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12/12/2023 | FRANCE | N°464874

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 12 décembre 2023, 464874


Vu la procédure suivante :



La société Pro'Confort a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des rappels de retenue à la source auxquels elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011, 2012 et 2013 et des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1811089 du 6 juillet 2020, ce tribunal a prononcé un non-lieu à statuer à concurrence de dégrèvements prononcés en cours d'instance et rejeté le surplus des conclusions de sa demande.



Par un arrêt n° 20VE02282 du 12 avril 2022, l

a cour administrative d'appel de Versailles a, sur appel de la société Pro'Confort, annulé ...

Vu la procédure suivante :

La société Pro'Confort a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des rappels de retenue à la source auxquels elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011, 2012 et 2013 et des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1811089 du 6 juillet 2020, ce tribunal a prononcé un non-lieu à statuer à concurrence de dégrèvements prononcés en cours d'instance et rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Par un arrêt n° 20VE02282 du 12 avril 2022, la cour administrative d'appel de Versailles a, sur appel de la société Pro'Confort, annulé ce jugement, prononcé la décharge des rappels de retenue à la source demeurant en litige au titre des exercices clos en 2012 et 2013 et rejeté le surplus de ses conclusions.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés le 10 juin 2022 et le 26 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande au Conseil d'Etat d'annuler les articles 1er à 3 de cet arrêt.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Saby, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de la société Pro'confort ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Pro'Confort, qui commercialise des produits de bien-être, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration fiscale a notamment considéré que les sommes versées à la société de droit chypriote Hastera Investments au cours des années 2012 et 2013 au titre de redevances de marque ne pouvaient être déduites de ses bénéfices et devaient être regardées comme des revenus distribués. Elle les a soumises, en conséquence, à la retenue à la source prévue au 2 de l'article 119 bis du code général des impôts. Par un jugement du

6 juillet 2020, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de la société Pro'Confort tendant à la décharge de ces rappels de retenue à la source. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande au Conseil d'Etat d'annuler les articles 1er à 3 de l'arrêt du 12 avril 2022 par lesquels la cour administrative d'appel de Versailles a annulé ce jugement et prononcé la décharge de ces impositions.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 238 A du code général des impôts : " Les intérêts, arrérages et autres produits des obligations, créances, dépôts et cautionnements, les redevances de cession ou concession de licences d'exploitation, de brevets d'invention, de marques de fabrique, procédés ou formules de fabrication et autres droits analogues ou les rémunérations de services, payés ou dus par une personne physique ou morale domiciliée ou établie en France à des personnes physiques ou morales qui sont domiciliées ou établies dans un Etat étranger ou un territoire situé hors de France et y sont soumises à un régime fiscal privilégié, ne sont admis comme charges déductibles pour l'établissement de l'impôt que si le débiteur apporte la preuve que les dépenses correspondent à des opérations réelles et qu'elles ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré ". Aux termes du deuxième alinéa du même article, dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige : " Pour l'application du premier alinéa, les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l'Etat ou le territoire considéré si elles n'y sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus dont le montant est inférieur de plus de la moitié à celui de l'impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont elles auraient été redevables dans les conditions de droit commun en France, si elles y avaient été domiciliées ou établies ".

3. Lorsque l'administration fiscale se prévaut des dispositions de l'article 238 A du code général des impôts, elle doit justifier que le bénéficiaire des sommes dont elle conteste la déduction est soumis hors de France à un régime fiscal privilégié par comparaison avec celui auquel il serait soumis s'il les percevait en France. Il lui appartient à cet égard d'apporter tous éléments circonstanciés sur le traitement fiscal effectif auquel est soumis ce bénéficiaire dans le pays où il est domicilié ou établi ou, à défaut, sur les modalités selon lesquelles y sont imposées des activités du type de celles qu'il exerce, en prenant en compte, dans un cas comme dans l'autre, l'ensemble des impositions directes sur les bénéfices ou les revenus.

4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'administration fiscale a notamment remis en cause, sur le fondement de l'article 238 A du code général des impôts, la déduction des bénéfices de la société Pro'Confort soumis à l'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2012 et 2013 de redevances versées par cette société au cours de ces exercices à la société chypriote Hastera Investments, en exécution d'un contrat de licence de la marque " Pro'Confort " conclu avec cette dernière le 15 novembre 2011.

5. Pour démontrer que la société Hastera Investments était soumise à Chypre à un régime fiscal privilégié au sens de l'article 238 A du code général des impôts, l'administration fiscale faisait valoir devant la cour administrative d'appel, non seulement que les sociétés constituées à Chypre dont le capital est détenu par des non-résidents et dont la source des revenus est située hors de Chypre sont soit soumises à un taux d'impôt sur les sociétés de

10 % (12,5 % en 2013) si elles sont contrôlées ou dirigées depuis Chypre, soit exonérées dans le cas contraire, alors que le taux de l'impôt français sur les sociétés était fixé à 33,1/3 % par l'article 219 du code général des impôts au titre des exercices en litige, mais aussi que, selon les autorités fiscales chypriotes, la société Hastera Investments, détenue par un résident du Togo, n'avait pas été soumise à Chypre à l'impôt sur les sociétés ni à aucun autre impôt au titre de ces exercices. En jugeant que l'administration n'établissait pas que la société Hastera Investments était soumise à Chypre à un régime fiscal privilégié au sens de l'article 238 A du code général des impôts, au motif qu'elle n'apportait pas d'éléments circonstanciés sur l'ensemble des modalités d'imposition auxquelles pourrait être soumise une activité du type de celle exercée par cette société, sans rechercher, comme elle y était invitée par l'administration, quel avait été le traitement fiscal effectif de cette société à Chypre, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé, pour ce motif, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, à demander l'annulation des articles 1er à 3 de l'arrêt qu'il attaque.

6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : Les articles 1er à 3 de l'arrêt de la cour administrative de Versailles du 12 avril 2022 sont annulés.

Article 2 : L'affaire est, dans cette mesure, renvoyée à la cour administrative d'appel de Versailles.

Article 3 : Les conclusions de la société Pro'Confort présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées

Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la société Pro'Confort.

Délibéré à l'issue de la séance du 20 novembre 2023 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta,

Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Nicolas Polge,

M. Vincent Daumas, M. Alexandre Lallet, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat et

M. Olivier Saby, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 12 décembre 2023.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

Le rapporteur :

Signé : M. Olivier Saby

La secrétaire :

Signé : Mme Fehmida Ghulam

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 464874
Date de la décision : 12/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 12 déc. 2023, n° 464874
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Olivier Saby
Rapporteur public ?: Mme Céline Guibé
Avocat(s) : SAS BOULLOCHE, COLIN, STOCLET ET ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:464874.20231212
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