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28/07/2023 | FRANCE | N°461565

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 28 juillet 2023, 461565


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 16 février et 16 mai 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération nationale des chasseurs demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande tendant, à titre principal, à l'abrogation de l'article D. 123-46-2 du code de l'environnement et, à titre subsidiaire, à l'édiction de dispositions réglementaires de nature à garantir la sincérité des consultation

s publiques organisées sur le fondement de l'article L. 123-19-1 du même code ;

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Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 16 février et 16 mai 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération nationale des chasseurs demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande tendant, à titre principal, à l'abrogation de l'article D. 123-46-2 du code de l'environnement et, à titre subsidiaire, à l'édiction de dispositions réglementaires de nature à garantir la sincérité des consultations publiques organisées sur le fondement de l'article L. 123-19-1 du même code ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre d'abroger les dispositions de l'article D. 123-46-2 du code de l'environnement et d'édicter des dispositions réglementaires de nature à garantir la fiabilité des consultations publiques organisées sur le fondement de l'article L. 123-19-1 du même code ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule ;

- la convention d'Aarhus du 25 juin 1998 sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement ;

- le code de l'environnement ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la décision n° 461565 du 5 mai 2022 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux a décidé de ne pas renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la Fédération nationale des chasseurs ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Pauline Hot, auditrice,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de la Fédération nationale des chasseurs ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement : " I.- Le présent article définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public, prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement, est applicable aux décisions, autres que les décisions individuelles, des autorités publiques ayant une incidence sur l'environnement lorsque celles-ci ne sont pas soumises, par les dispositions législatives qui leur sont applicables, à une procédure particulière organisant la participation du public à leur élaboration. / (...) / II.- Sous réserve des dispositions de l'article L. 123-19-6, le projet d'une décision mentionnée au I, accompagné d'une note de présentation précisant notamment le contexte et les objectifs de ce projet, est mis à disposition du public par voie électronique et, sur demande présentée dans des conditions prévues par décret, mis en consultation sur support papier dans les préfectures et les sous-préfectures en ce qui concerne les décisions des autorités de l'Etat, y compris les autorités administratives indépendantes, et des établissements publics de l'Etat, ou au siège de l'autorité en ce qui concerne les décisions des autres autorités. Lorsque le volume ou les caractéristiques du projet de décision ne permettent pas sa mise à disposition par voie électronique, la note de présentation précise les lieux et horaires où l'intégralité du projet peut être consultée. / (...) / Au plus tard à la date de la mise à disposition prévue au premier alinéa du présent II, le public est informé, par voie électronique, des modalités de consultation retenues. / Les observations et propositions du public, déposées par voie électronique ou postale, doivent parvenir à l'autorité administrative concernée dans un délai qui ne peut être inférieur à vingt et un jours à compter de la mise à disposition prévue au même premier alinéa. / Le projet de décision ne peut être définitivement adopté avant l'expiration d'un délai permettant la prise en considération des observations et propositions déposées par le public et la rédaction d'une synthèse de ces observations et propositions. Sauf en cas d'absence d'observations et propositions, ce délai ne peut être inférieur à quatre jours à compter de la date de la clôture de la consultation. / (...) Au plus tard à la date de la publication de la décision et pendant une durée minimale de trois mois, l'autorité administrative qui a pris la décision rend publics, par voie électronique, la synthèse des observations et propositions du public avec l'indication de celles dont il a été tenu compte, les observations et propositions déposées par voie électronique ainsi que, dans un document séparé, les motifs de la décision (...) ".

