en effet au juge national d'apprécier sa nécessité et son utilité, en tenant compte des circonstances particulières de chaque affaire. Dans la présente affaire, les requérants ne montrent pas en quoi cette confrontation était nécessaire et utile, et ne fait pas état d'une quelconque demande de leur part à cet effet, à laquelle le juge d'instruction n'aurait éventuellement donné aucune suite. Par voie de conséquence, l'on ne peut pas davantage reprocher à l'État défendeur d'avoir violé le principe d’une procédure équitable sous cet aspect particulier.
vi. La question de la diligence avec laquelle l’État défendeur a garanti ce recours, en l’espèce.
141. Dans leur requête, les requérants affirment, en se fondant sur la jurisprudence de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, que «.… le Ag Aq est tenu, par l'article 7 de la Charte,
de … garantir des voies de recours disponibles, efficaces, accessibles et satisfaisantes pour les violations des droits qu’elle garantit ».
142. Comme cela a été relevé plus haut, ils soutiennent que l'État défendeur avait, entre autres, l'obligation de mener des enquêtes sur les auteurs des assassinats de Xy Z… et ses compagnons et de les juger, mais qu’au lieu de cela, il a plutôt choisi de faire échec aux efforts des familles des victimes allant en ce sens.
143. Dans leur mémoire en réplique sur les exceptions préliminaires, les requérants maintiennent qu'« [à) l'inefficacité des recours engagés s'ajoute la carence des autorités nationales qui n’ont rien fait pour que les auteurs de l'assassinat de Xy Z.… et de ses compagnons soient effectivement arrêtés ».
144. Dans une correspondance en date du 28 avril 2013, soumise à la Cour suite à une demande qu'elle a formulée au cours de l'audience des 7 et 8 mars 2013, les requérants précisent encore que « [c]e n’est
que le 04 mai 2006, que le même Juge d'instruction a entendu, pour la première fois, la veuve de Xy Z… en tant que partie civile dans le dossier ».
145. Au cours de l'audience publique du 29 novembre 2013, les requérants ont soutenu que lorsqu'un assassinat a été commis sur le territoire d’un Etat, ce dernier a la responsabilité d'assurer une investigation qui soit : indépendante ; efficace et capable de situer les responsabilités de l'assassinat ; raisonnablement rapide et accessible et adéquate, en particulier pour les victimes et la protection de la société. Critiquant notamment l'absence d’une enquête indépendante et la longueur de la procédure, ils ont plaidé : qu'aucun responsable n’a été trouvé que sur les six suspects identifiés par l'enquête, cinq n’ont jamais été poursuivis : et que les recours n’ont pas été adéquats pour les victimes et la protection de la société.
146. Dans son Mémoire en réplique sur le fond de l'affaire, l'État défendeur, après avoir reproché aux requérants le manque de précision quant aux aspects du droit à un recours au juge violés en l'espèce, considère que ce « ce qui est reproché à l'Etat du Ag Aq semble se ramener à sa violation du droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue par une juridiction nationale compétente, dans un délai raisonnable’ ».
147. Comme cela a été relevé plus haut, il s'attache à démontrer que l’on ne peut pas lui reprocher l'inertie ou l’inaction de la part de ses organes politiques, administratifs et judiciaires.
Il poursuit en affirmant que « le droit des requérants a été porté devant une juridiction nationale compétente, impartiale et indépendante et ce, dans un délai raisonnable, et que ceux-ci ont bénéficié d'un recours effectif et efficace ».
148. Au cours l'audience publique du 28 novembre 2013, l'État défendeur observe que la Commission d'enquête indépendante, présidée au demeurant par le représentant du Mouvement burkinabé des droits de l'homme et des peuples, partie à la présente instance, n’a privilégié qu’une seule piste, à savoir les milieux du pouvoir en place, alors que d’autres pistes étaient encore à explorer, notamment celles liées aux conflis que Xy Z... avait avec des éleveurs et des braconniers dans son ranch, ou à l'empoisonnement dont il avait fait l’objet quelques semaines avant son assassinat.
