163-65/66 30 décembre 1965 10 524
Société Commerciale des Ports d'Afrique Aa dite Ac c/ Société Industrielle et Commerciale Protom et compagnie d'assurances «La Préservatrice ».
Rejet du pourvoi formé contre un arrêt de la Cour d'appel de Rabat du 13 décembre 1961.
La Cour,
SUR LES DEUX MOYENS DE CASSATION REUNIS, pris par la demanderesse, le premier, de la «violation des articles 2 et 9 de la loi française du 2 avril 1936, en ce que l'arrêt critiqué a admis que la SOCOPAO était en faute de n'avoir pas procédé à une pesée contradictoire de la marchandise à l'embarquement et devait de ce fait supporter la responsabilité du manquant;
« alors que d'une part, ( première branche) le transport dont il s'agit était régi par la loi du 2 avril 1936 et ce texte prohibant les clauses tendant à décharger le transporteur de sa responsabilité, notamment la clause «poids inconnu», le bord devait être responsable de la quantité déclarée comme embarquée et indiquée au connaissement :
« alors que d'autre part, (deuxième branche) il n'y avait pas de faute de la SOCOPAO à ne pas exiger de pesée contradictoire, la clause «poids inconnu» ne pouvant jouer vis-à-vis du chargeur et le transporteur devant apporter la preuve que la quantité connaissementée n'avait pas été réellement embarquée »;
le deuxième, de la «fausse application des articles 903 et suivants du Code des obligations et contrats, du défaut de motifs et du manque de base légale, en ce que l'arrêt critiqué a estimé que la responsabilité de SOCOPAO était engagée en raison de sa prétendue faute, alors qu'il n'a pas été constaté que le dommage subi par PROTOM et «La Préservatrice» était la conséquence directe de la prétendue faute reprochée à l'exposante »;
Vu lesdits articles;
Attendu que les motifs d'une décision judiciaire ne pouvant être sainement appréciés qu'en fonction du contexte, une demanderesse en cassation ne saurait les fragmenter arbitrairement pour tenter de tirer argument d'un motif pris isolément;
Attendu qu'il résulte des éléments de la cause et de l'arrêt attaqué que la SOCOPAO avait reçu de l'expéditeur, la société PROTOM. Mandat de faire procéder à Ab aux opérations de pesage et d'embarquement sur le S/S Nador de 650 tonnes de ferraille à destination de Gênes;
Que s'il énonce effectivement que la SOCOPAO a «commis une faute en réalisant cet embarquement sans qu'il fût procédé avec le bord à une pesée contradictoire des marchandises embarquées, l'arrêt attaqué copstate surtout que «les indications relatives au poids embarqué ont été fournies par (la SOCOPAO) elle-même, en suite des pesées qu'elle dit avoir effectuées à Ab et Bonabéri », que «le S/S Nador ne pouvait charger plus de 580 tonnes, et non 659 tonnes 800 comme déclaré au connaissement », qu'il «n'a pas effectivement chargé cette dernière quantité puisqu'à son arrivée à Gênes ses cales étant pleines et aucune escale n'ayant eu lieu, il n'a pu débarquer que 72,50% du tonnage déclaré à l'embarquement », et qu'il est «exclu qu'une perte ait pu se produire en cours de transport »;
Qu'il décide que «dans ces conditions de fait, la Société Navale du Maghreb », transporteur, «et le capitaine du S/S Nador apportent la preuve de l'inexactitude des mentions du connaissement », que ces défendeurs doivent être mis hors de cause et que la SOCOPAO doit répondre du manquant entre la quantité qu'elle dit avoir expédiée, sans en apporter la moindre preuve, et la quantité reçue »;
Attendu, d'une part, qu'ayant à bon droit admis que les parties pouvaient faire la preuve de l'inexactitude des mentions du connaissement, les juges d'appel se sont bornés, sans se prononcer sur
la validité de la clause «poids inconnu» y figurant, à mettre hors de cause le transporteur et le capitaine parce qu'ils établissaient que le manquant s'était produit avant l'embarquement de la marchandise qu'ils n'ont donc pu violer les dispositions des articles l er et 9 de la loi du 2 avril 1936
visés au moyen;
Que d'ailleurs les dispositions dudit article 9 déclarant nulle dans un connaissement toute clause ayant pour objet de soustraire le transporteur maritime à sa responsabilité, ne s'appliquent, aux termes de l'article 1er de la loi du 2 avril 1936, que «depuis la prise en charge des marchandises sous palan jusqu'à leur remise sous palan au destinataire », et qu'aucun texte de droit maritime n'interdit au transporteur de se prévaloir d'une telle clause lorsque, comme en l'espèce, il est démontré que le manquant s'est produit avant l'embarquement;
Attendu, d'autre part, qu'en déduisant à bon droit de constatations de fait, non contradictoires entre elles, un défaut de soins de la SOCOPAO dans l'exécution du mandat qu'elle avait reçu de la société PROTOM, expéditeur de la marchandise, l'arrêt attaqué a justifié légalement sa décision condamnant a SOCOPAO a réparer le préjudice que l'inexécution de son obligation avait causé à son mandant et à l'assureur de ce dernier;
D'où il suit que les moyens ne sont pas fondés;
PAR CES MOTIFS
Rejette le pourvoi.
Président : M. Deltel.__Rapporteur : M. Carteret.__Avocat général : M.Ruolt__Avocats : MM. Benzaquin, Walch.
Observations
I.-Dans le même sens C.S. crim. 4 fév. 1950 n.542 Rec. I p. 201, 11 mai 1961 n. 870 Rec. II p. 238, 1er juin 1961 n. 882 bid. p. 261, 4 janv. 1962 Rec. III p. 76.
Il et III.-L'arrêt rapporté a été rendu dans le Cadre de la loi française du 2 avr. 1936 (aujourd'hui abrogée et remplacée par la loi du 18 juin 1966). Mais l'application du Code de Commerce maritime marocain aurait abouti en fait à un résultat identique.
Selon l'art. 9 de la loi susvisée, est nulle toute clause du connaissement ayant directement ou indirectement pour objet de soustraire le transporteur à sa responsabilité ou de renverser le fardeau de la preuve. Mais, aux termes de l'art. 1 de la loi, cette disposition n'est applicable que depuis la prise en charge des marchandises sous palan jusqu'à leur remise au destinataire, si bien que la clause «que dit être» ou «poids inconnu» figurant au connaissement n'est pas nulle lorsque, comme en l'espèce, le transporteur maritime établit que les manquants se sont produits avant le chargement ou après le déchargement du navire (sur ces questions, v. Ad Ae A, n. 1468, 1469, 1776, 1777, 1778). En droit marocain, par exception à la règle prévue à l'art. 264, l'art. 265 C. com. mar. admet la validité des
clauses «que dit être» ou «poids et qualité inconnus» et toutes autres équivalentes, mais spécifie toutefois qu'elles ont pour effet exclusif de mettre la preuve du manquant à la charge de l'expéditeur ou du réceptionnaire; dès lors, même en appliquant le principe de l'unité du contrat de transport (v. supra note sous l'arrêt n°71), c'est-à-dire en décidant que la règle prévue à l'art. 264 vise non seulement la partie proprement maritime du transport mais aussi ses opérations de manutention qui la précèdent et qui la suivent, la clause «poids inconnu» insérée dans le connaissement permet, comme en droit français mais pour des motifs différents, au transporteur de démontrer que le tonnage indiqué par le chargeur n'a pas été effectivement embarqué.
IV. Aux termes de l'art. 903,al. 2 C. obl. contr. «le mandataire est tenu d'apporter à la gestion dont il est chargé la diligence d'un homme attentif et scrupuleux, et il répond du dommage causé au mandant par le défaut de cette diligence, tel que l'inexécution volontaire de son mandat ou des instructions spéciales qu'il a reçues, ou l'omission de ce qui est d'usage dans les affaires »
En l'espèce la SOCOPAO avait reçu de la société PROTOM mandat de lui expédier à Gênes
650 tonnes de ferraille. Sa faute dans l'exécution de cette mission était suffisamment caractérisée par les constatations de fait des juges d'appel qui impliquaient que les opérations de pesage et d'embarquement avaient été mal faites puisque pour 659 tonnes indiquées au connaissement, 580 seulement avaient été effectivement chargées.