Est examiné le recours déclaré par les réclamants K.F.A., K.N.A., K.S.D. contre la décision n°434/A du 28 novembre 2012 de la Cour d’Appel de Bucarest, IIIe section civile et pour les causes impliquant mineurs et famille.
Les débats sont consignés dans la conclusion de séance du 25 février 2014, partie intégrante de la présente décision, tandis que le prononcé de la cause a été reporté au 04 mars 2014, respectivement au 11 mars 2014.
LA HAUTE COUR,
Vu la présente cause, constate ce qui suit :
Par la demande enregistrée au Tribunal de Bucarest le 19 octobre 2009, les réclamants F.A.K., N.A.K., S.D.K. et D.K., citoyens grecs, par le mandataire F.A.K., ont appelé en justice l’accusée Municipalité de Bucarest par le Maire général, demandant de l’obliger à leur laisser en pleine propriété et calme possession l’immeuble situé à Bucarest, S.S. n° 212.
Dans la motivation de l’action, reposant en droit sur les dispositions de l’art. 480-481 du Code civil et de l’art. II du décret n° 92/1950, les réclamants ont indiqué que l’immeuble avait appartenu à leurs parents A. et D.S.K., conformément au contrat d’achat-vente authentifié au n° 32910 du 6 novembre 1942 par le Tribunal d’Ilfov – section notariale et avait été abusivement confisqué par l’Etat, en violation du Décret n° 92/1950. Les réclamants ont précisé en ce sens que leur auteur D.S.K. était excepté de la nationalisation, étant employé par plusieurs sociétés comme maçon, serrurier ou mécanicien d’entretien.
L’accusée Municipalité de Bucarest, représentée par le Maire général a évoqué dans un mémoire l’exception d’inadmissibilité de l’action.
Le Tribunal de Bucarest, IVe section civile, par sa sentence civile N°1434 du 3 décembre 2009, a accepté l’exception d’inadmissibilité et a rejeté l’action des réclamants, en retenant l’applicabilité des dispositions de l’art. 6 al. 2 de la Loi n° 213/1998 et de l’art. 22 al.5 de la Loi n° 10/2001.
A ainsi été constatée l’inadmissibilité d’une action fondée sur les dispositions de l’art. 480 du Code civil et sur les dispositions spéciales de la Loi n° 10/2001, tant que les réclamants n’ont pas prouvé avoir suivi la procédure spéciale prévue par la Loi n° 10/2001, n’ayant pas prouvé qu’ils aient enregistré une notification demandant la restitution de l’immeuble.
L’appel déclaré par les réclamants contre la sentence mentionnée a été admis par la Cour d’appel de Bucarest, IIIe section civile et pour de causes impliquant mineurs et famille, par sa décision civile n° 252 A du 8 avril 2010, la décision attaquée étant supprimée et renvoyée à la même instance pour être rejugée.
L’instance d’appel a retenu, vu le caractère imprescriptible de l’action en revendication, qu’il convient d’analyser, selon les circonstances concrètes de la cause, en quelle mesure la loi nationale entrait en conflit avec la Convention Européenne des Droits de l’Homme et si, en admettant cette action, on ne portait pas préjudice à un autre droit de propriété, tout aussi protégé, où à la sécurité des rapports juridiques.
Il a donc été jugé qu’il s’imposait aussi d’analyser le fond du litige dans la perspective des dispositions communautaires, afin de vérifier si le réclamant possédait un bien dans le sens de l’art.1 de la Convention.
En rejugeant la cause, le Tribunal de Bucarest, IVe section civile, a admis par sa sentence civile n° 258 du 10 février 2012, l’exception d’absence de qualité processuelle active et a rejeté la demande des réclamants comme étant formulée par des personnes n’ayant pas de qualité processuelle active.
Pour en décider ainsi, la première instance a retenu qu’il résultait de l’acte d’achat vente conclu le 6 novembre 1942 que le bien immeuble sis à Bucarest, S.S. n° 212, composé d’un terrain et de constructions, avait appartenu à A. et à D.K., leur étant pris en vertu du Décret n° 92/1950. (à D.K.).
Le Tribunal a cependant constaté, que n’avaient pas été déposées au dossier de la cause des écritures attestant la qualité d’héritiers des réclamants par rapport aux premiers propriétaires, bien que cet aspect leur eu été précisé à plusieurs reprises.
Ce qui plus est, au terme de jugement du 12 novembre 2010, interpellés par le Tribunal, les réclamants ont souligné que leurs certificats d’héritiers avaient été déposés dans un autre dossier se trouvant au rôle du Tribunal de Bucarest, tandis qu’au dernier terme ils ont précisé qu’en fait, la succession n’avait pas été débattue.
Pour ce qui est du certificat concernant la déclaration sous serment déposé au dossier au cours du deuxième cycle processuel, le Tribunal est d’avis qu’elle ne saurait faire la preuve de la qualité d’héritiers des réclamants par rapport aux premiers propriétaires, d’une part, parce que rien ne prouve que , par rapport à la loi grecque, la qualité d’héritier peut être prouvée par des déclarations de témoins et, d’autre part, parce que la déclaration ne se rapporte qu’à A.K. et non pas aussi à D.K. L’on a donc constaté que la preuve n’avait pas été faite concernant l’identité entre les titulaires du droit affirmé et la personne des réclamants, l’exception de l’absence de qualité processuelle active étant donc fondée.
Contre cette sentence, se sont pourvus en appel les réclamants, la critiquant comme illégale et non fondée en raison de la mauvaise solution donnée à l’exception d’absence de qualité processuelle active, vu que la déclaration faite sous serment et déposée au dossier prouve, selon la loi grecque, leur qualité d’héritier.
La Cour d’appel de Bucarest, IIIe section civile et pour des causes impliquant mineurs et famille a rejeté comme infondé, par la décision civile n°434 A du 28 novembre 2012, l’appel des réclamants, retenant que D.K. était décédé le 8 octobre 2011, comme il résulte du certificat de décès déposé au dossier, donc avant le prononcé de la solution attaquée, la motivation de la décision étant donc, de ce point de vue, conforme à la réalité.
La Cour d’appel de Bucarest a néanmoins jugé que l’on ne pouvait rejeter l’action, en ce qui concerne D.K., pour le manque de capacité d’usage, puisqu’il était mort à la date où la sentence était prononcée, car ceci compliquerait la situation des appelants dans leur propre voie d’attaque.
L’instance d’appel n’a pas plus accepté la critique formulée par les appelants, concernant la preuve de leur qualité d’héritiers de leurs auteurs A. et DK.
La Cour a constaté que les appelants n’avaient pas prouvé leur qualité d’héritiers des deux auteurs, mais seulement le fait qu’ils étaient de proches parents. Or, en se présentant devant les instances roumaines en action de revendication pour un immeuble situé sur le territoire de la Roumanie, les réclamants devaient se soumettre à la loi roumaine et faire la preuve de leur qualité d’héritiers par l’unique moyen reconnu par la législation roumaine, respectivement le certificat d’héritier.
Contre la décision mentionnée se sont pourvus en recours, dans les délais légaux, les réclamants K.F.A., K.N.A. et K.S.D., demandant de la casser en vertu des dispositions de l’art.304 pts 7 et 9 du Code de procédure civile et de renvoyer la cause à la première instance pour être rejugée.
En développant les motifs de recours, les réclamants ont invoqué, dans une première critique, les dispositions de l’art. 304 pt. 7 du Code de procédure civile, soutenant que, même s’ils ont porté à la connaissance de l’instance d’appel le fait que leur père, copropriétaire de l’immeuble, était décédé le 8 octobre 2011, et s’ils ont demandé de les introduire dans la cause en qualité d’héritiers de leur père aussi (car en leur qualité d’héritiers de leur mère, ils avaient déjà la qualité de réclamants), la cour d’appel avait rejeté leur appel sans analyser, conformément à l’art. 295 du Code de procédure civile, dans les limites de la demande d’appel, d’établir la situation des faits et le mode d’application de la loi par la première instance.
