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28/12/1965 | MAROC | N°C144

Maroc | Maroc, Cour suprême, 28 décembre 1965, C144


Texte (pseudonymisé)
144-65/66 28 décembre 1965 14319 et 14320
Compagnie Internationale des Grands Magasins et Société Civile Immobilière du Boulevard Aa
c/veuve Ac Ab, Ac Ad, Vernes Louis et autres.
Rejet du pourvoi formé contre un arrêt de la Cour d'appel de Rabat du 20 février 1963.
La Cour ,
SUR LE PREMIER MOYEN DE CASSATION, pris de «la violation des articles 86 et 92 du dahir du 9 ramadan 1331 (12 août 1913) sur l'immatriculation et refus d'application, des articles 66 et 70 du même dahir, de l'article 189 du dahir du 9 ramadan 1331 (12 août 1913) sur la procédure civile, du défau

t et de la contradiction de motifs et du manque de base légale, «en ce que ...

144-65/66 28 décembre 1965 14319 et 14320
Compagnie Internationale des Grands Magasins et Société Civile Immobilière du Boulevard Aa
c/veuve Ac Ab, Ac Ad, Vernes Louis et autres.
Rejet du pourvoi formé contre un arrêt de la Cour d'appel de Rabat du 20 février 1963.
La Cour ,
SUR LE PREMIER MOYEN DE CASSATION, pris de «la violation des articles 86 et 92 du dahir du 9 ramadan 1331 (12 août 1913) sur l'immatriculation et refus d'application, des articles 66 et 70 du même dahir, de l'article 189 du dahir du 9 ramadan 1331 (12 août 1913) sur la procédure civile, du défaut et de la contradiction de motifs et du manque de base légale, «en ce que l'arrêt attaqué a refusé d'admettre la caducité d'une Prénotation non suivie d'une demande en justice dans le mois, ni d'une inscription définitive du droit prénoté dans les six mois de sa date, «aux motifs d'une part que, des règles posées par l'article 86 précité, «il se (dégagerait) que lorsque le droit à inscrire ne doit pas nécessairement être reconnu en justice, la Prénotation prise en vertu d'une ordonnance se périme par
six mois, et que c'est seulement dans le cas contraire que l'instance doit être engagée et la requête introductive mentionnée au livre foncier dans le délai d'un mois à compter de la Prénotation », et, d'autre part, qu'en l'espèce, il n'aurait pas existé, le 23 octobre 1947, date de la Prénotation litigieuse, «une situation contentieuse résultant de la Prénotation du droit de préférence de la CIGMA », l'une des exposantes;
«alors que, d'une part, l'article 86 précité, dont les termes sont clairs, formels et dépourvus de
toute obscurité ou ambiguïté, ne fait ni expressément ni implicitement la distinction imaginée par l'arrêt et que, tout au contraire, il impose, sous peine de la radiation d'office prévue à l'article 92, que la Prénotation soit suivie ou bien d'une demande en justice dans le mois, ou bien d'une inscription définitive dans les six mois de sa date, et que ni l'un ni l'autre de ces événements n'est survenu en l'espèce dans les délais respectivement impartis;« Et alors d'autre part, qu'en affirmant qu'il n'existait pas de situation contentieuse en l'espèce le 23 octobre 1947, l'arrêt attaqué a contredit et dénaturé ses propres constatations selon lesquelles, bien que la société venderesse eût affirmé dès le 12 septembre 1947 aux requérants à la prénotation du 23 octobre suivant que le «droit de préférence» de la CIGMA était annulé, ce même droit de préférence faisait l'objet, le 14 octobre suivant, d'une prénotation inscrite à la requête de la CIGMA qui affirmait ainsi sa volonté de le sauvegarder et de l'exercer, d'où il résulte qu'en statuant comme ils l'ont fait et dans le cadre même de l'interprétation inexacte en droit de l'article 86 précité, par eux retenue, les juges d'appel n'ont pas donné une base légale à leur décision »;
Attendu qu'il résulte de la procédure et des énonciations de l'arrêt attaqué (Rabat 20 février 1963) que, par acte sous seing privé du 10 octobre 1947 précédé d'un acte intitulé «convention du 10 septembre 1947», la société «Fra0nce-Maroc» avait vendu aux consorts Vernes l'immeuble lui appartenant, immatriculé au livre foncier sous le n°16 337/R, et qu'en attendant l'inscription de la vente, différée pour des raisons de forme, les consorts Vernes avaient pris le 23 octobre 1947 une prénotation pour la sauvegarde du droit de propriété à eux transmis;
Qu'il en ressort également que le 14 octobre 1947 la Compagnie Internationale des Grands Magasins (CIGMA) avait prénoté sur le titre foncier le droit de préemption que lui avait réservé la société «France-Maroc» sur le même immeuble lors du bail que celle-ci lui en avait consenti le 1er juillet 1929; qu'ayant reçu le 28 octobre 1947 notification que lui faisait la CIGMA de son intention d'exercer son droit de préemption la société «France-Maroc» a consenti à lui vendre l'immeuble; que la vente a été réalisée par un acte authentique du 14 novembre 1947, acte dans lequel la CIGMA s'est réservé le droit de déclarer command, et que le même jour cette société a indiqué à la société «France-Maroc», qui a accepté, qu'elle avait acheté l'immeuble au nom et pour le compte de la Société Civile Immobilière du Boulevard Aa, laquelle a fait opérer le 20 novembre 1947 sur le titre foncier, une prénotation, puis le 3 février 1948 l'inscription définitive de son acquisition; que les consorts Vernes, soutenant que la vente à eux consentie était seule valable et opposable aux tiers par la prénotation qu'ils en avaient prise, ont assigné la société «France-Maroc», la CIGMA, la Société Civile immobilière du Boulevard Aa et le conservateur de la propriété foncière en demandant au tribunal de reconnaître leurs droits et d'ordonner la radiation des prénotations et inscriptions prises par les deux dernières sociétés susdésignées; que la Cour d'appel de Rabat, saisie comme juridiction de renvoi en suite d'un arrêt de la Cour de cassation française en date du 15 juillet 1958 cassant et
annulant une précédente décision de ladite Cour d'appel, a confirmé le jugement rendu entre les parties le 11 juillet 1949 qui faisait droit à la demande des consorts Vernes;
Attendu que, contrairement aux affirmations des demandeurs au pourvoi, il résulte des dispositions combinées des articles 85 et 86 du dahir du 12 août 1913 sur l'immatriculation des immeubles que l'effet d'une prénotation requise en vertu d'une autorisation du président du tribunal se prolonge jusqu'à la fin de la procédure si, dans un délai de six mois à compter de cette prénotation, une demande en justice a été formée et a été mentionnée au livre foncier dans le mois de sa formation;
Attendu qu'ayant fait mentionner au livre foncier le 20 mars 1948, soit moins de six mois après leur prénotation du 23 octobre 1947, la demande en justice qu'ils avaient formée le 19 mars 1948, les consorts Vernes avaient satisfait aux exigences de l'article 86 susvisé; que dès lors c'est à bon droit que la Cour d'appel a décidé que cette prénotation devait produire effet jusqu'à la fin de la procédure;
Attendu d'autre part que les juges d'appel n'ont pas entaché leur décision de contradiction en affirmant qu'il n'existait pas de «situation contentieuse» le 23 octobre 1947 lors de la prénotation des 23 octobre 1947 lors de la prénotation des consorts Vernes, bien qu'ils aient constaté que la CIGMA avait fait inscrire le 14 octobre 1947 une prénotation pour la sauvegarde de son droit de préemption; qu'en effet l'arrêt attaqué a pris soin d'indiquer que «ce droit de préférence purement éventuel ne pouvait faire obstacle à l'inscription de l'acquisition des consorts Vernes qu'à compter du jour où il serait valablement exercé, que cette éventualité pouvait fort bien ne pas se produire et qu'en fait elle ne s'est pas réalisée »;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé;
SUR LE DEUXIEME MOYEN DE CASSATION, pris «de la violation par fausse application des principes relatifs à la déclaration de command, de l'article 230 du dahir du 9 ramadan 1331 (12 août 1913) portant Code des obligations et contrats, et des articles 478 et 488 du même dahir, ensemble violation de l'article 189 du dahir du 9 ramadan 1331 (12 août 1913) sur la procédure civile ,« en ce que; pour refuser tout effet à la prénotation du 14 octobre 1947, inscrite à la requête de la CIGMA, l'arrêt attaqué s'est fondé sur ce qu'en raison de la déclaration de command par elle faite au profit de la S.C.I. Aa, la CIGMA devrait être considérée comme n'ayant pas exercé le droit de préemption dont elle était bénéficiaire et qui avait fait l'objet de ladite prénotation,« sans répondre aux conclusions précises et pertinentes de la société exposante où il était exposé qu'un accord définitif sur la chose et le prix étant intervenu dès le 28 octobre 1947 entre la société «France-Maroc» et la CIGMA, cet accord avait constitué vente définitive de l'immeuble consentie à la CIGMA en vertu de son droit de préemption. et que la déclaration de command ultérieurement intervenue n'avait été qu'un procédé apparent utilisé par la CIGMA pour transférer à la S.C.I. Aa avec le bénéfice de son droit de préemption celui de l'acquisition à laquelle elle avait ainsi et préalablement procédé »;
Attendu que la CIGMA et la Société Civile Immobilière du Boulevard Aa demandaient à la Cour d'appel de dire et juger qu'en dépit de l'insertion d'une déclaration de command dans l'acte de
