TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BOBIGNY
JUGEMENT CONTENTIEUX DU 05 JUILLET 2024
Serv. contentieux social
Affaire : N° RG 23/01452 - N° Portalis DB3S-W-B7H-YARC
N° de MINUTE : 24/01493
DEMANDEUR
Madame [K] [X]
[Adresse 1]
[Localité 4]
présente et assistée par Me Albert ATANGANA KOUAMO, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, vestiaire : 300 ; bénéficiaire d’une aide juridictionnelle totale
DEFENDEUR
CAF DE LA SEINE-SAINT-DENIS
[Adresse 2]
Service affaires juridiques - [Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Mme [N] [H], munie d’un pouvoir
COMPOSITION DU TRIBUNAL
DÉBATS
Audience publique du 28 Mai 2024.
Madame Pauline JOLIVET, Présidente, assistée de Monsieur Abdelkader KHALID et Monsieur Sven PIGENET, assesseurs, et de Madame Christelle AMICE, Greffier.
Lors du délibéré :
Présidente : Pauline JOLIVET, Première vice-présidente adjointe
Assesseur : Abdelkader KHALID, Assesseur employeur
Assesseur : Sven PIGENET, Assesseur salarié
JUGEMENT
Prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort, par Pauline JOLIVET, Première vice-présidente adjointe, assistée de Christelle AMICE, Greffier.
Transmis par RPVA à : Me Albert ATANGANA KOUAMO
Tribunal judiciaire de Bobigny
Service du contentieux social
Affaire : N° RG 23/01452 - N° Portalis DB3S-W-B7H-YARC
Jugement du 05 JUILLET 2024
FAITS ET PROCÉDURE
Mme [K] [X] a trois enfants, [J] né en 2012, [D] né en 2015 et [W] née en 2018.
Le 1er novembre 2019, Mme [K] [X] complétait deux demandes du complément de libre choix du mode de garde (CMG) indiquant faire appel, d’une part, à la structure “[5]” pour un service de garde d’enfants à domicile, d’autre part, à la structure “[6]”.
A la suite d’un rapport d’enquête de la caisse d’allocations familiales (CAF) de Seine-Saint-Denis clôturé le 21 septembre 2022, par lettre du 20 octobre 2022, la CAF notifiait à Mme [X] une dette de 6495,36 euros. Cette lettre précisait qu’elle avait perçu la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE) complément libre choix mode de garde alors qu’elle n’y avait pas droit. Elle l’informait d’une retenue de 161 euros sur ses allocations à compter du mois de novembre 2022.
Mme [X] contestait cette notification de dette.
Par lettre du 9 mars 2023, la CAF transmettait à Mme [X] la décision rendue par la commission de recours amiable le 7 février 2023 rejetant son recours.
Par requête reçue le 7 août 2023 au greffe, Mme [K] [X] a saisi le tribunal judiciaire de Bobigny en contestation de cette décision.
A défaut de conciliation, l’affaire a été appelée à l’audience du 30 janvier 2024, date à laquelle elle a fait l’objet d’un renvoi. Elle a été appelée et retenue à l’audience du 28 mai 2024, date à laquelle les parties, présentes ou représentées, ont été entendues en leurs explications.
Par conclusions déposées et soutenues oralement à l’audience, la CAF, régulièrement représentée, soulève l’irrecevabilité du recours pour forclusion.
Elle fait valoir que la saisine du tribunal est tardive.
Par conclusions, déposées et soutenues oralement à l’audience, Mme [K] [X], présente et assistée de son conseil, demande au tribunal de :
à titre principal,
- annuler la décision de la commission de recours amiable et la dette,
- ordonner le remboursement par la CAF de toutes les sommes indûment prélevées sur ses prestations,
à titre subsidiaire,
- lui octroyer des délais de paiement à hauteur de 100 euros par mois,
en tout état de cause,
- condamner la CAF à payer à Maître Atangana la somme de 1500 euros sur le fondement des dispositions combinées de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et l’article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir en réponse à la fin de non recevoir soulevée par la CAF que son recours est recevable, les délais n’ayant pas couru en l’absence de notification des voies et délais de recours.
Elle conteste l’indu faisant valoir d’une part, que la somme de 6459,36 euros retenue par la CAF ne correspond nullement aux sommes effectivement perçues. Elle indique avoir perçu 4590,60 euros et que les sommes étaient immédiatement reversées aux prestataires.
Elle conteste également le fait que les structures dispensaient des cours de langue et soutient que ses enfants étaient gardés à son domicile par une personne prénommée [T] qui était toujours la même. Elle souligne qu’il ne peut lui être imputé des erreurs de facturation alors même qu’elle n’est pas l’émettrice des factures, lesquelles ne sont même pas produites par la CAF.
Elle indique que c’est à tort que la CAF a retenu des sommes sur ses prestations.
A titre subsidiaire, elle indique qu’elle est dans une situation précaire ne lui permettant pas de rembourser la dette à hauteur de 190 euros par mois comme le demande la CAF.
Sur le fond, la CAF sollicite la validation de la créance de 3976,13 euros et le débouté de la demanderesse de toutes ses demandes.
Elle expose qu’à la suite d’un contrôle, il a été établi que les structures [5] et [6] n’entraient pas dans le périmètre de la prestation du CMG. Elle indique qu’un contrôle auprès de plusieurs allocataires a permis de mettre en évidence que les enfants étaient accueillis en groupe et non seul à domicile, les conditions de garde n’étaient pas respectées, les structures ont fait de fausses déclarations et émis de fausses factures. Elle indique que la fraude n’a pas été retenue à l’encontre des allocataires mais qu’une plainte a été déposée auprès du procureur de la République à l’encontre du gérant des sociétés. Elle fait valoir que la prestation proposée étant des cours de langue et non une garde à domicile, Mme [X] ne pouvait bénéficier du CMG et que l’indu est donc justifié. Elle précise que la commission de recours amiable a accordé une remise de dette partielle d’un montant de 1325,88 euros, ramenant l’indu à 3976,13 euros.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, le tribunal, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux écritures de celles-ci.
L’affaire a été mise en délibéré au 21 juin 2024, prorogé à la date figurant en tête du présent jugement.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité du recours
Aux termes de l’article R. 142-1-A du code de la sécurité sociale, “I.-Sous réserve des dispositions particulières prévues par la section 2 du présent chapitre et des autres dispositions législatives ou réglementaires applicables, la motivation des décisions prises par les autorités administratives et les organismes de sécurité sociale ainsi que les recours préalables mentionnés aux articles à l'article L. 142-4 du présent code, sont régis par les dispositions du code des relations du public avec l'administration. Ces décisions sont notifiées aux intéressées par tout moyen conférant date certaine à la notification.
[...]
III.-S'il n'en est disposé autrement, le délai de recours préalable et le délai de recours contentieux sont de deux mois à compter de la notification de la décision contestée. Ces délais ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision contestée ou, en cas de décision implicite, dans l'accusé de réception de la demande. [...]”
En l’espèce, la notification de la décision de la commission de recours amiable par lettre du 9 mars 2023 mentionne le délai de recours de deux mois. Toutefois, la CAF ne justifie pas de la date à laquelle celle-ci a été reçue par l’allocataire. Le tribunal étant dans l’impossibilité de savoir à quel moment le délai de recours a commencé à courir, la fin de non recevoir soulevée par la CAF doit être rejetée.
Le recours est recevable.
Sur la contestation de l’indu
L’article 1302 du code civil dispose que “tout paiement suppose une dette ; ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution.”
L’article 1302-1 du même code dispose que “celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû doit le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu.”
En application des dispositions du 4° de l’article L. 531-1 du code de la sécurité sociale, la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE) comprend un complément de libre choix du mode de garde, versé, dans les conditions définies aux articles L. 531-5 à L. 531-9, pour compenser le coût de la garde d'un enfant.
