COUR SUPREME DU TOGO
CHAMBRE JUDICIAIRE ARRET N°085/22 du 20 octobre 2022 _________ Pourvoi N°131/RS/17 du 2 octobre 2017 AFFAIRE
La collectivité C
C/
Y Ai Z: MM BASSAH : PRESIDENT
KODA SAMTA MEMBRES AMOUSSOU-KOUETETE BODJONA* FIAWONOU : M.P. BISSETI-MARDJA : GREFFIER
REPUBLIQUE-TOGOLAISE Travail-Liberté-Patrie
« AU NOM DU PEUPLE TOGOLAIS »
AUDIENCE PUBLIQUE ORDINAIRE DU JEUDI VINGT OCTOBRE DEUX MILLE VINGT DEUX (20-10-22)
A l’audience de la chambre judiciaire de la Cour suprême, tenue au siège de ladite Cour, le jeudi vingt octobre deux mille vingt-deux, est intervenu l’arrêt suivant : LA COUR, Sur le rapport de monsieur Pignossi BODJONA, conseiller à la chambre judiciaire de la Cour suprême ; Vu l’arrêt n°141/06 en date du 26 octobre 2006 rendu par la chambre civile de la Cour d’appel de Lomé ; Vu la requête à fin de pourvoi de maître DOVI-GNAWOTO, avocat au barreau du Togo, conseil de la demanderesse au pourvoi ; Vu les mémoires en réponse et en réplique de maître Amégnon SOWOU, avocat au barreau du Togo, conseil du défendeur au pourvoi ; Vu les mémoires en réplique et en duplique de maître DOVI-GNAWOTO, conseil du demandeur au pourvoi ; Vu les conclusions écrites de monsieur A Ae Aa, 6ème avocat général près la Cour suprême ; Vu les autres pièces de la procédure ; Vu la loi organique n°97-05 du 6 mars 1997 portant organisation et fonctionnement de la Cour suprême et le décret n°82-50 du 15 mars 1982 portant code de procédure civile ; Ouï monsieur Pignossi BODJONA en son rapport ; Ouï maître DOVI-GNAWOTO, conseil de la demanderesse au pourvoi ;
Nul pour maître Amégnon SOWOU, conseil du défendeur au pourvoi, absent et non représenté ;
Le ministère public entendu ; Et après en avoir délibéré conformément à la loi ; Statuant en matière civile et en état de cassation sur le pourvoi formé le 2 octobre 2017 par maître DOVI GNAWOTO, avocat au barreau du Togo, agissant au nom et pour le compte de la collectivité AMEGNI, représentée par sieur X Ag Af, contre l’arrêt n°141/06 rendu le 26 octobre 2006 par la Cour d’appel de Lomé qui a infirmé, en toutes ses dispositions, le jugement n°29/02 en date du 16 mai 2002 et, statuant à nouveau, a déclaré sieur Y Ai propriétaire dudit terrain litigieux ; EN LA FORME
Attendu qu’il est demandé à la Cour de céans de déclarer irrecevable le pourvoi de la demanderesse au motif qu’il est formé hors délai, soit onze (11) ans après la signification de l’arrêt en cause ; qu’aucun recours en cassation n’a été formé dans le délai légal de deux (02) mois ayant suivi ladite signification ; que même, le greffier en chef de la Cour suprême a délivré au défendeur au pourvoi, sieur Y Ai, le certificat de non pourvoi n°001/07 le 15 janvier 2007 et dûment enregistré le 29 janvier 2007 ; Mais attendu qu’une lecture de l’acte de signification du 07 novembre 2006 permet de constater que le représentant de la collectivité AMEGNI n’a pas été touché en personne par ledit acte ; qu’il a plutôt été délaissé « au secrétaire de la collectivité AMEGNI, représentée par B Ac, ainsi déclaré devant le chef canton d’Asrama, qui a reçu copie de l’arrêt et refusé de viser l’original » ; qu’il apparaît clairement qu’aucune identité, à savoir nom et prénom, n’a été associée à ce secrétaire comme l’exige l’article 53-e du code de procédure civile ; qu’en outre, l’acte de signification ne fait nullement référence à l’article 53-g du même code aux termes duquel « tout acte judiciaire doit mentionner le délai dans lequel le destinataire doit comparaître ou peut exercer une voie de recours ou doit