149.Au cours de l'audience publique du 29 novembre 2013, un Conseil de l'État défendeur, en répondant à une question de la Cour visant à savoir pourquoi les autorités burkinabè n’avaient pas cherché à explorer les autres pistes d'investigation évoquées par la Commission d'enquête indépendante dans son rapport, a déclaré que le juge d'instruction s’est fié aux conclusions de cette Commission qui privilégiait, de façon d'ailleurs biaisée, la seule piste des membres de la garde présidentielle, et n'identifiait aucun braconnier, aucun éleveur, ni aucun bandit susceptible d'être poursuivi, « toutes choses qui ne permettaient pas au Juge d'instruction de passer outre ».
150. L'article 7 de la Charte qui garantit le droit à ce que sa cause soit entendue par les juridictions nationales compétentes, oblige l'État défendeur à mettre tout en oeuvre pour rechercher, poursuivre et juger les auteurs des crimes comme l'assassinat de Xy Z… et ses compagnons. Toute la question est donc de savoir si, en l'espèce, l'État défendeur a assumé pleinement cette obligation, et si en particulier il a agi avec toute la diligence due.
151.D'emblée, il faut reconnaître que dans l'affaire Xy Z.…. et autres, l'État défendeur a posé continuellement une série d'actes destinés à rechercher les auteurs des assassinats en cause : constatations d'usage sur les lieux du crime, autopsies ; expertises ; enquêtes préliminaires ; saisine d'un juge d'instruction ; inculpation d’un suspect ; confrontation de l'inculpé avec un témoin à charge ; auditions de témoins ; auditions de parties civiles ; jugement de l'inculpé.
152. Toutefois, l'examen du dossier montre qu’il y a eu un certain nombre de carences dans le traitement de cette affaire par la justice nationale. Premièrement, il ressort des conclusions auxquelles la Cour est déjà parvenue que la première carence est la longue durée sur laquelle la procédure des recours s'est étalée, à savoir un peu moins de huit ans depuis les premières investigations le jour des assassinats en décembre 1998 jusqu’ à l'ordonnance de non- lieu en août 2006. L'État défendeur n’a pas été en mesure de convaincre la Cour qu'une telle durée est raisonnable, dans les circonstances particulières de l'affaire, et vu les moyens dont peut disposer un Etat à cet effet. L'obligation de diligence due impose à l'État concerné d'agir et de réagir avec la célérité nécessaire à l'efficacité des recours disponibles.
153.La deuxième carence est que les autorités concernées n'ont jamais cherché à poursuivre d'autres pistes d'investigation notamment celles évoquées par la Commission d'enquête indépendante en mai 1999, en rapport avec des conflits qui opposaient Xy Z.….. à des braconniers et des éleveurs sur son ranch, ou en rapport avec l'empoisonnement dont il venait d’être victime quelque temps auparavant. A cet égard, l'explication que donne l'État défendeur, à savoir que c'est à cause des conclusions de ladite Commission qui écartait ces pistes (supra, paragraphe 149), n’est pas convaincante. D'une part, le travail de la Commission, et donc éventuellement ses propres défaillances, engagent la responsabilité internationale de l'État défendeur, puisque c'est lui qui l'a mise en place, et qu'elle travaillait pour le compte de cet Etat. D'autre part, l'État défendeur n’a pas établi qu'en droit burkinabè ou en vertu des textes juridiques ayant créé et organisé la CEI, la Police et le Ministère public de ce pays étaient liés par les conclusions de cette Commission. Au contraire, en vertu du Code de procédure pénale burkinabé, ces institutions et en particulier le Ministère public disposent des plus larges pouvoirs d'investigation. En effet, l'article 40 de ce Code dispose clairement que « [l]e procureur [du Faso) procède ou fait procéder à tous les actes nécessaires à la recherche et à la poursuite des infractions à la loi pénale ».
154. La troisième carence est l'audition tardive des parties civiles. Comme cela a été relevé plus haut, ce n'est qu'en mai 2006, près de huit années après les faits et quelques mois seulement avant la fin de la procédure judiciaire, que les parties civiles ont été entendues pour la première fois par le juge d'instruction (supra, paragraphe 102), alors même qu'elles avaient porté plainte et s'étaient constituées parties civiles dès le 6 janvier 1999 (supra, paragraphe 16). La diligence aurait certainement commandé une audition des parties civiles dès les premiers stades de l'enquête, quel qu'en eut été le résultat escompté.
