Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrée le 4 juillet 2023, le 12 octobre 2023, le 7 novembre 2023 et les 8 et 12 janvier 2024, la société par actions simplifiée Castredis et la société par actions simplifiée Lecadis, représentées par Me Morisseau, demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :
1°) d'annuler l'arrêté du 9 mai 2023 par lequel le maire de Castres a délivré à la société civile immobilière Tuigil un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale en vue de l'agrandissement d'un ensemble commercial par extension d'un supermarché à l'enseigne Super U, création d'un magasin d'alimentation biologique et extension d'un point de retrait " drive " ;
2°) de mettre à la charge de tout succombant une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- leur requête est recevable dès lors qu'elles justifient d'un intérêt pour agir contre la décision contestée en leur qualité de concurrents les plus directs ;
- leur requête est recevable dès lors qu'elles ont produit la décision contestée et l'avis de la Commission nationale d'aménagement commercial ;
- la décision attaquée méconnaît les dispositions de l'article L. 752-6 du code du commerce dès lors que le projet porte atteinte à l'animation de la vie urbaine du fait de l'importante densité commerciale de la commune de Castres, de la souffrance des commerces existants et de l'importance de la vacance commerciale alors que la commune bénéficie d'une opération de revitalisation du territoire- action cœur de ville ;
- la décision attaquée méconnaît les dispositions de l'article L. 752-6 du code du commerce dès lors que l'impact environnemental du projet est négatif ; les espaces verts sont faibles, l'emprise des surfaces affectées au stationnement ne respecte pas l'article 129 de la loi n° 2014-333 du 24 mars 2014, l'insertion architecturale est laissée de côté et la gestion des eaux pluviales est particulièrement superficielle ;
- il n'est pas justifié de ce que les membres de la Commission nationale d'aménagement commercial aient été destinataires de convocations régulières ainsi que des pièces jointes et il n'est pas établi que ces documents ont bien été reçus par l'ensemble des membres.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 13 septembre 2023, 29 décembre 2023 et 29 janvier 2024, la société civile immobilière Tuigil, représentée par la SCP CGCB et Associés, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge des sociétés Castredis et Lecadis une somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la requête est irrecevable dès lors qu'elle ne comporte pas l'avis de la Commission nationale d'aménagement commercial ;
- le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure suivie devant la Commission nationale d'aménagement commercial est irrecevable dès lors qu'il relève d'une cause juridique différente de ceux invoqués avant l'expiration du délai de recours ;
- les moyens soulevés par les sociétés requérantes sont infondés ou inopérants.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 octobre 2023, la commune de Castres, représentée par Me Peres, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge solidaire des sociétés Castredis et Lecadis une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la requête est irrecevable dès lors qu'elle ne comporte aucun des justificatifs exigés par l'article R. 600-4 du code de l'urbanisme ;
- la requête est irrecevable dès lors que les sociétés requérantes n'apportent aucun élément permettant de caractériser leur qualité à agir en application de l'article L. 752-17 du code de commerce ;
- la requête est irrecevable dès lors que les sociétés requérantes ne justifient pas qu'elles ont notifié leur recours préalable obligatoire devant la Commission nationale d'aménagement commercial au demandeur dans les cinq jours de son introduction conformément à l'exigence prévue par l'article R. 752-32 du code de commerce ;
- les moyens soulevés par les sociétés requérantes sont infondés ou inopérants.
Par des mémoires, enregistrés les 1er et 4 décembre 2023, la Commission nationale d'aménagement commercial a produit des pièces.
Par ordonnance du 15 janvier 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 29 janvier 2024.
Un mémoire présenté par les sociétés Castredis et Lecadis, représentées par Me Morisseau, a été enregistré le 15 avril 2025 après la clôture de l'instruction.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de commerce ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2014-333 du 24 mars 2014 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lasserre, première conseillère,
- les conclusions de M. Diard, rapporteur public,
- les observations de Me Carteret, représentant les sociétés Castredis et Lecadis,
- les observations de Me Perez, représentant la commune de Castres,
- et les observations de Me Senanedsch, représentant la société Tuigil.
Une note en délibéré, produite pour les sociétés requérantes, représentées par Me Morisseau, a été enregistrée le 17 avril 2025.
Considérant ce qui suit :
1. Le 22 avril 2022, la société civile immobilière Tuigil a déposé auprès de la mairie de Castres (Tarn) une demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale en vue de l'agrandissement d'un ensemble commercial par extension d'un supermarché à l'enseigne Super U, création d'un magasin d'alimentation biologique et extension d'un point de retrait " drive " pour une surface de vente supplémentaire de 1 801 m². La commission départementale d'aménagement commercial du Tarn a rendu un avis favorable tacite au projet, le 11 juillet 2022. Le 12 août 2022, les sociétés Castredis et Lecadis ont saisi la Commission nationale d'aménagement commercial du recours administratif préalable obligatoire visé à l'article L. 752-17 du code de commerce. Par un avis rendu le 24 novembre 2022, la Commission nationale d'aménagement commercial a rejeté ce recours. Par un arrêté du 9 mai 2023, le maire de Castres a délivré à la société Tuigil le permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale pour le projet considéré. Les sociétés Castredis et Lecadis, qui exploitent des supermarchés dans la zone de chalandise du projet, demandent l'annulation de l'arrêté du 9 mai 2023 en tant qu'il vaut autorisation d'exploitation commerciale.