Aux termes de l’article L. 531-5 du code de la sécurité sociale, “I.-Le complément de libre choix du mode de garde est attribué au ménage ou à la personne qui emploie un assistant maternel agréé mentionné à l'article L. 421-1 du code de l'action sociale et des familles ou une personne mentionnée à l'article L. 7221-1 du code du travail pour assurer la garde d'un enfant. [...]”
Aux termes de l’article L. 531-6 du même code, “lorsque le ménage ou la personne recourt à une association ou à une entreprise habilitée à cet effet, dans des conditions définies par décret, pour assurer la garde d'un enfant et que sont remplies les conditions d'ouverture du droit au complément de libre choix du mode de garde de la prestation d'accueil du jeune enfant, ce complément est versé au ménage ou à la personne sous la forme d'une aide prenant en charge partiellement le coût de la garde.
Le montant versé ne peut excéder un plafond variant en fonction des ressources du ménage, du nombre d'enfants à charge et suivant que cette charge est assumée par une personne seule ou un couple, selon un barème défini par décret. [...]
L'aide n'est versée que si l'enfant est gardé un minimum d'heures au cours du mois, dans des conditions définies par décret.
L'aide est versée par l'organisme débiteur de prestations familiales. [...]”
En application de ces dispositions, le complément de libre choix du mode de garde est attribué à la personne ou au ménage qui recourt à une association ou à une entreprise habilitée à cet effet, dans des conditions définies par décret, pour assurer la garde d'un enfant et que sont remplies les conditions d'ouverture du droit au complément de libre choix du mode de garde de la prestation d'accueil du jeune enfant. Ce complément est versé au ménage ou à la personne sous la forme d'une aide prenant en charge partiellement le coût de la garde.
En l’espèce, Mme [X] ne conteste pas qu’elle a bénéficié du CMG pour la garde de ses enfants. Elle produit les contrats signés le 1er mai 2021 avec, d’une part, [6] pour la garde d’[D], d’autre par, [8] pour la garde de [W], à raison de 20 heures par mois pour une garde à domicile.
La CAF qui soutient que la prestation ne correspondait pas à de la garde à domicile ne produit aucune pièce permettant de le démontrer.
Au cours de l’enquête, Mme [X] a toujours soutenu que la garde se déroulait à son domicile. Les cinq factures produites par la CAF émises par [5] (octobre 2019), [6] (janvier 2021), ma garde bilingue (novembre, décembre 2021 et janvier 2022) mentionnent “garde d’enfants à domicile”. Il est exact que seul le prénom de l’aîné des enfants de Mme [X] y figure. Toutefois, il est constant que le CMG a été demandé par l’allocataire pour les deux autres enfants, l’âge de l’aîné ne permettant pas d’en bénéficier. L’enquête conclut que le droit au CMG n’est pas conforme dès lors que le contrat de garde comprenait des cours d’anglais. Toutefois, les contrats produits par Mme [X] ne font nullement état d’une telle prestation et prévoient uniquement une garde à domicile.
Le fait que la CAF ait porté plainte contre les sociétés [7] et [5] pour fraude ne suffit pas à démontrer que Mme [X] ne remplissait pas les conditions pour bénéficier du CMG.
Il appartient à l’organisme de justifier de l’indu. En l’état des pièces produites par la CAF, l’indu de CMG notifié à Mme [X] n’est justifié ni dans son principe ni dans son montant.
Il convient donc de faire droit à la contestation de l’allocataire et d’annuler la dette.
Sur la demande de restitution des prestations retenues
Aux termes de l’article L. 553-2 du code de la sécurité sociale, “tout paiement indu de prestations familiales est récupéré, sous réserve des dispositions des quatrième à neuvième alinéas de l'article L. 133-4-1, par retenues sur les prestations à venir ou par remboursement intégral de la dette en un seul versement si l'allocataire opte pour cette solution. A défaut, l'organisme payeur peut, dans des conditions fixées par décret, procéder à la récupération de l'indu par retenues sur les échéances à venir dues soit au titre des aides personnelles au logement mentionnées à l'article L. 821-1 du code de la construction et de l'habitation, soit au titre des prestations mentionnées à l'article L. 168-8 ainsi qu'aux titres II et IV du livre VIII du présent code, soit au titre du revenu de solidarité active mentionné à l'article L. 262-1 du code de l'action sociale et des familles.
