RUL/CH
Société HÔTEL GRILL DE MÂCON
C/
[M] [E]
Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE - AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE DIJON
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 02 MARS 2023
MINUTE N°
N° RG 21/00297 - N° Portalis DBVF-V-B7F-FWAF
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Mâcon, décision attaquée en date du 26 Mars 2021, enregistrée sous le n° 20/00029
APPELANTE :
Société HÔTEL GRILL DE MÂCON
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Delphine RICARD de l'AARPI VATIER, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Margot LE LUONG, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉ :
[M] [E]
chez Me [W]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 212310022021004255 du 26/08/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Dijon)
représenté par Me Karen CHARRET de la SCP SAGGIO/CHARRET, avocat au barreau de MACON/CHAROLLES
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 Janvier 2023 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller chargé d'instruire l'affaire. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :
Olivier MANSION, Président de chambre,
Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,
Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Kheira BOURAGBA,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Kheira BOURAGBA, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
M. [M] [E] a été embauché par la société HÔTEL GRIL de MÂCON en qualité de cuisinier par un contrat de travail à durée déterminée du 13 septembre 2011 puis par un contrat de travail à durée indéterminée du 8 octobre 2011.
Le 25 janvier 2019, il a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 14 février suivant assorti d'une mise à pied à titre conservatoire.
Le 21 février 2019, il a été licencié pour faute grave.
Contestant le bien fondé de son licenciement, il a saisi le conseil de prud'hommes de Mâcon par requête du 19 février 2020.
Par jugement du 26 mars 2021, le conseil de prud'hommes a requalifié le licenciement pour faute grave en un licenciement pour cause réelle et sérieuse et condamné l'employeur à payer au salarié diverses sommes à titre d'indemnité de licenciement, d'indemnité de préavis et congés payés afférents, outre un rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire.
Par déclaration formée le 26 avril 2021, l'employeur a relevé appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières écritures du 20 juillet 2021, l'appelant demande de :
- infirmer le jugement déféré,
- juger que le licenciement repose sur une faute grave,
- débouter M. [E] de l'ensemble de ses demandes,
- le condamner à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières écritures du 22 octobre 2021, M. [E] demande de :
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il dit que le licenciement ne repose pas sur une faute grave et condamné l'employeur à lui verser les sommes suivantes :
* 4 344 euros à titre d'indemnité de licenciement,
* 4 686 euros au titre du préavis, outre 468,40 euros au titre des congés payés afférents,
* 1 241,96 euros au titre de la mise à pied, outre 124,19 euros au titre des congés payés afférents,
* 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- réformer le jugement déféré en ce qu'il a dit le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse,
- juger abusif le licenciement de M. [E] survenu le 21 février 2019,
- condamner la société HÔTEL GRIL DE MÂCON à lui payer la somme de 16 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi,
- condamner la société HÔTEL GRIL DE MÂCON à lui payer la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonner la remise de l'attestation Pôle Emploi et des bulletins de salaire rectifiés à M. [E],
- condamner la société HÔTEL GRIL DE MÂCON aux entiers dépens.
Pour l'exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I - Sur le bien fondé du licenciement :
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
Il appartient à l'employeur de rapporter la preuve de la faute grave commise par le salarié.
Il est constant que lorsque les juges considèrent que les faits invoqués par l'employeur ne caractérisent pas une faute grave, ils doivent rechercher si ces faits n'en constituent pas moins une cause réelle et sérieuse de licenciement.
En l'espèce, la lettre de licenciement du 21 février 2019 est rédigée dans les termes suivants :
"Vous avez eu une relation avec Mademoiselle [U] [Z] dans la nuit du 24 au 25 janvier 2019 qui était en stage au sein de l'hôtel depuis le 14 janvier 2019.
[U] est retournée dans sa chambre très marquée par cet événement pour partager son désarroi avec sa collègue également en stage.
Mademoiselle [U] [Z] est venue se plaindre auprès de Monsieur [T] [H] le vendredi 25 janvier au matin.
Votre relation s'apparentant à une relation à connotation sexuelle sur mineur nous a obligé à vous mettre à pied conservatoire.
Une enquête de gendarmerie est actuellement en cours.
Vous avez abusé de cette stagiaire mineure.
De plus, vous étiez d'astreinte de 23 heures à 6h30 du 24 au 25 janvier 2019. Cet événement s'est déroulé pendant votre astreinte. Vous étiez donc à disposition de l'employeur au moment des faits. [...]" (pièces n° 1 et 3)
Au titre des éléments dont il a la charge de la preuve, l'employeur produit les éléments suivants :
- une attestation de M. [H] (pièce n° 4),
- une attestation de Mme [S] (pièce n° 5)
- une attestation de Mme [J] (pièce n° 8)
- les conventions de stage de Mlles [Z] et [D] (pièces n° 9 et 10)
- des pièces extraites de la procédure pénale diligentée (procès-verbal de synthèse, procès-verbal d'audition de M. [E] et décision de classement sans suite) (pièce n° 11).
M. [E] oppose que :
- par lettre du 16 avril 2019, il a contesté son licenciement en expliquant n'avoir jamais eu de relations sexuelles avec Melle [Z] dans la nuit du 24 au 25 janvier 2019 ni abusé de la faiblesse de cette jeune personne (pièce n° 4),
- sur le plan pénal, la matérialité des faits n'est pas établie, la procédure ayant été classée sans suite,
- son contrat de travail ne stipule pas qu'il puisse être soumis à des astreintes de nuit afin de répondre à tout éventuel besoin de la clientèle de l'établissement et l'article L3121-9 du code du travail définit l'astreinte comme une période pendant laquelle le salarié doit être en mesure d'intervenir pour accomplir un travail au service de l'entreprise sans obligation d'être sur son lieu de travail et ou à la disposition permanente et immédiate de l'employeur, de sorte que le passage de Mlle [Z] dans sa chambre, quelle que soit la nature des échanges entre les deux parties, s'est limité à une quinzaine de minutes ce qui implique qu'il n'a jamais été dans l'incapacité de répondre à la demande éventuelle de son employeur,
- le fait à l'encontre de Mme [C] [I], serveuse dans l'établissement, évoqué par Mme [S] dans son attestation est ancien et résulte d'une mauvaise interprétation de la part de cette dernière sans aucune connotation sexuelle.
La cour rappelle en premier lieu que la lettre de licenciement fixe les termes du litige.
De ce fait, les développements de l'employeur et les explications de M. [E] s'agissant des faits évoqués par Mme [S] concernant Mme [I] sont sans objet, ce fait n'étant pas visé dans la lettre de licenciement (pièce n° 5).
Par ailleurs, si l'autorité de chose jugée au pénal sur le civil interdit au juge civil de remettre en question ce qui a été définitivement, irrévocablement, nécessairement et certainement jugé par le juge pénal sur l'existence du fait qui forme la base commune de l'action publique et civile, sur la qualification et la culpabilité de celui à qui ce fait est imputé, cette autorité de la chose jugée au pénal sur le civil ne s'applique qu'aux dispositions à caractère pénal relatives à ce qui a été nécessairement et certainement jugé soit quant à l'existence du fait qui forme la base commune de l'action publique et de l'action civile soit quant à la participation du prévenu au même fait. Tel n'est pas le cas en l'espèce d'une décision de classement sans suite prise par le procureur de la République.
Néanmoins, il résulte des pièces produites extraites de la procédure pénale que Mlle [Z] a dénoncé un acte de pénétration sexuelle (fellation et pénétration digitale) par M. [E] après qu'ils se soient déshabillés et embrassés. A cet égard, si les enquêteurs ont pu relever une difficulté à échanger avec la plaignante du fait de sa fragilité psychologique et une contradiction sur la raison pour laquelle il n'y a pas eu de pénétration pénienne, son récit est précis et circonstancié.
Il est en outre confirmé par M. [H], directeur adjoint de l'établissement, qui indique avoir reçu les confidences de Mlle [Z] dès le lendemain et dans des termes similaires (pièce n° 4).
Pour sa part, si M. [E] a affirmé aux enquêteurs que Mlle [Z] était venue spontanément dans sa chambre et se serait assise sur le lit disant vouloir jouer, ajoutant avoir refusé sa demande de «baiser» et précisant qu'elle aurait alors vomi, cette version - non dépourvue elle-aussi d'incohérence selon le magistrat du ministère public - est contredite tant par l'autre stagiaire présente dans l'établissement, laquelle a notamment indiqué aux enquêteurs qu'elle était en pleurs à son retour dans sa chambre et qu'elle lui a révélé avoir été agressée sexuellement, que par Mme [J] qui atteste que Mlle [Z] lui a rapporté les faits dont elle se disait victime et aussi que M. [E] avait fait pression sur elle pour qu'elle taise les événements survenus en prétendant qu'il était responsable de l'établissement, qu'il avait accès à toutes les chambres et qu'il pouvait aisément se venger d'elle. (pièce n° 8)
Il s'en déduit que M. [E] a effectivement eu un rapport sexuel avec Mlle [Z] sur le lieu de travail et pendant un temps d'astreinte.
Il est constant qu'un fait de la vie personnelle ne peut constituer une faute du salarié dans la relation de travail sauf si ce fait se rattache à la vie de l'entreprise ou à la vie professionnelle et s'il constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail.
