LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 26 septembre 2024
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 516 FS-B
Pourvoi n° N 23-14.685
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 26 SEPTEMBRE 2024
M. [H] [L], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° N 23-14.685 contre l'arrêt rendu le 16 février 2023 par la cour d'appel de Caen (2e chambre civile et commerciale et baux ruraux), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [C] [E],
2°/ à Mme [M] [D], épouse [E],
tous deux domiciliés [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Davoine, conseiller référendaire, les observations et les plaidoiries de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. [L], de Me Haas, avocat de M. et Mme [E], et l'avis de Mme Compagnie, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 juillet 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Davoine, conseiller référendaire rapporteur, Mme Proust, conseiller doyen, Mmes Grandjean, Grall, M. Bosse-Platière, Mme Pic, conseillers, Mmes Schmitt, Aldigé, M. Baraké, Mme Gallet, MM. Pons, Choquet, conseillers référendaires, Mme Compagnie, avocat général, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 16 février 2023), par acte du 20 avril 1990, [B] [L] et [U] [V], aux droits desquels est venu M. [L] (le bailleur), ont donné à bail à ferme à M. et Mme [E] (les preneurs) diverses parcelles, qu'ils ont mises à la disposition de l'exploitation agricole à responsabilité limitée [Adresse 1], devenu le groupement agricole d'exploitation en commun [Adresse 1] (le GAEC), dont seul M. [E] est membre.
2. Le 27 avril 2018, le bailleur a saisi un tribunal paritaire des baux ruraux en résiliation du bail.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses sixième à onzième branches
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses première à cinquième branches
Enoncé du moyen
4. Le bailleur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en résiliation du bail, alors :
« 1°/ que la faculté de mettre les biens loués à la disposition d'une société à objet principalement agricole impose, en cas de pluralité de preneurs, que ceux-ci en soient tous associés et qu'à défaut, le preneur non associé manque à son obligation de se consacrer personnellement à la mise en valeur de ces biens et procède à une cession prohibée, ce qui doit entraîner la résiliation du bail, sans qu'il soit nécessaire de constater qu'il en est résulté un préjudice pour le bailleur ou une compromission de l'exploitation du fonds rural ; qu'ayant constaté que seul M. [E] était associé du GAEC [Adresse 1] et énoncé que du fait de la mise à disposition des terres au profit du GAEC, Mme [E] avait procédé à une cession prohibée, la cour d'appel a pourtant débouté M. [L] de sa demande de résiliation du bail pour cession prohibée au motif que la résiliation du bail pour cession prohibée du seul fait que l'un des co-preneurs n'a pas la qualité d'associé de la société bénéficiaire de la mise à disposition ne peut être prononcée que si cette irrégularité a causé un préjudice au bailleur ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a violé les articles L. 411-31, II, 1° et L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime ;
2°/ qu'en toute hypothèse le preneur qui a mis à disposition d'une société les parcelles données à bail restant seul titulaire du bail, doit continuer à se consacrer à l'exploitation de ces biens, en participant sur les lieux aux travaux de façon effective et permanente selon les usages de la région et en fonction de l'importance de l'exploitation ; que la cessation d'activité du copreneur, qui n'a jamais été associé de la société bénéficiaire de la mise à disposition des parcelles données à bail, prive le bailleur de la possibilité de poursuivre l'exécution des obligations nées du bail que ce copreneur avait contractées ; qu'en retenant, pour juger que Mme [E] exploitait personnellement et effectivement les terres litigieuses et en déduire que M. [L] ne justifiait d'aucun préjudice particulier, que le règlement du GAEC précisait qu'elle était responsable de la comptabilité et des tâches administratives et que l'expert-comptable du GAEC attestait qu'il avait régulièrement des contacts avec celle-ci en ce qui concerne la partie administrative de l'exploitation agricole, ce dont il résultait que les tâches accomplies par Mme [E] concernaient des travaux de gestion, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 411-31, II, 3°, L. 411-37, III et L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime ;
3°/ que la cessation d'activité du copreneur, qui n'a jamais été associé de la société bénéficiaire de la mise à disposition des parcelles données à bail, prive le bailleur de la possibilité de poursuivre l'exécution des obligations nées du bail que ce copreneur avait contractées ; que les juges doivent examiner concrètement si le copreneur non associé qui prétend avoir poursuivi une activité participe à des travaux d'exploitation sur les parcelles données à bail ; qu'en retenant, pour juger que Mme [E] exploitait personnellement et effectivement les terres litigieuses et en déduire que M. [L] ne justifiait d'aucun préjudice particulier, que l'expert comptable du GAEC, M. [Z] et M. [N], retraités agricoles, attestaient de la participation de Mme [E] aux travaux d'exploitation depuis 1989, la cour d'appel n'a pas examiné concrètement si cette dernière participait à des travaux d'exploitation sur les parcelles données à bail, privant sa décision de base légale au regard des articles L. 411-31, II, 3°, L. 411-37, III, et L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime ;
4°/ que la cessation d'activité du copreneur, qui n'a jamais été associé de la société bénéficiaire de la mise à disposition des parcelles données à bail, prive le bailleur de la possibilité de poursuivre l'exécution des obligations nées du bail que ce copreneur avait contractées ; que la seule immatriculation aux organismes de mutualité sociale agricole ne peut suffire à établir une participation directe et effective à l'exploitation ; qu'en se fondant, pour juger que Mme [E] exploitait personnellement et effectivement les terres litigieuses et en déduire que M. [L] ne justifiait d'aucun préjudice particulier, sur une attestation d'affiliation de Mme [E] à la MSA en qualité de conjoint collaborateur participant aux travaux depuis le 1er avril 1989, la cour d'appel a violé les articles L. 411-31, II, 3°, L. 411-37, III et L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime ;
5°/ qu'à l'appui de sa demande de résiliation du bail, M. [L] faisait valoir que la prétendue participation à la traite de Mme [E] s'effectuait sur un site étranger aux biens donnés à bail ; qu'en retenant, pour juger que Mme [E] exploitait personnellement et effectivement les terres litigieuses et en déduire que M. [L] ne justifiait d'aucun préjudice particulier, que le règlement du GAEC précisait que Mme [E] était responsable de la traite matin et soir, sans répondre à ce moyen opérant, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5. Selon l'article L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime, toute cession de bail est interdite, sauf si la cession est consentie, avec l'agrément du bailleur, au profit du conjoint ou du partenaire d'un pacte civil de solidarité du preneur participant à l'exploitation ou aux descendants du preneur.
6. Il résulte des articles L. 323-14 et L. 411-37 du même code que le preneur à ferme qui adhère à un groupement agricole d'exploitation en commun peut faire exploiter par ce groupement tout ou partie des biens dont il est locataire pour une durée qui ne peut être supérieure à celle du bail dont il reste titulaire. Il doit, à peine de résiliation, continuer à se consacrer à l'exploitation du bien loué mis à disposition, en participant sur les lieux aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l'importance de l'exploitation.
7. Selon l'article L. 411-31, II, 1° et 3°, de ce code, le bailleur peut demander la résiliation du bail s'il justifie soit d'une contravention aux dispositions de l'article L. 411-35, soit, si elle est de nature à porter préjudice au bailleur, d'une contravention aux obligations dont le preneur est tenu en application de l'article L. 411-37.
8. Le preneur ou, en cas de cotitularité, l'un ou les copreneurs, qui mettent les biens loués à la disposition d'un groupement agricole d'exploitation en commun dont ils ne sont pas membres mais qui continuent à se consacrer à l'exploitation de ceux-ci, en participant sur les lieux aux travaux de façon effective et permanente, n'abandonnent pas la jouissance du bien loué à ce groupement et ne procèdent donc pas à une cession prohibée du bail.
9. Il en résulte que, dans ce cas, le bailleur ne peut solliciter la résiliation du bail que sur le fondement de l'article L. 411-31, II, 3°, et est donc tenu de démontrer que le manquement est de nature à lui porter préjudice.
10. La cour d'appel a, d'abord, constaté que seul M. [E] était associé du GAEC.
11. Ayant constaté que Mme [E] était affiliée à la MSA en qualité de conjoint collaborateur participant aux travaux depuis le 1er avril 1989, que le règlement du GAEC précisait qu'elle était responsable de la comptabilité et des tâches administratives mais aussi de la traite matin et soir, et que diverses attestations confirmaient qu'elle participait avec son époux aux travaux d'exploitation, elle a, ensuite, souverainement retenu que ces éléments établissaient une participation habituelle et effective de Mme [E] à l'exploitation des biens donnés à bail. Répondant aux conclusions prétendument délaissées, elle a ajouté que ces éléments n'étaient remis en cause par aucune pièce du bailleur.
12. Puis, elle a souverainement relevé que le bailleur ne justifiait d'aucun préjudice particulier, étant à même de poursuivre l'exécution des obligations nées du bail sur les deux copreneurs.
13. Elle a exactement déduit de ces seuls motifs que la demande en résiliation devait être rejetée.
14. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [L] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [L] et le condamne à payer à M. et Mme [E] la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé le vingt-six septembre deux mille vingt-quatre, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.