155. La quatrième carence qui ressort du dossier est qu'après l'ordonnance de non- lieu en faveur du principal inculpé en août 2006, l'État défendeur n'a entrepris aucune autre investigation, comme si l'affaire était close, alors qu'aucun coupable n'avait été retrouvé et jugé, et que selon ses propres dires, l'action publique ne sera éteinte qu'en 2016. La diligence due aurait là aussi commandé que l'État défendeur n'abandonne pas la recherche des auteurs de l'assassinat de Xy Z.… et ses compagnons.
156. En raison de toutes ces carences, la Cour conclut que l’État défendeur n’a pas agi avec la diligence due dans la recherche, la poursuite et le jugement des responsables des assassinats de Xy Z… et ses trois compagnons. La Cour note en conséquence que l'État défendeur a violé, sous cet aspect, le droit des requérants à ce que leur cause soit entendue par les juridictions nationales garanti par l’article 7 de la Charte.
157.La Cour ayant conclu à la violation par l'État défendeur de l’article 7 de la Charte, n'a pas besoin d'examiner les mêmes allégations des requérants sur la base des articles 2(3) et 14.1 de PIDCP, ou de l'article 8 de la Déclaration universelle des droits de
B. … Allégation de violation du droit à une égale protection de la loi et à l’égalité devant la loi
158. Le droit à une égale protection de la loi et à l'égalité devant la loi est garanti notamment par l'article 3 de la Charte, libellé comme suit : « 1. Toutes les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la loi. 2. Toutes les personnes ont droit à une égale protection de la loi. »
159. Dans leur requête, les requérants affirment qu’en s'abstenant d'ouvrir une enquête efficace, de poursuivre et de condamner les auteurs de l'assassinat de Xy Z…, « le Ag Aq a violé le droit (...) à une égale protection de la loi prévue par le paragraphe 2 de l’article 3 de la Charte »
160. Dans leur Mémoire en réplique sur le fond de l'affaire, les requérants déclarent à cet égard ce qui suit : « Parce que le procès a toujours été catalyseur et révélateur de la justice, le droit à un procès équitable a toujours été considéré comme un droit ’essentiel à la protection de tous les autres droits et libertés fondamentales. parce qu'il permet un accès à la fois effectif et égal à la justice. Dans l'affaire qui nous concerne, ni l'un ni l'autre n'ont été possibles. » (Italique ajouté).
161. En se référant à une disposition de l'article 14 du PIDCP [« Tous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice »], les requérants soutiennent, que « [l]es tribunaux burkinabé n’ont pas, dans la gestion de l'affaire Xy Z... et de façon générale dans les affaires à fort relent politique, fait preuve de la même diligence dont ils font montre dans les affaires criminelles ».
162. Les requérants se plaignent en particulier de ce que la justice burkinabè n'ait pas fait preuve de célérité dans le traitement de l'affaire Xy Z… et autres, alors qu'elle avait traité et conclu une autre affaire contemporaine - l'affaire D. At - avec une célérité exemplaire. Après avoir fait un rapprochement sur ce point entre l'affaire Xy Z.… et une autre affaire dont le traitement aurait été lent- l'affaire Thomas Sankara-, les requérants concluent que « [les pratiques de la justice burkinabè constituent donc une violation du droit à l'égalité qui est implicite dans l’article 7 de la Charte africaine. et l'article 14(1) du PIDCP ».
163. Au cours de l'audience publique du 28 novembre 2013, les requérants ont réitéré cette position.
164. Au cours de l'audience du 28 novembre 2013, l'État défendeur répond que l'affaire Xy Z..., beaucoup plus complexe, n’est pas comparable à l'affaire D. At.. parce que dans ce dernier cas, les auteurs de l'assassinat étaient connus et qu'il n'y avait pas eu besoin d'enquête préliminaire pour les retrouver. Il insiste en déclarant ce qui suit : « … ce que la Cour devrait retenir, c’est que ce n'est pas des dossiers qui sont à comparer. D. O.….. a été détenu et torturé par des gens qui étaient bien connus, détenu pendant un certain temps entre les mains d'individus connus, et il en est mort. Donc, il n'y avait aucune complexité dans ce dossier, contrairement au dossier de Xy
165. Dans son arrêt du 21 juin 2013, la Cour s’est reconnue compétente pour connaître de l’allégation de violation du droit à une égale protection de la loi et à l'égalité devant la loi, pour autant que cette allégation soit directement reliée « à l'allégation de violation du droit à ce que sa cause soit entendue par les juridictions nationales compétentes ».