présenter ses prétentions ainsi que les modalités d’exercice de ses moyens de défense » ; Qu’il en résulte que les mentions substantielles de l’article 53-e et g du code de procédure civile font défaut, entraînant l’irrégularité de l’exploit ; que dans ces conditions, l’acte du 07 novembre 2006 doit être considéré comme n’avoir jamais été signifié de sorte que le délai de recours reste toujours ouvert pour la demanderesse au pourvoi ; qu’il suit que le pourvoi formé par la collectivité AMEGNI le 02 octobre 2017 contre l’arrêt n°141/06 rendu le 26 octobre 2006 doit être déclaré recevable en la forme ; AU FOND
Sur l’exception d’irrecevabilité des mémoires en réponse
Attendu qu’il est demandé à la Cour de céans de rejeter tous les mémoires en réponse de la collectivité AMOTOYI au motif que ladite collectivité qui n’est pas partie à la présente instance ne peut nullement déposer des écritures en réponse à la requête de pourvoi, conformément à l’article 4 du code de procédure civile ; que toute la procédure a été faite en première instance comme en appel par sieur Y Ai agissant en son nom propre et non au nom de la collectivité dont il serait le représentant ou membre ; Mais attendu que s’il est vrai que c’est le sieur Y Ai qui a été partie à la procédure de la Cour d’appel, après le décès de ce dernier en juin 2011, la collectivité AMOTOYI a, par acte en date du 13 septembre 2017, donné procuration aux nommés Y Ah et Y Aj pour agir en son nom ; que c’est d’ailleurs à cette collectivité que le conseil de la demanderesse au pourvoi a adressé un courrier en date du 11 janvier 2018 pour lui notifier le dossier de la présente procédure ; que c’est également à cette collectivité que la demanderesse au pourvoi a régulièrement communiqué ses mémoires en réplique et en duplique datés des 24 août 2020 et 30 avril 2021 ; qu’il en résulte que l’irrecevabilité alléguée doit être écartée, la situation donnant lieu à fin de non-recevoir ayant été régularisée ; qu’il y a lieu de recevoir lesdits mémoires en cause pour être examinés au fond ; Sur le troisième moyen
Vu l’article 9 de l’ordonnance n°78-35 du 07 septembre 1978 portant organisation judiciaire au Togo ; Attendu qu’il ressort dudit article que « Les jugements et arrêts doivent être motivés à peine de nullité… » ; Attendu que des énonciations de l’arrêt attaqué et des pièces du dossier, il ressort que la collectivité C et sieur Y Ai se disputent la propriété d’un vaste domaine foncier sis à 3 km du canton d’Asrama à Ad, limité à l’ouest par le marigot Asrama, au sud par la route Notsè-Tohoun, à l’est par le chemin Asrama-Agbekahoe et au nord par la propriété des collectivités Adjakpohoe et Atigbe ; que chacune des parties revendique son droit de propriété sur le terrain litigieux, soit par voie d’héritage ou par voie de première occupation de son ancêtre ; Que par jugement n°29/02 rendu le 16 mai 2002, le Tribunal de première instance de Notsè, après transport sur les lieux litigieux, a déclaré le terrain en cause propriété de la collectivité AMEGNI par voie d’héritage ; Que pour infirmer en toutes ses dispositions ledit jugement et déclarer le sieur Y Ai propriétaire dudit terrain, la Cour d’appel de Lomé, également après transport sur les mêmes lieux litigieux et suivant arrêt n°141/06 rendu le 26 octobre 2006, a retenu qu’il « est constant tel qu’il ressort des éléments du dossier de la procédure, notamment des déclarations de l’appelant confirmées par les témoins principalement les limitrophes dont les témoignages sont préférables à tout autre