vente du 14 novembre 1947, la CIGMA avait valablement exercé son droit de préemption par l'exploit du 28 octobre 1947 et que dès lors la prénotation de ce droit le 14 octobre 1947 devait primer la prénotation inscrite le 23 octobre 1947 à la requête des consorts Vernes;
Attendu qu'après avoir rappelé l'argumentation développée par ces deux sociétés qui invoquaient les circonstances particulières de la déclaration de command, de nature selon elles à faire fléchir la rigueur des principes juridiques applicables en la matière, l'arrêt attaqué rejette leur demande au motif que «quelles que soient leurs relations commerciales ou intérêts communs» la CIGMA et la Société Civile Immobilière du Boulevard Aa «ne sauraient nier qu'elles constituent deux personnes morales absolument distinctes» et que «n'ayant à aucun moment agi dans son intérêt personnel» la CIGMA «n'a pas exercé le droit de préférence dont elle était l'unique bénéficiaire »;
Attendu que ces constatations et appréciations impliquent nécessairement que par sa déclaration de command insérée dans l'acte de vente du 14 novembre 1947, la CIGMA avait renoncé à exercer le droit de préemption qu'elle avait revendiqué dans la sommation du 23 octobre 1947;
Qu'ainsi les juges d'appel, qui n'étaient d'ailleurs pas tenus de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, ont répondu aux conclusions dont ils étaient saisis;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé;
SUR LE TROISIEME MOYEN DE CASSATION; pris de «la violation des articles 77 et 78 du dahir du 9 ramadan 1331 (12 août 1913) formant Code des obligations et contrats, de l'article 67 du dahir du 9 ramadan 1331 (12 août 1913) sur l'immatriculation des immeubles, ensemble violation de l'article 189 du dahir du 9 ramadan 1331 (12 août 1913) sur la procédure civile, du défaut et de la contradiction de motifs, et du manque de base légale, «en ce que l'arrêt attaqué, tout en constatant que les consorts Vernes, défendeurs en cassation., connaissaient le droit de préemption de la CIGMA, l'une des exposantes, sur l'immeuble litigieux et qu'ils avaient commis une négligence en se contentant, pour acheter cet immeuble, des simples affirmations de la société venderesse selon lesquelles ce droit avait été «annulé », a cependant refusé d'annuler la vente ainsi consentie au mépris d'un droit de préemption connu des acquéreurs, sous prétexte que cette annulation supposerait la connaissance par l'acquéreur, non seulement de la promesse de vente ou du pacte de préférence, mais aussi de l'intention de son bénéficiaire d'en profiter, et qu'il ne serait pas établi ., en l'espèce., que les consorts Vernes eussent eu cette connaissance;
« alors, d'une part, que la simple connaissance par l'acquéreur d'un bien de la promesse de vente
ou du pacte de préférence consenti à un tiers relativement à ce bien suffit à caractériser sa faute délictuelle civile et à ouvrir droit au bénéficiaire de la promesse ou du pacte méconnu à la réparation du préjudice qu'il subit au moyen de l'annulation de la vente; «et alors, d'autre part, que le transfert conventionnel de la propriété d'un immeuble immatriculé ne se produisant, même entre les parties, que par l'effet de la publicité, c'est au plus tôt le 23 octobre 1947, date de la prénotation de la convention de vente, que les consorts Vernes auraient acquis l'immeuble litigieux, et qu'il résulte des constatations de l'arrêt qu'à cette date ils ont pris connaissance de la prénotation inscrite le 14 octobre
précédent à la requête de la CIGMA pour la sauvegarde de son droit de préemption et, partant, de la volonté de la société bénéficiaire de ce droit d'en profiter »;
Attendu que la Société Civile Immobilière du Boulevard Aa n'ayant jamais été titulaire du droit de préemption le moyen est inopérant en tant que présenté par cette société;
Attendu d'autre part, que les consorts Vernes eussent-ils eu connaissance eu l'intention de la CIGMA d'exercer son droit de préemption lorsqu'ils ont requis la prénotation du 23 octobre 1947 ou signé l'acte de vente du 10 octobre 1974, les juges d'appel ne sauraient se voir reprocher leur refus de prononcer la nullité de cette vente, dès lors que, par une disposition de l'arrêt attaqué devenue irrévocable ensuite du rejet du deuxième moyen de cassation, ils ont décidé que la CIGMA n'a finalement pas une «du droit de préférence dont elle était l'unique bénéficiaire »; d'où il suit qu'en tant que présenté par la CIGMA le moyen ne petit être accueilli;
PAR CES MOTIFS
Rejette les pourvois.
