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06/05/2024 | FRANCE | N°21/10163

France | France, Tribunal judiciaire de Bobigny, Chambre 6/section 3, 06 mai 2024, 21/10163


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TRIBUNAL
JUDICIAIRE
de BOBIGNY


JUGEMENT CONTENTIEUX DU 06 MAI 2024



AFFAIRE N° RG 21/10163 - N° Portalis DB3S-W-B7F-VWB7
N° de MINUTE : 24/00284
Chambre 6/Section 3



Madame [A] [O]
[Adresse 9]
[Localité 6]
représentée par Me Valérie COTTO, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1520

Monsieur [C] [T]
[Adresse 9]
[Localité 6]
représenté par Me Valérie COTTO, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1520

DEMANDEURS

C/

S.A.S.U. LSA IMMOGROUP
[Adresse 4]
[Localité 11]
repr

ésentée par Me Jonathan RUBIO, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C 1117

Madame [M] [U] [Y]
[Adresse 1]
[Localité 7]
défaillant

Madame [B] [R] [P]
[Adr...

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TRIBUNAL
JUDICIAIRE
de BOBIGNY

JUGEMENT CONTENTIEUX DU 06 MAI 2024

AFFAIRE N° RG 21/10163 - N° Portalis DB3S-W-B7F-VWB7
N° de MINUTE : 24/00284
Chambre 6/Section 3

Madame [A] [O]
[Adresse 9]
[Localité 6]
représentée par Me Valérie COTTO, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1520

Monsieur [C] [T]
[Adresse 9]
[Localité 6]
représenté par Me Valérie COTTO, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1520

DEMANDEURS

C/

S.A.S.U. LSA IMMOGROUP
[Adresse 4]
[Localité 11]
représentée par Me Jonathan RUBIO, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C 1117

Madame [M] [U] [Y]
[Adresse 1]
[Localité 7]
défaillant

Madame [B] [R] [P]
[Adresse 1]
[Localité 7]
défaillant

Madame [E] [G] [Y]
[Adresse 10]
[Localité 5]
défaillant

Monsieur [I] [D] [P]
[Adresse 2]
[Localité 8]
défaillant

Madame [N] [W] [P]
[Adresse 3]
[Localité 11]
défaillant

DEFENDEURS

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Lors des débats et du délibéré

Président :Monsieur Gilles CASSOU DE SAINT-MATHURIN, Vice-Président
Assesseurs :Monsieur David BRACQ-ARBUS, Juge, rapporteur
Monsieur François DEROUAULT, Juge

Assisté aux débats de : Madame Maud THOBOR, Greffier

DEBATS

Audience publique du 26 Février 2024, l’affaire a été mise en délibéré au 6 Mai 2024.

JUGEMENT

Prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement réputé contradictoire et en premier ressort, par Monsieur Gilles CASSOU DE SAINT-MATHURIN, Vice-Président, assisté de Madame Maud THOBOR, Greffier.

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Le 26 novembre 2019, les héritiers de [S] [K] ont donné mandat à la société LSA immogroup de vendre le bien sis [Adresse 3].

Mme [O] et M. [T] se sont rapprochés de la société LSA immogroup en vue d’acquérir un bien immobilier.

Une première promesse synallagmatique de vente portant sur le bien a été signée le 21 février 2020 par Mme [O] et M. [T] mais non par les vendeurs.

Suivant acte sous seing privé du 3 août 2020 conclu en présence de la société LSA immogroup, Mme [M] [Y], Mme [R] [P], Mme [E] [Y], Mme [P] et M. [P] ont consenti à Mme [O] et M. [T] une promesse synallagmatique de vente, stipulée sous condition suspensive d’obtention d’un prêt expirant le 2 octobre 2020 à 24 heures, portant sur le bien, moyennant un prix de 205 000 euros.

Mme [O] et M. [T] ont versé la somme de 3 000 euros entre les mains du notaire à titre

de séquestre, outre 400 euros de provision à valoir sur frais d’acte.