166. En somme, les requérants allèguent ici qu'en traitant de l'affaire Xy Z… et autres beaucoup plus lentement que d'autres affaires et notamment l'affaire D. O.…., l’État défendeur a violé le droit à l'égalité des individus devant la justice burkinabè. Ce à quoi l'État défendeur rétorque que les deux affaires ne sont pas comparables en ce qui concerne la complexité des enquêtes.
167. Aux yeux de la Cour, le principe de l'égalité devant la justice, impliqué par le principe de l'égale protection de la loi et de l'égalité devant la loi, ne signifie pas que toutes les affaires doivent être nécessairement traitées par les institutions judiciaires durant le même laps de temps. La durée de traitement d'une affaire pourra dépendre en effet des circonstances particulières de chaque affaire, et notamment de sa complexité relative.
168. Dans le cas d'espèce, la Cour note qu'au vu des éléments contenus dans le dossier, l'affaire Xy Z… et autres et l'affaire D. At.. ne présentent pas le même degré de complexité, et ne devaient pas être nécessairement résolues dans les mêmes délais.
169. Il en résulte que, tant que la durée du traitement de l'affaire Xy Z… et autres est concernée, l'État défendeur n’a pas violé le droit des requérants à l'égalité devant la justice découlant de l'article 3 de la Charte.
170. L'article 14(1) du PIDCP garantit en substance de la même manière que l'article 3 de la Charte le droit à l'égalité, notamment devant les cours et tribunaux. La Cour s'étant prononcée sur la violation alléguée par rapport à l'article 3 de la Charte, n'a pas besoin de se prononcer sur la même allégation par rapport à l'article 14(1) du PIDCP.
C. … Allégation de violation de l’obligation de respecter les droits des journalistes et du droit à la liberté d’expression
171. L'obligation de respecter les droits des journalistes ressort, dans le cadre de la présente affaire, de l'article 66(2)(c) du Traité révisé de la CEDEAO qui dispose ce qui suit :
« 2. [...les États membres de la CEDEAO] s'engagent à :
(c) respecter les droits du journaliste ».
Quant au droit à la liberté d'expression, il est garanti par l’article 9 de la
Charte et l’article 19(2) du PIDCP.
Aux termes de l’article 9 de la Charte
« 1. Toute personne a droit à l'information.
2. Toute personne a le droit d'exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et des règlements ».
De son côté, l'article 19(2) du PIDCP dispose comme suit :
« 2. Toute personne a droit à la liberté d'expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix ».
172. Dans leur requête, les requérants allèguent la violation de toutes ces dispositions. Ils précisent que « de façon plus spécifique, l'assassinat de Xy Z… et de ses compagnons viole le paragraphe 2(c) de l’article 66 du Traité révisé de la CEDEAO aux termes duquel M. AJ AL avait le droit d'être protégé contre les agressions illégales résultant de, ou liées à l'exercice libre de sa profession de journaliste et de bénéficier de voies de recours efficaces en cas de violation de ce droit ».
173. Ils concluent en faisant valoir que « [l'attitude passive du Ag Aq face à l’horrible assassinat dont M. AJ Z.., un journaliste en activité, a été victime, et le fait qu'il se soit abstenu, ait omis et refusé de veiller à ce que les auteurs de cet assassinat soient identifiés et qu’ils rendent compte de leurs actes a un effet angoissant sur l'exercice du droit à la libre expression dans ce pays et sur le droit de ses citoyens à participer effectivement à leur propre gouvernement.
174. Dans leur Mémoire en réplique sur le fond de l'affaire, les requérants insistent d’abord sur « le caractère double de la liberté d'expression qui est à la fois un droit individuel de la personne (...) et un droit du public de recevoir des informations et des idées. ». Ils soulignent ensuite que l'État assume deux types d'obligations, à savoir l'obligation de s'abstenir de toute ingérence susceptible d’entraver la liberté d'expression des journalistes, et l'obligation positive de protection de la liberté de circulation des informations et des idées.
175. En ce qui concerne la présente affaire, ils plaident que feu Xy Z… s'étant plaint à plusieurs reprises dans ses écrits, de menaces et de tentatives d'enlèvements, l'État défendeur se devait de le protéger en menant des enquêtes efficaces sur les actes de violence dont il avait fait état.
