Vu la procédure suivante :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler pour excès de pouvoir les décisions des 4 mai et 23 juillet 2020 par lesquelles le garde des sceaux, ministre de la justice a prolongé successivement, pour une durée de trois mois, la mesure de placement à l'isolement dont il faisait l'objet.
Par un jugement nos 2000949, 2001434 du 18 mars 2022, le tribunal administratif de Caen a annulé les décisions attaquées.
Par un arrêt n° 22NT01602 du 3 février 2023, la cour administrative d'appel de Nantes a, sur un appel du garde des sceaux, ministre de la justice contestant ce jugement en tant qu'il annulait la décision du 4 mai 2020, annulé ce jugement dans cette mesure et rejeté la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Caen contre cette décision du 4 mai 2020, ainsi que ses conclusions d'appel.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 30 mai et 31 août 2023 et le 28 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros, à verser à la SCP Zribi et Texier, son avocat, au titre de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code pénitentiaire ;
- le code de procédure pénale ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Antoine Berger, auditeur,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Zribi et Texier, avocat de M. B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article 726-1 du code de procédure pénale, désormais repris à l'article L. 213-8 du code pénitentiaire : " Toute personne détenue, sauf si elle est mineure, peut être placée par l'autorité administrative, pour une durée maximale de trois mois, à l'isolement par mesure de protection ou de sécurité soit à sa demande, soit d'office. Cette mesure ne peut être renouvelée pour la même durée qu'après un débat contradictoire, au cours duquel la personne concernée, qui peut être assistée de son avocat, présente ses observations orales ou écrites. L'isolement ne peut être prolongé au-delà d'un an qu'après avis de l'autorité judiciaire (...) ".
2. M. A... B..., écroué depuis le 6 novembre 1995, est inscrit depuis le 29 septembre 1999 au répertoire des détenus particulièrement signalés, décision qui a été maintenue le 14 octobre 2019 compte-tenu, d'une part, de son appartenance à un réseau terroriste et de son rôle dans les attentats du Groupe islamique armé en France en 1995, d'autre part, de ses deux tentatives d'évasion, pour lesquelles il a pu disposer d'un appui extérieur et de moyens logistiques importants. Il est incarcéré au centre pénitentiaire d'Alençon-Condé-sur-Sarthe depuis le 22 octobre 2019. Il fait l'objet d'un placement à l'isolement d'office depuis le 13 décembre 2016, qui a été régulièrement renouvelé, à chaque échéance, hormis durant deux périodes de mainlevée du 11 au 27 avril 2017, puis du 27 juin 2017 au 15 mars 2018. M. B... se pourvoit en cassation contre l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a annulé le jugement du tribunal administratif de Caen du 18 mars 2022 en tant qu'il avait annulé la décision du garde des sceaux, ministre de la justice ordonnant la prolongation de sa mise à l'isolement d'office pour une durée de trois mois, à compter du 5 mai 2020 et a rejeté ses conclusions contre cette décision.
3. En premier lieu, aux termes de l'article R. 57-7-64 du code de procédure pénale, désormais repris à l'article R. 213-21 du code pénitentiaire : " Lorsqu'une décision d'isolement d'office initial ou de prolongation est envisagée, la personne détenue est informée, par écrit, des motifs invoqués par l'administration, du déroulement de la procédure et du délai dont elle dispose pour préparer ses observations. Le délai dont elle dispose ne peut être inférieur à trois heures à partir du moment où elle est mise en mesure de consulter les éléments de la procédure, en présence de son avocat, si elle en fait la demande. (...) / Les observations de la personne détenue et, le cas échéant, celles de son avocat sont jointes au dossier de la procédure. Si la personne détenue présente des observations orales, elles font l'objet d'un compte rendu écrit signé par elle. / Le chef d'établissement, après avoir recueilli préalablement à sa proposition de prolongation l'avis écrit du médecin intervenant à l'établissement, transmet le dossier de la procédure accompagné de ses observations au directeur interrégional des services pénitentiaires lorsque la décision relève de la compétence de celui-ci ou du ministre de la justice. / La décision est motivée. Elle est notifiée sans délai à la personne détenue par le chef d'établissement ".
4. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que M. B... a été informé le 2 avril 2020 par le directeur du centre pénitentiaire, d'une part, de la possibilité de présenter des observations écrites et, sur sa demande, des observations orales, et de se faire assister ou représenter par un avocat, d'autre part, qu'il disposait d'un délai ne pouvant être inférieur à trois heures pour préparer ses observations à partir du moment où il aurait été mis en mesure de consulter les éléments de la procédure, en présence de son avocat le cas échéant. La cour a également relevé que M. B... avait été de nouveau informé, le 6 avril 2020 à 19h25, qu'il disposait d'un délai qui ne pouvait être inférieur à trois heures avant la date du débat contradictoire pour préparer ses observations, compte-tenu de la mise à sa disposition des éléments de procédure, conformément à l'article R. 57-7-64 du code de procédure pénale, et que la circonstance qu'il avait produit des observations écrites dès le 2 avril 2020 était sans incidence sur la possibilité qu'il conservait, et dont il avait été informé, de produire des observations à compter de la mise à disposition des éléments de procédure, possibilité dont il n'a pas fait usage avant la décision du 4 mai 2020. En jugeant, par ces motifs, que contrairement à ce que soutient le requérant, la procédure contradictoire prévue par les dispositions de l'article R. 57-7-64 du code de procédure pénale, et imposant notamment que l'intéressé dispose d'un délai suffisant pour préparer ses observations, avait été respectée, et que M. B... avait été destinataire des éléments de procédure et mis en mesure de présenter des observations, la cour administrative d'appel n'a entaché son arrêt ni d'erreur de droit, ni de dénaturation des pièces du dossier. La circonstance que la cour ait mentionné, dans les motifs de son arrêt, que la décision litigieuse était entrée en vigueur le 5 avril 2020 doit par ailleurs être regardée comme une simple erreur de plume, demeurée sans incidence sur le raisonnement suivi et l'appréciation portée sur les pièces du dossier.