Mme [O] et M. [T] ont reçu une offre de prêt le 3 octobre 2020 (émise le 1er octobre 2020), qu’ils ont acceptée le 14 octobre 2020.

Le notaire instrumentaire de l’acte de vente a informé Mme [O] et M. [T] que le bien faisait partie d’une succession en cours et ne pourrait de ce fait leur être vendu.

C’est dans ces conditions que, par actes d'huissier du 11 octobre 2021, Mme [O] et M. [T] ont fait assigner la société LSA immogroup, Mme [M] [Y], Mme [R] [P], Mme [E] [Y], Mme [P] et M. [P] devant le tribunal judiciaire de Bobigny aux fins d’annulation des compromis de vente et d’indemnisation de leur préjudice.

Avisées selon les formes de l’article 659 du code de procédure civile, Mme [P] et Mme [E] [Y] n'ont pas constitué avocat.

Avisée à personne, Mme [R] [P] n'a pas constitué avocat.

Avisés à étude, Mme [M] [Y] et M. [P] n'ont pas constitué avocat.

Aux termes de l'article 472 du code de procédure civile, si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond, et le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée.

Le présent jugement, susceptible d’appel, sera réputé contradictoire, conformément aux dispositions des articles 473 (en cas de défendeur unique) et 474 (en cas d’une pluralité de défendeurs dont un au moins ne comparaît pas) du code de procédure civile.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 13 avril 2022 par ordonnance du même jour, et l'affaire appelée à l'audience de plaidoiries du 10 octobre 2022.

Par jugement du 7 novembre 2022, le tribunal a révoqué l’ordonnance de clôture du 13 avril 2022 et renvoyé l’affaire à la mise en état.

Par ordonnance du 9 octobre 2023, le juge de la mise en état a débouté Mme [O] et M. [T] de leur demande de production de pièces.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 17 janvier 2024 par ordonnance du même jour, et l'affaire appelée à l'audience de plaidoiries du 26 février 2024.

Le 18 janvier 2024, la société LSA immogroup a notifié de nouvelles conclusions au fond.

Par dernières conclusions notifiées le 19 janvier 2024, la société LSA immogroup a sollicité la révocation de l’ordonnance de clôture.

Le jugement a été mis en délibéré au 6 mai 2024, date de la présente décision.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 15 janvier 2024, Mme [O] et M. [T] demandent au tribunal judiciaire de Bobigny de :

- dire leurs demandes recevables et bien-fondées ;
- constater la nullité des compromis et le comportement fautif de la société LSA immogroup ;
- condamner la société LSA immogroup à la somme totale de 73 095 euros se décomposant comme suit :
*1 500 euros de perte de chance de récupérer l’acompte de travaux de 1 500 euros versé à l’entreprise Badsi ;
*1 500 euros de frais de prêt bancaire relatifs à l’offre émise par leur banque ;
*3 400 euros au titre des frais de séquestre ;
*36 695 euros de perte de chance réactualisée d’acquérir un bien immobilier selon les critères de recherche ;
*20 000 euros de perte de chance de reconstituer leur apport personnel de 20 000 euros ;
*10 000 euros au titre du préjudice moral ;

En tout état de cause,
- dire n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir ;
- condamner la société LSA immogroup à la somme de 5 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à succomber aux entiers frais et dépens de l'instance ;
- débouter la société LSA immogroup de l’ensemble de ses demandes.