Président: M. Deltel.__Rapporteur : M. Colombini.__Avocat général : M. Ruolt.__Avocats : MM. Meylan, Bayssière.
Observations
I.-Aux termes de l'art. 85 Dh. Foncier, «quiconque prétend à un droit sur un immeuble immatriculé peut requérir une prénotation pour la conservation de ce droit », et «la date de cette prénotation fixe le rang de l'inscription ultérieure du droit ».
Le texte prévoit trois sortes de prénotations.
1° Lorsque le titre constatant le transfert d'un droit réel est incomplet ou n'est pas accompagné des documents permettant au conservateur de procéder aussitôt à l'inscription, les parties peuvent d'un commun accord obtenir la prénotation du droit de l'acquéreur. Cette prénotation n'est valable que dix jours (art. 6 Dh. 1er juin 1915).
2° Toute demande en justice tendant à la reconnaissance d'un droit réel peut faire l'objet d'une prénotation sur présentation d'un extrait de cette demande délivré par le greffe. Cette prénotation produit effet jusqu'à la solution du litige qui aboutit soit à sa radiation soit à son remplacement par une inscription définitive, selon que le demandeur a perdu ou a gagné son procès.
3° Enfin, une prénotation peut requise en vertu d'une ordonnance du président du tribunal.
Aux termes de l'art. 86 Dh. foncier l'effet de celle-ci «cesse si l'inscription définitive n'est pas opérée dans les six mois ou si une demande en justice n'a pas été formée et mentionnée au livre foncier dans le délai d'un mois ».
L'interprétation littérale de ce texte est la suivant (V. Roché Rev. trim. dr.civ. 1965, p. 35; v. également Cusy, La Prénotation en droit foncier marocaine, Rec. de légalisation et de jurisprudence marocaine 1930. III, p. 12 et Roché, L'objet et les effets de la prénotation en droit marocaine, Rev. mar. dr. 1964, p. 97 et 145) :
Le délai de six mois bénéficie entièrement au prénotant lorsque, sans être contesté,
le droit prétendu ne peut pas être inscrit par suite d'une irrégularité de forme ou d'une insuffisance des pièces produites (dans ce cas la prénotation requise d'un commun accord par les parties se périme au bout de dix jours et pour sauvegarder ses droits plus longtemps le cessionnaire droit la faire remplacer par une autre); au contraire, lorsque le droit prétendu est contesté et que sa consécration judiciaire s'avère nécessaire, le prénotant droit engager l'instance au fond et la faire mentionner dans le délai d'un mois de la prénotation, faute de quoi celle-ci sera périmée au bout de six mois.
Selon cette interprétation le sort du prénotant dépend donc non de sa propre diligence, mais du moment où il apprend l'existence d'une difficulté contentieuse. Si cette difficulté est portée à sa connaissance dans le mois de la prénotation et s'il dispose encore du temps nécessaire pour introduire une demande en justice et la faire mentionner sur le livre foncier avant l'expiration de ce mois, ses droits seront sauvegardés jusqu'à la fin de la procédure. Dans le cas contraire les cinq mois restant à courir seront un temps mort pendant lequel il ne pourra rien faire pour éviter la péremption de son inscription : dès lors, Si par exemple un vendeur malhonnête cède une deuxième fois l'immeuble à un tiers un mois après la prénotation du premier acquéreur, celui-ci sera désarmé contre une inscription prise par ce tiers.
