Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner le centre hospitalier de Villefranche de Rouergue à lui verser une indemnité globale de 67 741 euros, avec intérêts au taux légal à compter du jugement, en réparation des préjudices subis lors de sa prise en charge chirurgicale.
Par un jugement n° 1600138 du 8 mars 2018, le tribunal administratif de Toulouse a condamné le centre hospitalier de Villefranche de Rouergue à verser à Mme C... une indemnité de 17 000 euros avec intérêts au taux légal à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête et deux mémoires complémentaires, enregistrés les 7 mai 2018, 19 mars 2019 et 31 octobre 2019, Mme C..., représentée par Me G..., demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 8 mars 2018 en tant qu'il a limité le montant de l'indemnité mise à la charge du centre hospitalier de Villefranche de Rouergue et de condamner l'établissement à lui verser une indemnité globale de 67 800 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir, ainsi que les éventuels frais futurs de santé qui resteraient à sa charge ;
2°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Villefranche de Rouergue les entiers dépens ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Villefranche de Rouergue le paiement à son conseil de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le tribunal a omis de statuer sur la préservation de ses droits au titre d'éventuels frais futurs de santé ;
- les dommages qu'elle a subis engagent la responsabilité du centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue à raison des fautes médicales commises lors de la prise en charge chirurgicale d'un hallux valgus dans cet établissement, relevées par l'expert ;
- c'est toutefois à tort que le tribunal a limité le montant des indemnisations allouées ;
- elle est en droit de solliciter les indemnités suivantes :
- la réparation de son préjudice professionnel à hauteur de la somme de 30 000 euros dès lors que la station debout lui est pénible et qu'elle doit envisager une reconversion professionnelle au regard de son métier de monitrice éducatrice ;
- la réparation de son déficit fonctionnel permanent de 8 % à hauteur de 16 800 euros ;
- le versement d'une somme de 6 000 euros au titre des souffrances endurées, évaluées à hauteur de 3 sur une échelle de 7 ;
- le versement d'une somme de 8 000 euros au titre de son préjudice esthétique de 3 sur 7, compte tenu de son jeune âge ;
- la réparation de son préjudice d'agrément à hauteur d'une somme de 6 000 euros dès lors qu'elle ne peut plus pratiquer la marche ou la gymnastique sportive ;
- la somme de 1 000 euros allouée par le tribunal au titre de son déficit fonctionnel temporaire ;
- le remboursement sur justificatifs des frais futurs restés à sa charge, notamment de pédicurie.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 juillet 2018, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des infections nosocomiales et des affections iatrogènes (ONIAM), représenté par Me A..., conclut :
1°) à sa mise hors de cause ;
2°) à ce que soit mis à la charge du centre hospitalier de Villefranche de Rouergue le paiement de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des entiers dépens.
Il fait valoir que :
- la responsabilité de l'Office n'est pas engagée dès lors que le centre hospitalier a commis des fautes médicales qui lui sont exclusivement imputables ;
- les seuils de gravité justifiant l'engagement de la solidarité nationale ne sont au demeurant pas atteints.
Par des mémoires, enregistrés les 17 décembre 2018, 26 septembre 2019 et 5 novembre 2019, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Tarn venant aux droits de la mutuelle générale de l'Education nationale (MGEN), représentée par Me D..., conclut :
1°) à la condamnation du centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue à lui verser la somme de 3 572,76 euros au titre de ses débours, assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 décembre 2018 ;
2°) à ce que soit mis à la charge du centre hospitalier le paiement de la somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;
3°) à ce que soient mis à la charge du centre hospitalier le paiement d'une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.
Elle fait valoir que :
- elle assure la gestion centralisée du recours contre tiers pour le compte de la MGEN, auprès de laquelle Mme C... est affiliée ;
- elle est fondée à solliciter le remboursement des prestations versées à la victime à hauteur de la somme de 3 572,76 euros.
Par un mémoire en défense et un mémoire complémentaire, enregistrés le 5 septembre 2019 et le 7 octobre 2019, le centre hospitalier de Villefranche de Rouergue, représenté par Me F..., conclut au rejet de la requête de Mme C... et des conclusions de la CPAM du Tarn.
Il fait valoir que :
- Mme C... ne justifie pas de l'existence d'un préjudice d'incidence professionnelle ;
- les montants sollicités au titre des autres chefs de préjudice devront être ramenés à de plus justes proportions ;
- la CPAM ne justifie pas être habilitée à agir pour le compte de la MGEN ; en toute hypothèse, les conclusions qu'elle présente en appel sont nouvelles et irrecevables.
Vu l'ordonnance du 7 octobre 2019 reportant la clôture de l'instruction au 12 novembre 2019.
Un mémoire et une lettre présentés pour la CPAM du Tarn ont été enregistrés le 20 mai 2020.
Vu la décision n° 2018/010169 du 13 juin 2018 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Bordeaux, admettant Mme C... au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle à 55 %.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- l'arrêté du 27 décembre 2019 relatif aux montants de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B... ;
- les conclusions de Mme Chauvin, rapporteur public ;
- et les observations de Me Bergeron, avocat, représentant le centre hospitalier de Villefranche de Rouergue et de Me Nicolas, avocat, représentant l'ONIAM.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., née le 15 mai 1991, souffrant d'un hallux valgus bilatéral a été prise en charge au centre hospitalier de Villefranche de Rouergue où elle a subi, le 16 juillet 2007, une intervention chirurgicale de double ostéotomie des orteils et le 15 juillet 2010 une seconde intervention de pose de broches. Estimant que des fautes médicales avaient alors été commises, Mme C... a saisi le tribunal administratif d'une demande de condamnation du centre hospitalier de Villefranche de Rouergue à lui verser une indemnité globale de 67 741 euros en réparation des préjudices subis. Elle relève appel du jugement du 8 mars 2018 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a condamné l'établissement à lui verser une somme de 17 000 euros, en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de ses demandes indemnitaires. La CPAM du Tarn, venant aux droits de la MGEN, sollicite le remboursement de ses débours à hauteur de la somme de 3 572,76 euros.
Sur la régularité du jugement :
2. Si Mme C... semble alléguer que le tribunal a omis de statuer sur ses demandes au titre de frais futurs de santé, il résulte de l'instruction et notamment de ses écritures de première instance que l'intéressée sollicitait seulement que cette demande " soit réservée " dans l'éventualité où des frais futurs de santé resteraient à sa charge en cas de nouvelle intervention. Il suit de là qu'en l'absence de demande ou de conclusion précise sur ce point, le tribunal n'était pas tenu d'y répondre et n'a, par suite, pas entaché son jugement d'irrégularité.
Sur les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie du Tarn devant la cour :
3. Une caisse primaire d'assurance-maladie ayant été mise à même de faire valoir ses droits devant le tribunal administratif mais ayant omis de demander en temps utile le remboursement des frais exposés antérieurement au jugement de ce tribunal n'est plus recevable à le demander devant le juge d'appel.
4. Il résulte de l'instruction que la mutuelle générale de l'éducation nationale (MGEN), gestionnaire par délégation du régime d'assurance maladie auquel était affiliée Mme C..., a été régulièrement mise en cause par le tribunal administratif mais n'a pas produit de mémoire en première instance. Ainsi, les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie du Tarn, qui indique venir aux droits de la MGEN et assurer la gestion centralisée du recours contre les tiers pour le compte de cette dernière, tendant au remboursement de frais médicaux et d'hospitalisation exposés antérieurement au jugement du tribunal rendu le 8 mars 2018, ont le caractère de conclusions nouvelles en appel et doivent, par suite, être rejetées comme irrecevables. Par voie de conséquence, doivent être rejetées les conclusions de ladite caisse tendant au paiement de l'indemnitaire forfaitaire prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale et à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur la responsabilité :
5. Il n'est plus contesté en appel que, lors de l'intervention chirurgicale de double ostéotomie des orteils pratiquée le 16 juillet 2007 au centre hospitalier de Villefranche de Rouergue, une branche de l'agrafe a été mise en place à l'intérieur de l'articulation du gros orteil du pied droit et que, lors de la consultation postopératoire du 20 août 2007, il n'a pas été proposé à l'intéressée l'ablation de cette agrafe malgré les douleurs ressenties. De plus, lors de l'intervention du 15 juillet 2010, cette agrafe n'a pas été enlevée et une broche posée au niveau du troisième orteil gauche n'a pas été centrée, favorisant sa déformation. Ces manquements aux règles de l'art étant constitutifs de négligences fautives, ils engagent la responsabilité du centre hospitalier de Villefranche de Rouergue à raison des préjudices en résultant. L'ONIAM est, dès lors, fondé à demander sa mise hors de cause.
Sur les préjudices indemnisables de Mme C... :
En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :
6. En premier lieu, Mme C... sollicite en appel l'indemnisation de frais futurs relatifs à d'éventuelles interventions ultérieures aux pieds, qui resteraient à sa charge, et à des soins de pédicurie. Toutefois et d'une part, la possibilité d'interventions ultérieures aux pieds, évoquée par l'expert, ne présente pas, à la date du présent arrêt, de caractère certain et l'intéressée n'établit ni ne soutient avoir exposé des frais médicaux qui seraient restés à sa charge à ce titre. Il lui appartiendra, le cas échéant, en cas d'aggravation de son état en lien avec la faute commise, de présenter une nouvelle demande en ce sens. D'autre part, s'il ressort d'un compte-rendu podologique du 4 juillet 2019 que Mme C... a fait récemment état de douleurs podales à raison de pieds plats instables, il ne résulte pas de l'instruction que l'hyperkératose talonnière qu'elle présente, qui relève de l'inconfort au niveau du talon, serait en lien direct et certain avec le dommage subi au niveau des orteils alors qu'aucune pièce médicale du dossier non plus que le rapport d'expertise ne font état de la nécessité de tels soins de pédicurie.