Au soutien de leurs prétentions, Mme [O] et M. [T] font valoir :
- au visa des article 1112-1, 1137 et 1138 du code civil, que leur consentement a été vicié par le dol ; qu’en effet, l’agence immobilière et les vendeurs leur ont dissimulé le fait que le bien avait fait l’objet de deux successions rapprochées, que la succession était déficitaire, que les héritiers étaient en attente d’un jugement sur la dette de crédit de leur auteur, qu’il y a des mineurs héritiers, de sorte que le juge des tutelles doit autoriser la vente ; que l’agence immobilière leur a également dissimulé le fait que tous les diagnostics n’avaient pas été réalisés et que l’acte ne comportait pas de date de réalisation de la vente ; que l’élément intentionnel du dol est établi par la volonté de faire vendre un bien tout en sachant que les conditions pour la vente de ce bien ne sont pas réunies ; qu’informés de la succession ils n’auraient pas contracté ;
- que la société LSA immogroup a commis plusieurs manquements et négligences pour lesquels elle expose sa responsabilité : défaut de transmission des diagnostics techniques à jour, défaut de réalisation de l’assainissement, présence non révélée d’une fosse septique alors que l’agence a indiqué que le bien était relié au tout-à-l’égout, diagnostics non valables dès lors qu’ils n’ont pas été établis au nom du vendeur, défaut d’information quant aux travaux réalisés en 1996, cour non conforme au PLU, absence de titre de propriété au nom des vendeurs, le mandat de vente n’est pas valable en l’absence de titre propriété ou d’attestation immobilière, l’agence avait mis en vente un bien en sachant que les héritiers renonceraient à la succession ; l’agence ne pouvait leur réclamer un séquestre de 3 000 euros ;
- en réponse à l’argument adverse selon lequel la promesse est caduque du fait de l’obtention tardive du prêt, que l’article 1599 du code civil dispose que la vente de la chose d’autrui est nulle : elle peut donner lieu à dommages-intérêts lorsque l’acheteur a ignoré que la chose fut à autrui ; au visa de l’article 1304-2 du code civil, que les vendeurs n’avaient encore exercé l’option successorale, si bien que la vente était affectée d’une condition potestative qui rendait le compromis de vente nul et non avenu ; qu’un acte nul ne peut en toute logique devenir caduc ; que l’agence immobilière n’étant pas partie à l’acte elle ne peut en soulever la caducité ; que l’article 1304-4 du code civil dispose qu’une partie est libre de renoncer à la condition stipulée dans son intérêt exclusif, tant que celle-ci n'est pas accomplie ou n'a pas défailli ; qu’ils pouvaient donc y renoncer ; que la condition suspensive s’est réalisé le 1er octobre 2020, date d’émission de l’offre ; qu’ils pouvaient donc réclamer la réalisation de la vente ;
- en définitive, que l’échec de la vente est imputable à l’agence immobilière, qui leur doit ainsi réparation des préjudices subis : séquestre non-restitué par le notaire et provision sur frais d’acte exposés en pure perte, perte de chance de récupérer l’acompte versé à l’entrepreneur censé intervenir une fois le bien acquis, frais d’instruction du dossier de crédit bancaire exposés en pure perte, perte de chance réactualisée d’acquérir un bien immobilier selon les critères de recherche, perte de chance de reconstituer leur apport personnel, préjudice moral.

*

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 15 janvier 2024, la société LSA immogroup demande au tribunal judiciaire de Bobigny de :

A titre principal,
- débouter Mme [O] et M. [T] de leurs demandes ;

A titre reconventionnel,
- condamner solidairement Mme [O] et M. [T] à lui payer les sommes suivantes :
*10 000 euros au titre de l’article 32-1 du code de procédure civile ;
*10 000 euros ;
*les dépens avec bénéfice du droit prévu par les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
*6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

A titre subsidiaire,
- juger que la perte de chance alléguée par Mme [O] et M. [T] est inexistante et rejeter leurs demandes et prétentions ;

A titre plus subsidiaire,
- condamner la société LSA immogroup à payer la somme de 1 000 euros au titre de la perte de chance, et rejeter le surplus de leurs demandes ;

En tout état de cause,
- juger qu’il n’y a lieu à écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir ;
- condamner Mme [O] et M. [T] aux entiers dépens, avec bénéfice du droit prévu par les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
- condamner Mme [O] et M. [T] à verser au défendeur la somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du même code.

