LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 27 novembre 2024
Cassation
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1200 F-D
Pourvois n°
H 23-15.761
G 23-15.762 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 27 NOVEMBRE 2024
1°/ Mme [H] [G], domiciliée [Adresse 3],
2°/ M. [P] [O], domicilié [Adresse 2],
ont formé respectivement les pourvois n° H 23-15.761 et G 23-15.762 contre deux arrêts rendus le 18 janvier 2023 par la cour d'appel de Reims (chambre sociale), dans les litiges les opposant à la société Forge France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent chacun, à l'appui de leur recours, un moyen de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, les observations écrites de la SARL Cabinet François Pinet, avocat de Mme [G] et de M. [O], de Me Bouthors, avocat de la société Forge France, après débats en l'audience publique du 22 octobre 2024 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Barincou, conseiller rapporteur, Mme Panetta, conseiller, et Mme Aubac, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° H 23-15.761 et G 23-15.762 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon les arrêts attaqués (Reims, 18 janvier 2023), Mme [G] et M. [O] ont été engagés, respectivement le 8 novembre 1982 et le 2 mai 1989, par la société Forge France. Ils occupaient en dernier lieu les fonctions de leader magasin et de responsable de méthode produit-process.
3. Les salariés, délégués du personnel et membres du comité d'entreprise, ont été licenciés pour motif économique, le 5 février 2013, après autorisation de l'inspection du travail.
4. Le 1er octobre 2013, le ministre du travail a annulé les décisions de l'inspecteur du travail et rejeté les demandes d'autorisation de licenciement.
5. Le 30 décembre 2013, les salariés ont saisi la juridiction prud'homale pour obtenir l'annulation de leur licenciement et l'indemnisation de leur préjudice.
6. Par jugements avant-dire droit du 17 avril 2015, le conseil de prud'hommes a ordonné le sursis à statuer dans l'attente de la décision de la cour administrative d'appel de Nancy, saisie de l'appel formé par l'employeur contre les jugements du tribunal administratif du 31 décembre 2014 ayant rejeté son recours contre la décision du ministre du travail.
7. Par arrêt du 26 septembre 2018, le Conseil d'État a annulé les arrêts de la cour administrative d'appel du 12 mai 2016, qui avaient annulé les jugements ainsi que les décisions du ministre du travail, et a renvoyé l'affaire devant la même juridiction, autrement composée, laquelle a, par arrêts du 16 janvier 2020, rejeté les requêtes de l'employeur.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
8. Les demandeurs aux pourvois font grief aux arrêts de constater la péremption de l'instance et de déclarer irrecevables leurs demandes, alors « qu'en matière prud'homale seule la décision de la juridiction mettant expressément à la charge des parties des diligences particulières fait courir le délai biennal de péremption de l'instance ; que ne constituent pas des diligences particulières celles nécessaires à la réinscription de l'affaire, telle la communication d'une décision dans l'attente de laquelle a été ordonnée un sursis à statuer ; que les arrêts, après avoir relevé que dans leurs jugements avant dire droit du 17 avril 2015, notifiés aux parties le jour même, le conseil de prud'hommes de Charleville-Mézières a ordonné le sursis à statuer dans l'attente de la décision de la cour administrative d'appel de Nancy actuellement saisie et dit qu'il appartiendra à la partie la plus diligente de communiquer au conseil de prud'hommes la copie de la décision de la juridiction actuellement saisie afin que les parties puissent être convoquées à une nouvelle audience, que l'affaire soit réenrôlée à la première date utile, retient que l'instance a été suspendue jusqu'à la décision à intervenir de la cour administrative d'appel de Nancy, qu'à la réalisation de cet événement, il appartenait à l'une ou l'autre des parties de communiquer au conseil de prud'hommes la copie de la décision et que faute pour les exposants d'avoir "accompli cette diligence" dans le délai de deux ans à compter du 12 mai 2016, date de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy, l'instance s'est trouvée périmée ; qu'en statuant ainsi, quand qu'il résultait de ses propres constatations que la décision de radiation du 17 avril 2015 n'avait pas mis de diligences particulières à la charge des parties, la cour d'appel a violé l'article R. 1452-8 du code du travail dans sa version antérieure à celle du décret n° 2016-660 du 20 mai 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article R. 1452-8 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à son abrogation par le décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 :
9. Selon ce texte, en matière prud'homale, l'instance n'est périmée que lorsque les parties s'abstiennent d'accomplir, pendant le délai de deux ans mentionné à l'article 386 du code de procédure civile, les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction.
10. Pour dire l'instance périmée et déclarer irrecevables les demandes des parties, les arrêts relèvent, d'une part, que par jugement avant dire droit du 17 avril 2015 le conseil de prud'hommes a sursis à statuer dans l'attente de la décision de la cour administrative d'appel de Nancy et dit qu'il appartiendra à la partie la plus diligente de communiquer au conseil de prud'hommes la copie de la décision de cette juridiction, d'autre part, que la décision de la cour administrative d'appel de Nancy est intervenue le 12 mai 2016.
11. Ils ajoutent qu'il en résulte que, l'instance ayant été suspendue jusqu'à la survenance d'un événement déterminé, soit la décision à intervenir de la cour administrative d'appel de Nancy, les parties disposaient, à compter du 12 mai 2016, d'un délai de deux années pour communiquer au conseil de prud'hommes la décision de la cour administrative d'appel de Nancy, de sorte qu'à la date du 12 mai 2018, les instances judiciaires se sont trouvées périmées.
12. Ils retiennent qu'aucune partie n'ayant communiqué la décision de la cour administrative d'appel de Nancy du 12 mai 2016, peu important que celle-ci ne fût pas définitive en raison du pourvoi devant le Conseil d'État, la cour d'appel ne peut que constater que la péremption de l'instance est acquise.
13. En statuant ainsi, alors que la décision ordonnant le sursis à statuer ne mettait aucune diligence particulière à la charge des parties autre que celle nécessaire à la réinscription de l'affaire, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes leurs dispositions, les arrêts rendus le 18 janvier 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;
Remet les affaires et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;
Condamne la société Forge France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Forge France et la condamne à payer à Mme [G] et M. [O] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des arrêts cassés ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept novembre deux mille vingt-quatre.