Sur la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité du recours des sociétés Castredis et Lecadis devant la Commission nationale d'aménagement commercial :
2. Aux termes de l'article L. 752-17 du code du commerce : " I.- Conformément à l'article L. 425-4 du code de l'urbanisme, le demandeur, le représentant de l'Etat dans le département, tout membre de la commission départementale d'aménagement commercial, tout professionnel dont l'activité, exercée dans les limites de la zone de chalandise définie pour chaque projet, est susceptible d'être affectée par le projet ou toute association les représentant peuvent, dans le délai d'un mois, introduire un recours devant la Commission nationale d'aménagement commercial contre l'avis de la commission départementale d'aménagement commercial. La Commission nationale d'aménagement commercial émet un avis sur la conformité du projet aux critères énoncés à l'article L. 752-6 du présent code, qui se substitue à celui de la commission départementale. En l'absence d'avis exprès de la commission nationale dans le délai de quatre mois à compter de sa saisine, l'avis de la commission départementale d'aménagement commercial est réputé confirmé. A peine d'irrecevabilité, la saisine de la commission nationale par les personnes mentionnées au premier alinéa du présent I est un préalable obligatoire au recours contentieux dirigé contre la décision de l'autorité administrative compétente pour délivrer le permis de construire. Le maire de la commune d'implantation du projet et le représentant de l'Etat dans le département ne sont pas tenus d'exercer ce recours préalable. (...) La Commission nationale d'aménagement commercial rend une décision qui se substitue à celle de la commission départementale. En l'absence de décision expresse de la commission nationale dans le délai de quatre mois à compter de sa saisine, la décision de la commission départementale d'aménagement commercial est réputée confirmée. A peine d'irrecevabilité, la saisine de la commission nationale est un préalable obligatoire au recours contentieux ". Aux termes de l'article R. 752-32 du même code : " A peine d'irrecevabilité de son recours, dans les cinq jours suivant sa présentation à la commission nationale, le requérant, s'il est distinct du demandeur de l'autorisation d'exploitation commerciale, communique son recours à ce dernier soit par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, soit par tout moyen sécurisé. ".
3. Il résulte de ces dispositions que la recevabilité du recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire en tant qu'il vaut autorisation d'exploitation commerciale est notamment soumise à la double condition, d'une part que le requérant soit au nombre des personnes, mentionnées au I de l'article L. 752-17 du code de commerce, qui ont qualité pour contester, devant la Commission nationale d'aménagement commercial, un avis favorable délivré par une commission départementale d'aménagement commercial et, d'autre part, que le requérant ait préalablement exercé, si le projet a fait l'objet d'un avis favorable de la commission départementale d'aménagement commercial, un recours contre cet avis, régulièrement déposé devant la Commission nationale d'aménagement commerciale.
4. Dès lors, il appartient à la cour administrative d'appel saisie d'une requête dirigée contre un permis de construire en tant qu'il vaut autorisation d'exploitation commerciale de s'assurer, le cas échéant d'office, au vu des pièces du dossier qui lui est soumis et indépendamment de la position préalablement adoptée par la Commission nationale d'aménagement commercial, d'une part, que le requérant est au nombre de ceux qui ont intérêt pour agir devant le juge administratif, et d'autre part, si le projet a fait l'objet d'un avis favorable de la commission départementale d'aménagement commercial, que le requérant a, préalablement à l'introduction de sa requête, déposé contre cet avis un recours devant la Commission nationale qui respecte les conditions de recevabilité rappelées au point 2.
5. En l'espèce, ainsi que le fait valoir en défense la commune de Castres, les sociétés requérantes ne justifient pas, avant la clôture de l'instruction fixée au 29 janvier 2024, avoir notifié à la société Tuigil, bénéficiaire de l'avis favorable de la commission départementale d'aménagement commercial du Tarn, leur recours préalable devant la Commission nationale d'aménagement commercial dans le délai visé à l'article R. 752-32 du code de commerce et prescrit à peine d'irrecevabilité du recours préalable. En outre, elles n'établissent ni même n'allèguent qu'elles ne pouvaient pas faire état de ladite notification avant la clôture de l'instruction. Par suite, et alors que le recours administratif préalable obligatoire exercé par les sociétés requérantes auprès de cette commission doit être regardé comme irrecevable, les conclusions de la requête tendant à l'annulation du permis de construire du 9 mai 2023 en tant qu'il tient lieu d'autorisation d'exploitation commerciale ne peuvent qu'être rejetées comme irrecevables.
6. Il résulte de tout ce qui précède que les sociétés Castredis et Lecadis ne sont pas recevables à demander l'annulation de l'arrêté du 9 mai 2023 par lequel le maire de Castres a délivré à la société civile immobilière Tuigil un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale en vue de l'agrandissement d'un ensemble commercial par extension d'un supermarché à l'enseigne Super U, création d'un magasin d'alimentation biologique et extension d'un point de retrait Drive.
Sur les frais liés au litige :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Tuigil et de la Commission nationale d'aménagement commercial, qui ne sont pas les parties perdantes à la présente instance, une somme quelconque au titre des frais exposés par les sociétés requérantes et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge des sociétés Castredis et Lecadis une somme de 1 500 euros à verser solidairement à la commune de Castres. Il y a lieu également de mettre à la charge des sociétés requérantes une somme de 1 500 euros à verser à la société Tuigil sur le même fondement.
D E C I D E :
Article 1er : La requête des sociétés Castredis et Lecadis est rejetée.
Article 2 : Les sociétés Castredis et Lecadis verseront solidairement une somme globale de 1 500 euros à la commune de Castres et verseront la même somme globale à la société Tuigil au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Castredis, à la société par actions simplifiée Lecadis, à la commune de Castres, à la Commission nationale d'aménagement commercial, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la société civile immobilière Tuigil.
Délibéré après l'audience du 17 avril 2025, à laquelle siégeaient :
M. Chabert, président,
M. Jazeron, premier conseiller,
Mme Lasserre, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 mai 2025.
La rapporteure,
N. Lasserre
Le président,
D. ChabertLa greffière,
N. Baali
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23TL01601