Au soutien de ses prétentions, la société LSA immogroup fait valoir :
- que l’ensemble des héritiers, dont la qualité est indiscutable, ont signé le mandat de vente de sorte que l’acceptation de la succession ne faisait aucun doute (articles 782 et 783 du code civil, dont il se déduit que les héritiers qui cèdent tout ou partie de leurs droits sont réputés avoir accepté la succession) ; que les bénéficiaires de la promesse étaient informés qu’il s’agissait d’un bien vendu dans le cadre d’une succession ; qu’aucun des héritiers n’est mineur de sorte qu’il n’était nul besoin d’obtenir une autorisation judiciaire pour mettre en vente le bien ;
- que la portée du devoir d’information de l’agent immobilier est circonscrite aux seuls éléments qui lui sont transmis ;
- que l’intégralité des diagnostics leur ont été remis ; qu’elle n’a pas dissimulé l’absence de tout à l’égout dès lors qu’elle n’a fait que retranscrire les mentions portées dans l’acte authentique d’acquisition reçu du notaire ;
- qu’il résulte du compromis que les bénéficiaires de la promesse ont été informés des travaux entrepris par les promettants ; que le risque de non-conformité au PLU est inexistant ;
- qu’en tout état de cause, au visa de l’article 1304-4 du code civil, le compromis est caduc faute pour les demandeurs d’avoir obtenu leur prêt dans le délai stipulé ;
- que les demandes indemnitaires sont insuffisamment justifiées.

*

Pour un plus ample exposé des moyens développés par la ou les parties ayant conclu, il est renvoyé à la lecture des conclusions précitées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande de révocation de l’ordonnance de clôture

Il résulte de l’application combinée des dispositions des articles 802 et 803 du code de procédure civile qu’aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d’irrecevabilité prononcée d’office, après l’ordonnance de clôture, laquelle peut néanmoins être révoquée, d’office ou à la demande des parties – par conclusions dûment signifiées ou notifiées –, s’il se révèle une cause grave depuis qu’elle a été rendue. La constitution d'avocat postérieurement à la clôture ne constitue pas, en soi, une cause de révocation.

En l’espèce, la société LSA immogroup sollicite la révocation de l’ordonnance de clôture.

Considération prise du fait qu’elle a valablement notifié ses conclusions n°3 par courriel le 15 janvier 2024, que chaque partie a pu conclure à trois reprises et de l’ancienneté de la procédure, nulle cause grave justifiant la révocation de l’ordonnance de clôture du 17 janvier 2024 n’est caractérisée.

Par suite, la demande sera rejetée, étant observé que le tribunal statuera sur les dernières conclusions notifiées par la société LSA immogroup avant la clôture, soit celle du 15 janvier 2024.

Les conclusions notifiées le 18 janvier seront écartées des débats, conformément aux dispositions susvisées.

Sur l’annulation des promesses synallagmatiques de vente des 21 février 2020 et 3 août 2020

Aux termes des articles 1991 et 1992 du code civil, le mandataire est tenu d'accomplir le mandat tant qu'il en demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution. Le mandataire répond non seulement du dol, mais des fautes ou négligences qu'il commet dans sa gestion.

L'agent immobilier qui a reçu mandat de vendre ou d’acheter un immeuble, garantit, par sa présence, la régularité et la loyauté des pourparlers. En tant que professionnel, il est tenu de fournir au mandant ou au tiers contractant les informations neutres et objectives pour lui permettre d’opérer un choix éclairé. Les éléments fournis par l'agent immobilier devant être légaux, exacts, complets, efficients, compréhensibles et loyaux, ce dernier doit vérifier le descriptif des annonces qu’il publie pour chercher des acheteurs et se renseigner au préalable sur l'exactitude des informations délivrées, notamment tout ce qui peut entraîner des frais supplémentaires.