7. En second lieu, Mme C... fait valoir qu'elle a subi un préjudice professionnel lié à l'accroissement de la pénibilité de son métier de monitrice éducatrice du fait de ses difficultés à rester debout. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise, que l'intéressée présente des difficultés à rester en station debout de manière prolongée et à se mettre sur la pointe des pieds. Ces observations sont notamment corroborées par un compte-rendu de médecine du travail du 8 juin 2018 nouvellement produit en appel. Mme C... a, par ailleurs, été reconnue comme travailleuse handicapée avec une orientation professionnelle en milieu ordinaire, par une décision de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) du 6 juin 2019. Dans ces conditions, s'il ne résulte certes pas des pièces de l'instruction, notamment médicales, que son état serait incompatible avec toute poursuite de son activité de monitrice éducatrice dans le cadre d'un aménagement de ses activités pour lui éviter des périodes de station debout prolongées, elle doit être regardée comme endurant, à raison du dommage subi et indépendamment de son état antérieur, une pénibilité accrue dans l'emploi qui doit être indemnisée au titre de l'incidence professionnelle, contrairement à ce qu'ont pu estimer les premiers juges. Dans les circonstances de l'espèce, il pourra être fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en lui allouant la somme de 10 000 euros.
En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux :
8. En premier lieu, il résulte de l'instruction que Mme C... a subi du fait des manquements retenus à l'encontre du centre hospitalier un déficit fonctionnel temporaire total de deux jours et partiel de trois mois, consécutif à la réalisation d'une troisième intervention chirurgicale correctrice le 18 octobre 2013, dont le tribunal a fait une juste appréciation en lui allouant une indemnité globale de 1 000 euros à ce titre.
9. En deuxième lieu, Mme C... présente un déficit fonctionnel permanent évalué à 8 % par l'expert, lié à une rigidité du gros orteil droit et une modification des appuis plantaires, dont le tribunal a également fait une juste appréciation, compte tenu de l'âge de l'intéressée à la consolidation de son état le 30 juin 2014, en l'évaluant à la somme de 8 000 euros.
10. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que Mme C... a enduré des souffrances, en lien avec les différentes interventions fautives, évaluées à 3 sur une échelle de 7, qui doivent être justement indemnisées par l'octroi d'une somme de 3 500 euros.
11. En quatrième lieu, le préjudice esthétique lié notamment aux cicatrices et à la déformation plantaire qu'elle subit, évalué à 3 sur 7, sera justement réparé par une indemnité de 3 500 euros.
12. En dernier lieu, le préjudice d'agrément de Mme C..., qui consiste en une restriction de ses activités de marche, de danse et de gymnastique, peut être justement apprécié par l'allocation d'une somme de 1 000 euros.
13. Il résulte de ce qui précède que Mme C... est fondée à demander que le montant total de la réparation que le centre hospitalier de Villefranche de Rouergue a été condamné à lui verser soit porté à la somme de 27 000 euros. En revanche, toute décision juridictionnelle prononçant une condamnation à une indemnité faisant courir les intérêts du jour de son prononcé jusqu'à son exécution, les conclusions de l'appelante tendant à ce que les sommes qui lui sont allouées portent intérêt à compter de la date de lecture du présent arrêt sont dépourvues d'objet et doivent être rejetées.
Sur les dépens :
14. Il résulte des dispositions non contestées du jugement que les frais des deux expertises ordonnées en référé par le président du tribunal administratif de Toulouse, taxés et liquidés à la somme totale de 1 520 euros, ont été mis à la charge du centre hospitalier de Villefranche de Rouergue.
Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :
15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue le paiement au conseil de Mme C... d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve pour Me G... de renoncer au bénéfice de la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle. En revanche, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de l'ONIAM présentée sur le même fondement.
D É C I D E :
Article 1er : L'indemnité que le centre de Villefranche de Rouergue a été condamné à verser à Mme C... est portée à la somme de 27 000 euros.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 8 mars 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er.
Article 3 : Les conclusions de la CPAM du Tarn sont rejetées.
Article 4 : L'ONIAM est mis hors de cause.
Article 5 : Le centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue versera au conseil de Mme C... une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, sous réserve pour Me G... de renoncer au bénéfice de la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... C..., au centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue, à la caisse primaire d'assurance maladie du Tarn, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des infections nosocomiales et des affections iatrogènes et à la mutuelle générale de l'éducation nationale.
Délibéré après l'audience du 26 mai 2020 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, président,
M. Thierry B..., premier conseiller,
Mme Marie-Pierre Beuve-Dupuy, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 23 juin 2020.
Le président de la 2ème chambre,
Catherine Girault
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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No 18BX01924