LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le deuxième moyen, pris en ses quatre premières branches :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 27 mars 2014), que le 29 août 2006, la société Arddi (le crédit-preneur) a conclu un contrat de crédit-bail avec la société Lixxbail (le crédit-bailleur) pour le financement d'un chariot élévateur fourni par M. X... (le fournisseur) et réceptionné le matériel ; que le 6 mai 2009, un arbre de roue du chariot élévateur s'est rompu, entraînant la mise à l'arrêt complet du matériel ; que le crédit-preneur a assigné le fournisseur et le crédit-bailleur en résolution de la vente et du contrat de bail, et en indemnisation des préjudices subis ;
Attendu que le crédit-preneur fait grief à l'arrêt d'évaluer à 20 000 euros le préjudice économique lié aux pertes d'exploitation qu'il a subies alors, selon le moyen :
1°/ que l'inintelligibilité des motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, en se bornant à énoncer qu' il convenait de partir des produits d'exploitation prévus ou prévisibles, de déterminer l'ensemble des charges variables directement liées au niveau d'activité et la partie variable des charges semi fixes dans les autres achats et services extérieurs et quelques charges fiscales et financières et que la différence représentait la masse des charges fixes comprenant la part du bénéfice prévisible, la cour d'appel s'est déterminée par des motifs inintelligibles, sans identifier de manière précise et chiffrée les charges et produits du crédit-preneur, qui devaient servir de base à l'évaluation du préjudice litigieux et a ainsi violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ que les juges du fond ne peuvent dénaturer les écrits clairs et précis qui leur sont soumis ; qu'en l'espèce, aux termes du rapport du cabinet d'expertise comptable Eric Martin, « concernant la ligne de granulation, la perte est de 432 h à un taux horaire de marge de 50,5 euros soit 21 816 euros. Concernant les lignes d'extrusion, la perte est de 360 h à un taux horaire de marge de 101 euros, soit .... Soit une perte d'exploitation de : 58 176 euros » ; que selon le rapport de l'expert judiciaire,« le rapport du Cabinet Eric Martin de Valence (...) valorise le préjudice subi par le crédit-preneur à 67 822 euros (...). Il semble que le Cabinet Eric Martin n'ait pas tenu compte des jours fériés (8 et 21 mai, 1er juin) ni du pont de l'Ascension que le crédit-preneur aurait pu normalement faire en prévoyant un rattrapage lorsqu'il serait en possession d'un chariot élévateur. Nous arrivons donc en tenant compte des jours fériés et du pont de l'Ascension à quinze jours d'arrêts sur la ligne de granulation ; douze jours d'arrêt sur la ligne d'extrusion. Ce qui nous donne, en retenant les taux de l'heure calculé par le cabinet comptable une perte d' exploitation de 47 268 euros auxquels il convient d'ajouter les mensualités de remboursement du chariot arrêté : 9 646 euros soit une perte d'exploitation de 56 914 euros » ; qu'ainsi ces deux rapports comportent l'un et l'autre un calcul clair et précis des pertes d'exploitation litigieuses effectué conformément aux méthodes d'évaluation usuelles et au vu des documents comptables du crédit-preneur ; qu'en retenant néanmoins que les rapports susvisés étaient trop incomplets pour permettre un calcul précis des pertes d'exploitation, la cour d'appel a dénaturé ces documents et violé l'article 1134 du code civil ;
3°/ que les juges du fond sont tenus de motiver leur décision ; qu'en l'espèce, en se bornant à relever le caractère « incomplet » des rapports de l'expert judiciaire et de l'expert-comptable relativement à l'évaluation de pertes d'exploitation litigieuses, sans énoncer le moindre motif de nature à caractériser ce caractère incomplet, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
4°/ que le principe de réparation intégrale du dommage s'oppose à ce que les juges du fond évaluent un préjudice à une somme forfaitaire ; qu'en l'espèce, en évaluant forfaitairement à 20 000 euros le préjudice économique constitué par les pertes d'exploitation subies par le crédit-preneur, sans rechercher quelles avaient été les pertes d'exploitation réellement subies, la cour d'appel a violé le principe susvisé, ensemble l'article 1645 du code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que loin de se borner à énoncer les motifs cités par la première branche, c'est par une décision motivée que la cour d'appel a expliqué la méthode lui permettant d'apprécier le préjudice de perte d'exploitation subi par la société, consistant à déterminer le taux de marge sur coûts variables puis à l'appliquer au chiffre d'affaires perdu ;