176. Au cours de l'audience publique du 28 novembre 2013, les requérants soulignent encore que la liberté d'expression implique que la profession médiatique puisse travailler sans peur, sans crainte ou intimidation, et que le public ait ainsi accès à l'information et à la vérité. IIs concluent que l'Etat doit non seulement prévenir les attaques contre les journalistes dans l'exercice de leurs fonctions, mais également s'efforcer de retrouver avec diligence les coupables de ces attaques lorsque celles-ci sont intervenues ; et qu’en raison de l'impunité dont ont bénéficié les auteurs de l'assassinat de Xy Z.…., l'État défendeur a violé le droit de celui-ci en tant que journaliste, en tant que propriétaire de médias, en tant que promoteur de la vérité, ainsi que son droit de diffuser l'information et la vérité.
177. Dans son Mémoire sur le fond de l'affaire, en citant diverses dispositions de la Constitution et du Code d’information du Ag Aq, l'Etat défendeur observe que «… nul journaliste, depuis l'adoption de la Constitution du O2 juin 1991, n'a jamais été empêché d'exercer son métier, sauf s'il a contrevenu aux règles déontologiques résultant du Code de l'information » ; que Xy Z… « dont la plume était plutôt acerbe contre le pouvoir, n'avait pour autant jamais connu aucune action disciplinaire, ni des poursuites judiciaires »; et que le journal « L'Indépendant » dont il était le Directeur de Publication et ses titres n'avaient jamais fait non plus l’objet de fermeture ou de saisie administrative »
178. Il conclut qu'au regard de ces observations, les allégations notamment de violations de l’article 9 paragraphes 1 et 2 de la Charte, de l'article 19(2) du PIDCP et de l'article 66(2)(c) du Traité révisé de la CEDEAO, ne sont pas fondées.
179. Au cours de l'audience publique du 28 novembre 2013, l'État défendeur plaide en outre que Xy Z.… n'ayant jamais porté plainte en justice au sujet des menaces de mort dont il disait être l’objet, l'État n'avait pas à le protéger particulièrement, vu le principe de l'égalité des citoyens devant la loi.
180. La Cour estime que dans le cadre de la présente affaire, il faut lire ensemble l’article 66(2)(c) du Traité révisé de la CEDEAO et l'article 9(2) de la Charte, dont la violation est alléguée. Alors que le premier traite du respect des droits du journaliste en général, le second garantit sa liberté d'expression en particulier. Dans cet entendement, selon les allégations des requérants, les droits des journalistes dont l'État défendeur doit assurer le respect sont en particulier le droit à la vie et le droit à la liberté d'expression.
181. En ce qui concerne le droit à la vie, les requérants allèguent que l'État défendeur a failli à son obligation de prévention et de protection de Xy Z.… contre les menaces de mort dont il déclarait faire l'objet.
182. Or, la Cour s'est déjà reconnue incompétente rationae temporis pour connaître de l’allégation « de violation du droit à la vie, fondée sur l'assassinat, le 13 décembre 1998, des sieurs Xy Z.… et autres», à travers son arrêt en date du 21 juin 2013 sur les exceptions préliminaires (supra, paragraphe 32).
Par voie de conséquence, la Cour n'aura pas à examiner ici ladite allégation.
183. En ce qui concerne l'allégation de violation du droit à la liberté d'expression, la Cour, dans son arrêt du 21 juin 2013, s’est reconnue compétente pour en connaître à condition qu’elle soit directement reliée « à l'allégation de violation du droit à ce que sa cause soit entendue par les juridictions nationales compétentes ».
184. Dans la présente espèce, les requérants avancent essentiellement à cet égard que le fait pour l'État défendeur de ne pas avoir recherché, poursuivi et jugé de façon diligente et efficace les auteurs de l'assassinat du journaliste d'investigation Xy Z… a porté atteinte à la liberté d'expression des journalistes en général, étant donné que ces derniers risquent de travailler dans la peur, la crainte et l'intimidation. Ce à quoi l'État défendeur répond que depuis 1991, aucun journaliste n'a été inquiété par les autorités, dans le cadre de l'exercice légal de sa profession.
185. La Cour observe, qu'ainsi comprise, cette allégation concerne le droit à la liberté d'expression de la profession des médias dans sa généralité (et pas du droit de feu Xy Z…) et qu'elle ne concerne pas les droits particuliers des requérants individuels dans la présente affaire, qui ne sont pas des journalistes. La Cour comprend en revanche qu’une telle allégation puisse intéresser l'autre requérant dans la présente affaire, à savoir le Mouvement burkinabè des droits de l'homme et des peuples.