témoignage, que la collectivité AMOTOYI a une emprise sur la parcelle querellée ; que plus encore, les constatations matérielles telles que les cultures pérennes … constituent des éléments de preuve irréfutables de leur emprise sur le terrain » ; Attendu que c’est à tort que la Cour d’appel a statué ainsi, alors que nulle part dans le procès-verbal de transport en date du 14 octobre 2005, elle n’a constaté lesdites cultures pérennes ; Attendu que parmi les cas d’ouverture à cassation devant la haute juridiction, figure la dénaturation qui est une erreur des juges du fond ayant donné à un document de la cause, pourtant clair et précis, un sens qu’il n’avait pas ; qu’il s’agit de la déformation d’un écrit ne nécessitant aucune autre interprétation ; Qu’il apparait en l’espèce que les juges d’appel ont inséré dans leur décision des éléments étrangers au procès-verbal de transport du 14 octobre 2005 et qui ont considérablement influencé leur décision dans la mesure où en matière coutumière, il est acquis que l’auteur des cultures pérennes est toujours présumé être propriétaire du terrain qui les supporte ; que ces cultures pérennes matériellement constatées dont ils font état et qui constituent, selon eux, des éléments de preuve irréfutables de l’emprise sur le terrain du sieur Y Ai ne transparaissent nulle part dans ledit procès-verbal ; que, bien que le procès-verbal de transport soit un ensemble de faits laissé à la libre appréciation des juges du fond, celui du 14 octobre 2005 a été, d’une manière flagrante, déformé et dénaturé par la Cour d’appel ; qu’en dénaturant ainsi ledit procès-verbal de transport, ils ont manqué de donner de base légale à leur arrêt, violant ainsi les dispositions de l’article susvisé ; qu’il suit que le moyen est fondé et que l’arrêt attaqué mérite cassation et annulation ; Attendu que les éléments du dossier sont suffisamment édifiants ; que point n’est plus besoin de renvoyer cause et parties devant la Cour d’appel autrement composée ; qu’il y a lieu de dire que le jugement n°29/02 rendu le 16 mai 2002 par le Tribunal de première instance de Notsè produira ses pleins et entiers effets ; Attendu que la partie qui succombe doit être condamnée aux dépens comme l’exige l’article 401 du code de procédure civile ; PAR CES MOTIFS
Statuant contradictoirement, publiquement, en matière civile et en état de cassation ; EN LA FORME
Reçoit le pourvoi ; AU FOND
Casse et annule, sans renvoi, l’arrêt n°141/06 rendu le 26 octobre 2006 par la Cour d’appel de Lomé ;
Dit que le jugement n°29/02 rendu le 16 mai 2002 par le Tribunal de première instance de Notsè produira ses pleins et entiers effets ; Ordonne la restitution de la taxe de pourvoi ; Condamne la défenderesse au pourvoi aux dépens ; Ordonne que mention du présent arrêt soit faite en marge ou au pied de la décision critiquée ; Ainsi fait, jugé et prononcé par la chambre judiciaire de la Cour suprême, en son audience publique ordinaire du jeudi vingt octobre deux mille vingt-deux et à laquelle siégeaient : Monsieur Agbenyo Koffi BASSAH, président de la chambre judiciaire de la Cour suprême, PRESIDENT ; Messieurs Koffi KODA, Badjona SAMTA, Anani AMOUSSOU-KOUETETE et Pignossi BODJONA, tous quatre, conseillers à la chambre judiciaire de la Cour suprême, MEMBRES ; En présence de monsieur Yaovi Ab FIAWONOU, avocat général près la Cour suprême ; Et avec l’assistance de maître Tilate BISSETI-MARDJA, greffier à la Cour suprême, GREFFIER ; En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par le Président et le Greffier. /.