2. Ces dispositions, prises afin de préciser les conditions et les limites dans lesquelles s'applique le principe de participation du public défini à l'article 7 de la Charte de l'environnement, renvoient à leur II à un décret afin de définir les modalités de la procédure de participation du public sur support papier. Ainsi, aux termes de l'article D. 123-46-2 du code de l'environnement : " La demande de mise en consultation sur support papier d'un projet de décision et de sa note de présentation (...) est présentée sur place, dans la préfecture ou l'une des sous-préfectures du ou des départements dont le territoire est compris dans le champ d'application de la décision. / La demande est présentée au plus tard le quatrième jour ouvré précédant l'expiration du délai de consultation fixé par l'autorité administrative conformément au quatrième alinéa du II de l'article L. 123-19-1. / Les documents sont mis à disposition du demandeur aux lieu et heure qui lui sont indiqués au moment de sa demande. Cette mise à disposition intervient au plus tard le deuxième jour ouvré suivant celui de la demande ".

3. Il ressort des pièces du dossier que, par un courrier reçu le 27 septembre 2021, la Fédération nationale des chasseurs a saisi le Premier ministre d'une demande tendant, à titre principal, à l'abrogation de l'article D. 123-46-2 du code de l'environnement et, à titre subsidiaire, à l'édiction des dispositions réglementaires de nature à permettre d'assurer la sincérité des consultations organisées sur le fondement de l'article L. 123-19-1 du même code. Elle demande l'annulation pour excès de pouvoir du refus implicite opposé à sa demande.

Sur le refus d'abroger l'article D. 123-46-2 du code de l'environnement :

4. En premier lieu, aux termes de l'article 7 de la Charte de l'environnement : " Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement ". Le respect par une disposition réglementaire du principe de participation du public défini par l'article 7 de la Charte de l'environnement s'apprécie au regard des dispositions législatives prises afin de préciser, pour ce type de décisions, les conditions et les limites d'applicabilité de ce principe.

5. D'une part, les dispositions de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement citées au point 1 ont été prises afin de préciser les conditions et les limites dans lesquelles le principe de participation du public défini à l'article 7 de la Charte de l'environnement est applicable aux décisions, autres qu'individuelles, des autorités publiques. Par suite, la requérante n'est pas fondée à se prévaloir, pour soutenir que les dispositions de l'article D. 123-46-2 du code de l'environnement méconnaîtraient le principe de participation en tant qu'elles ne garantissent pas la fiabilité des avis exprimés par le public, d'un moyen fondé sur la méconnaissance des dispositions de l'article 7 de la Charte de l'environnement.

6. D'autre part, par une décision du 5 mai 2022, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a décidé de ne pas renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité, soulevée par la requérante, portant sur l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement. Par suite, le moyen tiré de ce que l'article D. 123-46-2 de ce code, pris en application de l'article L 123-19-1, serait illégal au motif que les dispositions de l'article L. 123-19-1 seraient contraires à la Constitution doit également être écarté.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention d'Aarhus pour l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement : " Chaque Partie s'emploie à promouvoir une participation effective du public à un stade approprié - et tant que les options sont encore ouvertes - durant la phase d'élaboration par des autorités publiques des dispositions réglementaires et autres règles juridiquement contraignantes d'application générale qui peuvent avoir un effet important sur l'environnement. A cet effet, il convient de prendre les dispositions suivantes : / a) Fixer des délais suffisants pour permettre une participation effective ; / b) Publier un projet de règles ou mettre celui-ci à la disposition du public par d'autres moyens ; / et c) Donner au public la possibilité de formuler des observations, soit directement, soit par l'intermédiaire d'organes consultatifs représentatifs. / Les résultats de la participation du public sont pris en considération dans toute la mesure possible ". Ces stipulations créent seulement des obligations entre les Etats parties à la convention et ne produisent pas d'effets directs dans l'ordre juridique interne. Par suite, le moyen tiré de ce que l'article D. 123-46-2 du code de l'environnement méconnaîtrait ces stipulations ne peut qu'être écarté.

