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16/06/2016 | TOGO | N°070/16

Togo | Togo, Cour suprême, Chambre judiciaire, 16 juin 2016, 070/16


Texte (pseudonymisé)
AUDIENCE PUBLIQUE ORDINAIRE DU JEUDI SEIZE JUIN DEUX MILLE SEIZE (16-06-2016)

A l’audience publique ordinaire de la chambre judiciaire de la Cour suprême, tenue au Siège de la Cour à Lomé, le jeudi seize juin deux mille seize, est intervenu l’arrêt suivant :

LA COUR,

Sur le rapport de Monsieur Ananou Galley Gbeboumey EDORH, conseiller à la chambre judiciaire de la Cour suprême ;

Vu l’arrêt N°25/11 rendu en matière civile le 15 mars 2011 par la Cour d’Appel de Ah ;

Vu la requête afin d

e pourvoi de maître Abravi WOANA-TCHALIM, conseil du demandeur au pourvoi ;

Vu le mémoire ...

AUDIENCE PUBLIQUE ORDINAIRE DU JEUDI SEIZE JUIN DEUX MILLE SEIZE (16-06-2016)

A l’audience publique ordinaire de la chambre judiciaire de la Cour suprême, tenue au Siège de la Cour à Lomé, le jeudi seize juin deux mille seize, est intervenu l’arrêt suivant :

LA COUR,

Sur le rapport de Monsieur Ananou Galley Gbeboumey EDORH, conseiller à la chambre judiciaire de la Cour suprême ;

Vu l’arrêt N°25/11 rendu en matière civile le 15 mars 2011 par la Cour d’Appel de Ah ;

Vu la requête afin de pourvoi de maître Abravi WOANA-TCHALIM, conseil du demandeur au pourvoi ;

Vu le mémoire en réponse de maître Yobé SAMBIANI, conseil de la défenderesse au pourvoi ;

Vu le mémoire en réplique de maître WOANA-TCHALIM, conseil du demandeur au pourvoi ;

Vu les conclusions écrites de Monsieur le Troisième Avocat Général ;

Vu les autres pièces de la procédure ;

Vu la loi organique N°97-05 du 06 mars 1997 portant organisation et fonctionnement de la Cour Suprême et le décret N°82-50 du 15 mars 1982 portant code de procédure civile ;

Ouï le conseiller Ananou Galley Gbeboumey EDORH en son rapport ;

Ouï maître WOANA-TCHALIM, conseil du demandeur au pourvoi ;

Ouï C SAMBIANI, conseil de la défenderesse au pourvoi ;

Le Ministère Public entendu ;

Et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Statuant en matière civile sur le pourvoi formé le 9 décembre 2011 par maître WOANA-TCHALIM, Avocat à la Cour, agissant au nom et pour le compte de son client, le sieur X Ad, demeurant à Ah, quartier Agnarim, contre l’arrêt N°025/2011 rendu le 15 mars 2011 par la chambre civile de la Cour d’appel de Ah qui a infirmé le jugement N°133/2006 du 05 octobre 2006 du Tribunal de première instance de Ah, lequel a débouté de sa demande en revendication de droit de propriété, la collectivité AGAO Kananayo, représentée par les sieurs Z Ac et Z Ag, tous deux demeurant et domiciliés à Ah quartier Kpélowari-Tcharè, assistés de maître SAMBIANI, Avocat à la Cour, sur le domaine de terrain de 11ha 33a 54ca sis à Ah au lieudit Tchannadè ;

EN LA FORME

Attendu que tous les actes du pourvoi ont été faits et produits dans les forme et délai légaux ; qu’il ya lieu de déclarer le pourvoi recevable ;

AU FOND

Attendu qu’il ressort de l’arrêt infirmatif attaqué que les membres de la collectivité AGAO Al, originaires de Tcharè, exploitent un domaine de terrain situé à Ah près de la rivière Aa dans le canton de Ai et soutiennent que le terrain est leur propriété pour l’avoir hérité de leur arrière-grand-père Z Ak qui y a été installé par le colonisateur depuis 1901 ; qu’il s’agissait d’une terre inculte que celui-ci et sa descendance ont mis en valeur par première occupation ;

Attendu que le nommé X Ad, membre de la collectivité de Ai revendique le domaine comme sa propriété qu’il a héritée de son père et expose que c’est à titre précaire que celui-ci avait autorisé Al à l’occuper et exploiter suite à son exil forcé pour cause de sorcellerie ; que le terrain donné par le colon à l’auteur de ses adversaires se trouve ailleurs ; que celui-ci n’a habité le domaine litigieux qu’en très peu de temps ; que c’est lui-même qui y a accueilli à titre précaire les enfants de celui-ci bien après son décès et que les descendants de son hôte ne peuvent en devenir propriétaires ;

