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14/12/1995 | MAROC | N°A550

Maroc | Maroc, Cour suprême, 14 décembre 1995, A550


Texte (pseudonymisé)
Arrêt n°550
Du 14 décembre 1995
Dossier nº354/95
Responsabilité - Services de justice - Perte d'un chèque .
Chèque déposé auprès des services du ministère public et égaré dans des circonstances indéterminées.
L'Administration est responsable de la perte du chèque.
Responsabilité fondée sur une faute de service. Il ne s'agit pas d'une erreur judiciaire. Pour établir la responsabilité de l'Administration en pareil cas, il ne serait pas nécessaire d'engager une procédure en justice contre les magistrats.
Article 79 du Code des Obligations et Contrats. A

rticle 391 du Code de Procédure Civile.
AU NOM DE SA MAJESTE LE ROI
La Cour,
Après délibér...

Arrêt n°550
Du 14 décembre 1995
Dossier nº354/95
Responsabilité - Services de justice - Perte d'un chèque .
Chèque déposé auprès des services du ministère public et égaré dans des circonstances indéterminées.
L'Administration est responsable de la perte du chèque.
Responsabilité fondée sur une faute de service. Il ne s'agit pas d'une erreur judiciaire. Pour établir la responsabilité de l'Administration en pareil cas, il ne serait pas nécessaire d'engager une procédure en justice contre les magistrats.
Article 79 du Code des Obligations et Contrats. Article 391 du Code de Procédure Civile.
AU NOM DE SA MAJESTE LE ROI
La Cour,
Après délibération conformément à la loi ;
Attendu qu'il résulte des pièces du dossier et de l'arrêt pourvu en cassation rendu par la Cour d'Appel de Tétouan, le 09/02/1995, dans le dossier nº947-93, que le pourvu en cassation, El Haj Ac B, a, en date du 11 octobre 1984, entamé une action dans laquelle il expose que le nommé EL BOUSSA?DI Boutahar lui a remis un chèque bancaire d'une somme de cent soixante mille dirhams, qu'il s'est avéré ultérieurement que ce chèque est sans provision, qu'il a alors engagé la procédure de protêt faute de paiement, que le chèque en question a été renvoyé par-devant le parquet général compétent de Tétouan, mais que ce chèque a été égaré et que cette perte a entraîné l'acquittement de la partie qui avait émis le chèque en vertu d'une décision non passible de recours ;
Pour ce, il a sollicité d'ordonner à l'Etat marocain, en la personne de son premier ministre, de payer la somme équivalente à celle du chèque égaré et de le condamner à lui verser un dédommagement de deux cent vingt mille dirhams ;
Il a joint à sa requête les pièces justificatives ;
Après accomplissement des formalités, le tribunal de première instance a rendu son jugement qui fut confirmé par la cour d'appel et qui a décidé le rejet de la requête pour motif de défaut de détermination de la partie responsable de la perte du chèque, en précisant qu'il fallait engager l'action contre celui qui avait émis le chèque perdu ;
Après recours par-devant la Cour Suprême, celle-ci s'est prononcée dans le dossier n°7153-87, le 10 mars 1993, par la cassation de l'arrêt précité pour manque de motivation équivalent au défaut de motivations, car le tribunal aurait dû statuer sur le fait que l'Etat était responsable ou pas de la perte du chèque objet de l'action; La Cour Suprême a alors renvoyé l'affaire par-devant la cour ;
Après accomplissement des formalités par-devant ladite Cour, celle-ci a annulé le jugement interjeté d'appel et a ordonné à l'Etat marocain de payer la valeur du chèque perdu, avec un dédommagement de dix mille dirhams ;
En ce qui concerne le premier moyen :
Attendu que l'Etat marocain reproche à l'arrêt pourvu en cassation la violation de l'article 395 du Code de Procédure Civile qui prévoit que les prises en parties sont portées devant la Cour Suprême puisque la responsabilité pour les actes judiciaires a une procédure spéciale et que l'action en cours est entamé contre une instance judiciaire, à savoir le parquet général, que le demandeur qui sollicite déclarer la responsabilité de l'Etat devait au préalable engager une action devant la Cour Suprême dans le cadre de la prise à partie conformément aux dispositions de l'article 395 sus-indiqué et qu'il ne peut pas faire recours à la justice pour demander des dommages et intérêts pour un préjudice causé par la conduite du ministère public ;
Cependant, attendu que l'article 391 du Code de Procédure Civile prévoit que les magistrats peuvent être pris à partie dans les cas suivants :
1) S'il y a eu dol, fraude, concussion qu'on pourrait imputer, soit à un magistrat du siège dans le cours de l'instruction ou lors du jugement, soit à un magistrat du ministère public dans l'exercice de ses fonctions ;
2) Si la prise à partie est expressément prévue par une disposition législative ;
3) Si une disposition législative déclare des juges responsables, à peine de dommages-intérêts ;
4) S'il y a déni de justice ;
Or, la présente affaire, selon les pièces du dossier est fondée sur la perte d'un chèque dans les services du ministère public dans des circonstances absolument indéterminées; Ceci n'entre pas dans le cadre des quatre cas cités et n'est pas lié à l'exercice d'une activité judiciaire pur ayant volontairement perpétré un dol, une fraude, une concussion ou un déni de justice dans le cadre des dispositions de l'article 391 précité; La cour a donc valablement fondé sa décision lorsqu'elle a considéré qu'il ne serait pas nécessaire d'engager la procédure de prise à partie contre les magistrats pour établir la responsabilité de l'Etat en pareille affaire ;
La contestation y afférente est donc sans objet, d'où le défaut de fondement du moyen invoqué ;
En ce qui concerne le deuxième moyen :
Attendu que le pourvoyant en cassation reproche à l'arrêt objet du recours le manque de motivations qui est équivalent au défaut de motivations, ainsi que l'absence de fondement; Ce qui constitue une violation de l'article 345 du Code de Procédure Civile, car l'arrêt a prévu que l'Etat est responsable de la perte du chèque en se contentant de la motivation ci-après :
"L'Etat marocain et consorts n'ont pas pu justifier les circonstances de la perte du chèque ni en déterminer l'auteur "; A la lecture de cette motivation, il ressort que la cour a essayé de démontrer le motif ayant entraîné la cassation de l'arrêt précédemment rendu en l'affaire, c'est à dire celui de ne pas avoir statué sur le fait de savoir que si l'Etat était responsable de la perte du chèque dans l'un de ses services ou non ;
Sa motivation était donc ambigus, puisqu'elle n'avait pas exposé le côté de la carence de l'Etat, en plus du fait que c'est une motivation non conforme à la réalité, car l'Etat avait auparavant invoqué, dans sa requête de cassation en l'affaire, qu'il n'en assumait aucune responsabilité, que l'argument que le chèque a été égaré dans les services du ministère public est fausse et que le service des Postes a attesté avoir reçu une enveloppe postale du ministère public de Tétouan qui contenait le chèque égaré ;
Mais attendu qu'en se référant aux pièces du dossier en cours et aux dispositions de l'arrêt en cassation, il est établi qu'il n'y a aucune invocation par aucune pièce prouvant que l'Administration des Postes reconnaît avoir reçu le chèque objet de cette action, mais ce qui est indiscutable c'est que le chèque en question était déposé au parquet et que lorsque la cour a prévu dans sa motivation ce qui suit : " Il résulte du procès verbal du protêt faute de paiement que l'original du chèque au montant de cent soixante mille dirhams a été déposé auprès des services du parquet et que ce chèque a été égaré dans des circonstances indéterminées" et lorsque ladite cour a rapporté par la suite la motivation indiquée dans le moyen, elle a de ce fait statué sur la responsabilité de l'Etat tout en étant tenue par les dispositions de l'arrêt de cassation antérieur; Sa motivation était donc claire et suffisante, le moyen invoqué est alors sans fondement.
En ce qui concerne le troisième moyen :
Attendu que le pourvoyant en cassation reproche à l'arrêt objet du recours l'absence de motivation en ce qui concerne le fondement de la responsabilité de l'Etat, car le demandeur, pourvu en cassation a fondé son action sur la théorie des risques et l'arrêt pourvu en cassation a adopté son argument, alors qu'il fallait déterminer la responsabilité en cette action sur la faute à établir; Il s'agit en fait d'une allégation de perte d'un chèque dans les services du parquet général et que celui qui prétend que l'Etat en est responsable est tenu de le prouver ;
Or, le demandeur, pourvu en cassation, n'a pas pu l'établir ;
Mais, attendu d'un côté, qu'il résulte des pièces et des dispositions de l'arrêt pourvu en cassation que le demandeur a présenté une photocopie certifiée conforme à l'original du procès verbal de protêt pour défaut de paiement portant nº128-74, pour établir que le parquet de l'ex-tribunal régional de Ab avait reçu le chèque le 16 juillet 1974; De même qu'il a produit des copies d'arrêts rendus par la Cour Suprême et par la Cour d'Appel pour établir que l'émetteur du chèque égaré a été acquitté pour inexistence du chèque en question et qui constitue l'axe principal du crime comme indiqué dans la motivation de l'arrêt de la cour Suprême présenté; Ainsi, lorsque la Cour a pris en considération les pièces précitées, tel qu'il résulte des dispositions de son arrêt, et lorsque l'Administration n'a pas prouvé le contraire, ladite cour a alors fondé sa décision sur des moyens juridiques pour établir la responsabilité en litige ;
Attendu, en second lieu, qu'aucune mention dans les motivations évoquées par la cour n'indique qu'elle s'était reposée sur la théorie des risques, mais que dans ses motivations, il a été indiqué qu'il a été démontré au vu du procès verbal de protêt pour défaut de paiement que le chèque a été déposé aux services du parque et qu'il a été égaré dans des circonstances confuses selon le contenu de la requête d'action et de l'arrêt d'appel ordonnant l'acquittement de l'émetteur; Par conséquent, l'Etat marocain et consorts n'ont pas pu éclaircir les circonstances de la perte du chèque ni en déterminer l'auteur; L'Etat demeure alors responsable; Sur la base de cette motivation, la cour a fondé la détermination de la responsabilité sur la faute du service établie au vu des pièces produites par la partie demanderesse; Le moyen invoqué, à ses deux aspects, ne reposait alors sur aucun fondement ;
Au sujet du quatrième moyen :
Attendu que le pourvoyant reproche à l'arrêt pourvu en cassation le fait qu'il manque de motivations et de fondement valable en ce qui concerne le dédommagement jugé ;
L'Etat a été condamné à payer le montant du chèque égaré du fait qu'il est responsable de sa perte, or, lorsqu'on se réfère à la procédure ayant abouti à l'acquittement de l'émetteur du chèque, il ressort que l'acquittement repose sur le désaveu de l'inculpé. Ceci signifie que le principal de la créance est contesté et que même si on suppose l'existence du chèque, rien ne confirme que le porteur en bénéficiera du moment que l'accusé a renié l'avoir remis et signé; Le dédommagement jugé repose donc sur un préjudice présupposé ;
Mais, attendu que sans tenir compte du motif sur lequel repose réellement le jugement d'acquittement de l'accusé, par l'émission du chèque égaré, il résulte de la révision des pièces et des dispositions de l'arrêt pourvu en cassation que le pourvoyant en cassation n'a pas contesté par-devant les juges du fond la véracité des indications du chèque dont le montant est réclamé, mais qu'il soulève cette contestation pour la première fois devant la Cour Suprême, avec une confusion entre le fait et le droit; Le moyen invoqué est par conséquent irrecevable ;
En ce qui concerne le cinquième moyen :
Attendu que le pourvoyant en cassation attaque l'arrêt, objet du recours, pour son défaut de motivations et pour défaut de fondement juridique en ce qui concerne les dommages et intérêts, puisque la cour, en plus de la valeur du chèque, a ordonné à l'Etat de verser le montant de dix mille dirhams à titre de dédommagement, sans pour autant démontrer dans ledit arrêt les éléments du préjudice pris en considération dans la fixation de ce dédommagement ;
Cependant, attendu qu'il a été indiqué dans les motivations de l'arrêt pourvu en cassation qu'il est incontestable que le chèque comprend le montant précité, soit cent soixante mille dirhams; De même qu'il a été établi que le bénéficiaire ne s'en est pas servi pendant plusieurs années, que ces années ont été déterminées selon la mention faite par laCour dans ses motivations portant sur la décision d'acquittement du tireur sur la base du dédommagement; Il s'agit là de l'arrêt d'appel rendu le mois de novembre 1983; La cour a de ce fait exposé l'élément de préjudice nécessitant un dédommagement et a valablement et suffisamment motivé son arrêt; Le moyen soulevé n'est donc pas conforme à la réalité ;
PAR CES MOTIFS
La Cour Suprême rejette la requête et laisse les dépens à la charge de la partie requérante.
Ainsi rendu arrêt et prononcé en l'audience publique tenue à la date sus-indiquée, en la salle ordinaire des audiences de la Cour Suprême de Rabat, par la Cour composée de :
F M. Maxime AZOULAY, Président de la Chambre Administrative,
F M. Mohamed Montassir DAOUDI, Mohamed KHATTABI, Mustapha MOUDARAA, Mohamed BOURAMDANE, conseillers,
F en présence de M. Abdelhamid LAAHRICHI, avocat général
F et avec l'assistance de M. Aa A, secrétaire greffier.


Synthèse
Numéro d'arrêt : A550
Date de la décision : 14/12/1995
Chambre administrative

Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ma;cour.supreme;arret;1995-12-14;a550 ?
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