L’on a invoqué la violation de l’art.261 al.1 pt.5 du Code de procédure civile le fait d’avoir retenu à tort que l’on n’avait pas prouvé la qualité des héritiers des réclamants par rapport aux deux auteurs A et D.K.
La deuxième raison de recours, fondée sur les dispositions de l’art. 304 pt.9 du Code de procédure civile, concerne la mauvaise application de la loi, dans les conditions où l’on a estimé que n’a pas été prouvée la qualité d’héritiers des réclamants par rapport à la défunte A.K.
Il a été indiqué que dans son nouveau jugement, l’instance du fond avait fait une grave erreur, en admettant l’exception d’absence de qualité processuelle active en ce qui concerne D.K., vu que celui-ci avait été le copropriétaire de l’immeuble revendiqué, ayant tous les droits en ce sens.
Examinant les critiques évoquées par les requérants réclamants par rapport aux raisons d’illégalité prévues à l’art. 304 pts. 7 et 9 du Code de procédure civile, la Cour constatera que le recours est fondé pour les considérations suivantes :
Dans leur demande titrée « précision », déposée à la Cour d’appel de Bucarest, IIIe section civile, le 8 novembre 2012, suite à la sollicitation de l’instance d’appel du terme de 12 septembre 2012, les réclamants appelants K.F.A., K.N.A. K.S.D. ont indiqué être les enfants des défunts K.D. et K.A., comme il résulte du « certificat de proche parenté », délivré le 4 janvier 2012 par le Bureau des certificats de la Mairie d’Athènes, République Hélène.
Les réclamants ont encore précisé que leur père K.D., co-réclamant, était mort le 8 octobre 2011, conformément au certificat de décès délivré par l’état civil, Mairie de Philadelphie, République Hélène.
Pour prouver les affirmations formulées dans la demande mentionnée, les réclamants ont déposé au dossier le certificat de décès concernant K.D. et le certificat de proche parenté délivré le 4 janvier 2012 de la Mairie d’Athènes.
Les réclamants ont justifié la non-déposition des certificats d’héritier de leur auteur par la circonstance que la déclaration sous serment déposée au dossier prouvait, conformément à la loi grecque, leur qualité d’héritiers de leur mère A.K.
De l’écriture déposée par les réclamants à l’appel, concernant le co-réclamant le 26 octobre 2009.K, il résulte que ce dernier est décédé le 8 octobre 2011, après l’introduction de l’action (enregistrée le 26 octobre 2009), mais avant le prononcé de la sentence de l’instance première.
Vu que l’un des réclamants est décédé après le moment d’introduction de l’action, étaient incidentes les dispositions de l’art. 243 al.1 pt. 1 du Code de procédure civile, conformément auxquelles le jugement des causes est suspendu de droit par la mort de l’une des parties, hormis le cas où la partie intéressée demande un délai pour introduire les héritiers dans la cause.
L’affirmation de l’instance d’appel, selon laquelle, dans ce cas, si elle avait été informée concernant le décès de cette partie, la solution de la première instance aurait été le rejet de l’action, pour absence de capacité d’usage, cette affirmation donc est illégale.
La suppression de la sentence s’imposait pour cette raison et pour ne pas violer le principe du droit de défense des héritiers du défunt, qui avaient demandé leur introduction dans la cause, en cette qualité aussi.
La critique visant à prouver la qualité d’héritiers des requérants face à leurs auteurs Athéna et D.K. (ce dernier introduisant l’action en qualité d’ancien propriétaire et non pas d’héritier) est aussi fondée.
L’instance d’appel a retenu à tort que les réclamants devaient faire la preuve de leur qualité d’héritiers par le seul moyen de preuve reconnu par la législation roumaine, respectivement le certificat d’héritier, vu qu’ils avaient formulé une action en revendication devant les instances roumaines pour un bien immeuble se trouvant sur le territoire de la Roumanie.
La loi applicable pour les successions est la loi du pays dont le défunt avait la nationalité au moment du décès, en l’espèce la loi grecque.