8. En troisième lieu, en vertu de l'article 21 de la Constitution, le Premier ministre " assure l'exécution des lois " et " exerce le pouvoir réglementaire " sous réserve de la compétence conférée au Président de la République pour les décrets en Conseil des ministres par l'article 13 de la Constitution. L'exercice du pouvoir réglementaire, qui n'est pas subordonné à une habilitation du législateur, comporte non seulement le droit mais aussi l'obligation de prendre dans un délai raisonnable les mesures qu'implique nécessairement l'application de la loi, hors le cas où le respect d'engagements internationaux de la France y ferait obstacle.

9. S'il incombe au pouvoir réglementaire de prendre l'ensemble des dispositions réglementaires nécessaires à l'application de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement, aucune disposition ni aucun principe ne l'oblige à épuiser sa compétence en un seul décret. Dès lors, la circonstance que l'article D. 123-46-2 de ce code, dont l'objet est de préciser les modalités de mise en consultation d'un projet de décision sur support papier, n'apporterait pas de garanties suffisantes pour assurer la fiabilité de la participation du public par voie électronique n'est pas de nature à entacher les dispositions de cet article d'illégalité.

10. Il résulte de ce qui précède que les conclusions tendant à l'annulation du refus du Premier ministre d'abroger l'article D. 123-46-2 du code de l'environnement ne peuvent qu'être rejetées.

Sur le refus d'édicter des dispositions réglementaires supplémentaires de nature à garantir la fiabilité de la participation du public :

11. D'une part, aux termes de l'article L. 100-2 du code des relations entre le public et l'administration, cette dernière " se conforme au principe d'égalité et garantit à chacun un traitement impartial ".

12. D'autre part, ainsi qu'il est rappelé aux points 4 et 5, les dispositions de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement citées au point 1 ont été prises afin de préciser les conditions et les limites dans lesquelles le principe de participation du public défini à l'article 7 de la Charte de l'environnement est applicable aux décisions, autres qu'individuelles, des autorités publiques. Ces dispositions permettent à l'autorité administrative de distinguer, parmi les observations du public, celles n'ayant aucun lien avec l'objet de la consultation ou exprimant des positions générales ou de principe, de celles se prononçant sur le projet objet de la consultation. Elles permettent également à cette même autorité d'écarter certaines observations en cas de doublons, ou en raison de leur caractère incomplet ou sans lien avec l'objet de la consultation, de nature à apporter ainsi une garantie sur la fiabilité des avis exprimés par le public, nonobstant les risques qui peuvent résulter à cet égard du recours à la voie électronique, comme d'ailleurs de la voie postale.

13. La requérante critique l'absence de mesures tendant à prévenir certains dysfonctionnements, notamment des usurpations d'identité ou la prise en compte de doublons dans les observations formulées par le public. Toutefois, il résulte de ce qui est dit au point 12 que l'édiction des mesures sollicitées n'est en tout état de cause pas nécessaire au respect des principes d'égalité et d'impartialité, qu'il appartient aux autorités publiques mentionnées à l'article L.123-19-1 du code de l'environnement de garantir.

14. Par suite, la fédération requérante n'est pas fondée à demander l'annulation du refus implicite du Premier ministre d'édicter des dispositions réglementaires de nature à assurer la fiabilité de la participation du public.

15. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation présentées par la fédération requérante ne peuvent qu'être rejetées, ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la Fédération nationale des chasseurs est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Fédération nationale des chasseurs, à la Première ministre, au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Délibéré à l'issue de la séance du 22 juin 2023 où siégeaient : Mme Suzanne von Coester, assesseure, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat et Mme Pauline Hot, auditrice-rapporteure.

Rendu le 28 juillet 2023.

La présidente :

Signé : Mme Suzanne von Coester

La rapporteure :

Signé : Mme Pauline Hot

La secrétaire :

Signé : Mme Angélique Rajaonarivelo


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 461565
Date de la décision : 28/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 28 jui. 2023, n° 461565
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Pauline Hot
Rapporteur public ?: M. Stéphane Hoynck
Avocat(s) : SCP SPINOSI

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:461565.20230728
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