AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le trente septembre deux mille trois, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire MENOTTI, les observations de la société civile professionnelle THOMAS-RAQUIN et BENABENT, avocat en la Cour ;
Vu la communication faite au Procureur général ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Philippe,
- LA SOCIETE LYON MAG', civilement responsable,
contre l'arrêt de la cour d'appel de LYON, 7ème chambre, en date du 16 octobre 2002, qui, pour injure publique envers un fonctionnaire public, a condamné le premier à 2 000 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 29, 31, 32, 33 et 53 de la loi du 29 juillet 1881, 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de nullité de la citation introductive d'instance délivrée par Bernard Y... à Philippe X..., directeur de publication du magazine Lyon Mag', et à la société Lyon Mag", sur le fondement de l'injure définie à l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 et réprimée par l'article 33 de la même loi ;
"aux motifs que, "le jugement doit être réformé, la citation introductive de la poursuite ayant légalement mis en mouvement l'action publique et partant, l'action civile ; que si, lorsque les expressions injurieuses se rattachent directement à une imputation diffamatoire pour n'en être que l'accessoire, le délit d'injure s'absorbe dans celui de diffamation et ne peut être alors relevé seul, en revanche peut être poursuivie et punie, en tant que délit distinct, l'injure qui est indépendante de faits diffamatoires ;
que le tribunal a exactement retenu que les passages de l'article en cause présentant Bernard Y... comme extrémiste et comme quelqu'un qui "sait jongler avec la vérité" ne renferme l'imputation ou l'allégation d'aucun fait déterminé et ne sont pas constitutifs du délit de diffamation publique ; que le tribunal a considéré à tort comme constitutif de ce délit de diffamation publique le fait de qualifier Bernard Y... de "pro-apartheid", en se référant à un article d'un autre numéro de la même revue publié le mois précédent ; que, dans le seul article en cause, l'attribution à la partie civile de ce qualificatif sans que lui soit imputé ni que soit allégué un fait déterminé et précis pouvant être, sans difficulté, l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire, n'est pas constitutif du délit de diffamation ; qu'en effet, ne caractérise pas cette infraction la simple affirmation de l'adhésion d'une personne à une idéologie ségrégationniste, dès lors que ladite affirmation ne comporte aucune imputation ou allégation d'actes déterminés traduisant une appartenance à un tel courant de pensée ; qu'il suit de là que la citation, qui pouvait régulièrement ne viser que le seul délit d'injure publique, a valablement mis en mouvement l'action publique ; que l'action civile a donc été elle aussi légalement engagée ;
"alors que, d'une part, le reproche d'adhérer à une idéologie structurée et méthodique, comme celle de l'apartheid, constitue une diffamation ; qu'en retenant que le fait de qualifier Bernard Y... de "pro-apartheid" ne serait pas constitutif de diffamation, faute d'imputer des actes déterminés traduisant une appartenance à un tel courant de pensée, pour rejeter l'exception de nullité de la citation fondée sur la seule qualification d'injure, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
"alors que, d'autre part, il appartient aux juges du fond de relever toutes les circonstances et éléments extrinséques au passage incriminé et de nature à donner à celui-ci un caractère diffamatoire ; que la cour d'appel ne pouvait refuser de se référer à un article d'un autre numéro de la même revue publié le mois précédent et ne s'en tenir qu'au "seul article en cause" pour apprécier le caractère diffamatoire des faits incriminés" ;
Sur le second moyen cassation, pris de la violation des articles 29 et 33 de la loi du 29 juillet 1881, 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Philippe X... coupable du délit d'injure publique et l'a condamné au paiement d'une amende de 2 000 euros, ainsi qu'au paiement, in solidum avec la société Lyon Mag', en qualité de civilement responsable, d'une somme de 3 000 euros versé à Bernard Y... à titre de dommages et intérêts, puis a ordonné la publication de l'intégralité du dispositif de l'arrêt dans le prochain numéro à paraître de la revue Lyon Mag' pour un coût maximum de 4 500 euros ;
"aux motifs que "l'emploi à deux reprises du terme "énergumène" pour annoncer puis commenter l'exercice par Bernard Y... d'un droit de réponse, par l'insistance dont il témoigne à présenter la partie civile comme une personne exaltée et excessive, constitue une marque de mépris qui caractérise l'infraction d'injure ; que cette injure publique vise bien Bernard Y... en qualité de fonctionnaire public puisqu'elle suit le rappel des fonctions de professeur de l'Université de LYON III exercées par celui-ci ; que cette infraction d'injure publique envers un fonctionnaire public est imputable à Philippe X..., directeur de publication de la revue Lyon Mag', qui en sera déclaré coupable ; que cette injure vise une personne à l'occasion de l'exercice d'un droit de réponse, ce qui confère à ce délit un caractère de gravité certain ; qu'il convient de faire au prévenu une application stricte de la loi pénale en le condamnant à une amende dont le montant fixé à 2 000 euros tient compte tout à la fois des circonstances de l'infraction et de la personnalité et des ressources de son auteur ; que l'injure commise, qui visait à discréditer le texte écrit par Bernard Y... dans le cadre de l'exercice de son droit de réponse en s'en prenant à la personne même de son auteur, loin du débat de fond, a directement causé un préjudice d'ordre moral à la partie civile atteinte dans le respect dû à toute personne exerçant un droit qui lui a été reconnu ; que l'injure proférée a également été attentatoire à la considération de Bernard Y... en ce qu'elle a dénigré celui-ci dans sa fonction de professeur d'université ;
"alors qu'il incombe au journaliste de communiquer des informations et des idées sur des questions politiques ainsi que sur d'autres thèmes ; que s'il doit respecter la protection de la réputation d'autrui, le journaliste dispose d'une plus grande liberté de critique à l'égard d'une personne émettant des opinions publiques ; que sa liberté lui permet même une certaine dose d'exagération, voire de provocation ; qu'en retenant que l'emploi du terme "énergumène" pour désigner Bernard Y..., dont elle a retenu qu'il était professeur de l'Université de Lyon III, serait constitutif d'une injure, sans examiner le contexte dans lequel s'est inscrit l'emploi de ce terme et le contenu des échanges entre les parties, la cour d'appel a privé sa décision de base légale" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs exempts d'insuffisance ou de contradiction et répondant aux conclusions dont elle était saisie, a exactement apprécié le sens et la portée des propos litigieux et caractérisé, en tous ses éléments constitutifs, tant matériels qu'intentionnel, le délit dont elle a reconnu le prévenu coupable, et a ainsi justifié l'allocation, au profit de la partie civile, de l'indemnité propre à réparer le préjudice en découlant ;
D'où il suit que les moyens doivent être écartés ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, Mme Menotti conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Lambert ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;