Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... F... née E... a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler l'arrêté du 17 avril 2019 par lequel le préfet de la Haute-Corse a mis sous surveillance son exploitation comme susceptible d'être infectée de tuberculose bovine ainsi que la décision du 18 avril 2019 du préfet de la Haute-Corse limitant le mouvement de ses bovins pour des raisons d'identification.
Par un jugement n°1900805 du 10 juin 2021, le tribunal administratif de Bastia a annulé l'arrêté du 17 avril 2019 et la décision du 18 avril 2019.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 6 août 2021 et 20 juin 2022, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 10 juin 2021 ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme F... née E... devant le tribunal administratif de Bastia.
Il soutient que :
- le signataire de l'arrêté et de la décision contestés était compétent pour ce faire, en vertu d'une délégation de signature régulière ;
- le tribunal administratif a considéré à tort que les animaux de Mme F... née E... ne pouvaient être regardés comme cogérés avec ceux de son fils, alors qu'ils pâturaient le 11 avril 2019 sur le terrain appartenant à son fils ; cette cogestion a été établie par le jugement du tribunal correctionnel de Bastia du 10 novembre 2021 ;
- à la supposer établie, l'absence de cogestion du troupeau n'était pas de nature à rendre illégal l'arrêté en litige, dès lors qu'il ressortait du bordereau de localisation rempli par Mme K... pour l'année 2019 que son troupeau était susceptible de pâturer sur le terrain de son fils, sur lequel pâturait, lors du contrôle, un bovin déclaré infecté de tuberculose ; un lien épidémiologique à risque étant établi entre ce bovin et le troupeau de Mme K..., ce dernier était donc bien susceptible d'être infecté de tuberculose ;
- la décision du 18 avril 2019 était légalement justifiée par l'absence d'identification des animaux présents sur le terrain du fils de A... K... lors du contrôle du 11 avril 2019.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 4 octobre 2021 et 21 juin 2022, Mme F... née E..., représentée par Me Rocchesani, conclut au rejet de la requête et demande à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté et la décision en litige ont été pris par une autorité incompétente, en l'absence de délégation régulière de signature ;
- ils sont insuffisamment motivés, en droit et en fait ;
- le contrôle effectué le 11 avril 2019 est irrégulier, les éléments relatifs à celui-ci n'ayant pas été portés à la connaissance de son fils avant le début de celui-ci et l'ensemble des parcelles figurant sur son registre parcellaire graphique n'ayant pas été contrôlées ; le compte-rendu du contrôle a été modifié postérieurement sans qu'elle en soit informée ;
- son troupeau n'a pas été contrôlé le 11 avril 2019 ; il n'était pas sur le terrain appartenant à son fils qui a fait l'objet d'un contrôle ce jour-là ; la cogestion alléguée par le préfet entre son troupeau et celui de son fils n'est pas établie ; le lien épidémiologique entre le bovin suspecté d'être infecté de tuberculose et son troupeau n'est pas établi ; le bovin en question, dont il n'est pas établi qu'il appartenait à un troupeau déclaré infecté de tuberculose, ce dernier ayant été abattu en 2018, n'était en réalité pas infecté, ce que les tests effectués par la DDCSPP ont établi dès le 30 avril 2019 ;
- les bêtes non identifiées lors du contrôle du 11 avril 2019 ne sont pas les siennes, qui étaient en estive ce jour-là.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code rural et de la pêche maritime ;
- l'arrêté du 15 septembre 2003 fixant les mesures techniques et administratives relatives à la prophylaxie collective et à la police sanitaire de la tuberculose des bovinés et des caprins ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la cour a désigné Mme Vincent, présidente assesseure de la 5ème chambre, pour présider, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme H...,
- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire relève appel du jugement du 10 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Bastia a annulé l'arrêté du 17 avril 2019 déclarant l'exploitation de Mme F... née E... " susceptible d'être infectée de tuberculose " ainsi que la décision du 18 avril 2019 limitant le mouvement du troupeau.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. D'une part, aux termes de l'article 6 de l'arrêté susvisé du 15 septembre 2003 : " (...) Sont susceptibles de présenter un risque sanitaire particulier à l'égard de la tuberculose : (...) b) Les troupeaux pour lesquels un lien épidémiologique à risque a été constaté avec un animal ou un troupeau atteint de tuberculose ; (...) ". Aux termes de l'article 21 de cet arrêté : " Pour l'application du présent chapitre, un troupeau de bovinés est déclaré : 1° Susceptible d'être infecté de tuberculose lorsqu'un lien épidémiologique à risque a été établi avec un animal infecté de tuberculose ; / 2° Suspect d'être infecté de tuberculose lorsqu'un boviné suspect de tuberculose au sens de l'article 12 y est détenu ou en provient ; (...) ". Aux termes de l'article 24 de cet arrêté : " Les troupeaux susceptibles d'être infectés au sens de l'article 21 ci-dessus sont placés sous arrêté préfectoral de mise sous surveillance et, s'il y a lieu, leur qualification est immédiatement suspendue. (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article D. 212-19 du code rural et de la pêche maritime : " I.- Tout détenteur d'un ou de plusieurs bovins, à l'exclusion des transporteurs et des personnes responsables ou propriétaires de centres de rassemblement, et tout collecteur de cadavres de bovins, est tenu de se déclarer auprès de l'établissement de l'élevage mentionné à l'article L. 653-7 afin que celui-ci l'enregistre et lui attribue un numéro national. (...) Tout détenteur d'un ou de plusieurs bovins est tenu d'identifier ou de faire identifier chaque animal né sur son exploitation d'élevage. (...) / VI.- Il est interdit à tout détenteur d'un bovin de l'exposer, le mettre en vente ou le vendre s'il n'est identifié et accompagné de son passeport conforme aux caractéristiques prévues au I de l'article D. 212-21 ; le passeport est remis à l'acheteur de l'animal à tous les stades de commercialisation. (...) / IX.- (...) une restriction, partielle ou totale, des mouvements d'entrée et de sortie des animaux de l'exploitation peut être prononcée par le préfet en cas de non-respect des mesures prévues par le présent article. / (...) ".
