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22/06/2023 | FRANCE | N°454003

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 22 juin 2023, 454003


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 454003, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 28 juin, 29 septembre 2021 et 4 juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 26 avril 2021 du jury de l'examen d'aptitude et de classement des auditeurs de justice de la promotion 2019 la déclarant inapte à l'exercice des fonctions judiciaires ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au

titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 457...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 454003, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 28 juin, 29 septembre 2021 et 4 juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 26 avril 2021 du jury de l'examen d'aptitude et de classement des auditeurs de justice de la promotion 2019 la déclarant inapte à l'exercice des fonctions judiciaires ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 457045, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 27 septembre et 27 décembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 20 juillet 2021 du garde des sceaux, ministre de la justice mettant fin à ses fonctions d'auditrice de justice de l'Ecole nationale de la magistrature ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

- le décret n° 72-355 du 4 mai 1972 ;

- le décret n° 2019-27 du 18 janvier 2019 ;

- le règlement de l'Ecole nationale de la magistrature ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Pauline Hot, auditrice,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de Mme B... et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de l'Ecole nationale de la magistrature ;

Vu les notes en délibéré, enregistrées le 5 juin 2023, présentées par Mme B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 21 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature : " Un jury procède au classement des auditeurs de justice qu'il juge aptes, à la sortie de l'école, à exercer les fonctions judiciaires. Le jury assortit la déclaration d'aptitude de chaque auditeur d'une recommandation et, le cas échéant, de réserves sur les fonctions pouvant être exercées par cet auditeur, lors de sa nomination à son premier poste. (...) / Il peut écarter un auditeur de l'accès à ces fonctions ou lui imposer le renouvellement d'une année d'études. (...) ".

2. Par deux requêtes, qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une même décision, Mme B... demande l'annulation pour excès de pouvoir, d'une part, de la décision du 26 avril 2021 du jury de l'examen d'aptitude et de classement des auditeurs de justice de la promotion 2019 décidant de son inaptitude à l'exercice des fonctions judiciaires, d'autre part, de l'arrêté du 20 juillet 2021 par lequel le garde des sceaux, ministre de la justice a mis fin à ses fonctions d'auditrice de justice.

Sur la demande d'annulation de la décision du jury :

3. Aux termes de l'article 48 du décret n° 72-355 du 4 mai 1972 relatif à l'Ecole nationale de la magistrature, dans sa rédaction modifiée par le décret n° 2019-27 du 18 janvier 2019 : " Le jury arrête les notes obtenues par les auditeurs aux épreuves prévues à l'article 47 ci-dessus. / Il se prononce en premier lieu sur l'aptitude de chaque auditeur à exercer, à la sortie de l'école, les fonctions judiciaires. / A cette fin, il prend en compte l'avis motivé du directeur de l'école, le rapport du coordonnateur régional de formation sur l'aptitude de l'auditeur de justice à exercer les fonctions judiciaires, le rapport du directeur de centre de stage sur le stage juridictionnel ainsi que les notes mentionnées à l'article 46. Lorsque le jury envisage de rendre une décision d'inaptitude ou d'assortir la déclaration d'aptitude de réserves, il peut en outre procéder à l'audition du coordonnateur régional de formation et du directeur de centre de stage. Cette audition est retranscrite par écrit. / Ces rapports, l'avis du directeur de l'école lorsqu'il propose une déclaration d'inaptitude ou des réserves, ainsi que, le cas échéant, le compte rendu des auditions mentionnées à l'alinéa précédent sont notifiés par écrit à l'auditeur de justice qui peut adresser au jury des observations écrites. / Le jury ne peut écarter un auditeur de l'accès aux fonctions judiciaires, lui imposer le renouvellement d'une année de formation ou assortir la déclaration d'aptitude de réserves sur les fonctions pouvant être exercées qu'après l'avoir entendu dans le cadre d'un entretien portant sur sa scolarité, ses apprentissages et le déroulement de son stage ". Aux termes de l'article 5 du décret n° 2019-27 du 18 janvier 2019 modifiant le décret n° 72-355 : " Les dispositions du présent décret s'appliquent aux auditeurs de justice commençant leur scolarité à compter du 20 janvier 2019. / Elles s'appliquent également aux auditeurs de justice qui, ayant commencé leur scolarité avant le 20 janvier 2019, se trouvent dans l'obligation de reprendre tout ou partie de leur scolarité à compter de cette même date, à l'exception de ceux d'entre eux qui se sont déjà vu attribuer leur note d'études avant leur reprise de scolarité ".

4. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... a fait l'objet, en janvier 2018, d'une intégration directe en qualité d'auditrice de justice à l'Ecole nationale de la magistrature, en application de l'article 18 de l'ordonnance du 22 décembre 1958. Le 22 mai 2020, le jury de l'examen d'aptitude et de classement des auditeurs de justice de la promotion 2018 a décidé de lui imposer le renouvellement d'une année de formation, dans les conditions prévues par les dispositions citées au point 3. L'intéressée a repris sa scolarité à l'Ecole nationale de la magistrature le 22 juin 2020, et a été affectée au tribunal judiciaire de Libourne pour y effectuer un nouveau stage juridictionnel.