En vertu de l’article 1128 du code civil, la validité du contrat porte sur trois conditions cumulatives : un consentement sain et éclairé, la capacité de contracter et un contenu licite.

Sur le fondement de l’article 1130 du code civil, le contrat est nul en cas d’erreur, de dol ou de violence.

L’article 1137 du code civil, dispose que le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles qu’il est évident que, sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté. Le dol peut être constitué par le silence d’une partie dissimulant à son cocontractant un fait qui, s’il avait été connu de lui, l’aurait dissuadé de contracter.

Le dol est caractérisé par la réunion de quatre conditions cumulatives : une manœuvre ou équivalent, émanant du cocontractant, de nature intentionnelle et ayant provoqué une erreur déterminante chez le cocontractant.

En application de l’article 1240 du code civil, le droit de demander la nullité d’un contrat sur le fondement de l’article 1137 du code civil n’exclut pas l’exercice, par la victime des manœuvres dolosives, d’une action en responsabilité délictuelle pour obtenir de leur auteur réparation du préjudice qu’elle a subi.

En l’espèce, s’agissant en premier lieu de la promesse de vente du 21 février 2020, celle-ci ne saurait être annulée puisque, faute d’avoir reçu la signature des vendeurs/promettants, aucun contrat n’a été valablement formé.

S’agissant de la promesse de vente du 3 août 2020, il convient d’examiner successivement les griefs invoqués par Mme [O] et M. [T].

Le défaut de stipulation d’une date de réitération de la vente n’est pas dolosif dès lors d’une part que Mme [O] et M. [T] pouvaient parfaitement s’en convaincre eux-mêmes et d’autre part que cela ne faisait nullement obstacle à la réalisation de l’acte.

S’agissant des diagnostics obligatoires, il est constant qu’ils ont tous été annexés à la seule promesse de vente valablement conclue – celle du 3 août 2020 –, étant observé que leur absence n’aurait pu vicier le consentement des acquéreurs, qui pouvaient parfaitement s’en convaincre eux-mêmes dès lors que ces documents sont expressément listés dans l’acte litigieux avec, pour chacun, une croix indiquant s’ils sont ou non fournis.

S’agissant enfin de l’absence d’information, par l’agence, de ce que le bien faisait partie d’une indivision successorale, Mme [O] et M. [T] ne démontrent pas en quoi cette information était déterminante de leur consentement dès lors que cet état n’était pas, par lui-même, de nature à faire obstacle à la vente du bien.

Ils ajoutent que l’agence leur a caché le fait, révélé par courriel du notaire d’octobre 2020 puis par courrier du 22 avril 2021, que les héritiers/vendeurs n’avaient pas accepté la succession et qu’ils demeuraient en attente d’un jugement sur une dette de crédit de leur auteure.

Il n’est cependant nullement démontré que l’agence en avait connaissance préalablement à la signature de la promesse du 3 août 2020, de sorte qu’il ne peut lui être reproché d’avoir cherché à tromper le consentement des acquéreurs. Il est en effet parfaitement possible que les vendeurs aient eux-mêmes dissimulé des informations à l’agence.

S’agissant du dol des vendeurs, il résulte des correspondances du notaire (courriel du 16 octobre 2020 et courrier du 22 avril 2021) que plusieurs d’entre eux ont finalement renoncé à la succession du fait du déficit successoral, la transmission de cette information postérieurement à la signature de la promesse ayant fait échouer la vente.

Pareille information était à l’évidence de nature à déterminer le consentement des acquéreurs qui, en présence d’une telle incertitude quant à la propriété des vendeurs sur le bien, n’auraient pas contracté.

Il n’est en revanche pas démontré que l’information a été retenue dans le but avéré de tromper le consentement de Mme [O] et M. [T] dès lors qu’il résulte des faits de l’espèce que ce n’est que postérieurement que les vendeurs ont appris que la succession était déficitaire (le courriel du notaire du 2 décembre 2020 rapporte que la notaire en charge de la succession n’a reçu les derniers éléments témoignant d’une dette successorale qu’en octobre 2020), ce qui a provoqué la renonciation à la succession de certains d’entre eux.

Il est en outre insuffisamment démontré que les vendeurs savaient, préalablement à la conclusion de la promesse, qu’une instance était en cours sur une dette de crédit de leur auteur.

Ainsi, si les vendeurs auraient effectivement dû informer Mme [O] et M. [T] des incertitudes entourant la succession, la seule circonstance qu’ils ne l’aient pas fait ne permet pas de caractériser une volonté dolosive plutôt qu’une négligence, certes fautive, mais néanmoins insuffisante à démontrer que l’acte fut empreint de malice.

La demande d’annulation des compromis des 21 février 2020 et 3 août 2020, qui n’est fondée que sur le dol, sera ainsi rejetée.

Sur les demandes principales en paiement

En l’espèce, Mme [O] et M. [T] sollicitent l’indemnisation des préjudices résultant de l’inaccomplissement de la vente :
- séquestre non-restitué par le notaire et provision sur frais d’acte exposés en pure perte ;
- perte de chance de récupérer l’acompte versé à l’entrepreneur censé intervenir une fois le bien acquis ;
- frais d’instruction du dossier de crédit bancaire exposés en pure perte ;
- perte de chance réactualisée d’acquérir un bien immobilier selon les critères de recherche ;
- perte de chance de reconstituer leur apport personnel ;
- préjudice moral.

Au soutien de leur demande, ils font valoir que l’agence a commis un dol – écarté par la présente décision, ainsi que divers manquements exposant sa responsabilité sur le fondement de la responsabilité de droit commun pour faute prouvée.

Parmi les griefs invoqués, les suivants seront écartés dès lors qu’ils ne sont nullement à l’origine de l’échec de la vente, et, partant, sans lien de causalité avec les préjudices dont la réparation est sollicitée :
- validité des diagnostics techniques ;
- défaut d’information quant aux travaux réalisés (étant observé que la promesse du 21 février 2020 en fait mention en page 3) ;
- existence, ou non, d’un tout-à-l’égout, et problèmes d’assainissement ;
- défaut d’information quant à la conformité des travaux de la cour au PLU ;
- versement indu d’un séquestre lors de la signature de la promesse de vente du 21 février 2020.

Par ailleurs, la question de la validité du mandat de vente (les demandeurs font valoir que les signataires n’avaient pas la qualité d’héritiers et ne pouvaient de ce fait consentir à un tel acte) est, en réalité, étrangère à la réalisation de la vente puisque son éventuelle irrégularité n’aurait nullement empêché les vendeurs, une fois rapprochés des acquéreurs par l’entremise de l’agence, de vendre le bien.

Demeure enfin la question de l’état de la succession comportant le bien objet de la vente. A cet égard, l’agent immobilier, en sa qualité de professionnel rédacteur d’une promesse de vente, est tenu de vérifier l’état et la situation juridique du bien vendu.

Si l’agence fait valoir qu’il résulte de l’article 783 du code civil que « toute cession, à titre gratuit ou onéreux, faite par un héritier de tout ou partie de ses droits dans la succession emporte acceptation pure et simple », il lui sera opposé que la cession, à titre gratuit ou à titre onéreux, d'un ou plusieurs biens déterminés compris dans la succession est exclue du champ d'application de l'article 783.

Ainsi, l’agence chargée d’un mandat de vente aurait dû requérir toutes informations utiles quant à la succession en cours afin de vérifier l’actualité, la plénitude et l’effectivité du droit des vendeurs sur le bien aliéné afin de pouvoir en informer les acquéreurs.

Or, il résulte des courriers du notaire susmentionnés que tous les vendeurs n’avaient pas accepté la succession, de sorte que la faculté de renonciation leur était toujours ouverte.

Ne l’ayant fait, elle a commis une faute exposant sa responsabilité à l’égard de Mme [O] et M. [T].

La société LSA immogroup fait ici valoir que la condition suspensive d’obtention d’un prêt a défailli, de sorte que le contrat est devenu caduc, ce dont il devrait se déduire que le lien de causalité entre la faute de l’agence et les préjudices invoqués a été rompu.

Cet argument est cependant dépourvu de portée dès lors qu’il est certain que, mieux informés, Mme [O] et M. [T], n’auraient pas même signé les promesses de vente litigieuses puisque leurs vendeurs n’étaient pas propriétaires du bien faute d’avoir exercé l’option successorale.

Il ne saurait à cet égard être question de perte de chance s’agissant des frais exposés en pure perte du fait du défaut d’information de l’agence, que celle-ci sera condamnée à payer aux demandeurs :
- 1 500 euros au titre de l’acompte versé à l’entrepreneur qui devait réaliser des travaux une fois le bien acquis, étant observé que la seule production d’une facture suffit à établir que la somme était due, peu important qu’il résulte des échanges de SMS que Mme [O] et M. [T] entretiennent des relations de proximité avec l’entrepreneur ;
- 400 euros au titre de la provision sur frais d’acte versée en pure perte au notaire rédacteur ;
- 1 500 euros prélevés par la banque au titre de l’instruction du dossier de prêt immobilier (ainsi qu’en atteste le courriel de refus de restitution – pièce 51 des demandeurs), peu important que la banque ait eu ou non le droit de le faire puisque le préjudice est, en toute hypothèse, constitué.

S’agissant en revanche de la somme de 3 000 euros séquestrée entre les mains du notaire, la demande sera rejetée dès lors qu’il appartient aux demandeurs d’en solliciter la restitution auprès du notaire.

Sur la perte de chance d’acquérir un nouveau bien immobilier selon leurs critères de recherche, les demandeurs font valoir que, du fait de l’évolution des prix de l’immobilier, ils ne peuvent aujourd’hui acquérir un bien similaire à celui espéré au moment de la conclusion de la promesse litigieuse.

Il sera ici observé que :
- la diminution actuelle de leurs ressources ne résulte nullement du fait de l’agence ;
- que le refus de prêt de décembre 2023 indique qu’ils proposaient d’apporter la somme de 2 500 euros, de sorte que cette tentative ne saurait être mise en regard de la demande de prêt sollicitée pour l’acquisition du bien litigieux (apport personnel : 19 586 euros) et que la comparaison est dénuée de pertinence ;
- les refus opposés par deux vendeurs à des offres faites sur des appartements sont dénués de valeur probante faute de disposer des tous les critères pertinents de comparaison, les biens visités pouvant parfaitement être plus attractifs que la maison des consorts [P] ;
- la seule production d’informations générales sur l’évolution du marché à [Localité 11] ne permet pas d’évaluer précisément la perte de chance subie, qui ne saurait se calculer par une simple multiplication du prix du bien litigieux en 2020 par l’évolution des prix immobiliers ;
- qu’au demeurant, Mme [O] et M. [T] se sont trouvés libérés de leurs obligations dès le mois d’octobre 2020 et ne démontrent pas, à cette époque, avoir essayé d’acquérir un autre bien similaire.

Il résulte du tout que la demande sera rejetée.

S’agissant de la perte de chance de reconstituer leur apport personnel, le tribunal relève :
- que les sommes perdues du fait de la situation litigieuse constituent des préjudices dont ils peuvent obtenir réparation ;
- que les frais engendrés par l’augmentation du loyer, la venue d’un deuxième enfant ou le déménagement sont sans lien de causalité avec la faute de l’agence.

Mme [O] et M. [T] seront ainsi déboutés de cette demande.

S’agissant enfin du préjudice moral, indiscutablement constitué par le fait qu’ils ont dû renoncer à un projet immobilier et par les tracas liés à la procédure judiciaire, il sera justement réparé par l’allocation d’une indemnité de 5 000 euros.