186. Dans ces conditions, la Cour est d'avis que la défaillance de l'État défendeur dans la recherche et le jugement des assassins de 260 RECUEIL DE TURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 1
a suscité des peurs et des inquiétudes dans les milieux des médias.
187. En conséquence, la Cour conclut que l'État défendeur a violé le droit à la liberté d'expression des journalistes tel que garanti par l’article 9 de la Charte, lu conjointement avec l’article 66(2) c) du Traité révisé de la CEDEAO, pour n'avoir pas, avec diligence et efficacité, recherché, poursuivi et jugé les assassins de Xy Z…
188. La Cour s'étant ainsi prononcée sur la violation alléguée de la liberté d'expression sur la base de l’article 9 de la Charte, n'a pas besoin de se prononcer sur la même allégation sur la base de l'article 19(2) du PIDCP.
D. … L’allégation de violation de l’obligation de garantir le respect des droits de l’homme
189. L'obligation de garantir le respect des droits de l'homme résulte de l’article 1er de la Charte qui dispose comme suit :« Les Etats membres de l'Organisation de l'Unité africaine, parties à la présente Charte reconnaissent les droits, devoirs et libertés énoncés dans cette Charte et s'engagent à adopter des mesures législatives ou autres pour les appliquer ».
190. Dans leur requête, les requérants allèguent la violation par l'État défendeur de son obligation de garantir les droits de l'homme, ainsi prévue par l'article 1er de la Charte. Ils affirment qu'appliquer à la présente affaire, cet article implique que le Ag Aq est tenu, en vertu de l'article 7 de la Charte, de garantir des voies de recours en cas de violation des droits qu'elle garantit. Les requérants
soutiennent, que l'obligation en visée s'appuyant à l'article sur 1er la de jurisprudence la Charte est de une la Commission, obligation de résultat et que l’État a le choix des moyens, qu'il s'agisse de mesures législatives ou autres.
191. Au cours de l'audience publique du 29 novembre 2013, les requérants ont souligné que « lorsqu'un Etat ratifie un traité, il s'engage à faire en sorte que les dispositions du traité soient incorporées dans sa législation nationale, et en cela il se conforme aux prescriptions du traité en question ». Ils ont soutenu que l'État défendeur a violé cette obligation dans la mesure où les mesures législatives qu'il a adoptées, notamment à travers les dispositions du Code de procédure pénale, sont en contradiction notamment avec l'article 7 de la Charte. Ils se sont référés à nouveau aux dispositions selon lesquelles le procureur peut recevoir des instructions du Ministre de la Justice, ou selon lesquelles le juge d'instruction n'est pas tenu de procéder à des confrontations au cours de l'enquête.
192. Dans son Mémoire en réponse sur le fond de l'affaire, l'État défendeur commence par observer que les requérants « concluent que la Ag Aq a violé l'article 1er de la Charte africaine, alors même qu'ils ne précisent pas quelles sont les mesures législatives ou autres qui n'ont pas été adoptées par le Ag Aq et qui ne lui permettent pas « de garantir des voies de recours disponibles, efficaces, accessibles et satisfaisantes ». L'État défendeur rejette cette allégation et fait valoir au contraire que, non seulement il a ratifié d'importantes conventions internationales des droits de l'homme, mais encore il a adopté, sur le plan interne, la Constitution du 2 juin 1991 et une longue liste de textes législatifs et réglementaires, avant de conclure : « … en disant que l’État du Ag Aq a violé l’article 1er de la Charte africaine, laissant croire qu'aucune mesure interne n'a été prise par lui pour assurer la protection des droits et libertés garantis par ladite Charte, les requérants font une affirmation gratuite qui est dépourvue de tout fondement »
193. Au cours de l'audience publique du 28 novembre 2013, l'État défendeur a réitéré cette position et demandé à la partie adverse au moins d’indiquer les mesures qu'il n'aurait pas encore prises en vue de se conformer à l'article 1er de la Charte.
194. Dans son arrêt du 21 juin 2013, la Cour a reconnu sa compétence pour examiner l'allégation de violation par l'État défendeur de garantir le respect des droits de l'homme, pour autant que cette allégation soit directement reliée « à l'allégation de violation du droit à ce que la cause des requérants soit entendue par les juridictions nationales compétentes » (supra, paragraphe 32).