Un résultat aussi absurde est manifestement contraire à l'intention du législateur et il importe donc de trouver une interprétation qui soit logique et aussi en harmonie que possible avec la lettre de l'art. 86.
Selon celle adoptée par les juges d'appel dans l'arrêt attaqué, le délai d'un mois courrait non de
la date de la prénotation, mais de la date d'apparition d'une difficulté contentieuse imposant l'introduction d'une instance judiciaire; autrement dit, un droit prénoté par exemple le 1er février conserverait son rang jusqu'à la fin de la procédure, pourvu que le prénotant ait formé sa demande en justice et l'ait fait inscrire à la fois avant le 31 juillet et dans le mois de la naissance de la difficulté contentieuse.
Cette solution a l'avantage de protéger efficacement le droit du prénotant en supprimant le temps mort des cinq derniers mois du délai; elle se heurte cependant à une difficulté pratique et à une objection de texte.
D'une part elle ne permet pas de déterminer avec certitude le point de départ du délai d'un mois
: que faut-il entendre par «apparition d'une difficulté contentieuse ? S'agit-il de l'inscription d'une prénotation par la partie adverse? D'une simple contestation ? Mais alors comment établir que le pré- notant en a eu connaissance ?
D'autre part la thèse des juges d'appel ne peut se justifier que si l'on ajoute à l'art. 86 tout un membre de phrase; elle oblige en effet à lire ce texte de la façon suivante: l'effet de la prénotation «cesse si l'inscription définitive n'est pas opérée dans les six mois ou si une demande en justice n'a pas été formée et mentionnée au livre foncier dans le délai d'un mois de la naissance d'une contestation nécessitant la reconnaissance judiciaire du droit prénoté».
L'interprétation adoptée par la Cour suprême échappe à la première objection et apparaît plus conforme à la lettre de la loi. Elle consiste à exiger seulement que, à l'intérieur du délai de six mois, et quelle que soit la date de difficulté contentieuse, une demande en justice soit, d'une part formée, d'autre part inscrite au livre foncier dans le mois de sa formation. Dès lors l'art. 86 se lit de la façon suivante : «l'effet de la prénotation cesse si l'inscription définitive n'est pas opérée dans les six mois ou si une demande en justice n'a pas été formée, et mentionnée au livre foncier dans le mois (de sa formation) ».
Sans s'exprimer de façon explicite, la Cour d'appel de Rabat avait en réalité admis la même interprétation par deux arrêts des 28 mars 1943 et 30 mars 1943 (Rec. 1943-1944, pp. 161 et 166): Dans la première espèce, la prénotation, reconnue valable jusqu'à la fin de. la procédure, avait été inscrit. le 23 janvier 1941, une difficulté contentieuse était apparue le 16 mai 1941, le prénotant avait déposé sa demande en justice le 18 juin et il l'avait fait inscrire selon l'arrêt «dans le rnois de ce dépôt» dans la seconde, la prénotation datait du 19 déc. 1940, la difficulté contentieuse s'était fait jour le 25 fév. 1941 et la requête introductive d'instance avait été inscrite le 28 mai 1941 (l'arrêt ne précise pas la date de la présentation de cette requête).
De même, dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt rapporté, la prénotation des consorts Vernes inscrite le 23 oct. 1947 devait conserver sa validité jusqu'à la fin de la procédure, dès lors que les prénotants avaient introduit leur demande en justice le 19 mars 1948 et qu'ils avaient fait mentionner cette demande au livre foncier le 20 mars, soit moins d'un mois après sa formation et moins de six mois après la prénotation.
La solution ainsi retenue rendait sans intérêt la question de savoir si une situation contentieuse existait ou non le 23 oct. 1947; il n'était donc pas indispensable mais il n'était cependant pas non plus inutile que la Cour suprême répondît à la deuxième branche du moyen prise d'une contradiction de motifs à cet égard.
II et III.-Par arrêt du 16 juil. 1955 la Cour d'appel de Rabat avait décidé que la vente consentie
par la société «France Maroc» aux consorts Vernes était entachée de dol et en avait prononcé la résolution, avait déclaré. parfaite la vente consentie à la Société Civile Immobilière du Boulevard Aa par l'effet de la déclaration de command de la C.I.G.M.A. et avait enfin donné à la prénotation de son droit de préemption inscrite par cette dernière le 14 oct. 1947, priorité sur la prénotation des consorts Vernes du 23 oct. 1947.