Attendu, en deuxième lieu, qu'en retenant que le cabinet Eric Martin n'a fourni que des données abruptes non étayées et que son analyse et celle de l'expert qui en découle sont trop incomplètes pour permettre un calcul précis de la perte d'exploitation, la cour d'appel a souverainement apprécié la force probante des éléments produits;
Attendu, en troisième lieu, qu'après avoir constaté que l'immobilisation brutale du chariot élévateur avait causé une perturbation dans la production mais que le personnel de l'entreprise avait pu continuer à travailler en mode « dégradé », la cour d'appel, appréciant l'ensemble des éléments de preuve, a retenu que la perte réelle d'exploitation serait indemnisée par la somme de 20 000 euros ; qu'ainsi, la cour d'appel a, sans procéder à une évaluation forfaitaire du préjudice, souverainement évalué le préjudice subi par le crédit-preneur ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen, le deuxième moyen, pris en sa cinquième branche, ni le troisième moyen, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Arddi aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux mars deux mille seize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Delvolvé, avocat aux Conseils, pour la société Arddi.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF A L'ARRET CONFIRMATIF ATTAQUE D'AVOIR limité à 10.874,84 euros le montant des dommages et intérêts alloués à la société ARDDI en réparation de son préjudice financier,
AUX MOTIFS PROPRES QUE M. X... ne contestait pas être tenu d'indemniser la société ARDDI subrogée dans les droits de la société LIXXBAIL ; qu'étant vendeur professionnel, il serait tenu en vertu de l'article 1645 du code civil de tous les dommages et intérêts envers elle ; que la société ARDDI avait réglé l'intégralité des loyers à la société LIXXBAIL ; qu'or, elle avait eu la jouissance normale du chariot élévateur depuis la date de sa réception jusqu'au 6 mai 2009, date de la survenance du sinistre; qu'elle avait donc réglé des loyers sans contrepartie du 6 mai 2009 jusqu'à la date de la résiliation du 15 mars 2011 ; ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE M. X..., en sa qualité de vendeur professionnel, ne pouvait ignorer les vices même cachés de la chose vendue, de sorte qu'il était tenu d' indemniser la société ARDDI subrogée dans les droits de la société LIXXBAIL de l'ensemble des préjudices subis ; que la société ARDDI serait indemnisée de son préjudice financier au titre des loyers versés sans contrepartie à la société LIXXBAIL du fait de la mise à l'arrêt du chariot élévateur suite à la rupture de l'arbre de roue et ce, pour la période comprise entre le 06 mai 2009 (date de l'avarie) et le 15 mars 2011 (date de la résiliation du contrat de location), soit la somme de 9.761,84 ¿ TTC (8.162 ¿ HT), ainsi qu'au titre de l'indemnité contractuelle de 1.113,00 ¿ mise à sa charge du fait de la résolution du contrat de vente pour vices cachés et de la résiliation subséquente du contrat de location,
ALORS QUE le vendeur professionnel aux torts duquel une vente a été résolue pour vice caché doit indemniser le crédit-preneur qui a payé les loyers du crédit-bail afférent au matériel vendu de l'intégralité de son préjudice sans qu'il en résulte pour lui ni perte ni profit; qu'en l'espèce, en se bornant à affirmer péremptoirement que la société ARDDI avait eu la jouissance normale du chariot élévateur litigieux jusqu'à sa perte totale survenue le 6 mai 2009, de sorte que les loyers n'avaient été versés sans contrepartie qu'à compter de cette date, sans rechercher, comme elle y avait été expressément invitée, si les pannes électriques et mécaniques qui s'étaient succédées depuis la mise en service de l'engin n'étaient pas de nature à caractériser une privation de jouissance dès l'origine du crédit-bail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1645 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF A L'ARRET CONFIRMATIF ATTAQUE D'AVOIR évalué à 20.000 euros le préjudice économique lié aux pertes d'exploitation subies par la société ARDDI,