En ce qui concerne l'erreur de fait :
4. Il ressort des pièces du dossier que Mme K... déclare exploiter depuis 1992 un élevage de bovins. Son fils aîné, M. L... C... F..., son mari, M. J... F... et son autre fils, M. I... F..., ont chacun également déclaré exploiter un élevage de bovins. Lors d'un contrôle inopiné effectué le 11 avril 2019 par la DDCSPP de Haute-Corse sur un terrain exploité par M. L... C... F... sur la commune de Lucciana, la présence d'un bovin provenant d'une exploitation déclarée infectée de tuberculose en 2014 a été constatée. A la suite de ce contrôle révélant la présence d'un bovin en provenance d'un élevage déclaré infecté au sein du cheptel de M. L... C... F..., le préfet de la Haute-Corse a, par un arrêté du 17 avril 2019, déclaré l'exploitation de Mme F... née E... " susceptible d'être infectée de tuberculose " au motif que " les troupeaux bovins de M. L... C... F..., M. J... F..., M. I... F... et Mme D... K... sont cogérés en un seul et même troupeau par M. L... C... F... ". Le contrôle du 11 avril 2019 ayant par ailleurs révélé la présence d'animaux non identifiés, le préfet a notifié à l'intéressée, par une décision du 18 avril 2019, la limitation de mouvement de son troupeau en la mettant en demeure de régulariser sa situation dans un délai de 48 heures.
5. Si Mme K... conteste la cogestion de son troupeau par son fils M. L... C... F..., il ressort toutefois des pièces du dossier, en particulier des déclarations de Mme K... et de M. L... C... F... lors de leurs auditions par les services de police à la suite du contrôle effectué le 11 avril 2019 qui sont retranscrites dans le jugement du tribunal correctionnel de Bastia du 10 novembre 2021, que M. L... C... F... s'occupe du troupeau de sa mère, tant pour déplacer les bêtes, les nourrir que les commercialiser et les conduire à l'abattoir. Il ressort également du bordereau de localisation pour l'aide aux bovins allaitants et laitiers signé par Mme K... le 18 janvier 2019 que, pendant la période de détention obligatoire, ses vaches et génisses allaitantes étaient susceptibles d'être localisées soit dans un bâtiment de son exploitation, alors qu'il est constant que son exploitation n'en comporte pas, soit sur l'îlot n° 3 situé à Lucciana, lieu-dit Tanghiccia, appartenant à son fils M. L... C... F... sur lequel a été effectué le contrôle inopiné mené le 11 avril 2019. Enfin, si Mme K... soutient que son troupeau se trouvait en estive et non pas sur cet îlot lors du contrôle effectué le 11 avril 2019, elle ne l'établit pas par la production d'attestations établies en septembre 2021 par des éleveurs bovins indiquant avoir aidé à monter les bêtes de Mme K... à l'estive en avril 2019, sans indiquer la date précise, alors qu'au demeurant ces attestations sont en contradiction avec les déclarations faites par M. L... C... F..., d'une part, lors du contrôle effectué le 11 avril 2019 pour lequel il avait été désigné par sa mère, son père et son frère, tous trois absents, comme leur représentant pour présenter les animaux détenus sur leurs exploitations respectives et lors duquel il a indiqué que toutes les bêtes des quatre exploitations se trouvaient à Lucciana, d'autre part, lors de ses auditions ultérieures par les services de police, puisqu'il a déclaré lors de sa première audition avoir monté seul fin mars les bêtes de l'exploitation de sa mère en estive avant de revenir sur cette première déclaration, au cours des auditions suivantes, en affirmant avoir monté les bêtes en estive en compagnie de sa mère et de son père ainsi que d'autres agriculteurs, dont les noms diffèrent pour partie de ceux ayant rédigé les attestations versées aux débats. Dans ces conditions, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal administratif de Bastia, le préfet a pu considérer, sans commettre d'erreur de fait, que le troupeau de la requérante, cogéré par son fils L... C... F..., était susceptible d'être infecté de tuberculose du fait de la présence, constatée lors du contrôle du 11 avril 2019, d'un bovin identifié comme provenant d'un élevage déclaré infecté de tuberculose bovine sur l'îlot situé à Lucciana, lieu-dit Tanghiccia, appartenant à son fils et sur lequel était censé se trouver également son troupeau. Le préfet n'a pas non plus commis d'erreur de fait en considérant que la présence, non contestée par la requérante, d'animaux non identifiés sur cet îlot lors du contrôle du 11 avril 2019 au cours duquel les 62 bovins de Mme K... n'ont pas été présentés aux contrôleurs et seuls 56 passeports pour ces 62 animaux l'ont été, révélait un manquement à l'obligation d'identification des bovins de son élevage incombant à Mme K....
6. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a annulé pour erreur de fait l'arrêté du 17 avril 2019 et la décision du 18 avril 2019.
7. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par la voie de l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme F... née E... à l'encontre des décisions contestées.
En ce qui concerne la compétence du signataire des décisions contestées :
8. Par un arrêté du 27 février 2019, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de l'Etat en Haute-Corse le 28 février 2019 et accessible en ligne tant au juge qu'aux parties, M. B... G..., directeur départemental de la cohésion sociale et de la protection des populations de la Haute-Corse, a reçu délégation du préfet de la Haute-Corse à l'effet de signer " les décisions et contrôles relatifs à l'organisation et l'identification des animaux d'espèce bovine (...) " et " tout acte relatif aux mesures applicables aux maladies réputées contagieuses ". Par suite, et alors même que l'arrêté portant délégation de signature à M. G... produit par le préfet en défense est postérieur aux décisions contestées et viserait un article inexistant du code rural et de la pêche maritime, le moyen tiré du défaut de compétence du signataire doit être écarté.
En ce qui concerne la motivation des décisions contestées :
9. L'arrêté du 17 avril 2019, après avoir visé l'arrêté du 15 septembre 2003, précise les faits qui en constituent le fondement en indiquant que la présence d'un bovin provenant d'un élevage déclaré infecté de tuberculose a été constatée lors du contrôle du 11 avril 2019 au sein du cheptel bovin de M. L... C... F..., qui est cogéré avec le cheptel de Mme K.... Il est, dès lors, suffisamment motivé. La décision du 18 avril 2019, qui vise l'article D. 212-19 du code rural et de la pêche maritime, précise également les faits qui en constituent le fondement en indiquant que, lors du contrôle du 11 avril 2019, les 62 bovins du troupeau de Mme K... n'étaient pas présents sur l'îlot indiqué dans le bordereau de localisation, seuls 56 passeports ont été présentés et de nombreux animaux non identifiés étaient présents sur cet îlot. Elle est, dès lors, suffisamment motivée. Le moyen tiré de l'insuffisante motivation des décisions contestées doit, par suite, être écarté.
En ce qui concerne la régularité du contrôle mené le 11 avril 2019 sur l'exploitation de Mme K... :
10. La validité du contrôle n'est pas une condition de la régularité des mesures de police sanitaires prises par le préfet en application de l'arrêté du 15 septembre 2003 ou de l'article D. 212-19 du code rural et de la pêche maritime. Dès lors, le moyen tiré de l'irrégularité du contrôle mené le 11 avril 2019 sur l'exploitation de Mme K... ne peut être utilement soulevé pour contester la légalité des décisions prises en application de ces dispositions.
11. Il résulte de ce qui précède que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a annulé l'arrêté du 17 avril 2019 et la décision du 18 avril 2019.
Sur les conclusions présentées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce qu'il soit fait droit aux demandes de Mme K..., l'Etat n'ayant pas la qualité de partie perdante à l'instance.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bastia n° 1900805 du 10 juin 2021 est annulé.
Article 2 : Les conclusions de première instance et d'appel de Mme F... née E... sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... F... née E... et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Copie en sera adressée au préfet de Haute-Corse.
Délibéré après l'audience du 19 décembre 2022, où siégeaient :
- Mme Vincent, présidente,
- M. Mérenne, premier conseiller,
- Mme Balaresque, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 janvier 2023.
N° 21MA03365 2