Attendu que le Tribunal de Ah saisi a débouté la collectivité AGAO Kananayo de sa demande en revendication de droit de propriété ; que sur recours, la Cour d’appel a infirmé le jugement et reconnu son droit de propriété sur le domaine litigieux dans son arrêt contre lequel le sieur X s’est pourvu en cassation en articulant son action autour de trois moyens ;

Sur le premier moyen tiré de la violation de l’article 46 du code de procédure civile : le défaut de base légale

Attendu que le demandeur reproche à l’arrêt critiqué d’avoir infirmé le jugement sur le fondement d’une application erronée de la loi par le premier juge alors que ledit arrêt n’indique pas la loi dont il s’agit et en quoi son application est erronée ; que le défaut d’indication de la loi applicable d’une part, viole l’article 46 du code de procédure civile qui soumet le juge à une telle obligation et, d’autre part, met la Cour suprême dans l’impossibilité d’apprécier la solution dégagée ; que le jugement N°69/04 du 16 septembre 2004 dans lequel le Tribunal a reconnu, au profit de la collectivité de Tcharè, le droit de propriété sur un terrain litigieux dans le milieu est inopérant en l’espèce, dans la mesure où le procès dont il avait été question opposait deux collectivités voire deux cantons, alors que la présente espèce oppose des individus ;

Mais attendu que pour trancher le litige, la Cour d’appel avait déclaré « qu’il résulte de tout ce qui précède que le premier juge avait fait une mauvaise appréciation des faits de la cause et une mauvaise application de la loi » ; que la Cour a tiré cette conclusion après avoir, entre autres, constaté «qu’il résulte des faits et circonstances de la cause corroborés par des déclarations concordantes des parties et des témoins ainsi que des constations matérielles, le tout appuyé par un droit de tenure se manifestant par la mise en valeur des lieux, que le domaine revendiqué est et demeure la propriété pleine et entière de la collectivité AGAO Kananayo » ;... « que le terrain litigieux fait partie d’un vaste domaine sur lequel le jugement N°69/04 du 16 septembre 2004 a déjà confirmé le droit de propriété de la collectivité de Tcharè dont est membre l’appelant (AGAO) ; que ce jugement antérieur à la décision attaquée n’ayant fait l’objet d’aucune voie de recours, a acquis autorité de chose jugée » ;

Attendu qu’il apparaît clairement que la Cour d’appel qui a fondé son arrêt sur l’interprétation des faits et la règle de l’autorité de la chose jugée a donné une base légale à sa décision ; qu’ainsi, l’article 46 du code de procédure sus évoqué n’a pas été violé ; d’où il suit que le premier moyen n’est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen tiré de la violation de la coutume A

Attendu que le demandeur fait grief à l’arrêt critiqué d’avoir violé la coutume A selon laquelle le droit de propriété d’un terrain s’acquiert par première occupation et non pas par installation ; qu’en 1901, au moment où l’administration coloniale installait les ressortissants de Tcharè sur le domaine litigieux, celui-ci était déjà occupé par les populations de Ai dont est issue le demandeur ; qu’en l’absence d’une preuve matérielle intangible d’occupation par les parties, seules les déclarations des témoins devraient servir de fondement à l’arrêt de la Cour ; que lors du transport sur les lieux, les témoins les plus âgés à l’instar de AG Ae, BIKILI Bagnékéla ont déclaré que les parents du demandeur au pourvoi en ont été les premiers occupants ; que l’arrêt aurait dû dire pourquoi il écartait les déclarations du demandeur au profit de celles de la défenderesse pour privilégier ses réalisations matérielles, étant entendu qu’en coutume A, mêmes les personnes installées à titre précaire ont le droit d’exploitation et de mise en valeur sur les terres d’accueil ; qu’en décidant malgré tout que la collectivité AGAO a acquis le terrain du fait de son installation par le colonisateur à un moment où il était une forêt vierge, la Cour d’appel a violé la coutume sus-évoquée ;

Mais attendu qu’en coutume A, celle applicable en la cause, la terre appartient au premier occupant mais lorsque deux personnes se disputent la propriété d’une terre sur la base de la première occupation, il revient au juge d’apprécier les éléments de preuve de chacune des parties pour trancher le litige ;

Attendu que pour juger les contestations relatives aux différents arguments d’occupation du domaine, la Cour a retenu « qu’il ressort des éléments du procès-verbal que la collectivité AGAO a toujours vécu sur les lieux qu’elle a exploités de façon paisible, continue et sans équivoque à titre de propriétaire sans contestation aucune ; que cette assertion est corroborée par des constatations matérielles relevées sur le terrain litigieux où il existe des ruines des habitations des grands parents de l’appelante, des arbres tels que les nérés, les irokos, les cocotiers, les palmiers à huile, et les manguiers plantés par ces derniers, il y a très longtemps ; que par contre, il n’a été relevé sur les lieux querellés aucun vestige appartenant à la famille de l’intimé ; que ce n’est que courant 1998 que l’intimé qui a commencé par élever des velléités de droit de propriété sur ledit immeuble, venait exercer des actes de violence sur les membres de la collectivité appelante… ; que l’intimé ne saurait être fondé à invoquer le témoignage du nommé AGAO Tchékou… » ;

Attendu qu’il ressort de cette analyse que, face aux déclarations contradictoires des parties sur la propriété du domaine, le juge d’appel a privilégié l’examen des éléments matériels et a retenu que les ruines d’habitation et les arbres pérennes appartiennent à l’appelante ; qu’il a, ensuite, fait le tri entre les témoignages pour établir que l’occupation et l’exploitation des lieux par l’appelante ont été paisibles et continues sur plusieurs générations, près d’un siècle ; que son analyse qui est conforme à la démarche d’un juge de fond devant démêler les écheveaux de témoignages en matière foncière, l’a conduit à établir que la défenderesse est la première occupante des lieux et lui en attribuer la propriété ; qu’ainsi, la coutume A applicable en la cause n’a été en rien violée ; qu’il suit que le deuxième moyen n’est pas fondé ;

Sur le troisième moyen tiré de la violation de l’article 1347 du code civil

Attendu que le demandeur critique l’arrêt pour avoir écarté des débats, le plan parcellaire de situation du terrain qui en précise les limites et montre que le domaine appartient au demandeur en déclarant qu’il n’a pas été ordonné par la Cour et signé, alors qu’il constitue un commencement de preuve par écrit suivant les dispositions de l’article 1347 du code civil ; qu’il précise que le titulaire d’un droit n’a pas besoin de l’autorisation d’un juge pour en jouir ;

Attendu qu’en appréciant le caractère probant du plan parcellaire, la Cour d’appel a déclaré que « le plan de situation parcellaire ne saurait fonder le droit de propriété de l’intimé…du fait qu’il n’a été ordonné par une décision de justice, n’a aucune valeur probante » ;

Attendu que cette affirmation de la Cour se situe dans une chaîne d’analyses où elle avait eu à constater que les éléments matériels ont une stabilité pour conférer la propriété du domaine et pour conforter son analyse, elle a soupesé les autres éléments de preuve qui pourraient résister à ses conclusions ; qu’ainsi, après les témoignages, elle a examiné l’écrit et constaté qu’il n’avait pas été ordonné en justice et les témoignages pouvant le conforter se sont révélés, non pertinents ; qu’elle a alors déclaré ledit écrit sans aucune valeur probante ;

Attendu que cette analyse est conforme aux modalités d’appréciation des éléments de preuve par un juge du fond, sans oublier le fait que selon les dispositions de l’article 1347 du code civil, ce n’est pas l’auteur de l’écrit qui pourrait s’en prévaloir comme un commencement de preuve mais plutôt son contradicteur ; qu’il y a lieu d’en déduire que l’article 1347 du code civil n’est pas violé et de conclure que le troisième moyen n’est non plus fondé ;

Attendu qu’il convient de tenir compte de ce qui précède pour dire qu’aucun moyen n’étant fondé, il échet de rejeter le pourvoi ; que le demandeur ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens ;

PAR CES MOTIFS

Statuant contradictoirement, publiquement en matière civile et en état de cassation ;

EN LA FORME

Reçoit le pourvoi ;

AU FOND

Le déclare mal fondé et le rejette ;

Prononce la confiscation de la taxe de pourvoi ;

Condamne le demandeur au pourvoi aux dépens ;

Ordonne que mention du présent arrêt soit faite en marge ou au pied de la décision attaquée ;

Ainsi fait, jugé et prononcé par la Chambre Judiciaire de la Cour Suprême, en son audience publique ordinaire du jeudi seize juin deux mille seize (16-06-2016) à laquelle siégeaient :

Monsieur Agbenyo Koffi BASSAH, Conseiller à la Chambre Judiciaire de la Cour Suprême, PRESIDENT ;

Messieurs Essozinam ADI-KPAKPABIA, Ananou Galley Gbeboumey EDORH, Koffi DEGBOVI et Léeyé Koffi BLAMCK, tous quatre Conseillers à ladite Chambre, MEMBRES ;

En présence de Madame AH Af Ab, Premier Avocat Général près la Cour Suprême ;

Et avec l’assistance de Maître Awié ATCHOLADI, Attaché d’Administration, Greffier à ladite Cour, GREFFIER ;

En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par le Président et le Greffier

PRESENTS : MM
BASSAH : PRESIDENT
ADI-KPAKPABIA, EDORH, BLAMCK, DEGBOVI Membres
Y : M. Aj
B : GREFFIER

POURVOI N°145/RS/11 DU 09 DECEMBRE 2011


Synthèse
Formation : Chambre judiciaire
Numéro d'arrêt : 070/16
Date de la décision : 16/06/2016

Parties
Demandeurs : ADJETA Lakignang (Me WOANA-TCHALIM)
Défendeurs : Collectivité AGAO Kananayo représentée par AGAO Tchito et AGAO Essohouna (Me SAMBIANI)

Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;tg;cour.supreme;arret;2016-06-16;070.16 ?
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