AUX MOTIFS QUE l'immobilisation brutale du chariot élévateur avait eu des conséquences certaines pour la société ARDDI ; que le montant de la réparation à indemniser était déterminé à partir des résultats de l'entreprise en comparant les résultats des dernières périodes aux résultats de la période de réduction d'activité ; qu'ainsi on partait des produits d'exploitation prévus ou prévisibles sans arrêt d'activité (chiffre d'affaire + production stockée + production immobilisée), on déterminait l'ensemble des charges variables directement liées au niveau d'activité et la partie variable des charges semi fixes dans les autres achats et services extérieurs et quelques charges fiscales et financières, et la différence représentait la masse des charges fixes comprenant la part du bénéfice prévisible ; qu'exprimé en pourcentage du chiffre d'affaires, ce poste représentait le taux de marge sur coût variable ; que c'était cette marge sur coût variable appliquée au chiffre d'affaires perdu qui représentait l'évaluation de la perte d'exploitation ; que ce n'était pas le chiffre d'affaires perdu qui était indemnisé mais la marge sur coût variable qui neutralisait les coûts que l'entreprise n'aurait pas supportés ; que l'analyse qui avait été communiquée par le cabinet ERIC MARTIN et celle de l'expert qui en découlait étaient par trop incomplètes pour parvenir à un calcul précis de la perte d'exploitation ; que cependant, s'il ne pouvait être retenu les données abruptes et non étayées du cabinet ERIC MARTIN, il était constant que la société ARDDI, en grande précarité financière, avait tenté en vain dans les quinze jours qui avaient suivi le sinistre d'obtenir la prise en charge du changement des pièces défectueuses du chariot par les sociétés CDME et X... MANUTENTION et qu'elle n'avait pas la possibilité de supporter à la fois le coût des loyers réglés à LIXXBAIL de 443,72 ¿ par mois et celui d'une location mensuelle de 888 ¿ HT proposée par le groupe CDME ; qu'elle avait fini par acquérir un nouveau chariot moins performant que le précédent ; que par suite, même si l'alimentation des lignes d'extrusion avait pu se faire sans le chariot, en mode dégradé avec des moyens non habituels et que des solutions existaient pour alimenter les lignes et faire fonctionner la ligne de granulation avec des moyens de manutention moins élaborés, une perturbation dans la production avait été inévitable ; qu'une perte d'exploitation s'en était suivie, perte qui n'avait pas été remise en cause devant l'expert ; que celuici relevait que l'entreprise n'avait pas utilisé la formule du chômage technique et en déduisait à juste titre que le personnel de l'entreprise avait pu travailler, certes en mode dégradé, mais en permettant la production et en diminuant la perte d'exploitation ; que la perte d'exploitation réelle serait, au vu des éléments qui précédaient, indemnisée par la somme de 20.000 ¿,
ALORS, D'UNE PART, QUE l'inintelligibilité des motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, en se bornant à énoncer qu'il convenait de partir des produits d'exploitation prévus ou prévisibles, de déterminer l'ensemble des charges variables directement liées au niveau d'activité et la partie variable des charges semi fixes dans les autres achats et services extérieurs et quelques charges fiscales et financières et que la différence représentait la masse des charges fixes comprenant la part du bénéfice prévisible, la cour d'appel s'est déterminée par des motifs inintelligibles, sans identifier de manière précise et chiffrée les charges et produits de la société ARDDI qui devaient servir de base à l'évaluation du préjudice litigieux et a ainsi violé l'article 455 du code de procédure civile,