5. En deuxième lieu, l'article 11-3 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique dispose que : " L'avocat assistant une personne détenue faisant l'objet d'une procédure disciplinaire en relation avec la détention a droit à une rétribution. / Il en va de même de l'avocat assistant une personne détenue faisant l'objet d'une mesure d'isolement d'office ou de prolongation de cette mesure, ou de l'avocat assistant une personne détenue placée à l'isolement à sa demande et faisant l'objet d'une levée sans son accord de ce placement. (...) ". Il résulte de ces dispositions et de celles citées au point 3 qu'une personne détenue visée par une mesure de placement à l'isolement d'office ou de prolongation de ce placement a la possibilité de se faire assister ou représenter par un avocat et de bénéficier, à ce titre, de l'aide juridique. Ces dispositions impliquent que l'intéressé ait été informé en temps utile de la possibilité de se faire assister d'un avocat, possibilité dont il appartient à l'administration pénitentiaire d'assurer la mise en œuvre lorsqu'un détenu en fait la demande.
6. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué, ainsi qu'il a été dit au point 4, que M. B... a été informé le 2 avril 2020 de son droit à se faire assister par un avocat. Il en ressort également que ce droit lui a été notifié par l'utilisation du formulaire prévu à cet effet, annexé à la circulaire du 14 avril 2011 du garde des sceaux, ministre de la justice, relative au placement à l'isolement des personnes détenues. Après avoir relevé, par une appréciation souveraine non entachée de dénaturation, que M. B... avait déjà connaissance de la possibilité, à laquelle il avait eu recours lors de la précédente mesure de prolongation de son placement à l'isolement, de bénéficier de l'aide juridique aux fins de se faire assister par un avocat et qu'il était en contact régulier avec ses avocats, et alors qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'oblige l'administration à indiquer à un détenu qu'il peut bénéficier de l'aide juridique pour se faire assister d'un conseil, la cour a pu juger sans insuffisamment motiver son arrêt et sans commettre d'erreur de droit que la circonstance que l'administration avait utilisé un formulaire indiquant que les frais d'avocat étaient à la charge de la personne détenue sans rappeler la possibilité, pour elle, de bénéficier de l'aide juridique, n'avait pas, en l'espèce, conduit à ce que l'intéressé soit privé de la garantie qu'il tient de l'article R. 57-7-64 du code de procédure pénale.
7. En troisième lieu, les articles R. 57-7-64 à R. 57-7-68 du code de procédure pénale, désormais repris respectivement aux articles R. 213-21 à R. 213-25 du code pénitentiaire, déterminent les conditions dans lesquelles peuvent être prises les décisions de placement à l'isolement d'office d'un détenu, ou de prolongation de ce placement, par mesure de protection ou de sécurité. En particulier, l'article R. 57-7-68 du code de procédure pénale dispose que : " L'isolement ne peut être prolongé au-delà de deux ans sauf, à titre exceptionnel, si le placement à l'isolement constitue l'unique moyen d'assurer la sécurité des personnes ou de l'établissement. / Dans ce cas, la décision de prolongation doit être spécialement motivée ". Lorsqu'il est saisi de moyens le conduisant à apprécier si la prolongation, au-delà d'une période de deux ans, d'une mesure de placement à l'isolement constitue l'unique moyen d'assurer la sécurité des personnes ou de l'établissement, il incombe seulement au juge de l'excès de pouvoir de s'assurer que l'autorité compétente n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation. M. B... n'est, par suite, pas fondé à soutenir que la cour aurait commis une erreur de droit en se bornant à rechercher si l'administration avait commis une telle erreur en prolongeant en l'espèce la mesure de placement à l'isolement dont il faisait l'objet.
8. En dernier lieu, pour juger que le garde des sceaux, ministre de la justice avait pu, par sa décision du 4 mai 2020, prolonger le placement à l'isolement de M. B... en application de l'article R. 57-7-68 du code de procédure pénale sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation, la cour s'est fondée, d'une part, sur ce que l'intéressé appartenait à un réseau terroriste et avait joué un rôle dans la campagne d'attentats du Groupe islamique armé en France en 1995, qu'il faisait preuve d'une grande détermination à se soustraire à la garde de l'administration pénitentiaire, et qu'il conservait une personnalité violente, imprévisible et menaçante à l'égard de l'institution judiciaire, d'autre part, sur ce que son placement à l'isolement initial avait été décidé en raison de son comportement violent et destructeur en détention, comprenant des insultes et menaces à l'encontre des surveillants pénitentiaires et des dégradations de cellules, enfin qu'au cours du trimestre précédant la décision litigieuse, il persistait dans son comportement et adoptait une attitude provocatrice et manipulatrice à l'égard des personnels de l'administration pénitentiaire. En statuant ainsi, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, n'a ni commis d'erreur de droit, ni dénaturé les pièces du dossier.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. B... est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré à l'issue de la séance du 16 octobre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat et M. Antoine Berger, auditeur-rapporteur.
Rendu le 18 novembre 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Antoine Berger
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain