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15/06/2023 | ROUMANIE | N°1170

Roumanie | Roumanie, Haute cour de cassation et de justice, 15 juin 2023, 1170


ROUMANIE
LA HAUTE COUR DE CASSATION ET DE JUSTICE
1 ÈRE CHAMBRE CIVILE

Arrêt no 1170 Dossier no x/2/2022

Audience publique du 15 juin 2023

Le recours introduit par la demanderesse A. S.R.L., représentée par son administrateur B., contre l’arrêt n° 1114 A du 11 juillet 2022, rendu par la Cour d'Appel de Bucarest, Troisième Chambre Civile et pour les causes concernant les mineurs et la famille.
La requérante-demanderesse A. S.R.L., représentée par son administrateur B. et par l'avocat C., l’intimé-défendeur, l'Ét

at Roumain, représentée par le Ministère des Finances, sont présents.
La procédure de cita...

ROUMANIE
LA HAUTE COUR DE CASSATION ET DE JUSTICE
1 ÈRE CHAMBRE CIVILE

Arrêt no 1170 Dossier no x/2/2022

Audience publique du 15 juin 2023

Le recours introduit par la demanderesse A. S.R.L., représentée par son administrateur B., contre l’arrêt n° 1114 A du 11 juillet 2022, rendu par la Cour d'Appel de Bucarest, Troisième Chambre Civile et pour les causes concernant les mineurs et la famille.
La requérante-demanderesse A. S.R.L., représentée par son administrateur B. et par l'avocat C., l’intimé-défendeur, l'État Roumain, représentée par le Ministère des Finances, sont présents.
La procédure de citation est légalement accomplie.
Le magistrat-adjoint a fait l’exposé de la requête, indiquant que le recours a été formulé dans le délai légal et que la requérante a présenté la preuve du paiement du timbre judiciaire, ainsi que l'adresse informant la Haute Cour que le siège social de la société a été changé, le nouveau siège se trouvant dans le village de Gălănești nr. (...), commune de Gălănești, comté de Suceava.
L'avocat C., pour la requérante, demande que toutes les communications continuent à être effectuées au lieu choisi pour la procédure, à savoir au Cabinet de l'avocat D., la modification ne portant que sur le siège social de la requérante.
La Haute Cour note le changement du siège social de la requérante S.C. A. S.R.L., par l'intermédiaire de son administrateur B., à savoir le village de Gălănești, n° (...), commune de Gălănești, département de Suceava.
En l'absence de questions préliminaires, la Haute Cour estime que l'affaire se trouve prête à être jugée et donne l'autorisation d'introduire le pourvoi.
L'avocat C. demande qu'il soit fait droit au pourvoi, conformément à ce qui a été exprimé par écrit.
La conclusion de la Cour d'appel selon laquelle le principe ne bis in idem n'a pas été dépassé repose sur une restriction injustifiée de la dimension subjective de ce concept juridique. L'interprétation correcte de ce principe doit être analysée à la lumière de la décision de la CJUE dans l'affaire Nassau/Pays-Bas, qui a estimé qu'il n'y avait pas lieu d'établir une distinction entre deux entités lorsqu'une personne possède l'intégralité des actions d'une personne morale et qu'elle est également administrateur de cette société. Par conséquent, la portée de la condition d'identité subjective du principe ne bis in idem doit être déterminée par référence aux considérations de la CJUE, et il est nécessaire d'examiner l'incidence de ce principe lorsque la personne morale est entièrement détenue et gérée par une personne physique.
Selon cette interprétation, en l'espèce, la même personne exerce la direction de la société et détient également toutes les actions de celle-ci, ce qui entraîne une identité subjective et une violation de ce principe, contrairement aux considérations de la Cour d'appel.
En outre, il résulte, en résumé, de l'ensemble de la législation européenne, telle qu'interprétée par l'arrêt Paper Consult S.R.L., que l'inactivité fiscale d'un assujetti ne peut justifier un refus de réaliser le droit à déduction, mais que ce refus ne peut être fondé que sur des éléments objectifs de fraude ou d'abus.
Elle souligne qu'en l'espèce, le caractère fictif repose sur un doute essentiellement dépourvu de tout caractère objectif et que le refus des autorités roumaines se fonde précisément sur l'inactivité publique et accessible d'un fournisseur.
En conclusion, contrairement aux considérations de la Cour d'appel, il maintient que la Directive n° 112/2006 a été méconnue. Les parties supporteront leurs propres dépens.
La Haute Cour, constatant que la présente affaire a été tranchée à tous égards et en déclarant que les débats sont terminés, retient l'affaire pour prononcer la solution du pourvoi introduit par la demanderesse A. S.R.L.
Après en avoir délibéré,

LA HAUTE COUR,

Sur l’affaire ci-présente, constate les éléments suivants :

I. Les circonstances de l'affaire
1. L'objet de l'affaire

Par la requête introduite devant le Tribunal de Bucarest, Cinquième Chambre Civile, le 18 mars 2019, la demanderesse A. S.R.L. a demandé que la partie défenderesse, l'État roumain, par l'intermédiaire du Ministère des finances publiques, soit condamnée à payer la somme de 1 167 833,79 RON, représentant le préjudice matériel causé par la violation du droit communautaire, et que la partie défenderesse soit condamnée aux dépens.
2. Le Jugement du Tribunal de Bucarest
Par le Jugement n° 190 du 12 février 2021, le Tribunal de Bucarest, Cinquième Chambre Civile, a rejeté le recours introduit par le demandeur A. S.R.L., comme mal fondée.
3. L'arrêt de la Cour d'appel de Bucarest
Par l'arrêt n° 1114 A du 11 juillet 2022, la Cour d'appel de Bucarest, Troisième Chambre Civile et pour les affaires concernant les mineurs et la famille, a rejeté l'appel introduit par l'appelante-demanderesse contre le Jugement du 19 janvier 2021 comme mal fondé, a admis l'appel introduit par l'appelante-demanderesse A. S.R.L., représentée par l'administrateur judiciaire Cabinet individuel de l'insolvabilité « E. » et l'administrateur spécial B., contre le Jugement civil n° 190/12.02.2021, rendu par le Tribunal de Bucarest, Cinquième Chambre Civile, a annulé le jugement attaqué et, en se référant au fond, a rejeté le recours comme mal fondé.
4. Le recours introduit dans l'affaire
La demanderesse A. S.R.L., par son administrateur B a formulé un recours contre l'arrêt n° 1114 A du 11 juillet 2022, rendu par la Cour d'appel de Bucarest, Troisième Chambre Civile et pour les affaires concernant les mineurs et la famille.
Subsumé au moyen de cassation prévu par l'art. 488 para. (1) point 8) du Code de procédure civile, la requérante soutient que l'arrêt attaqué a été rendu en violation des dispositions de l'article 4 du Protocole n° 7 de la Convention européenne des droits de l'homme et de l'article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, interprétées conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et de la Cour de justice des Communautés européennes.
Dans son pourvoi, la requérante soutient que la conclusion de la Cour d'appel selon laquelle le principe ne bis in idem ne peut être considéré comme violé en l'espèce n'est pas fondée.
S'appuyant sur les dispositions des articles 218 et 219 du Code civil, la requérante fait valoir que l'administrateur de la société a agi en tant qu'organe de gestion de A. S.R.L., au nom et dans l'intérêt de la société, ce qui équivaut au fait que l'acte qu'il aurait commis est l'acte de la demanderesse. Dans ce contexte, la requérante fait valoir que le rapport du 25 juillet 2013, confirmé par la résolution du 7 août 2013, indiquait que l'administrateur de la société avait enregistré dans les comptes toutes les transactions effectuées et n'avait pas enregistré de dépenses reposant sur des transactions fictives.
En même temps, en ce qui concerne les dispositions de l'article 135 para. (1) du Code pénal, la requérante déclare que la commission d'une infraction pénale par une personne morale dans l'accomplissement de son objet social signifie qu'un organe, un agent ou un représentant de la personne morale a commis une infraction dans le cadre de la mise en œuvre pratique des activités que, conformément à la loi, aux actes constitutifs ou aux actes d'organisation et de fonctionnement, la personne morale peut exercer.
Une infraction est commise au nom d'une personne morale si la personne physique qui réalise l'élément matériel de l'infraction agit en tant qu'organe, agent ou représentant officiellement désigné de la personne morale, et sans que l'infraction soit commise dans le cadre de l'accomplissement de l'objet social de la personne morale ou pour le compte de celle-ci.
Selon la requérante, la détermination de la culpabilité des personnes physiques qui composent les organes de la personne morale équivaut à la détermination de la culpabilité de la personne morale concernée. Si l'infraction n'est pas commise par les organes de la personne morale, mais par ses représentants ou ses auxiliaires, la culpabilité de la personne morale est établie par référence au comportement de ses organes.
La requérante fait valoir que les autorités fiscales ont l'habitude d'engager des poursuites pénales pour des délits de fraude fiscale directement contre les organes de direction de la société, la responsabilité pénale de la personne morale étant une fiction juridique qui n'est pas perceptible par les autorités fiscales.
En même temps, l'identité de responsabilité pénale pour fraude fiscale résulte aussi de la suspension par l'autorité fiscale de la résolution du recours administratif introduit par le requérant contre la décision de taxation n° F-SV 1579/12.12.2012, jusqu'à la résolution de l'affaire pénale formée à la suite de la plainte pénale introduite par l'autorité fiscale, en vertu de l'art. 214 al. (1), a) du Code de procédure fiscale.
La jurisprudence de la CEDH, mentionnée par la cour d'appel elle-même, est contraire aux motifs de l'arrêt attaqué, selon lesquels les conséquences ou les effets juridiques de la poursuite de la personne physique, organe directeur de la personne morale, pour un acte prétendument commis au nom de la personne morale ou dans le cadre de l'exercice de ses activités, ne sont pas pertinents.
En ce qui concerne les questions tranchées dans l'affaire Nassau Verzekering Maatschappij N.V./Pays-Bas, la requérante souligne que le représentant, M. B., détient 100 % des actions de la requérante et qu'il est également administrateur de la société, de sorte que les infractions pénales pour lesquelles il a été poursuivi étaient également liées à la requérante, et que la société et son représentant sont identiques dans les circonstances pertinentes de l'affaire.
La requérante fait valoir que les faits pour lesquels le représentant de la requérante a été poursuivi - l'infraction de fraude fiscale en vertu de sa qualité d'administrateur ou d'organe de gestion de la société - étaient étroitement liés dans le temps et dans l'espace aux faits pour lesquels la société a été sanctionnée administrativement, mais pénalement au sens autonome européen - l'inscription dans la comptabilité de dépenses ne reposant pas sur des opérations réelles.
En invoquant les dispositions de l'art. 9 para. (1), c) de la Loi n° 241/2005 et les conclusions contenues dans le rapport avec la proposition de ne pas engager de poursuites pénales en date du 25 juillet 2013, émis dans l'affaire pénale n°. x/P/2013, confirmé par le procureur général, par résolution en date du 7 août 2013, le requérant soutient que, étant donné que les autorités de poursuite pénale ont définitivement établi que la société a enregistré dans sa comptabilité toutes les opérations effectuées et que ces opérations sont réelles, et que les éléments constitutifs de l'infraction de fraude fiscale ne sont pas réunis, il s'ensuit que l'acte allégué par l'administration fiscale n'existe pas, à savoir que les opérations effectuées par le requérant ne sont pas fictives. Par conséquent, les considérants de l'arrêt attaqué concernant les prétendues opérations fictives entre la requérante et des sociétés tierces ne correspondent pas à la vérité juridique.
A la lumière des dispositions de l'article 9, para. 1, b) et c) de la Loi no 241/2005, la requérante soutient que l'aspect objectif de l'infraction de fraude fiscale est constitué par la réduction frauduleuse de la base imposable lorsque l'objet de l'impôt est la valeur d'un bien déterminé, le montant d'un revenu ou d'une activité ou d'une opération génératrice de revenus. Les transactions fictives ou les dépenses fictives sont des dettes et des dépenses qui ne reposent pas sur une transaction réelle.
Au soutien de son argumentation, la requérante s'appuie sur la définition de la fraude fiscale donnée par la doctrine, ainsi que sur la jurisprudence de la Haute Cour de Cassation et de Justice (arrêt n° 272/28 janvier 2013, rendu par la Chambre criminelle), relative à la notion d'« opération fictive ».
La requérante fait également valoir que, dans le cas de l'infraction de fraude fiscale visée à l'article 9, b) et c), de la Loi no 241/2005, il n'y a pas lieu de considérer que l'infraction a été commise dans le cadre d'une opération fictive.
Puisqu'il a été jugé que la réduction de la base imposable existe, mais qu'elle n'a pas été réalisée frauduleusement et qu'elle n'a pas été réalisée au moyen d'opérations fictives, il est évident que l'ordonnance de clôture est un document déterminé, puisque le tribunal administratif n'aurait pas pu juger qu'« il existe des éléments qui prouvent la nature fictive des transactions entre le demandeur et les sociétés respectives », « il y a un soupçon raisonnable de la nature fictive des opérations en question ».
D'autre part, l'appelante fait valoir que la cour d'appel a rejeté, comme non fondée, la critique de la société selon laquelle la Cour d'appel de Suceava, par son arrêt n° 2174/09.10.2017, aurait violé la directive 2006/112/CE, telle qu'interprétée par la CJUE, par son arrêt du 19.10.2017, dans l'affaire C-101/16 Paper Consult S.R.L.
La directive 2006/112/CE s'oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée est refusé à un assujetti au motif que le prestataire de services a été déclaré inactif par les autorités fiscales d'un État membre, cette déclaration d'inactivité étant publique et accessible sur Internet à tout assujetti dans cet État, lorsque ce refus du droit à déduction est systématique et définitif, rendant impossible la constatation de l'absence de fraude ou de perte de recettes fiscales.
La requérante n'a pas initié et n'a pas participé directement ou indirectement à une fraude fiscale ou à la réalisation de pertes fiscales, mais toutes les opérations économiques et commerciales effectuées par la société ont été correctement enregistrées dans les livres comptables avec les documents fiscaux (ce qui est confirmé dans le rapport d'inspection fiscale No F-IS 61/31.07.2017), et le fait que les fournisseurs ont été inclus dans la liste des contribuables inactifs par les autorités fiscales ne peut pas être considéré comme un acte illégal, qui peut être imputé à la requérante.
L'appelante fait valoir qu'elle n'a pas poursuivi la fraude fiscale, qu'elle n'avait pas non plus connaissance du fait que certains des fournisseurs avaient été déclarés fiscalement inactifs ou s'étaient livrés à des activités fiscalement illégales, et qu'elle n'était pas tenue de vérifier ces éléments, et qu'elle s'est donc trompée sur l'inactivité des sociétés des contractants (décision Paper Consult de la CJUE, point 71). Ces aspects sont également évidents dans la résolution et le rapport dans l'affaire n° x/P/2013.
Dans la Jugement civil n° 2174/09.10.2017, le tribunal a retenu « un soupçon raisonnable quant à la nature fictive des opérations concernées (...) “, ce qui ne correspond pas à la notion d” »éléments objectifs » découlant des principes établis par la CJUE.
En résumant les arguments contenus dans le pourvoi, le requérant conclut que les autorités de poursuite pénale ont considéré que la société n'avait pas commis le délit de fraude fiscale, qu'il y a eu une seconde procédure pénale (au sens européen autonome), consistant en une procédure administrative, dans laquelle des sanctions fiscales de nature pénale ont été imposées au requérant, qui ont été confirmées par les juridictions nationales par un arrêt définitif rejetant le recours de la requérante, et les juridictions nationales ont confirmé le refus systématique et définitif du droit à déduction sur la base de la présomption que la liste des contribuables inactifs avait été rendue publique par l'administration fiscale, ce qui rendait impossible la preuve de l'absence de fraude ou de perte de revenus fiscaux.
En conséquence, la requérante soutient que la Cour d'appel a rendu son arrêt en violation de l'article 4 du Protocole n° 7 de la CEDH et de l'article 50 de la Charte, puisque deux procédures pénales parallèles ont été menées pour la même infraction, à savoir l'inscription en comptabilité de dépenses relatives à des opérations fictives, en violation du droit communautaire. En outre, l'arrêt attaqué a été rendu en violation de la directive 2006/112/CE, telle qu'interprétée par la CJUE dans sa décision Paper Consult S.R.L., qui s'oppose à un refus de déduction au seul motif que la déclaration d'inactivité d'un fournisseur est publique et accessible sur Internet à tout assujetti.
Au vu de ce qui précède, la requérante demande qu'il soit fait droit au pourvoi, que le Jugement attaqué soit annulé et que l'affaire soit renvoyée devant la Cour d'appel pour réexamen.
5. Les défenses soulevées dans l'affaire
L'intimé n'a pas déposé son mémoire en défense.
6. La procédure devant la Haute Cour de Cassation et de Justice
Par une résolution du 21 mars 2023, l'audience a été fixée au 15 juin 2023, en audience publique, les parties étant convoquées, pour la solution du recours.
II. La solution et les considérants de la Haute Cour de Cassation et de Justice
En examinant l'arrêt attaqué, à la lumière des critiques formulées et en se référant aux actes et documents du dossier ainsi qu'aux dispositions légales applicables, la Haute Cour constate que le motif de recours prévu à l'article 488 alinéa (1) p. 8) C. proc. civ. (1) p. 8) C. proc. civ. - violation du principe ne bis in idem et violation de la directive 2006/112/CE par la Cour d'appel de Suceava, par arrêt civil n° 2174/09.10.2017.
Le recours n'est pas fondé pour les raisons exposées ci-dessous.
a) La requérante a soutenu que, en menant une procédure administrative de nature pénale européenne autonome et une enquête pénale pour le délit d'évasion fiscale, il y avait un double procès pour des faits identiques ou essentiellement les mêmes, impliquant la même personne et inextricablement liés dans le temps et l'espace, en violation du principe ne bis in idem, prévu par l'article 4 du Protocole n° 7 à la CEDH et l'article 50 de la Charte des Droits Fondamentaux.
Elle fait valoir qu'elle a été jugée deux fois, tant par les juridictions administratives que par les organes d'enquête pénale, pour le même délit, consistant en l'enregistrement de dépenses non fondées sur des opérations réelles ou sur des pièces justificatives émises par des contribuables déclarés inactifs, en invoquant les principaux arguments suivants : (a) la procédure administrative-fiscale, qui a été finalisée par l'arrêt définitif de la cour d'appel de Suceava, est pénale au sens européen autonome, en appliquant les critères Engel, car les majorations de retard sont des pénalités fiscales, comme l'a jugé la Haute Cour de Cassation et de Justice, Collège pour le règlement de certaines questions de droit, par l'arrêt nº 86/10.12.2018; b) les faits pour lesquels elle a été jugée deux fois sont identiques ou substantiellement identiques ; c) il existe deux jugements définitifs pour le même fait, l'un pour ne pas poursuivre le dirigeant de la société pour le délit de fraude fiscale et l'autre pour rejeter l'action en contentieux administratif et fiscal, ayant pour objet l'annulation de la décision d'imposition à l'impôt sur les sociétés, à la TVA et aux taxes accessoires ; d) il y a eu une duplication des procédures.
Cette critique n'est pas fondée sur les points suivants :
Selon l'article 4 du protocole n° 7 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, « personne ne peut être poursuivi ou puni pénalement dans un même Etat en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat ».
L'article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne prévoit que « personne ne peut être poursuivi ou puni dans l'Union en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l'Union par un jugement définitif conformément à la loi ».
L'article 4 comprend trois paragraphes. Le premier paragraphe énonce les trois éléments clés du principe ne bis in idem (Mihalache c. Roumanie (GC), point 49) : les deux procédures doivent être de nature « pénale », elles doivent porter sur la même infraction et il doit y avoir une répétition de la procédure pénale.
La troisième composante comprend trois éléments : la deuxième procédure doit être nouvelle, la première décision doit être « définitive » et l'exception du deuxième paragraphe ne doit pas s'y appliquer.
En ce qui concerne la qualification de la procédure ultérieure en tant que procédure pénale, la Cour européenne a jugé que la qualification juridique de la procédure en droit interne ne peut pas être le seul critère pertinent pour l'applicabilité du principe non bis in idem à la lumière de l'article 4 para. (1) du Protocole n° 7 et que, dans le cas contraire, l'application de cette disposition serait laissée à la discrétion des Etats contractants, avec le risque de conduire à des résultats incompatibles avec l'objet et le but de la Convention (Sergey Zolotukhin c. Russie (GC), paragraphe 522).
La Cour européenne estime que, pour assurer la cohérence de l'interprétation de la Convention dans son ensemble, il est préférable que l'applicabilité du principe non bis in idem soit régie par les critères définis dans l'arrêt Engel (A et B c. Norvège (GC), paragraphes 105-107).
Le premier est la qualification juridique de l'infraction en droit national, le deuxième est la nature de l'infraction elle-même et le troisième est la sévérité de la peine que l'intéressé est susceptible de recevoir. Les deuxième et troisième critères sont alternatifs et ne sont pas nécessairement cumulatifs. Cela n'exclut toutefois pas une application cumulative si l'analyse séparée de chaque critère ne permet pas de conclure clairement à l'existence d'une accusation en matière pénale (Sergey Zolotukhin c. Russie (GC), paragraphe 53 ; Jussila c. Finlande (GC), paragraphes 30-31 ; Mihalache c. Roumanie (GC), paragraphe 54).
Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, le principe ne bis in idem interdit l'ouverture de deux ou plusieurs procédures pénales (double incrimination) et le prononcé de deux ou plusieurs jugements pénaux définitifs (double incrimination) à l'encontre de la même personne et pour les mêmes faits.
Pour que ce principe s'applique, il faut qu'il y ait eu une première poursuite pénale, qui a abouti à une condamnation ou à un acquittement définitif de la personne contre laquelle une accusation pénale a été portée, et que les autorités engagent ensuite une deuxième poursuite pénale (élément bis) pour la même infraction (élément idem) et contre la même personne. L'objectif de ce principe est d'éviter la répétition de procédures pénales déjà achevées et de garantir la sécurité juridique des personnes en les protégeant de l'incertitude de faire l'objet de doubles poursuites, procédures ou condamnations, une grande partie de la jurisprudence des juridictions européennes ayant porté notamment sur le cumul des sanctions fiscales et pénales.
Selon la jurisprudence des juridictions européennes, l'application du principe ne bis in idem suppose que quatre conditions soient réunies : (i) identité de la personne poursuivie ou sanctionnée (eadem personae), (ii) identité des faits litigieux (idem), (iii) double procédure de sanction (bis) et (iv) caractère définitif de l'une des deux décisions.
La première condition est que la même personne soit poursuivie ou sanctionnée dans les deux procédures pénales. À cet égard, la CEDH a jugé que l'article 4 du Protocole n° 7 consacre un droit fondamental garantissant qu'une même personne ne peut être poursuivie ou punie en raison d'une infraction pour laquelle elle a déjà été acquittée ou condamnée par un jugement définitif (Marguš c. Croatie, point 114 ; Sergey Zolotukhin c. Russie, point 58 ; Mihalache c. Roumanie, point 49 ; Kadusic c. Suisse, point 82).
La Haute Cour estime que la juridiction d'appel a correctement jugé que cette première condition n'était pas remplie en l'espèce, étant donné que l'enquête pénale dans l'affaire n° x/P/2013 n'a pas été menée contre le requérant mais contre le directeur de la société, M. B.
La procédure pénale dans l'affaire n° x/P/2013 a été engagée contre le dirigeant de la société, à savoir une personne physique qui, contrairement aux affirmations de la requérante, n'est pas identifiée à la personne morale qu'elle dirige ou dont elle est l'unique actionnaire. La décision de ne pas engager de poursuites pénales a été prononcée à l'encontre de la personne physique pour le délit de fraude fiscale en vertu de l'article 9, paragraphe 1, c) de la loi n° 241/2005, étant donné que l'infraction n'est pas prevue par la loi penale.
Par résolution n° x/P/07.08.2013, le Parquet près du Tribunal de Grande Instance de Suceava a ordonné l'ouverture d'une procédure pénale contre B., en tant qu'associé et administrateur de la société A. S.R.L., pour avoir commis l'infraction d'évasion fiscale, puisque l'infraction n'est pas prévue par la loi pénale, et non pas que l'infraction n'existe pas. Il a été jugé que l'administrateur n'était pas tenu de vérifier l'authenticité matérielle des documents émis par les fournisseurs de matières premières, étant donné que cela était prévu par les dispositions de l'art. (1)1 de l'O.U.G. n° 125/2011, selon lequel « les bénéficiaires qui achètent des biens et/ou des services à des contribuables dont l'enregistrement à la TVA a été annulé, conformément aux dispositions de l'art. 153 para. (9)(b)-(e) et qui ont été inscrits au registre des assujettis dont l'immatriculation à la TVA a été annulée en vertu de l'article 153, ne bénéficient pas du droit de déduire la taxe sur la valeur ajoutée afférente à ces achats ». Il a été jugé que la responsabilité de l'auteur de l'infraction peut être de nature fiscale plutôt que pénale.
La Haute Cour constate que l'enquête pénale visait à analyser les actes matériels personnels de M. B. en relation avec les obligations légales qui lui étaient imposées, et non ceux de la société défenderesse, comme il le prétend à tort dans ses moyens de recours.
Dans le système juridique roumain, la possibilité de responsabilité pénale d'une personne morale a été réglementée séparément de celle d'une personne physique, s'agissant de deux entités distinctes, soumises à un régime de sanctions différent, spécifique au statut de personne morale et de personne physique respectivement.
L'article 135, paragraphe 1, du Code pénal prévoit que « la personne morale est pénalement responsable des infractions commises dans l'exercice de son objet social ou dans l'intérêt ou pour le compte de la personne morale », de sorte que la responsabilité pénale de la société requérante était possible, mais qu'aucune procédure pénale n'a été engagée contre elle.
L'enquête pénale n'a pas été menée à l'encontre de la requérante, ce que cette dernière reconnaît dans son recours.
Compte tenu du fait que l'enquête pénale n'a porté sur aucun acte illicite prétendument commis par la requérante et eu égard au fait que les principes régissant la procédure pénale sont le caractère individuel et personnel de la responsabilité pénale, la Haute Cour estime que les allégations relatives à l'identité des deux entités, invoquées dans les moyens du recours, sont erronées.
En outre, l'article 135 para. (3) du Code pénal prévoit que « la responsabilité pénale d'une personne morale n'exclut pas la responsabilité pénale d'une personne physique qui a contribué à la commission de la même offense ». Cette solution s'explique par le fait que la responsabilité pénale de la personne morale ne doit pas servir de cause d'exonération de la responsabilité des personnes physiques qui commettent l'acte matériel et qui doivent répondre de leur propre contribution, avec leur propre culpabilité.
Par cette norme juridique, le législateur confirme l'affirmation selon laquelle, en droit roumain, la société et l'associé d'une société sont deux entités différentes, à l'égard desquelles la responsabilité pénale peut être engagée différemment, dans les conditions prévues par le Code de procédure civile.
De même, le régime juridique des sanctions pour les deux entités est différent, puisque la personne physique peut être condamnée à une peine privative de liberté. En revanche, la personne morale peut faire l'objet de sanctions distinctes : une amende à titre principal et des sanctions complémentaires spécifiques : dissolution de la personne morale, suspension de l'activité ou de l'une des activités de la personne morale pour une période de 3 mois à 3 ans, fermeture de certains établissements de la personne morale pour une période de 3 mois à 3 ans, interdiction de participer aux procédures de marchés publics pour une période de 1 à 3 ans, placement sous contrôle judiciaire et affichage ou publication de la condamnation.
La Haute Cour rejettera également la thèse de la requérante selon laquelle la Cour européenne des droits de l'homme aurait jugé, dans l'affaire Nassau Verzekering Maatschappij NV contre Pays-Bas, qu'il y a identité entre une société et une personne morale qui est associée et détient 100 % des parts de la société et est administrateur.
Ainsi, dans l'affaire précitée, la Cour européenne devait analyser la qualité de victime et la possibilité de saisir la Cour européenne par une personne physique, ancien associé et administrateur, d'une société juridique dissoute.
Tout d'abord, la Cour a rappelé le principe selon lequel les sociétés dotées d'une personnalité juridique distincte ne doivent pas être identifiées à leurs actionnaires. Toutefois, dans des circonstances exceptionnelles, notamment lorsqu'il est clairement établi que la société est dans l'impossibilité de s'adresser aux institutions de la Convention par l'intermédiaire des organes institués par l'acte constitutif ou - en cas de liquidation - par l'intermédiaire de ses liquidateurs, ceux-ci pourraient se voir reconnaître la qualité de victimes.
En second lieu, la requérante n'est pas une société dissoute, mais une personne morale qui continue à exercer son activité.
Troisièmement, dans le litige pendant devant la Cour, ce n'est pas la qualité de victime de la demanderesse qui est en cause dans le sens de la reconnaissance du droit de recours, mais la question de savoir si l'enquête pénale menée à l'égard de M. B. peut être considérée comme un recours contre la société requérante.
Par conséquent, l'affaire invoquée par la requérante n'est pas applicable au litige en cours et n'est pas pertinente.
En outre, la Haute Cour estime que les dispositions de l'article 218 du Code civil, invoquées par la requérante, ne sont pas pertinentes pour l'issue de l'affaire. Cette disposition légale a une portée différente et ne peut en aucun cas être interprétée comme établissant une identité ou une équivalence entre la responsabilité pénale d'une personne physique et celle d'une personne morale. Par ailleurs, dans le domaine du droit civil, l'article 219 du Code civil prévoit que « les actes licites ou illicites commis par les organes d'une personne morale engagent celle-ci, mais seulement s'ils se rattachent aux devoirs ou à l'objet des fonctions qui lui sont confiées », tandis que « les actes illicites entraînent également la responsabilité personnelle et solidaire de ceux qui les ont commis, tant envers la personne morale qu'envers les tiers ».
En conséquence, la requérante n'a pas été poursuivie/jugée dans deux procédures, étant soumise uniquement à la procédure administrative-fiscale, avec toutes ses étapes (inspection fiscale, procédure administrative préliminaire du recours fiscal, procédure judiciaire pour l'annulation de la décision d'imposition), de sorte qu'il ne peut être admis que les deux procédures ont été engagées contre la même personne morale, et que les conséquences ou les effets juridiques des poursuites pénales engagées contre la personne physique, organe de direction de la personne morale, pour une infraction prétendument commise au nom de la personne morale ou dans l'exercice de son activité, sont sans importance.
Il est indifférent que la personne physique ait fait l'objet d'une enquête pour le délit de fraude fiscale en raison de sa qualité d'administrateur de la société requérante, puisque le Code pénal permet la poursuite pénale d'une personne morale et que toute responsabilité pénale de cette personne n'exclut pas la responsabilité pénale de la personne physique qui a contribué à la commission du même acte.
En ce qui concerne l'argument selon lequel l'infraction pour laquelle le directeur de la société faisait l'objet d'une enquête est la même que celle reprochée au requérant dans la procédure administrative fiscale, à savoir l'inscription dans la comptabilité de dépenses qui ne sont pas fondées sur des transactions réelles, la Haute Cour se réfère à la jurisprudence de la Cour européenne, qui a examiné des cas de pénalités fiscales dans plusieurs affaires concernant la Finlande et la Suède (Häkkä c. Finlande, Nykänen c. Finlande, Glantz c. Finlande, Rinas c. Finlande, Österlund c. Finlande, Kiiveri c. Finlande ; Lucky Dev c. Suède).
Dans ces affaires, la Cour a constaté que dans les systèmes finlandais et suédois, les sanctions pénales et administratives étaient imposées par des autorités différentes, sans que les procédures soient liées les unes aux autres. Dans chaque affaire, les deux procédures ont été menées séparément et indépendamment l'une de l'autre jusqu'à leur clôture définitive. De plus, les sanctions imposées dans une procédure n'ont pas été prises en compte par la juridiction statuant dans l'autre procédure lorsqu'elle a déterminé la sévérité de la sanction et il n'y a pas eu d'interaction entre les autorités compétentes. En outre, la Cour a noté que les majorations fiscales ont été imposées sur la base d'un examen du comportement du demandeur et de sa responsabilité au regard de la législation fiscale, effectué indépendamment de l'évaluation faite dans le cadre de la procédure pénale. La Cour a considéré que cette situation était différente de celle des autres affaires de suspension du permis de conduire dont elle était saisie, dans lesquelles la décision de suspendre le permis de conduire était fondée directement sur une condamnation prévisible ou définitive pour une infraction routière et n'impliquait donc pas un examen distinct de l'infraction ou du comportement en question. En conséquence, elle a conclu qu'il n'existait pas de lien matériel et temporel étroit entre la procédure pénale et la procédure fiscale.
Cette jurisprudence est pertinente pour le litige en cours, étant donné que, dans l'affaire pénale, il a été jugé qu'il n'y avait pas d'infraction de fraude fiscale, puisque l'administrateur n'était pas tenu de vérifier l'authenticité matérielle des documents émis par les fournisseurs de matières premières, ceci étant légiféré par les dispositions de l'article I, point 4, paragraphe 4, para. (1)1 de l'O.U.G. n° 125/2011.
Au contraire, dans la procédure fiscale, par la décision n° 74431/19.06.2014, émise par la Direction Générale des Finances Publiques Iași, il a été jugé que : i) les organes de contrôle fiscal n'ont pas, à juste titre, reconnu comme déductibles pour le calcul du bénéfice imposable les dépenses s'élevant à 496.573 RON (avec la conséquence d'établir un impôt supplémentaire sur le revenu des sociétés d'un montant de 79.451 RON) et n'ont pas accordé le droit de déduire la TVA d'un montant de 94.349 RON, étant donné que les societes fourniseures F. S.R.L et G. S.R.L. ont été déclarées inactives, à compter du 11 juin 2009, par l'ordonnance du Président de l'A.N.A.F. n° 819/2008 ; (ii) les organismes de contrôle fiscal n'ont pas admis, à juste titre, comme déductibles pour le calcul du bénéfice imposable les dépenses d'un montant de 740.496 RON (avec la conséquence d'établir un impôt supplémentaire sur le revenu des sociétés d'un montant de 118 480 RON) et n'ont pas accordé le droit de déduire la TVA d'un montant de 140 695 RON, étant donné que les opérations réalisées avec les sociétés H. S.R.L., I. SRL, Î. SRL, J. SRL et K. S.R.L. ne reflètent pas des opérations réelles (livraisons de marchandises) ; (iii) les organes de contrôle fiscal ont correctement recalculé le bénéfice imposable de 2010 et ont établi un impôt supplémentaire sur les sociétés à payer d'un montant de 2.469 RON, étant donné que la société n'a pas enregistré dans ses comptes les subventions accordées pour les investissements d'un montant de 23.958 RON; (iv) les organes de contrôle fiscal ont correctement réduit la perte fiscale pour la période janvier-septembre 2011 d'un montant de 97 902 RON, représentant les marchandises manquantes (97 902 cartes téléphoniques), et ont établi la TVA à percevoir d'un montant de 23 496 RON. La décision indique également que, bien que les organes d'enquête pénale aient ordonné de ne pas engager de poursuites pénales à l'encontre de l'administrateur A. S.R.L., l'absence de caractère pénal de l'acte de l'administrateur ne supprime pas les obligations fiscales établies par les organes de contrôle à l'encontre de la société, puisque la législation fiscale exige que les opérations enregistrées dans les factures fiscales soient basées sur des transactions réelles et légales, et qu'il ne suffit pas de détenir la facture fiscale pour bénéficier du droit à la déduction des dépenses et de la TVA.
En application des principes de la Cour européenne de justice, les deux procédures sont distinctes et ont été engagées contre des entités différentes, raison pour laquelle il n'est pas possible de constater une violation du principe ne bis in idem, énoncé à l'article 4 du Protocole n° 7 de la Convention européenne des droits de l'homme et à l'article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, puisqu'il n'est pas question de double poursuite/jugement contre la même personne (eadem personae), et la critique formulée sur ce point n'est pas fondée.
B) La deuxième critique concerne la violation de la Directive 2006/112/CE par la Cour d'appel de Suceava, par l'arrêt n° 2174/09.10.2017, lorsqu'elle a reconnu la présomption d'exécution de l'obligation de publier l'ordonnance du Président de l'A.N.A.F. n° 1167/29.05.2009 approuvant la liste des contribuables déclarés inactifs, refusant systématiquement et définitivement le droit à la déduction de la TVA, en ce sens qu'elle s'est appuyée sur la décision de la C.J.U.E, le 19 octobre 2017 dans l'affaire C-101/16 Paper Consult S.R.L.
A titre préliminaire, la Haute Cour rappellera la situation juridique chronologique qui a justifié la décision de l'administration de refuser la déduction de la TVA.
Entre le 08.02 et le 12.12.2012, la requérante A. S.R.L. a fait l'objet d'un contrôle fiscal de la part de la Direction générale des finances publiques de Suceava, pour la période 01.09.2009-30.09.2011, qui a été finalisé par le rapport de contrôle fiscal n° F-SV1213/12.12.2012, sur la base duquel la décision d'imposition n° F-SV1579/12.12.2012 a été émise, qui a établi des obligations de paiement supplémentaires (impôt sur les sociétés, TVA, accessoires) pour le requérant pour un montant total de 718 719 RON.
Suite au contrôle fiscal, les irrégularités suivantes ont été essentiellement constatées : (i) A. S.R.L. a enregistré dans sa comptabilité des factures fiscales émises par deux sociétés déclarées inactives par ordonnance du Président de l'A.N.A.F. n° 819/2008 (F. S.R.L. et G. S.R.L.) ; (ii) A. S.R.L. a enregistré dans sa comptabilité des factures fiscales indiquant qu'elle avait acheté des matières premières auprès de H. S.R.L. et I. S.R.L., qui n'avaient pas de relations commerciales avec A. S.R.L. ; iii) A. S.R.L. a enregistré dans sa comptabilité des factures fiscales attestant qu'elle a acheté en 2009 des matières premières à Î. S.R.L., société radiée le 19 juin 2008 ; iv) à la suite de vérifications croisées, il a été constaté que J. S.R.L. et K. S.R.L. ne commerçaient pas avec A. S.R.L. ; (v) au quatrième trimestre 2010, A. S.R.L. n'a pas enregistré dans ses comptes les subventions accordées pour des investissements ; (vi) A. S.R.L. n'a pas pu prouver que 97.902 cartes téléphoniques étaient en stock.
Suite à ces constatations, les inspecteurs fiscaux ont établi que, pour la période juillet 2009-septembre 2011, A. S.R.L. doit payer un supplément d'impôt sur le revenu des sociétés d'un montant de 200 400 RON, auquel ont été calculées des charges supplémentaires (intérêts et pénalités de retard) d'un montant de 131 670 RON, ainsi qu'une TVA évaluée à 258 540 RON, à laquelle ont été calculées des charges supplémentaires (intérêts et pénalités de retard) d'un montant de 122 149 RON.
Par la décision n° 74431/19.06.2014, émise par la Direction Générale des Finances Publiques Iași, la contestation fiscale a été rejeté comme mal fondé, en retenant essentiellement ce qui suit: i) les organes de contrôle fiscal n'ont pas, à juste titre, reconnu comme déductibles pour le calcul du bénéfice imposable les dépenses s'élevant à 496.573 RON (avec la conséquence d'établir un impôt supplémentaire sur le revenu des sociétés d'un montant de 79.451 RON) et n'ont pas accordé le droit de déduire la TVA d'un montant de 94.349 RON, étant donné que les sociétés fournisseuses F. S.R.L et G. S.R.L. ont été déclarées inactives, à compter du 11 juin 2009, par l'ordonnance du Président de l'A.N.A.F. n° 819/2008 ; (ii) les organismes de contrôle fiscal n'ont pas admis, à juste titre, comme déductibles pour le calcul du bénéfice imposable les dépenses d'un montant de 740.496 RON (avec la conséquence d'établir un impôt supplémentaire sur le revenu des sociétés d'un montant de 118 480 RON) et n'ont pas accordé le droit de déduire la TVA d'un montant de 140 695 RON, étant donné que les opérations réalisées avec les sociétés H. S.R.L., I. SRL, Î. SRL, J. SRL et K. S.R.L. ne reflètent pas des opérations réelles (livraisons de marchandises) ; (iii) les organes de contrôle fiscal ont correctement recalculé le bénéfice imposable de 2010 et ont établi un impôt supplémentaire sur les sociétés à payer d'un montant de 2.469 RON, étant donné que la société n'a pas enregistré dans ses comptes les subventions accordées pour les investissements d'un montant de 23.958 RON; (iv) les organes de contrôle fiscal ont correctement réduit la perte fiscale pour la période janvier-septembre 2011 d'un montant de 97 902 RON, représentant les marchandises manquantes (97 902 cartes téléphoniques), et ont établi la TVA à percevoir d'un montant de 23 496 RON. La décision indique également que, bien que les organes d'enquête pénale aient ordonné de ne pas engager de poursuites pénales à l'encontre de l'administrateur A. S.R.L., l'absence de caractère pénal de l'acte de l'administrateur ne supprime pas les obligations fiscales établies par les organes de contrôle à l'encontre de la société, puisque la législation fiscale exige que les opérations enregistrées dans les factures fiscales soient basées sur des transactions réelles et légales, et qu'il ne suffit pas de détenir la facture fiscale pour bénéficier du droit à la déduction des dépenses et de la TVA.
A. S.R.L. a formulé une demande en annulation contre la décision de résolution de la contestation fiscale, ainsi que contre la décision d'imposition et le rapport d'inspection fiscale, qui a été rejetée comme mal fondée par le jugement n° 282/09.02.2017, rendu par le Tribunal de Suceava, Chambre du contentieux administratif et fiscal, dans l'affaire n° x/86/2014, pour les considérations pertinentes de fait et de droit suivantes :
« L’organisme fiscal a fait valoir que la requérante a acheté des matières premières et des matériaux auprès de divers fournisseurs (H. S.R.L. Satu Mare, I. S.R.L. Tășnad-Satu Mare, J. S.R.L. Cluj Napoca et K. S.R.L. Timișoara), et les recoupements effectués (correspondance avec les autorités fiscales de Satu Mare et avec les représentants des sociétés) ont révélé soit que les opérations ne sont pas réelles, soit que les sociétés sont radiées (Î. S.R.L. Miercurea Ciuc).
L'octroi du droit à déduction de la TVA est subordonné à la réunion de conditions de fond et de forme, les premières concernant l'existence elle-même du droit et les secondes l'exercice de ce droit. L'administration fiscale a également fait valoir que les relations commerciales n'étaient pas authentiques. Sur ce point, à la lumière des preuves produites, la juridiction constate que, bien que formellement les factures contiennent les mentions légalement requises, il existe des éléments qui démontrent que les transactions entre le requérant et les sociétés en question étaient fictives. Ainsi, il existe des factures dont les numéros de série sont consécutifs sur une longue période, ce qui permet de conclure que ces numéros de série ne sont pas réels. En outre, il n'y a pas d'autres documents dans le dossier, en dehors des factures, pour prouver les relations commerciales entre le requérant et les autres partenaires. Il n'y a pas de contrats de vente et d'achat ni de commandes. Par ailleurs, Î. S.R.L. Miercurea Ciuc était une société non redevable de la TVA et a été radiée des registres de l'Office du Registre du Commerce le 19 juin 2008. En ce qui concerne les autres sociétés, il ressort des pièces du dossier, constituées de la correspondance avec l'administration fiscale du département dans lequel certaines de ces sociétés avaient leur siège social et des rapports reçus des représentants de ces sociétés, que la requérante n'a eu de relations commerciales avec aucune de ces sociétés. En outre, bien que la requérante ne puisse être tenue responsable des données relatives aux personnes autorisées et aux voitures mentionnées dans les factures, les incohérences invoquées par la défenderesse, également exposées dans le rapport de l'expert, spécialisé en fiscalité, concernant les personnes autorisées et les voitures, combinées aux données exposées ci-dessus, convainquent la juridiction que les transactions commerciales étaient fictives.
Le Tribunal estime que les factures en question enregistrent des opérations fictives, de sorte que, étant fausses dans leur contenu, elles ne peuvent être reconnues comme pièces justificatives pour l'inscription dans la comptabilité financière ou pour la déduction de la TVA. En ce qui concerne les relations avec H. S.R.L. Satu Mare, I. S.R.L. Tășnad-Satu Mare, J. S.R.L. Cluj Napoca et K. S.R.L. Timișoara, l'affaire ne concerne pas une autre transaction antérieure ou postérieure entachée de fraude, mais bien les opérations commerciales effectuées par le requérant. Or, comme il a été souligné, celles-ci n'étaient pas réelles, les pièces du dossier étant un circuit scénarisé de documents, sans livraison effective de marchandises, dans le but d'obtenir des avantages fiscaux.
Ce jugement est devenu définitif par l'arrêt n° 2174/09.10.2017, rendu par la Cour d'appel de Suceava, Chambre du contentieux administratif et fiscal, l'appel interjeté par le demandeur ayant été rejeté comme non fondé, pour les raisons suivantes :
« La Cour estime que le demandeur a eu la possibilité de prendre connaissance du fait qu'il réalise des opérations avec des sociétés déclarées inactives, raison pour laquelle il ne bénéficie pas du droit à la déduction de la TVA.
La requérante a soutenu qu'il ne pouvait être porté atteinte à son droit à déduction puisqu'elle ne pouvait être tenue responsable du comportement des entreprises fournisseurs, les factures pour lesquelles le droit à déduction n'a pas été accordé fournissant toutes les informations requises par le Code fiscal. A cet égard, la requérante s'est également appuyée sur la jurisprudence de la CJUE dans l'affaire PPUH Stehcemp sp. j. Florian Stefanek, Janina Stefanek, Jarostaw Stefanek contre Dyrektor Izby Skarbowej w Lodzi.
Deuxièmement, la requérante a fait valoir que la juridiction de première instance avait commis une erreur en considérant que les opérations avec H. S.R.L., I. S.R.L., J. S.R.L., K. S.R.L. et Î. S.R.L. étaient fictives. l'appui de ce moyen, la requérante affirme qu'elle a entretenu des relations commerciales avec ces fournisseurs, qu'il existe des factures qui remplissent toutes les conditions pour être considérées comme des pièces justificatives et que les marchandises sont entrées dans le processus de production et ont contribué à l'élaboration de produits finis spécifiques à l'objet de l'activité de l'entreprise.
Les affirmations de la requérante ne peuvent être acceptées parce que l'expert judiciaire, tout en constatant que les marchandises étaient incluses dans le rapport de production, n'a pas pu établir avec certitude que la quantité totale de matériaux était établie dans les processus de fabrication, et ses conclusions n'étaient pas catégoriques. En outre, il ne peut être omis que des recoupements ont révélé que certaines des entreprises mentionnées dans les factures n'avaient pas de relations d'affaires avec la requérante, ce qui a donné lieu à un soupçon raisonnable que les opérations en question étaient fictives, raison pour laquelle, même s'il était admis que les marchandises faisaient partie du processus de production, la requérante n'a pas prouvé que les marchandises en question étaient les mêmes que celles facturées, provenant de partenaires commerciaux et achetées au même prix. Toutefois, étant donné que les pièces justificatives sur la base desquelles les droits et les obligations fiscales sont établis sont précisément ces factures, qui sont partiellement non reconnues par les partenaires commerciaux, la requérante ne peut pas prétendre que sa situation fiscale devrait être établie sur cette base. Par conséquent, la requérante n'est pas parvenue à prouver de manière irréfutable que toutes les transactions examinées sont authentiques, raison pour laquelle le Tribunal a estimé à juste titre qu'il n'y avait pas de preuve contraire aux constatations de l'administration fiscale. En outre, le fait que la juridiction de première instance ait constaté que les factures étaient conformes aux exigences formelles n'exclut pas que les transactions enregistrées ne correspondent pas aux transactions réelles ».
La Haute juridiction constate que la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), qui fait partie du droit de l'Union européenne depuis près de cinq décennies, se caractérise notamment, d'une part, par le fait qu'il s'agit d'une taxe sur la consommation, généralement applicable aux opérations effectuées par les assujettis dans le cadre de leurs activités économiques, qui a vocation à être imposée au seul consommateur final et, d'autre part, par le principe de neutralité qui est exigé lors de l'application de cette taxe, ce qui implique également un principe de droit à déduction de la taxe. Ainsi, le système de déduction vise à décharger entièrement l'entrepreneur de la charge de la TVA sur l'ensemble de ses opérations qui, elles-mêmes, ouvrent droit à déduction. La Cour rappelle souvent dans sa jurisprudence concernant la TVA que le droit à déduction fait partie intégrante du mécanisme de la TVA et qu'il ne peut, en principe, être limité.
Cependant, même si ce droit de déduction devrait, à première vue, toujours s'appliquer en vue de parvenir à une imposition neutre, certaines limites sont imposées à ce droit. À cet égard, la jurisprudence de la Cour exige qu'il y ait un lien direct et immédiat entre l'acquisition d'un bien ou d'un service et l'opération taxée en aval. En d'autres termes, l'acquisition doit, selon des critères objectifs, être destinée à servir l'activité économique de l'assujetti. En revanche, lorsque les achats sont effectués en vue d'opérations exonérées ou hors du champ d'application de la TVA, aucune taxe en aval ne peut être facturée et aucune taxe en amont ne peut être déduite.
Dans sa jurisprudence, la CJUE a également établi que le droit communautaire ne peut être invoqué à des fins frauduleuses ou abusives. En cas de pratiques abusives, le droit à déduction de la TVA en amont peut être refusé avec effet rétroactif lorsque le droit à déduction a été exercé de manière abusive. Ainsi, le juge national peut refuser d'accorder le droit à déduction s'il est établi, au regard d'éléments objectifs, que l'assujetti savait ou aurait dû savoir que, par son acquisition, il participait à une opération de fraude à la TVA, même si l'opération en question répond aux critères objectifs qui sous-tendent les notions de « livraisons de biens effectuées par un assujetti agissant en tant que tel » et d'« activité économique ».
À cet égard, la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée a été adoptée au niveau de l'UE, qui prévoit l'application aux biens et aux services d'une taxe générale à la consommation exactement proportionnelle au prix des biens et des services, quel que soit le nombre d'opérations qui interviennent dans le processus de production et de distribution, avant le stade auquel la taxe est prélevée.
En vertu de l'article 168 de la Directive, « dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins d'opérations imposables effectuées par un assujetti, celui-ci a le droit, dans l'État membre où ces opérations sont effectuées, de déduire du montant de la TVA dont il est redevable les montants suivants : a) la TVA due ou acquittée dans l'État membre concerné pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés ou pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti ». Selon l'article 178, point a), de la Directive, « pour exercer le droit à déduction, l'assujetti doit remplir les conditions suivantes : a) pour les déductions visées à l'article 168, a), concernant les livraisons de biens ou les prestations de services, il doit être en possession d'une facture émise conformément aux dispositions du Titre XI, Chapitre 3, Sections 3 à 6 ».
En outre, conformément à l'article 273, premier paragraphe, de la Directive, « les États membres peuvent imposer d'autres obligations qu'ils jugent nécessaires pour assurer la perception correcte de la TVA et éviter la fraude, sous réserve de l'égalité de traitement des opérations intérieures et des opérations effectuées entre les États membres par des assujettis et à condition que ces obligations ne donnent pas lieu à des formalités transfrontalières dans les échanges entre les États membres ».
Les dispositions de la Directive 2006/112/CE sur le droit à déduction ont été interprétées par la CJUE dans de nombreux arrêts. Selon une jurisprudence constante, le droit des assujettis de déduire de la taxe dont ils sont redevables la TVA due ou acquittée pour les biens acquis et les services reçus antérieurement par eux constitue un principe fondamental du système commun de TVA établi par le droit de l'Union, fait partie intégrante du mécanisme de la TVA et ne peut, en principe, être limité (arrêt du 25 octobre 2001, Commission/Italie, C-78/00, point 28 ; arrêt du 21 juin 2012, Mahagében et Dávid, C-80/11 et C-142/11, point 37). En particulier, ce droit s'exerce immédiatement sur la totalité de la taxe ayant grevé toutes les opérations en amont (arrêt du 21 mars 2000, Gabalfrisa e.a., C-110/98-C-147/98, point 43 ; arrêt du 21 juin 2012, Mahagében et Dávid, C-80/11 et C-142/11, point 38). La CJUE a souligné que le droit à déduction de la TVA doit respecter des conditions de fond et de forme.
En ce qui concerne les conditions de fond, il résulte de l'article 168, sous a), de la Directive no. 2006/112 que, pour bénéficier du droit à déduction, il faut, d'une part, que l'intéressé soit un « assujetti » au sens de cette directive et, d'autre part, que les biens ou les services invoqués pour justifier ce droit soient utilisés en aval par l'assujetti pour les besoins de ses opérations taxées et, en amont, que ces biens ou ces services soient livrés par un autre assujetti (arrêt du 13 septembre 2012, Tóth, C-324/11, point 26) ; Arrêt du 22 octobre 2015, PPUH Stehcemp, C-277/14, point 28).
En ce qui concerne les exigences formelles, l'article 178, a), de la Directive n° 2006/112 prévoit que l'assujetti est tenu de détenir une facture, émise conformément aux articles 220-236 et 238-240. Il est de jurisprudence constante que le principe fondamental de neutralité de la TVA exige que la TVA en amont soit déductible si les conditions de fond sont remplies, même si certaines conditions de forme ont été omises par les assujettis (arrêt du 12 juillet 2012, EMS-Bulgaria Transport, C-284/11, point 62), mais la situation peut être différente si la violation de ces conditions de forme a pour effet d'empêcher d'établir avec certitude que les conditions de fond ont été remplies (arrêt du 28 juillet 2016, Astone, C-332/15, point 46).
La jurisprudence de la CJUE est constante : le droit à déduction peut être refusé lorsqu'il est établi, au regard d'éléments objectifs, que ce droit est invoqué de manière frauduleuse ou abusive. Ainsi, la lutte contre la fraude, l'évasion fiscale et les abus éventuels est un objectif reconnu et encouragé par la Directive n° 2006/112, et les justiciables ne peuvent se prévaloir frauduleusement ou abusivement des règles du droit de l'Union européenne (affaires jointes C-80/11 et C-142/11, Mahagében et Dávid, points 42 et 43 ; Halifax e.a., C-255/02, point 71 ; Tanoarch, C-504/10, point 50 ; Fini H, C-32/03, point 32). Ainsi, il appartient aux autorités et aux juridictions nationales de refuser le bénéfice du droit à déduction si, au regard d'éléments objectifs, il est établi que ce droit a été invoqué de manière frauduleuse ou abusive (Fini H, C-32/03, points 33 et 34 ; Kittel et Recolta Recycling, C-439/04 et C-440/04, point 55 ; Véleclair, C-414/10, point 32).
Ainsi, selon une jurisprudence constante, le bénéfice du droit à déduction ne peut être refusé à un assujetti que s'il est établi, sur la base d'éléments objectifs, que l'assujetti destinataire de la livraison de biens ou de la prestation de services servant de base à la justification du droit à déduction savait ou aurait dû savoir que cette opération était impliquée dans une fraude commise par le fournisseur ou un autre opérateur en amont. En effet, un assujetti qui savait ou aurait dû savoir que, par son acquisition, il participait à une opération impliquée dans une fraude à la TVA doit, aux fins de la Directive n° 2006/112, être considéré comme participant à cette fraude, indépendamment du fait qu'il tire ou non un avantage de la revente de biens ou de l'utilisation de services dans le cadre de ses opérations relatives à la taxe en aval (Kittel et Recolta Recycling, C-439/04 et C-440/04, point 56).
Dans son arrêt du 21 juin 2012, Mahagében et Dávid, C 80/11 et C 142/11, la CJUE a estimé qu'"il appartient aux autorités fiscales d'effectuer les contrôles nécessaires auprès des assujettis afin de détecter les irrégularités et les fraudes liées à la TVA et d'infliger des sanctions à l'assujetti qui les a commises. Par conséquent, ces autorités ne peuvent pas transférer leurs propres obligations de contrôle aux assujettis et leur refuser l'exercice de leur droit à déduction en cas de manquement à leurs obligations de remplir ces obligations. Dans ces conditions, la Cour juge que la Directive n° 2006/112 s'oppose à la pratique de l'administration fiscale hongroise consistant à refuser à un assujetti la déduction de la TVA payée au titre des irrégularités commises par l'émetteur de la facture sur la base de laquelle la déduction est demandée, sans qu'il soit prouvé que l'assujetti avait ou aurait dû avoir connaissance d'une fraude commise en amont de la chaîne des livraisons. Cette directive s'oppose également à une pratique nationale selon laquelle l'administration fiscale refuse le droit à déduction au motif que l'assujetti, qui ne dispose d'aucun élément permettant de présumer l'existence d'irrégularités ou de fraudes, ne s'est pas assuré que son partenaire commercial a respecté ses obligations légales, notamment en matière de TVA, ou au motif que l'assujetti ne dispose pas d'autres documents, en plus de la facture, susceptibles de démontrer la légalité du comportement de son partenaire commercial.
Les États membres peuvent toutefois refuser le bénéfice du droit à déduction s'il est établi, sur la base d'éléments objectifs, que le droit à déduction a été revendiqué de manière frauduleuse ou abusive. Tel est notamment le cas lorsque l'assujetti destinataire des biens ou des services sur lesquels porte le droit à déduction savait ou aurait dû savoir que cette opération était impliquée dans une fraude commise par le fournisseur ou un autre opérateur en amont. La Cour constate qu'il incombe à l'administration fiscale de prouver que l'assujetti avait ou aurait dû avoir connaissance de l'existence d'une telle fraude (communiqué de presse) ».
Par l’arrêt Becker, dans l’affaire C 104/12, la juridiction communautaire a jugé que lorsque l'autorité a des doutes sur l'existence d'un lien direct entre les opérations en amont et en aval exigé par la jurisprudence de la Cour pour l'exercice du droit à déduction et qu'elle exige donc que soit établi si, d'une part, l'existence d'un tel lien dépend, au sens de l'article 17 para. (2) a), du contenu objectif du service acheté ou de la raison de l'achat de ce service et, d'autre part, si la raison de l'achat du service est déterminante, l'assujetti qui, avec un employé, demande la prestation d'un service a le droit de déduire la totalité ou seulement une partie de la TVA.
Se référant à sa jurisprudence antérieure sur l'exigence d'un lien direct et immédiat, la Cour relève notamment que l'application de ce critère exige que seules les opérations qui sont objectivement liées à l'activité imposable de l'assujetti soient prises en compte (point 22). Ainsi, l'obligation de ne prendre en compte que le contenu objectif de l'opération en cause est la plus conforme à l'objectif poursuivi par le système commun de TVA, qui est d'assurer la sécurité juridique et de faciliter les actes inhérents à l'application de la TVA (point 23). L'existence d'un lien direct et immédiat entre les biens ou les services utilisés et une opération imposable effectuée en aval ou, exceptionnellement, une opération imposable effectuée en amont doit également être établie par référence à leur contenu objectif (point 24). La Cour a précisé que le fait que le lien direct et immédiat entre une prestation de services et l'ensemble de l'activité économique imposable doit être déterminé par référence au contenu objectif de cette prestation de services n'exclut pas la possibilité de prendre en compte la cause exclusive de l'opération en cause, qui doit être considérée comme un critère de détermination du contenu objectif. S'il est établi qu'une opération n'a pas été effectuée pour les besoins des activités imposables d'un assujetti, cette opération ne peut pas être considérée comme ayant un lien direct et immédiat avec ces activités au sens de la jurisprudence de la Cour, quand bien même cette opération serait, par rapport à son contenu objectif, soumise à la TVA (point 29).
Appliquant les principes de la juridiction européenne, la Haute Cour constate que le bénéfice de la déduction de la TVA a été refusé à juste titre, dans des circonstances où il existe des éléments objectifs établis par l'autorité de la chose jugée, qui démontrent que l'opération était fictive, en ce sens que les produits n'ont pas été livrés par les sociétés contractantes, puisqu'elles n'existaient plus d'un point de vue juridique.
Bien que toutes les transactions aient été enregistrées dans la comptabilité de la requérante, raison pour laquelle il a été décidé de ne pas engager de poursuites pénales pour le délit de fraude fiscale, il a néanmoins été constaté, avec autorité de la chose jugée, dans le cadre de la procédure fiscale, qu'il existait des preuves que les transactions entre la requérante et les sociétés en question étaient fictives, que les relations commerciales n'étaient pas réelles, que les factures en question enregistraient des transactions fictives qui n'étaient pas réelles, puisqu'il n'y avait eu qu'un circuit scriptural de documents, sans livraison réelle de marchandises, dans le but d'obtenir des avantages fiscaux.
Il a également été établi que certaines des sociétés mentionnées dans les factures n'avaient aucune relation d'affaires avec la requérante, ce qui permet de soupçonner raisonnablement que les opérations en question étaient fictives. Toutefois, même si les factures remplissent les conditions formelles, il n'est pas exclu que les transactions enregistrées ne correspondent pas à la réalité.
La Haute Cour relève que la taxe générale à la consommation applicable concerne les opérations effectuées par les assujettis dans le cadre de leurs activités économiques et ne saurait être applicable dans le cas d'opérations fictives qui ne correspondent pas à la réalité.
Premièrement, la condition préalable à l'établissement de cette taxe est la prestation effective d'un service ou la fourniture d'un produit, et elle ne peut s'appliquer en l'absence d'une telle prestation ou fourniture.
Deuxièmement, le service fourni ou le produit livré doit être destiné à servir l'activité économique de l'agent.
Ce n'est pas le cas dans le litige en cours, raison pour laquelle les juridictions nationales ont refusé d'accorder le bénéfice du remboursement de la TVA.
Compte tenu du régime objectif de TVA mis en œuvre par ce système, seule la relation objective entre les services fournis/produits et l'activité économique imposable de l'assujetti est déterminante. Par conséquent, en l'absence des opérations commerciales invoquées, la société requérante n'a pas le droit de déduire, à titre de taxe, la TVA due sur des biens qui n'ont pas été livrés.
En ce qui concerne le refus de l'administration d'accorder le bénéfice de la déduction de la TVA, dans l'arrêt de la Cour de Bonik dans l'affaire C 285/11, la Cour a rappelé que, sur la base de sa jurisprudence constante sur ce point - à savoir, notamment, les arrêts Halifax e.a.18, Kittel et Recolta Recycling19 et Mahagében et Dávid20 - un assujetti qui savait ou aurait dû savoir que, par son acquisition, il participait à une opération entraînant une fraude à la TVA doit, aux fins de la Directive n° 2006/112/CE, être considéré comme un assujetti qui, par son acquisition, savait ou aurait dû savoir qu'il participait à une opération entraînant une fraude à la TVA. En conséquence, l'assujetti qui a acquis un bien ou un service dans le cadre d'opérations taxées qu'il a effectuées en aval doit être considéré comme participant à cette fraude, indépendamment du fait qu'il tire ou non un avantage de la revente de ce bien ou de l'utilisation de ce service en aval (point 39). Par conséquent, dès lors que la négation du droit à déduction constitue une exception à l'application du principe fondamental que représente ce droit, il appartient aux autorités fiscales compétentes d'établir à suffisance de droit les éléments objectifs permettant de conclure que l'assujetti savait ou aurait dû savoir que l'opération invoquée pour justifier le droit à déduction participait à une fraude commise par le fournisseur ou par un autre opérateur intervenant en amont ou en aval de la chaîne d'approvisionnement (point 43).
En ce qui concerne la portée de l'affaire C-101/16, Paper Consult S.R.L., la Haute Cour estime que les considérations de la Cour d'appel sont correctes dans la mesure où la question de droit analysée et tranchée par la Cour est différente de la situation dans la procédure pendante.
Dans cette affaire, il a été jugé que la Directive n° 2006/112/CE, telle qu'interprétée par la CJUE, a été violée lorsqu'elle a reconnu la présomption d'accomplissement de l'obligation de publier l'ordonnance du Président de l'A.N.A.F. n° 1167/29.05. 2009 pour l'approbation de la liste des contribuables inactifs, refusant systématiquement et définitivement le droit à la déduction de la TVA, en considérant que le droit à la déduction de la TVA ne peut pas être refusé lorsque la société commerciale inactive, avec laquelle elle a effectivement entretenu des relations commerciales, a versé au trésor public la TVA collectée sur la base des relations contractuelles avec lesquelles elle avait noué des relations commerciales.
Les arguments pertinents pour la CJUE pour trancher l'affaire étaient la fourniture effective de services au contribuable dormant et le fait que ce dernier avait rempli ses obligations fiscales, même s'il n'avait pas déposé de déclaration d'impôt.
La CJUE a déclaré au paragraphe 60 que « l'incapacité de l'assujetti (Paper Consult S.R.L.) à démontrer que les opérations conclues avec l'opérateur inactif déclaré (Rom Packaging) remplissent les conditions prévues par la directive 2006/112 et, en particulier, que la TVA a été versée au Trésor par cet opérateur (Rom Packaging) va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif légitime poursuivi par cette directive ».
Dans le litige en instance, le droit à déduction n'a pas été refusé parce que les opérations commerciales ont été réalisées avec un contribuable non actif, mais parce qu'il a été établi, au cours de la procédure fiscale, que ces opérations commerciales étaient fictives.
En conséquence, pour l'ensemble des raisons qui précèdent, constatant que les critiques formulées ne sont pas fondées et que le moyen de recours prévu à l'article 488, paragraphe 1, du Code de procédure civile, le pourvoi sera rejeté comme mal fondé.

POUR CES RAISONS,
AU NOM DE LA LOI,
LA HAUTE COUR DÉCIDE:

Rejette, comme mal fondé, le pourvoi formé par la demanderesse S.C. A. S.R.L., par administrateur B. contre l'arrêt n° 1114 A du 11 juillet 2022, rendu par la Cour d'appel de Bucarest, Troisième Chambre civile et pour les affaires concernant les mineurs et la famille.
Définitif.
Prononcée aujourd’hui, le 15 juin 2023, par sa mise à disposition au greffe de la juridiction, conformément à l’article 402 du Code de procédure civile.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1170
Date de la décision : 15/06/2023

Analyses

Action en responsabilité civile délictuelle. Dommage matériel prétendument causé par une violation du droit européen par l'État Roumain. Principe Ne bis in idem. Conditions d'application


Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ro;haute.cour.cassation.justice;arret;2023-06-15;1170 ?
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