195. Dans ce cadre, les requérants allèguent la violation de l'article 1er de la Charte en ce sens que l'État défendeur n'aurait pas pris les mesures nécessaires pour garantir le respect du droit à ce que sa cause soit entendue par les juridictions nationales compétentes, garanti par l'article 7 de la Charte, et en ce sens que certaines mesures prises seraient en contradiction avec le même article 7. De son côté, l'État défendeur rétorque qu'il a adopté, dans son système juridique national, toutes les mesures constitutionnelles, législatives et réglementaires requises pour garantir le respect de l’article 7 de la Charte.
i. Au sujet des mesures de nature législative
196. Par rapport à l'allégation de violation par l'État défendeur de son obligation d'adopter des mesures législatives, le débat entre les parties s'est focalisé sur la conformité à la Charte de mesures de nature législative ou réglementaire prises par l'État défendeur en vue de garantir le droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue par les juridictions nationales compétentes, tel prévu par l'article 7 de la Charte. 197. A cet égard, la Cour note, à travers le dossier de l'affaire, que l'État défendeur a pris un certain nombre de mesures légales de nature à garantir le droit à ce que sa cause soit entendue par un juge indépendant et impartial. Comme cela a été relevé plus haut, la Constitution du Ag Aq garantit, dans ses articles 129 et 130, l'indépendance du pouvoir judiciaire (supra, paragraphe 125). Par ailleurs, l’article 125 de cette même Constitution institue le pouvoir judiciaire comme gardien des droits et libertés qu'elle définit. I! est donc clair que l'on ne peut pas reprocher à l’État défendeur de ne pas avoir pris de telles mesures, et d'avoir violé l'article 1er de la charte, s'agissant de mesures législatives.
ii. — Au sujet de mesures autres que législatives
198. Par rapport à l'allégation de violation par l'État défendeur de son obligation d'adopter d’autres mesures au sens de l'article 1er de la Charte, le débat entre les parties a porté sur la question de savoir si en s'abstenant de rechercher, poursuivre et juger les assassins de Xy Z… et de ses compagnons, l'État défendeur a failli à son obligation de prendre des mesures autres que législatives pour assurer le respect du droit des requérants à ce que leur cause soit entendue par les juridictions nationales compétentes.
199. À cet égard, la Cour a déjà constaté que l'État défendeur avait violé l'article 7 de la Charte, en ce qu'il n'avait pas fait preuve de la diligence due en vue de rechercher, poursuivre et juger les assassins de Xy Z.…. et ses compagnons (supra, paragraphe 156). La Cour constate qu'en ce faisant, l'État défendeur a simultanément violé l’article 1er de la Charte, en ne prenant pas les mesures judiciaires appropriées pour garantir le respect des droits des requérants aux termes de l’article 7 de la Charte.
E. La question de la réparation
200. Dans leurs écritures, les requérants ont demandé à la Cour de condamner l'État défendeur à leur payer une série de dommages et intérêts, à quantifier par la Cour elle-même (supra, paragraphe 45). 201. Dans son Mémoire en réponse sur le fond de l'affaire et au cours de l'audience publique des 28 et 29 novembre 2014, l'État défendeur a pour sa part demandé à la Cour de rejeter l'ensemble des demandes en réparation introduites par les requérants (supra, paragraphe 45).
202. Avant de se prononcer sur les demandes en réparation, la Cour a choisi, en application de l'article 63 de son Règlement intérieur, de statuer d’abord sur les diverses allégations de violation de la Charte avancées par les requérants.
La Cour ayant maintenant statué sur l'ensemble de ces allégations, elle se prononcera sur les demandes en réparation à une phase ultérieure de la procédure, après avoir entendu plus amplement les parties.
203. Par ces motifs,
LA COUR, à l'unanimité :
1. Se déclare compétente pour connaître de la requête, sauf en ce qui concerne l'allégation de violation du droit à la vie ;
2. Rejette l'exception d’irrecevabilité de la requête tirée du non épuisement des voies de recours internes, et déclare la requête recevable ;
3. Dit que l'État défendeur a violé l'article 7 de la Charte ; et qu'il a également violé l'article 1er de la Charte en ce qui concerne l'obligation d'adopter des mesures autres que les mesures législatives ;
4. Dit que l'État défendeur n’a pas violé l’article 3 de la Charte ; et qu'il n'a pas violé l’article 1er de la Charte en ce qui concerne l'obligation d'adopter des mesures législatives.
A la majorité de cinq contre quatre voix, les Juges Aa AP, An AH, El As C et
Ao B ayant voté contre :
5. Dit que l’État défendeur a violé l'article 9(2) de la Charte, lu conjointement avec l'article 66(2)(c) du Traité révisé de la CEDEAO.
A l'unanimité :
6. Réserve la question des demandes en réparation ;
7. Ordonne aux requérants de soumettre à la Cour leur Mémoire sur les réparations dans les trente jours qui suivent la date du présent arrêt ; ordonne également à l'État défendeur de soumettre à la Cour son Mémoire en réponse sur les réparations dans les trente jours qui suivront la réception du Mémoire des requérants.
Déclaration commune : AP, OUGUERGOUZ, GUISSE et ABA
1. Au paragraphe 5 du dispositif du présent arrêt, la Cour dit que « l'État défendeur a violé l'article 9(2) de la Charte, lu conjointement avec l'article 66(2)(c) du Traité révisé de la CEDEAO ».
2.La Cour a en effet considéré que « la défaillance de l'État défendeur dans la recherche et le jugement des assassins de Xy Z.… a suscité des peurs et des inquiétudes dans les milieux des médias » (paragraphe 186), et que de ce fait, « l'État défendeur a violé le droit à la liberté d'expression des journalistes », tel que garanti par les deux dispositions précitées (paragraphe 187).
3. Nous reconnaissons que cette défaillance de l'État défendeur a pu effectivement générer un certain degré de peur et d'inquiétude dans la profession médiatique en général, et produire en quelque sorte un « effet intimidant sur la liberté d'expression des journalistes (voir paragraphes 173 et 176 de l'arrêt).
4. Nous estimons également que s'agissant de faits de nature « psychologique » qu'il est naturellement difficile de prouver, la Cour n’avait pas à en exiger une preuve rigoureuse. Nous sommes favorables, spécialement en matière de protection des droits de l'homme, à une adaptation du standard de preuve relativement à l'établissement de la violation de certains droits garantis par la Charte ou d’autres instruments juridiques applicables, et en particulier, en ce qui concerne la preuve de l’éventuel « effet intimidant » du comportement d’un Etat défendeur qui serait contraire à ses obligations internationales.
s. Il est par ailleurs admis, dans la pratique judiciaire internationale, que lorsqu'il résulte des circonstances non imputables à une partie que la preuve due par elle est difficile ou impossible à faire, le juge peut se laisser convaincre plus facilement que d'habitude.”
6. Dans la présente affaire cependant, le problème est que les requérants se contentent de formuler une allégation générale, sans l'étayer par des faits précis qui pouvaient traduire concrètement cette peur et cette inquiétude, et établir ainsi prima facie le bien-fondé de ladite allégation. Alors même que l'Etat défendeur avait contesté que le traitement de l'affaire Xy Z.…. sur le plan national ait eu un impact négatif quelconque sur la liberté d'expression des journalistes (paragraphe 177), les requérants n'ont pour leur part, pas apporté le moindre commencement de preuve qui aurait pu amener la Cour à se déterminer positivement sur l'existence d’un tel « effet intimidant » de nature à porter atteinte aux droits garantis par les dispositions susmentionnées. Ils n'ont pas fourni la moindre indication sur le fait que depuis le début de l'affaire Xy Z.…., les médias burkinabé n'auraient plus pu s'exprimer librement. En l'absence de faits précis ou d'un minimum d'éléments probants, et eu égard à la contestation de l'allégation par l'Etat défendeur, la Cour, qui est une instance judiciaire ne pouvait dès lors conclure à pareille violation.
7. C'est pour cette raison que nous n'avons pas pu souscrire à la décision de la majorité de la Cour figurant au paragraphe 5 du dispositif du présent arrêt, telle que rapportée plus haut.
7 Sur cette pratique, voir Aa AP, La preuve devant les juridictions
internationales, Bruylant, Editions de l'Université de Bruxelles, 2005, pp. 418-424.


Synthèse
Numéro d'arrêt : RANDOM1907654571
Date de la décision : 28/03/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 20/06/2022
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