[...]
Dans des conditions définies par décret, les retenues mentionnées au premier alinéa, ainsi que celles mentionnées aux articles L. 821-5-1 et L. 845-3 du présent code, L. 823-9 du code de la construction et de l'habitation et L. 262-46 du code de l'action sociale et des familles, sont déterminées en fonction de la composition de la famille, de ses ressources, des charges de logement, des prestations servies par les organismes débiteurs de prestations familiales, à l'exception de celles précisées par décret. En cas de fraude, le directeur de l'organisme débiteur de prestations familiales peut majorer le montant de la retenue d'un taux fixé par décret qui ne peut excéder 50 %. Ce taux est doublé en cas de réitération de la fraude dans un délai de cinq ans à compter de la notification de l'indu ayant donné lieu à majoration de la retenue.
[...]
Toutefois, par dérogation aux dispositions des alinéas précédents, la créance de l'organisme peut être réduite ou remise en cas de précarité de la situation du débiteur, sauf en cas de manœuvre frauduleuse ou de fausses déclarations.
[...]
Les dispositions des quatrième à dernier alinéas de l'article L. 133-4-1 sont applicables au recouvrement des indus mentionnés au présent article.”
En l’espèce, il est constant que la CAF a procédé à des retenues sur prestations au titre de l’indu notifié le 20 octobre 2022.
Mme [X] produit une capture d’écran de son compte CAF, rubrique “mes dettes”, sur laquelle apparait :
- le montant initial de l’indu 6495,36 euros,
- la période, novembre 2020 à février 2022, laquelle n’était pas précisée sur la notification de dette,
- le reste à rembourser 3976,13 euros.
L’historique des opérations retrace les retenues sur prestations pratiquées et mentionne une remise de dette de 1325,38 euros.
Compte tenu de l’annulation de la dette, les sommes retenues doivent être restituées à l’allocataire.
Au regard des éléments ci-dessus, les retenues ont été pratiquées à hauteur de 6495,36 - 3976,13 - 1325,38 = 1193,85 euros.
Il convient de faire droit à la demande de l’allocataire et d’ordonner le reversement de cette somme.
Sur les mesures accessoires
La CAF qui succombe supportera les dépens en application de l’article 696 du code de procédure civile.
Elle sera condamnée à verser la somme de 1000 euros à Maître Atangana, conseil de Mme [X] laquelle bénéficie de l’aide juridictionnelle totale, en application de l’article 700 du même code et de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
L’exécution provisoire sera ordonnée en application de l’article R. 142-10-6 du code de la sécurité sociale.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire, rendu en premier ressort, par mise à disposition au greffe,
Dit que le recours est recevable ;
Annule l’indu de 6495,36 euros notifié à Mme [K] [X] par la caisse d’allocations familiales de Seine-Saint-Denis le 20 octobre 2022 correspondant à la prestation d’accueil du jeune enfant libre choix du mode de garde pour la période de novembre 2020 à février 2022 ;
Fait droit à la demande reconventionnelle en restitution des retenues sur prestations présentée par Mme [K] [X] ;
Condamne la caisse d’allocations familiales de Seine-Saint-Denis à payer à Mme [K] [X] la somme de 1193,85 euros ;
Met les dépens à la charge de la caisse d’allocations familiales de Seine-Saint-Denis ;
Condamne la caisse d’allocations familiales de Seine-Saint-Denis à payer à Maître Albert Atangana Kouamo, conseil de Mme [K] [X], la somme de 1000 euros en application de l’article 700 du même code et de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Ordonne l’exécution provisoire ;
Rappelle que tout appel à l'encontre du présent jugement doit, à peine de forclusion, être formé dans le délai d’un mois à compter de sa notification.
Fait et mis à disposition au greffe, la minute étant signée par :
LA GREFFIERE LA PRÉSIDENTE
Christelle Amice Pauline Jolivet