Sur la demande reconventionnelle en paiement de la société LSA immogroup

L’article 32-1 du code de procédure civile prévoit que celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.

En vertu des dispositions de l’article 1240 du code civil dans sa version applicable au présent litige, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à la réparer.

L’exercice d’une action en justice constitue en principe un droit qui ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d’erreur grossière équipollente au dol.

En l’espèce, il résulte de ce qui précède que l’action de Mme [O] et M. [T] n’était point abusive.

La société LSA immogroup sera ainsi déboutée de sa demande.

Sur les frais du procès et l’exécution provisoire

Sur les dépens

Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

En l’espèce, les dépens seront mis à la charge de la société LSA immogroup, succombant à l’instance.

Sur les frais irrépétibles

En application de l'article 700 du code de procédure civile, le tribunal condamne la partie tenue aux dépens ou la partie perdante à payer à l'autre la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Par principe, le tribunal alloue à ce titre une somme correspondant aux frais réellement engagés, à partir des justificatifs produits par les parties, ou, en l’absence de justificatif, à partir des données objectives du litige (nombre de parties, durée de la procédure, nombre d’écritures échangées, complexité de l’affaire, incidents de mise en état, mesure d’instruction, etc.).

Par exception et de manière discrétionnaire, le tribunal peut, considération prise de l’équité ou de la situation économique des parties, allouer une somme moindre, voire dire qu’il n’y a lieu à condamnation.

En l’espèce, la société LSA immogroup, condamnée aux dépens, sera condamnée à payer à Mme [O] et M. [T] une somme qu’il est équitable de fixer à 5 000 euros.

Sur l’exécution provisoire

Il convient de rappeler qu'en application de l'article 514 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 applicable aux instances introduites à compter du 1er janvier 2020, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.

PAR CES MOTIFS,

Le tribunal, statuant publiquement par jugement réputé contradictoire et en premier ressort, par mise à disposition au greffe,

DEBOUTE la société LSA immogroup de sa demande de révocation de l’ordonnance de clôture ;

ECARTE les conclusions notifiées par la société LSA immogroup le 18 janvier 2024 ;

DEBOUTE Mme [O] et M. [T] de leur demande d’annulation des promesses de vente des 21 février 2020 et 3 août 2020 ;

CONDAMNE la société LSA immogroup à payer à Mme [O] et M. [T] les sommes suivantes à titre de dommages et intérêts :
- 1 500 euros au titre de l’acompte versé à l’entrepreneur ;
- 400 euros au titre de la provision sur frais d’acte ;
- 1 500 euros au titre des frais d’instruction du dossier de prêt immobilier ;
- 5 000 euros au titre du préjudice moral ;

DEBOUTE Mme [O] et M. [T] de leur demande en paiement au titre de la perte de reconstituer leur apport personnel ;

DEBOUTE Mme [O] et M. [T] de leur demande en paiement de la somme de 3 000 euros au titre du séquestre versé entre les mains du notaire rédacteur ;

DEBOUTE Mme [O] et M. [T] de leur demande en paiement au titre de la perte de chance d’acquérir un nouveau bien immobilier selon leurs critères de recherche ;

DEBOUTE la société LSA immogroup de sa demande reconventionnelle en paiement à titre de dommages et intérêts ;

MET les dépens à la charge de la société LSA immogroup ;

CONDAMNE la société LSA immogroup à payer à Mme [O] et M. [T] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE la société LSA immogroup de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

RAPPELLE que le présent jugement est assorti de l'exécution provisoire de droit.

La minute est signée par Monsieur Gilles CASSOU DE SAINT-MATHURIN, Vice-Président, assisté de Madame Maud THOBOR, greffier.

LE GREFFIER,LE PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bobigny
Formation : Chambre 6/section 3
Numéro d'arrêt : 21/10163
Date de la décision : 06/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 12/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-06;21.10163 ?
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