ALORS, D'AUTRE PART, QUE les juges du fond ne peuvent dénaturer les écrits clairs et précis qui leur sont soumis ; qu'en l'espèce, aux termes du rapport du cabinet d'expertise comptable ERIC MARTIN (production n°5, p. 2), « concernant la ligne de granulation, la perte est de 432 h à un taux horaire de marge de 50,5 ¿ soit 21.816 ¿. Concernant les lignes d'extrusion, la perte est de 360 h à un taux horaire de marge de 101, soit... Soit une perte d'exploitation de : 58.176 ¿. » ; que selon le rapport de l'expert judicaire, (production n° 4, p. 7) « le rapport du cabinet ERIC MARTIN de VALENCE (...) valorise le préjudice subi par la société ARDDI à 67.822 ¿ (...) . Il semble que le cabinet ERIC MARTIN n'ait pas tenu compte des jours fériés (8 et 21 mai, 1er juin) ni du pont de l'ascension que l'entreprise ARDDI aurait pu normalement faire en prévoyant un rattrapage lorsqu'elle serait en possession d'un chariot élévateur . Nous arrivons donc en tenant compte des jours fériés et du pont de l'Ascension à 15 jours d'arrêts sur la ligne de granulation ; 12 jours d'arrêt sur la ligne d'extrusion. Ce qui nous donne, en retenant les taux de l'heure calculé par le cabinet comptable une perte d'exploitation de 47.268 euros auxquels il convient d'ajouter les mensualités de remboursement du chariot arrêté : 9.646 ¿ soit une perte d'exploitation de 56.914 ¿. » ; qu'ainsi ces deux rapports comportent l'un et l'autre un calcul clair et précis des pertes d'exploitation litigieuses effectué conformément aux méthodes d'évaluation usuelles et au vu des documents comptables de la société ARDDI ; qu'en retenant néanmoins que les rapports susvisés étaient trop incomplets pour permettre un calcul précis des pertes d'exploitation, la cour d'appel a dénaturé ces documents et violé l'article 1134 du code civil,
ALORS, EN OUTRE, QUE les juges du fond sont tenus de motiver leur décision ; qu'en l'espèce, en se bornant à relever le caractère « incomplet » des rapports de l'expert judiciaire et de l'expert-comptable relativement à l'évaluation de pertes d'exploitation litigeuses, sans énoncer le moindre motif de nature à caractériser ce caractère incomplet, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile,
ALORS, AU SURPLUS, QUE le principe de réparation intégrale du dommage s'oppose à ce que les juges du fond évaluent un préjudice à une somme forfaitaire ; qu'en l'espèce, en évaluant forfaitairement à 20.000 euros le préjudice économique constitué par les pertes d'exploitation subies par la société ARDDI, sans rechercher quelles avaient été les pertes d'exploitation réellement subies, la cour d'appel a violé le principe susvisé, ensemble l'article 1645 du code civil,
ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QU'il incombe aux juges du fond d'évaluer le préjudice dont ils ont retenu l'existence dans son principe ; qu'ils ne peuvent se fonder sur l'insuffisance des pièces produites par les parties pour refuser de procéder à cette évaluation ; qu'en l'espèce, en retenant que le rapport du cabinet ERIC MARTIN et celui de l'expert judiciaire étaient trop incomplets pour procéder à un calcul précis des pertes d'exploitation litigieuses, la cour d'appel, qui a refusé d'évaluer précisément le montant des pertes d'exploitation dont elle avait retenu l'existence dans leur principe, a violé l'article 4 du code de procédure civile.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF A L'ARRET ATTAQUE D'AVOIR débouté la société ARDDI de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive et injustifiée de M. X... à mettre en oeuvre sa garantie,
AUX MOTIFS QUE la société ARDDI ne rapportait pas la preuve d'une faute qui aurait été commise par M. X..., alors même qu'une expertise par le laboratoire des matériaux métalliques du CETIM avait été nécessaire à l'effet de déterminer la cause même de la rupture de l'axe de la roue du chariot élévateur, susceptible d'ouvrir droit à son bénéfice à une créance de dommages et intérêts ; ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE la preuve d'une résistance abusive et injustifiée de la société LIXXBAIL ou de M. X... n'était pas rapportée,
ALORS QUE la résistance abusive d'un vendeur professionnel à exécuter son obligation légale de garantie est source de responsabilité délictuelle au profit du créancier de cette obligation ; qu'en l'espèce, en se bornant à retenir qu'une expertise avait été nécessaire pour déterminer la cause du sinistre litigieux susceptible d'ouvrir droit à réparation, sans rechercher si l'inaction du vendeur qui, alerté des défaillances du matériel vendu, n'avait rien fait pour tenter d'y remédier ou procéder à son remplacement, n'était pas à elle seule constitutive d'une résistance abusive ouvrant droit à réparation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil.