Sous la présidence de Monsieur le professeur, N.P., le Premier Président de la Haute Cour de Cassation et de Justice,
Les Chambres Réunies de la Haute Cour de Cassation et de Justice, en conformité avec les dispositions de l'art.25 lettre a) de la Loi no.304/2004 relative à l'organisation judiciaire, republiée, se sont réunies pour examiner le pourvoi dans l'intérêt de la loi, formé par le procureur général du Parquet auprès de la Haute Cour de Cassation et de Justice, relatif à l'applicabilité des dispositions de l'art.35 de la Loi no.33/1994 concernant l'expropriation pour cause d'utilité publique, dans le cas des actions qui ont comme objet des immeubles expropriés pendant la période 6 mars 1945 - 22 décembre 1989, introduites après l'entrée en vigueur de la Loi no.10/2001.
Les Chambres Réunies ont été constituées avec le respect des dispositions de l'art.34 de la Loi no.304/2004, republiée ; ont été présents 90 juges du total de 115, qui sont en fonction.
Le procureur général du Parquet auprès de la Haute Cour de Cassation et de Justice a été représenté par le procureur A.F.
La représentante du procureur général du Parquet auprès de la Haute Cour de Cassation et de Justice a soutenu le pourvoi dans l'intérêt de la loi et elle a posé des conclusions pour être admis, au sens d'établir que les actions fondées sur les dispositions de l'art.35 de la Loi no.33/1994, ayant comme objet les immeubles expropriés pendant la période du 6 mars 1945 au 22 décembre 1989, introduits après l'entrée en vigueur de la Loi no. 10/2001, sont irrecevables.
LES CHAMBRES REUNIES
Vu le pourvoi dans l'intérêt de la loi, constatent :
Dans la pratique des instances judiciaires il existe une pratique non unitaire qui a comme objet des immeubles expropriés pendant la période 6 mars 1945 - 22 décembre 1989, pratique qui existe dès l'entrée en vigueur de la Loi no.10/2001.
Au ce sens, il faut souligner, que, en conformité avec l'art.35 de la Loi no.33/1994, « si les biens immobiles expropriés n'ont pas été utilisés dans le délai d'un an conformément au but pour lequel ils ont été prises de l'exproprié, (...) les anciens propriétaires peuvent demander leur rétrocession, si n'opère pas une nouvelle déclaration d'utilité publique ».
Ainsi, quelques instances ont considéré que l'action de rétrocession, fondée sur les dispositions de l'art.35 de la Loi no.33/1994, qui avaient comme objet des immeubles de nature pareille à ceux auxquels fait référence la Loi no.10/2001, est admissible même après l'entrée en vigueur de cet acte normatif.
On a motivé que ce point de vue s'impose, parce que la Loi no.33/1994, étant une loi spéciale en matière d'expropriation, elle s'applique prioritairement à la Loi no.10/2001, parce que la procédure administrative non contentieuse réglementée par ce dernier acte normatif, est indépendante de l'action en rétrocession, par excellence contentieuse, fondée sur les dispositions de l'art.35 de la Loi no.33/1994.
Il a été apprécié que cette norme légale complète les mesures de protection juridique de l'exproprié, dans les conditions où l'expropriation, qui constitue une restriction apportée au droit de propriété, apparaît comme une exception au caractère absolu du droit de propriété.
D'autres instances, par contre, se sont prononcées au sens que les dispositions de l'art.35 de la Loi no. 33/1994 ne peuvent pas être invoquées dans le cas des actions ayant comme objet les immeubles expropriés pendant le période 6 mars 1945 - 22 décembre 1989, si les actions sont introduites après l'entrée en vigueur de la Loi no.10/2001.
Ces instances ont apprécié que, après l'entrée en vigueur de la Loi no.10/2001 relative au régime juridique de certains immeubles pris abusivement pendant la période 6 mars 1045 - 22 décembre 1989, la rétrocession des immeubles expropriés antérieurement à l'année 1990 peut avoir lieu, seulement dans les conditions prévues par l'art.11 de la Loi no.10/2001.
Ces instances ont correctement interprété et appliqué lesdites dispositions de la loi.
La Constitution de la Roumanie a réglementée le principe de la non-rétroactivité de la loi, prévoyant, à l'art.15 alinéa (2) que, « la loi dispose seulement pour l'avenir, à l'exception de la loi pénale ou contraventionnelle plus favorable ».
En concordance totale avec cette réglementation constitutionnelle, le Code civil prévoit, dans l'art.1, que « La loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif » ; on institue ainsi le principe de la non-rétroactivité de la loi civile.
Ce principe fondamental, consacré aussi dans la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, affirme que la nouvelle loi doit respecter la souveraineté de l'ancienne loi, au sens que la nouvelle loi ne peut pas casser ou modifier la réglementation juridique antérieure, et, l'ancienne loi admet, à son tour, l'application immédiate et sans réserves de la nouvelle loi, au sens que l'action de la nouvelle loi s'étend sur les faits pendants que sur les effets futurs des rapports juridiques passés.
Les normes légales en conflit dans le cas des immeubles expropriés pendant la période 6 mars 1945 - 22 décembre 1989, respectivement, les dispositions du Code civil et celles de la Loi no.10/2001, visent des situations créées sous l'empire de l'ancienne loi, durables en temps, par leurs effets juridiques, générés, quelques fois par l'inefficacité des actes de la prise.
Bien qu'avantageux, par la possibilité des parties d'avoir accès direct aux instances de jugement, le droit commun, qui est rigide et conservatoire dans son champ d'application, a été remplacé par la Loi no.10/2001, qui comprend tant des normes spéciales de droit substantiel que la réglementation d'une procédure administrative, obligatoire, préalable à la saisine de l'instance.
Par ses dispositions, la Loi no.10/2001 a pratiquement supprimé la possibilité de recourir au droit commun dans le cas de l'inefficacité des actes de la prise des immeubles nationalisés et, sans diminuer l'accès à la justice, a apporté des perfectionnements au système réparateur, en le subordonnant, en même temps, au contrôle judiciaire par des normes de procédure ayant un caractère social.
Conformément à l'art.44 alinéa (1) phase II, de la Constitution, le contenu et les limites du droit de propriété sont établis par la loi. Ainsi, par l'art.2 alinéa (2) de la Loi no.10/2001, on a reconnu que « les personnes dont les immeubles ont été pris sans titre valable conservent leur qualité de propriétaire détenue à la date de la prise », qui sera exercée « après avoir reçu la décision ou l'arrêt judiciaire de restitution, conformément aux dispositions de la présente loi ». Par conséquent, la décision ou l'arrêt de restitution implique un parcours de la procédure spéciale prévue dans la Loi no.10/2001, en excluant la procédure de droit commun.
La Cour Constitutionnelle a statué par la décision no.373 du 4 mai 2006 que : « La Loi no.10/2001 reconnaît, aux personnes justifiées à la restitution des immeubles pris abusivement, la qualité de propriétaire eue à la date de la prise, mais la restitution en nature de l'immeuble et implicitement l'exercice du droit de propriété se réalisent seulement à la suite de la constatation du droit de propriété, soit par une décision de l'autorité administrative impliquée dans l'application de la loi, soit par un arrêt, dans le cas où les décisions de l'autorité administrative sont attaquées en justice. Ainsi que, en disposant que le propriétaire peut se réjouir de toutes ses attributs de son droit seulement pour l'avenir, après qu'il a reçu la décision ou l'arrêt judiciaire de restitution, le législateur n'a fait autre chose que d'établir le cadre juridique pour l'exercice des attributs du droit de propriété, en instituant des limites raisonnables dans l'exercice de ce droit, en vue d'assurer la sécurité du circuit juridique, en conformité totale avec les dispositions de l'art.44 alinéa 1 thèse II de la Loi fondamentale ».
Vu que cette réglementation, donnée par la Loi no.10/2001, intéresse l'ordre public, il en résulte que ladite loi a une application immédiate en concordance avec le principe consacré par l'art.6 alinéa 2 de la Loi no.213/1998 relative à la propriété publique.
Dans ce cadre législatif, donc, on ne peut pas faire application des dispositions de l'art.35 de la Loi no.33/1994 relative à l'expropriation pour cause d'utilité publique, dans le cas des actions ayant comme objet des immeubles expropriés pendant 6 mars 1945 - 22 décembre 1989, introduites après l'entrée en vigueur de la Loi no.10/2001.
Vraiment, par le texte de ladite loi, on prévoit que « si les biens immobiles expropriés n'ont pas été utilisés dans le délai d'un an conformément au but pour lequel ils ont été pris, respectivement les travaux n'ont été pas démarrés, les anciens propriétaires peuvent demander leur rétrocession, si on n'a pas fait une nouvelle déclaration d'utilité publique ».
Cette disposition, comme celle de l'art.481 du Code civil, où on prévoit que « Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et recevant une juste et préalable indemnité », ne peuvent plus servir comme fondement dans le cas des actions ayant comme objet des immeubles expropriés pendant la période 6 mars 1945 - 22 décembre 1989, après l'entrée en vigueur de la Loi no.10/2001.
Par l'art.1 alinéa 1 de la Loi no.10/2001, on a prévu que « les immeubles pris abusivement par l'Etat, par les organisations des coopératives ou par toute autre personne morales pendant la période 6 mars 1945 - 22 décembre 1989, tout comme ceux pris par l'Etat selon la Loi no.139/1940 relative aux réquisitions et non restitués, seront restitués, en nature, selon les conditions de la présente loi » et, par les alinéas suivants sont réglementées les mesures réparatrices dans les cas où la restitution en nature n'est plus possible.
Cette réglementation ayant un caractère spéciale, elle offre le cadre juridique complet pour la restitution en nature et par des mesures réparatrices en équivalent. Au ce sens, il faut souligner que l'art.11 alinéa 1 de cette loi prévoit que « les immeubles expropriés et les constructions édifiées qui n'ont pas été démolies seront restituées en nature aux personnes ayants droit, si n'ont pas été aliénées, avec le respect des dispositions légales », spécifiant que « si la personne ayant droit a reçu un dédommagement, la restitution en nature est conditionnée du remboursement d'une somme représentant la valeur du dédommagement reçu, actualisé avec le coefficient d'actualisation établi conformément à la législation en vigueur ».
Les dispositions des autres alinéas de l'art.11 et les suivants de la Loi no.10/2001 assurent la réalisation en pratique de l'entière procédure de restitution et, respectivement, des mesures réparatrices en équivalent, constituant le cadre juridique, avec un caractère spécial, pour les actions de rétrocession des immeubles expropriés pendant le période 6 mars 1945 - 22 décembre 1989, le seul qui peut être invoqué après l'entrée en vigueur des dispositions de la même loi.
En conséquent, autant que la Loi no.10/2001 constitue une loi spéciale, parce qu'elle intéresse l'ordre public, et la Loi no.33/1994, qui réglemente le cadre de l'expropriation pour cause d'utilité publique, a un caractère général par rapport à la Loi no.10/2001, on constate que les dispositions de l'art.35 de cette dernière loi ne sont pas applicables aux actions ayant comme objet des immeubles expropriés pendant la période 6 mars 1945 - 22 décembre 1989, qui ont été introduites après l'entrée en vigueur de la Loi no.10/2001.
Une telle interprétation est imposée aussi par la réglementation donnée par l'art.6 alinéa 2 de la Loi no.213/1998 relative à la propriété publique et le régime juridique de celle-ci, selon laquelle « les biens pris par l'Etat sans titre valable, y compris ceux pris par la viciation du consentement, peuvent être revendiqués par les anciens propriétaires ou leurs successeurs, s'ils ne font pas l'objet d'une loi spéciale de réparations ».
En accord avec les solutions adoptées par la Cour Constitutionnelle de la Roumanie concernant le domaine d'application de la Loi no.10/2001 et la bonne foi du acheteur locataire, on constate que cette loi, dans les limites données par les dispositions de l'art.6 alinéa 2 de la Loi no.213/1998, constitue le droit commun en la matière de la rétrocession, en nature ou en équivalent, des immeubles pris par l'Etat, avec ou sans titre valable, pendant la période 6 mars 1945 - 22 décembre 1989.
Seules les personnes exceptées de la procédure de la Loi no.10/2001, tout comme celles qui, par des motifs indépendants de leur volonté, n'ont pas pu, dans les délais légaux, utiliser cette procédure, ont ouverte la voie de l'action en revendication - la rétrocession du bien en litige- , si celui n'a pas été acheté, avec bonne foi et avec le respect des dispositions de la Loi no.112/1995, par les locataires.
D'autant plus, sont, donc, irrecevables les actions en revendication, introduites après l'entrée en vigueur de la Loi no.10/2001, par les personnes qui ont utilisé la procédure de cette loi spéciale, solution en conformité avec la règle non bis in idem et avec le principe de la sécurité juridique consacré dans la jurisprudence CEDH (Brum?rescu - 1997 et autres).
La Loi no.10/2001 supprime, donc, l'action de droit commun de la revendication, mais pas l'accès à un procès équitable, parce que ladite loi qui est nouvelle, perfectionne le système réparateur et procédural, le contrôle judiciaire des réparations, par l'accès complet et libre aux trois degrés de juridiction, dans les conditions de l'art.21 alinéas 1 et 3 de la Constitution et de l'art.6 alinéa 1 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Conformément à la Loi no.10/2001, on confère pleine juridiction en la matière, avec l'obligation de l'examen du fond de l'affaire, en première instance au tribunal départemental, en appel, par voie de dévolution, à la Cour d'Appel et en recours, dans les limites des motifs prévus par l'art.304 points 1- 9 du Code de procédure civile, à la Haute Cour de Cassation et de Justice - la Chambre civile et de propriété intellectuelle.
Or, dès que la Loi no.10/2001 a été adoptée, ayant exactement le caractère spéciale mentionné, qui réglemente toutes les situations qui visent la restitution en nature ou les mesures réparatrices par équivalent dans le cas des immeubles expropriés pendant la période 6 mars 1945 - 22 décembre 1989, il s'impose que les dispositions de l'art.35 de la Loi no.33/1994 soient considérées restées sans application dans le cas des actions ayant comme objet de tels immeubles, si elles ont été introduites après l'entrée en vigueur de la Loi no.10/2001, comme dans tous les autres cas de prise abusive par l'Etat.
Par conséquent, selon les dispositions de l'art.25 lettre a) de la Loi no.304/2004 relative à l'organisation judiciaire, republiée, selon l'art.329 du Code de procédure civile, le pourvoi dans l'intérêt de la loi sera admis et on décidera au sens que les dispositions de l'art.35 de la Loi no.33/1994 relative à l'expropriation pour cause d'utilité publique, ne sont pas applicables dans le cas des actions ayant comme objet des immeubles expropriés pendant la période 6 mars 1945 - 22 décembre 1989, si elles ont été introduites après l'entrée en vigueur de la Loi no.10/2001.
PAR CES MOTIFS
AU NOM DE LA LOI
DECIDENT :
Admet le pourvoi dans l'intérêt de la loi, formé par le Procureur Général du Parquet auprès de la Haute Cour de Cassation et de Justice.
Les dispositions de l'art.35 de la Loi no.33/1994 relative à l'expropriation pour cause d'utilité publique sont interprétées au sens que :
Ces dispositions ne s'appliquent pas dans le cas des actions ayant comme objet des immeubles expropriés pendant la période 6 mars 1945 - 22 décembre 1989, actions introduites après l'entrée en vigueur de la Loi no.10/2001.
Obligatoire, pour les tribunaux, en conformité avec l'art.329 alinéa 3 du Code de procédure civile.
Rendu, aujourd'hui le 4 juin 2007.