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25/03/2003 | MAROC | N°A302

Maroc | Maroc, Cour suprême, 25 mars 2003, A302


Texte (pseudonymisé)
Arrêt n° 302
Du 25 Mars 2003
Dossier n° 194/5/1/2002
Abus d'autorité - Prérogative du juge administratif - Rendre un arrêt administratif (oui) - Déborder sur d'autres prérogatives (non)

Le législateur a conféré à l'administration le droit de protéger les cultures des parasites nuisibles, par l'exercice de la réglementation administrative, consistant dans la surveillance sanitaire et le contrôle des plants et des plantes à l'entrée du territoire national ou durant leur passage à travers le Royaume.
Le vice d'abus d'autorité s'accomplit chaque fois que l

e juge administratif outrepasse ses compétences et déborde sur celles de l'autorité ...

Arrêt n° 302
Du 25 Mars 2003
Dossier n° 194/5/1/2002
Abus d'autorité - Prérogative du juge administratif - Rendre un arrêt administratif (oui) - Déborder sur d'autres prérogatives (non)

Le législateur a conféré à l'administration le droit de protéger les cultures des parasites nuisibles, par l'exercice de la réglementation administrative, consistant dans la surveillance sanitaire et le contrôle des plants et des plantes à l'entrée du territoire national ou durant leur passage à travers le Royaume.
Le vice d'abus d'autorité s'accomplit chaque fois que le juge administratif outrepasse ses compétences et déborde sur celles de l'autorité législative ou exécutive, même superficiellement.
S'il est du ressort de la justice administrative de connaître dans la demande en annulation des décisions administratives pour cause d'abus d'autorité, ainsi que dans l'examen de la légitimité de ces décisions, il n'en est pas de même lorsqu'il s'agit d'octroyer une autorisation de sortie du blé saisi dans les silos du port de Casablanca en vue de le moudre, sans en référer à une décision des services administratifs compétents.
AU NOM DE SA MAJESTE LE ROI
La Cour,
Sur l'exception d'irrecevabilité:
Attendu que la défenderesse en cassation, Etablissements Ben Ac, dans son mémoire en réponse, souligne qu'il appert des textes de l'article 382 du Code de procédure civile qu'on entend par les décisions passibles de recours en annulation, celles rendues par les tribunaux de fond. Que la Cour suprême, la plus haute autorité en matière de justice, a le droit et la compétence d'accueillir ces demandes et d'y statuer sur des points de droit, et veiller à la bonne et saine application des lois. Or, la demande actuelle constitue un recours en annulation contre une décision émanant de la Cour suprême, ce qui implique son irrecevabilité.
Cependant, attendu que l'arrêt objet de recours émane de la Chambre administrative à la Cour suprême, statuant comme juridiction du second degré en matière de justice administrative, l'exception n'est pas à prendre en considération.
Au fond:
Attendu qu'il ressort des pièces versées au dossier, qu'en date du 29/10/2001, le Ministre de la justice a adressé une lettre au procureur général du Roi près la Cour suprême, en vue d'annuler la décision rendue le 22/06/2000 par la Chambre administrative de la Cour suprême, et ce pour cause d'abus d'autorité, en vertu des dispositions de l'article 382 du Code de procédure civile.

En fonction de quoi, le procureur général du Roi a présenté à la Cour suprême ce qui suit:

«En date du 10/05/96, le service de la protection des plantes et du contrôle des plants, dépendant de la Direction du contrôle et de la qualité du centre de Casablanca, a effectué des analyses sur un échantillon pris sur un chargement de blé tendre importé de l'Inde par les Ad Ab Ac, relevant que ce blé importé est atteint de «Ae Aa», préjudiciable pour la culture du blé. Vu la nocivité de ce parasite interdit d'entrée au Maroc, cause de ravage pour la culture du blé, et la facilité avec laquelle il se répand par tous les moyens, y compris le transport, la mouture ou la consommation du son par le bétail, les services compétents ont décidé de retourner le chargement ou de le détruire, se fondant sur les conventions internationales et les textes juridiques. Cependant, l'importateur, Ibn Ac, a contesté la légalité de cette décision et entrepris des procédures judiciaires, dontle recours en annulation contre la décision administrative de retour ou de destruction, arguant principalement de l'incompétence du service de la protection des plantes à contrôler le chargement de blé, dont l'origine est constituée par un contrat conclu avec l'Office du Blé et des Féculents. Ce que l'administration a considéré comme non concluant, en raison du fait que la décision contestée ne concerne ni la conclusion du contrat ni l'exécution de ses clauses, mais qu'elle émane d'une autorité administrative étrangère aux contractants, ce qui donne à la décision un caractère totalement indépendant dudit contrat, émise par l'autorité de réglementation administrative, que la loi autorise à effectuer le contrôle sanitaire, et à ordonner le retour ou la destruction de tout chargement infecté par des parasites nocifs faisant partie de la liste annexe de l'arrêt du 19/03/1984, dont l'article trois dispose que «.. sont retournées ou détruites, au choix du destinataire et à sa charge, les expéditions suspectées par le fonctionnaire du service de protection des plantes, de porter des germes nocifs figurant dans la liste annexée à la présente décision..»

En fonction de ces données, le tribunal administratif de Casablanca a rendu son jugement, rejetant la demande. Lequel a été annulé partiellement en appel par la Chambre administrative dans son volet relatif à la destruction, confirmant la légalité d'éloigner le blé incriminé du territoire national, se fondant sur un ensemble d'expertises, dont deux ordonnées par la Cour suprême, effectuées par des experts éminents, qui ont mis en garde contre le danger du germe précité pour le blé marocain, recommandant de le réexpédier vers des pays dont les cultures différentes des nôtres sont à l'abri du danger constitué par ce germe. Qu'en dépit de tout cela, au moment où l'on s'attendait à ce que Ibn Ac exécute la décision précitée, elle s'est empressée de solliciter du tribunal administratif de Casablanca l'autorisation de moudre le blé incriminé à l'intérieur du territoire national, sous l'égide et la responsabilité de l'Office National du Blé et des Féculents. Demande rejetée par ledit tribunal, mais qui a vu sa décision annulée par la Chambre administrative de la Cour suprême, qui, par évocation, et en se fondant sur une expertise, a autorisé la société Ibn Ac à moudre le blé en question, saisi dans les silos du port de Casablanca, et ce sous le contrôle de l'administration, alors que cette décision est en contradiction avec celle de la Cour suprême, et qu'elle constitue une immixtion dans le domaine réservé à l'administration et un abus d'autorité, suivant le concept de l'article 382 du Code de procédure civile. C'est aussi une violation des dispositions légales et réglementaires, ainsi que des conventions internationales, et constitue un précédent non prévu par les textes et un déni des règles organisant les accords internationaux.
Sur le premier moyen:
Attendu que le demandeur reproche à l'arrêt attaqué le fait que la justice a accédé à la demande des Ad Ab Ac, en lui permettant d'introduire le blé infecté dans le territoire national et de le moudre, ce qui constitue une ingérence dans un domaine réservé à l'administration, et un dépassement des limites de sa compétence. Car l'administration, de par son rôle d'instrument juridico - technique aux mains de l'exécutif, détient le pouvoir d'exercer l'autorité de réglementation administrative, et demeure fondée à faire usage de toutes sortes de moyens susceptibles de réguler ou d'organiser l'activité individuelle, de tolérer, prohiber ou interdire, ou bien avertir préalablement les services compétents. Le moyen le plus évident étant la nécessité de l'obtention d'une autorisation ou d'un permis auprès du service compétent. Que le législateur, à travers des textes législatifs ou réglementaires, a conféré à l'administration le droit de protéger les cultures des germes nocifs, par l'exercice de l'autorité de contrôle administratif, à savoir les formalités de contrôle et de vérification sanitaires des plants et plantes à l'entrée ou lors de leur passage à travers le territoire national. Lui donnant toute latitude à autoriser le passage de tout chargement importé, pour peu que soit établie la preuve qu'il ne comporte ni germes ni parasites; faute de quoi, est prononcé son retour ou sa destruction. En fonction de quoi, l'autorisation d'introduire et de moudre le blé importé par ladéfenderesse ne pourrait être accordée que par l'autorité administrative compétente. Cependant, l'importatrice a préféré saisir directement la justice administrative, sollicitant l'autorisation d'introduire le blé importé, en vue de le moudre dans un rayon ne dépassant pas 5 km du port, considéré comme une zone franche, et ce sous l'égide de l'Office National du blé. La chambre administrative de la Cour suprême, se substituant aux autorités administratives compétentes, a ainsi créé un précédent en accordant une autorisation d'entrée au Maroc à des produits sensibles, alors que cette autorisation demeure du ressort des autorités administratives, foulant au pied le principe sacro-saint de la séparation des pouvoirs, et exposant son arrêt à annulation, pour vice d'abus d'autorité, en application des dispositions de l'article 382 du code de procédure civile.
Attendu que le bien-fondé des griefs du demandeur de pourvoi est établi. Car, si le juge administratif est compétent à connaître dans les demandes d'annulation des décisions de l'administration en raison d'abus d'autorité, et à vérifier la légitimité de ces décisions (article 8 de la loi des tribunaux administratifs), il ne l'est plus lorsqu'il s'agit d'octroyer des autorisations en vue de réaliser un acte, qui demeure du ressort de l'autorité administrative, en application du principe de la séparation des pouvoirs.
Attendu que l'abus en question est constitué par le dépassement par le juge des limites fixées par la loi, il s'avère que le recours direct à la justice administrative par les Ad Ab Ac, en vue de faire sortir le blé saisi dans les silos du port de Casablanca, qui lui a permis de le moudre, avant d'obtenir une décision administrative à ce sujet, établit clairement le dépassement par la Chambre administrative de ses prérogatives, et la substitution à l'administration dans la décision, ce qui constitue une ingérence dans le travail de l'administration et, partant, un dépassement par les juges émetteurs de l'arrêt attaqué de leurs pouvoirs, impliquant l'annulation dudit arrêt, en application des dispositions de l'article 382 précité.
PAR CES MOTIFS
La Cour suprême, sans nul besoin de répondre aux autres moyens, décide donc l'annulation de l'arrêt attaqué émis en date du 22/06/2000.


Synthèse
Numéro d'arrêt : A302
Date de la décision : 25/03/2003
Chambre administrative

Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ma;cour.supreme;arret;2003-03-25;a302 ?
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