5. En premier lieu, il n'est pas contesté que la requérante s'était déjà vu attribuer sa note d'études, qui lui avait été notifiée le 12 juillet 2019, avant la reprise de sa scolarité dans les conditions rappelées au point 4. Par suite, il résulte des dispositions de l'article 5 du décret du 18 janvier 2019, citées au point 3, que les dispositions du cinquième alinéa de l'article 48 du décret du 4 mai 1972, prévoyant un entretien préalable de l'auditeur avec le jury lorsque ce dernier envisage de l'écarter de l'accès aux fonctions judiciaires, ne lui étaient pas applicables. La circonstance qu'elle ait été rattachée, sur le plan administratif, à la promotion 2019 pour l'accomplissement d'une nouvelle période de scolarité est, par elle-même, sans incidence sur l'application à Mme B... des dispositions de l'article 48, dans leur version antérieure à la modification résultant du décret du 18 janvier 2019.

6. En deuxième lieu, l'article 98 du règlement intérieur de l'École nationale de la magistrature prévoit que : " Une réunion de l'ensemble des magistrats maîtres de stages ayant suivi l'auditeur et du directeur de centre de stage permet un échange sur l'aptitude de l'auditeur à exercer les fonctions judiciaires. Présent à cette réunion, le coordonnateur régional de formation en fait une synthèse et émet un avis, sous la forme d'un rapport, sur l'aptitude de l'auditeur, en application de l'article 48 du décret du 4 mai 1972 susvisé. Avant la rédaction de son rapport, le coordonnateur régional de formation s'entretient avec l'auditeur ".

7. Il ressort des pièces du dossier, et notamment de la synthèse effectuée par la coordonnatrice régionale de formation à la suite de la réunion de bilan de fin de stage qui s'est tenue le 4 mars 2021, que si la magistrate qui avait évalué le stage relatif au juge des contentieux de la protection que Mme B... avait effectué au tribunal judiciaire de Bordeaux n'était pas présente à cette réunion, son évaluation, à l'instar de toutes les évaluations réalisées par les magistrats maîtres de stage de l'intéressée, a été fidèlement prise en compte dans ce rapport de synthèse. Ce rapport, ainsi que le rapport de la directrice du centre de stage, ont été communiqués à l'intéressée, qui a été en mesure de présenter ses observations sur ces derniers, ainsi que sur l'avis de la directrice de l'Ecole nationale de la magistrature, avant la décision du jury. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la décision d'inaptitude serait intervenue sans que son aptitude ait fait l'objet d'une réelle évaluation aux motifs que la décision du jury ne vise pas les différents documents sur lesquels il s'est appuyé pour délibérer, qu'elle n'aurait pris connaissance que tardivement de certaines évaluations et qu'elle n'aurait pas pu s'entretenir avec la directrice du centre de stage avant que celle-ci ne rédige son rapport.

8. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la période de stage effectuée par Mme B... au tribunal judiciaire de Libourne, ainsi qu'au tribunal judiciaire de Bordeaux pour ce qui concerne le stage relatif aux fonctions de juge des contentieux de la protection, se serait déroulée dans des conditions qui ne lui auraient pas permis de faire la preuve de ses capacités pour l'exercice des fonctions judiciaires. Il ressort des pièces du dossier que cette affectation avait été décidée en raison de la présence à Libourne d'un magistrat qui avait déjà eu à se prononcer l'année précédente sur son aptitude, et que les magistrats chargés de son suivi lui ont consacré du temps, au cours de cette affectation, pour l'aider à progresser. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier, en tout état de cause, que la requérante aurait été victime d'hostilité de la part des magistrats du tribunal judiciaire de Libourne au motif que ceux-ci auraient été influencés par la mauvaise opinion qu'auraient eu d'elle les magistrats du tribunal judiciaire de Bergerac, au sein duquel elle avait effectué son stage juridictionnel l'année précédente. Il n'en ressort pas davantage que les appréciations figurant dans le bilan de ce second stage juridictionnel établi par la directrice du centre de stage et dans le rapport rédigé par la coordinatrice régionale de formation de l'Ecole nationale de la magistrature, lesquelles reprenaient les observations des maîtres de stage sur ses lacunes et son insuffisante progression malgré ses efforts, seraient fondées sur des faits matériellement inexacts. Dès lors, en décidant, au vu des évaluations reçues par la requérante lors de ce second stage juridictionnel et des notes obtenues au cours de sa scolarité, de l'écarter de l'accès aux fonctions judiciaires, le jury de l'examen d'aptitude et de classement des auditeurs de justice de la promotion 2019 n'a pas entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation.

9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du jury concluant à son inaptitude.

Sur la demande d'annulation de l'arrêté du 20 juillet 2021 :

10. En mettant fin aux fonctions d'auditrice de justice de Mme B... à compter du 26 avril 2021, le garde des sceaux, ministre de la justice n'a fait que tirer les conséquences de la décision du 26 avril 2021 par laquelle le jury l'a déclarée inapte à l'exercice de fonctions judiciaires. Dès lors qu'ainsi qu'il vient d'être dit, Mme B... n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du jury, elle ne peut utilement soutenir que l'arrêté du garde des sceaux qu'elle attaque est entaché de rétroactivité illégale et sa demande d'annulation de l'arrêté du 20 juillet 2021 ne peut qu'être rejetée.

11. Il résulte de tout ce qui précède que les requêtes de Mme B... doivent être rejetées, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par l'Ecole nationale de la magistrature au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les requêtes de Mme B... sont rejetées.

Article 2 : Les conclusions présentées par l'Ecole nationale de la magistrature au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B..., au garde des sceaux, ministre de la justice et à l'Ecole nationale de la magistrature.


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 454003
Date de la décision : 22/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 22 jui. 2023, n° 454003
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Pauline Hot
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux
Avocat(s) : SCP PIWNICA et MOLINIE ; SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:454003.20230622
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