En l'espèce, il ressort des développements qui précèdent que M. [E] bénéficiait de la mise à disposition, dans les locaux de l'hôtel, d'une chambre dans laquelle il pouvait dormir lorsqu'il était d'astreinte, situation dans laquelle il a admis s'être trouvé dans la nuit du 24 au 25 janvier 2019 lors de son audition par les enquêteurs.
A cet égard, le fait qu'une telle astreinte ne soit pas contractuelle n'est pas de nature à remettre en cause son bien fondé dès lors que le salarié l'accepte, l'absence de stipulation contractuelle lui offrant seulement la faculté de la refuser.
Mais dès lors que la pratique de relations sexuelles dans cet espace pendant un temps d'astreinte relève de sa vie personnelle et que l'employeur ne démontre pas que la situation dans laquelle s'est trouvée le salarié à ce moment-là, au demeurant relativement bref, ne lui a pas permis d'être en mesure d'intervenir pour accomplir un travail au service de l'entreprise, ce fait ne caractérise pas un manquement à ses obligations découlant du contrat de travail rendant impossible le maintien de l'intéressé dans l'entreprise.
Toutefois, il ne saurait être ignoré que sa partenaire, Mlle [Z], était alors mineure, lui-même étant majeur, et simple stagiaire au sein de l'établissement, lui-même étant salarié donc en situation d'autorité de fait par rapport à elle, et que l'expertise psychiatrique menée sur elle a fait apparaître « une déficience intellectuelle légère et une personnalité anxieuse qui entraîne une immaturité et une vulnérabilité évidente».
Il peut en outre être relevé que le récit des faits par le salarié auprès de son employeur n'a pas été spontané et a évolué, ce qui caractérise une volonté de dissimulation. (pièce n° 4)
Enfin, il ressort des écritures des parties et des pièces produites qu'en raison du comportement de M. [E] à l'égard de Mlle [Z], la société s'est trouvée être directement impliquée dans une procédure pénale diligentée pour des faits d'agression sexuelle dans la mesure où les faits dénoncés ont eu lieu dans ses locaux, circonstance d'autant plus dommageable qu'elle gère un établissement recevant du public (hôtel) dont l'activité repose en grande partie sur sa réputation.
En outre, les conventions de stage avec la société ont été rompues et les deux stagiaires présentes, dont Mlle [Z], ont été retirées de l'établissement (pièce n° 4).
Ces éléments démontrent que le comportement du salarié a créé un trouble caractérisé au sein de la société justifiant un licenciement pour motif personnel fondé sur une cause réelle et sérieuse, le jugement étant confirmé sur ce point, y compris en ce qu'il a rejeté la demande à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
S'agissant des conséquences indemnitaires du licenciement pour cause réelle et sérieuse, le salarié a sollicité la confirmation du jugement déféré en ce qu'il lui a alloué les sommes suivantes :
- 4 344 euros à titre d'indemnité de licenciement,
- 4 686 euros à titre d'indemnité compensatrice du préavis, outre 468,40 euros au titre des congés payés afférents
- 1 241,96 euros à titre de rappel de salaire pendant la mise à pied, outre 124,19 euros au titre des congés payés afférents.
L'employeur conclut au rejet des demandes au motif que le licenciement est fondé sur une faute grave.
Sur l'indemnité de licenciement, à la date du licenciement le salarié justifiait d'une ancienneté de 7 ans et 7 mois, durée du préavis compris et d'un salaire moyen de 2 343 euros. Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il lui a alloué la somme de 4 344 euros à ce titre.
Sur l'indemnité compensatrice du préavis, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il lui a alloué la somme de 4 686 euros à ce titre, outre 468,40 euros au titre des congés payés afférents tel qu'expressément demandé.
Sur le rappel de salaire durant la mise à pied, il ressort des bulletins de paye produits (pièce n° 12) qu'en février 2019 la somme de 1 241,96 euros a été prélevée à ce titre.
Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il lui a alloué cette somme, outre 124,19 euros au titre des congés payés afférents
II - Sur les demandes accessoires :
- sur la remise d'une attestation Pôle Emploi et des bulletins de salaire rectifiés :
Le jugement déféré qui a accueilli la demande du salarié à ce titre sera confirmé.
- Sur les frais irrépétibles et les dépens :
Le jugement déféré sera confirmé sur ces points.
Les demandes des parties à hauteur d'appel au titre de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées.
La société HÔTEL GRIL de MÂCON succombant au principal, elle supportera les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
CONFIRME le jugement rendu le 26 mars 2021 par le conseil de prud'hommes de Mâcon en toutes ses dispositions,
y ajoutant,
REJETTE les demandes des parties à hauteur d'appel au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société HÔTEL GRIL de MÂCON aux dépens d'appel.
Le greffier Le président
Kheira BOURAGBA Olivier MANSION