Ce principe est aussi inscrit dans les dispositions des art. 11 et 12 de la Loi n° 105/1992 republiée, qui prévoient que l’état, la capacité et les relations de famille sont réglementées par la loi nationale, respectivement la loi de l’Etat dont on invoque la nationalité.
Conformément à la loi grecque les dérogations à ce principe ne sont pas admises, ce qui fait que l’on ne saurait choisir la loi applicable à la succession. Les dispositions de l’art.7 de la Loi n° 105/1992 instituent la règle selon laquelle le contenu de la loi étrangère est fixé par l’instance judiciaire par des attestations obtenues auprès des organismes de l’Etat qui l’a édictée, par l’avis d’un expert ou une autre modalité adéquate, la partie pouvant être obligée à son tour de faire cette preuve.
La Cour retiendra donc, que selon la loi grecque (consultée sur le site www.successions–euro), la succession est automatiquement ouverte, sans procédure spéciale, une acceptation expresse étant même accordée à l’héritier, si nulle déclaration de renonciation n’est faite dans le délai fixé (de quatre mois à partir du moment où il a eu connaissance du décès et de sa vocation d’héritier, ou à partir de la publication du testament par le tribunal).
Par rapport au contenu de la loi grecque en matière de succession, les écritures déposées au dossier, respectivement le certificat de proche parenté délivré par la Mairie d’Athènes le 4 janvier 2012, prouvent la qualité des requérants, d’héritiers aussi bien de leur père K.D., que de leur mère, A.K.
La filiation des réclamants est d’ailleurs aussi prouvée par les papiers d’identité déposés au dossier.
L’instance d’appel a eu tort de maintenir entièrement les considérations de la sentence de l’instance première, en ce qui concerne le fait de n’avoir pas prouvé la qualité d’héritiers des réclamants pour la succession de la défunte A.K.
En enfreignant les dispositions de l’art. 261 al. 1 pt.5 du Code de procédure civile, l’instance d’appel a constaté que la solution de la première instance était légale et solide, sans indiquer les considérations de fait et de droit en vertu desquelles elle avait formulé sa conviction et sans censurer, conformément à l’art. 295 du Code de procédure civile, dans les limites de la demande d’appel, la modalité d’application de la loi par le tribunal.
L’instance d’appel a maintenu l’admission de l’exception concernant l’absence de qualité processuelle active, y compris pour D.K., bien que ce dernier, à la différence des autres réclamants, fut aussi copropriétaire de l’immeuble revendiqué et non pas héritier de l’ancien propriétaire et qu’il fut en vie au moment où était introduite l’action.
Vues ces considérations, en retenant que la première instance avait donné sa solution du procès sans enquêter sur le fond, la Cour constatera, pour les raisons prévues à l’art. 304 pts 7 et 9 du Code de procédure civile, qu’il s’impose, en vertu de l’art. 312 al. 3 du Code de procédure civile, de modifier la décision attaquée, dans le sens de l’admission de l’appel déclaré par les réclamants contre la sentence 258 du 10 février 2012 du Tribunal de Bucarest, IVe section civile, de supprimer la sentence mentionnée et de renvoyer la cause au même tribunal pour un nouveau jugement.
POUR CES RAISONS
AU NOM DE LA LOI
DECIDE :
Admet le recours déclaré par les réclamants K.F.A., K.N.A., K.S.D., contre la décision n° 434/A du 28 novembre 2012 de la Cour d’appel de Bucarest, IIIe section civile et pour des causes impliquant mineurs et famille.
Modifie la décision attaquée, dans le sens de l’admission de l’appel déclaré par les réclamants contre la sentence n° 258 du 10 février 2012 du Tribunal de Bucarest – section civile.
Supprime la sentence mentionnée et renvoie la cause pour être rejugée en première instance au même tribunal.
Définitive.
Rendue en séance publique, en ce 11 mars 2014.
Sens de la décision : cassation avec renvoi
Décision attaquée
Juridiction : Cour d’Appel de Bucarest
Date de la décision : 28/11/2012