Mais par arrêt du 15 juil. 1958 la Cour de cassation française (Civ. I B. 377) annula cette décision au motif que par sa déclaration de command la C.I.G. M.A. n'était pas devenue acquéreur de l'immeuble, que celui-ci était donc passé directement de la société «France Maroc» à la Société Civile Immobilière du Boulevard Aa et qu'en conséquence le droit de préemption de la C.I.G.M.A. et la prénotation de ce droit le 14 oct. 1967 étaient devenus sans objet.
En effet, l'acheteur qui fait une déclaration de command n'achète pas pour lui, en vue de revendre aussitôt au bénéficiaire de la déclaration; il agit en qualité de mandataire, de sorte qu'à aucun moment il ne devient propriétaire et que le bien est transféré directement du vendeur au bénéficiaire (v. Rép. Pr. civ. V° Vente publique d'immeubles, n. 100).
Sans remettre ce principe en discussion, la C.I.G.M.A. et la Société Civile Immobilière du Boulevard Aa avaient soutenu devant les juges de renvoi que les circonstances de la cause étaient de nature à le rendre inapplicable, et leur second moyen de cassation était pris d'un défaut de réponse à leurs conclusions sur ce point. Reproduisant l'essentiel de la motivation de l'arrêt attaqué, la Cour suprême déclare ce grief non fondé.
IV. Seules les parties au contrat peuvent se plaindre de sa violation; toutefois les tiers lésés par celle-ci peuvent, mais seulement sur le plan de la responsabilité délictuelle, réclamer des dommages- intérêts à celui des contractants dont la faute leur a causé un préjudice (v. supra arrêts n°66 et n°78). En l'espèce la société «France Maroc» propriétaire de l'immeuble n'avait consenti un droit de préemption qu'à son locataire, la C.I.G.M.A.; la Société Civile Immobilière du Boulevard Aa, non partie à cette convention, était sans qualité pour se plaindre sur le plan contractuel de la violation de ce droit; en ce qu'il émanait de cette société le troisième moyen était donc inopérant et il était d'ailleurs également irrecevable.
Mais, par l'effet du rejet du second moyen de cassation, il était irrévocablement jugé que la C.I.G.M.A. n'avait pas usé de son droit de préemption, dés lors ce troisième moyen ne pouvait être accueilli puisqu'il était pris de ce que les juges d'appel auraient dû prononcer la nullité de la vente consentie aux consorts Vernes au mépris de ce droit.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C144
Date de la décision : 28/12/1965
Chambre civile

Analyses

1° IMMEUBLE IMMATRICULTE-Prénotation-Effets-Durée-Conditions. 2°JUGEMENT ET ARRET-Motivation-Conclusions des parties-Réponse suffisante.3° VENTE-Déclaration de command-Effets.4° CASSATION-Moyen ne pouvant être accueilli en raison du rejet d'un autre moyen.

1° Il résulte des dispositions des articles 85 et 86 du dahir du 12 août 1913 sur l'immatriculation des immeubles que l'effet d'une prénotation requise en vertu d'une autorisation du président du tribunal se prolonge jusqu'à la fin de la procédure si, dans un délai de six mois à compter de cette Prénotation, une demande en justice a été formée, et a été mentionnée au livre foncier dans le mois de sa formation.2°et 3° Répond suffisamment aux conclusions par lesquelles une société prétendait avoir exercé le droit de préemption qui lui avait été consenti par le propriétaire de l'immeuble dont elle était locataire, l'arrêt qui constate qu'ayant acheté l'immeuble pour le compte d'un tiers sous forme de déclaration de command, cette société n'avait pas agi dans son intérêt propre et n'avait donc pas exercé le droit de préférence dont elle était l'unique bénéficiaire.4° Ne peut être accueilli le moyen par lequel la société titulaire d'un droit de préemption fait grief aux juges d'appel d'avoir refusé de prononcer la nullité d'une vente consentie à un tiers au mépris de ce droit, dès lors que, par suite du rejet d'un autre moyen, la décision attaquée a irrévocablement jugé que cette société n'avait pas usé du droit de préemption dont elle invoquait la violation.


Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ma;cour.supreme;arret;1965-12-28;c144 ?
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