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15/12/1965 | MAROC | N°C119

Maroc | Maroc, Cour suprême, 15 décembre 1965, C119


Texte (pseudonymisé)
119 65/66 15 December 1965 18 669
Société «Farming» c/Cyril Thomas de Ad Ae.
Cassation d'un arrêt de la Cour d'appel de Tanger du 20 octobre 1964.
La Cour ,
SUR LES QUATRE MOYENS REUNIS
Vu l'article 13 du dahir relatif à la Cour suprême selon lequel la violation d'une loi étrangère de statut personnel constitue une cause de cassation;
Attendu qu'il résulte d'un certificat de coutume versé au dossier que, selon la loi anglaise, lorsque les époux sont séparés, le créancier, pour rendre le mari responsable des dettes contractées par sa femme, doit prouver que les

marchandises fournies constituaient «le nécessaire» et que la séparation est int...

119 65/66 15 December 1965 18 669
Société «Farming» c/Cyril Thomas de Ad Ae.
Cassation d'un arrêt de la Cour d'appel de Tanger du 20 octobre 1964.
La Cour ,
SUR LES QUATRE MOYENS REUNIS
Vu l'article 13 du dahir relatif à la Cour suprême selon lequel la violation d'une loi étrangère de statut personnel constitue une cause de cassation;
Attendu qu'il résulte d'un certificat de coutume versé au dossier que, selon la loi anglaise, lorsque les époux sont séparés, le créancier, pour rendre le mari responsable des dettes contractées par sa femme, doit prouver que les marchandises fournies constituaient «le nécessaire» et que la séparation est intervenue dans des circonstances telles qu'elle a donné naissance à un pouvoir implicite de la femme d'engager le crédit du mari;
Attendu que le juge ne peut refuser d'appliquer la loi même étrangère servant de base au litige, sous prétexte de son obscurité ou de son insuffisance;
Attendu que, selon l'arrêt infirmatif attaqué, la société «Farming», propriétaire de l'Hôtel Rif à Tanger, a, par voie d'injonction, poursuivi contre Ac Aa de Ad Ae le recouvrement d'une somme représentant les frais de séjour de sa femme dans ledit hôtel; que Whitehouse a fait contredit à l'injonction en soutenant que sa femme ayant abandonné le domicile conjugal, il n'était pas, selon la loi anglaise régissant son statut personnel, tenu des obligations qu'elle avait pu contracter
Attendu que pour faire droit au contredit et débouter la société «Farming» la Cour d'appel énonce d'une part qu'elle «n'entendait pas que les tribunaux anglais puissent considérer comme dépense nécessaire l'hébergement pendant six semaines dans un hôtel où dame Whitehouse avait obtenu des services, parmi lesquels les services de téléphone s'élevaient à eux seuls à 55473 francs, et qu'en tous cas celui qui invoque le bénéfice d'une loi étrangère étant tenu de fournir la preuve de son application pratique dans le pays d'origine, il appartenait à la créancière de prouver l'existence d'une règle de précédent, élément fondamental dans le système anglais de la «common law », par laquelle les tribunaux anglais auraient décidé que des services tels que ceux prêtés par elle entraient dans la catégorie des dépenses nécessaires », et que d'autre part la société «Farming» n'avait pas établi que le mari eût autorisé sa femme à recevoir ces services, ni l'administration de l'hôtel à les prêter;
Or attendu qu'en se déterminant par de tels motifs alors d'une part qu'il leur appartenait, au vu
du certificat de coutume produit et admis par les parties, de s'expliquer sur le sens et la portée de la loi étrangère dont l'application leur était demandée, et d'autre part de rechercher s'il résultait des circonstances invoquées par la créancière et retenues par les premiers juges, le pouvoir au moins implicite pour la femme d'engager le mari, les juges du second degré n'ont pas donné de base légale à leur décision;
PAR CES MOTIFS
Casse.
Président: M. Azoulay.__Rapporteur : M. Bensabat.__Avocat général : M.Neigel._Avocats : MM. Estryn, Zaoui.
Observations
I. En principe la violation d'une loi étrangère par les juges du fond ne donne pas ouverture à cassation. En effet, le juge de cassation a pour mission de veiller à l'exacte application des lois en vigueur dans son pays et d'unifier leur interprétation, Si bien que l'application et l'interprétation de la loi d'un pays étranger échappent nécessairement à son contrôle (v. Ab n. 1360 et s., n. 1565 et s.; Battifol Traité élémentaire de droit international privé n. 338 et s.). Toutefois cette règle reçoit exception au Maroc lorsqu'il s'agit d'une loi étrangère de statut personnel (art. 13Dh. 27 sept. 1957).
II.-Le juge a le devoir non seulement de se prononcer sur la demande dont il est saisi, mais aussi d'interpréter les dispositions légales et réglementaires invoquées par les parties; il ne peut, sous prétexte de leur obscurité, ni refuser de statuer, ni s'abstenir de les appliquer, ni charger une autre personne de les interpréter à sa place (v.note Mimin sous Civ. 8 avr. 1935, D.P.1935, D.P. 1935.1.94) ou de déterminer à sa place celles qui sont applicables (v. T. I arrêt n°36).
Mais les obligations du juge sont un peu différentes lorsqu'il a à faire application d'une loi étrangère. On ne peut en effet exiger de lui qu'il connaisse celle-ci comme il connaît sa loi nationale et il appartient aux parties qui invoquent une règle de droit étrangère de le renseigner en produidant
des attestation de juristes étrangers communément appelées «certificats de coutume »; en somme, tout
se passe comme si la loi étrangère était un élément de fait nécessaire à la solution du litige. Or, le juge ne peut refuser de statuer au motif que les témoignages ou les pièces soumis à son appréciation ne sont pas clairs ou sont contradictoires entre eux. De même, il ne saurait s'abstenir d'appliquer la loi étrangère au motif que les certificats de coutume produits par les parties sont contradictoires ou insuffisamment précis; cependant, puisque l'interprétation de cette loi est pour lui un problème de fait, rien ne s'oppose, semble-t-il, à ce qu'il demande aux parties de lui fournir des documents complémentaires destinés à lui permettre de former son opinion. (Sur ces questions, v. Battifol préc. n. 332 et s.).
En l'espèce, l'arrêt rapporté énonce que le certificat de coutume était «admis» par les parties qui n'étaient donc en désaccord ni sur l'existence ni sur les termes de la loi ou de la coutume britanniques invoquées mais qui discutaient seulement sur la façon de les appliquer aux faits de la cause. La mission des juges d'appel consistait précisément à trancher leur différend à cet égard, et ils ne pouvaient s'en abstenir en invoquant leur ignorance de la jurisprudence des tribunaux anglais.
III.__V. T. I notes I et II sous l'arrêt n°22, p. 53.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C119
Date de la décision : 15/12/1965
Chambre civile

Analyses

1°CASSATION-Ouverture à cassation-Violation d'une loi étrangère de statut personnel. 2°JUGEMENT ET ARRET-Obligation du juge-Refus d'appliquer une loi étrangère.3°JUGEMENT ET ARRET-Motivation-Motifs insuffisants-Appel-Arrêt infirmatif ne répondant pas aux motifs de la décision dont l'intimé demandait confirmation.

1° La violation d'une loi étrangère de statut personnel donne ouverture à cassation.2° Le juge ne peut refuser d'appliquer la loi, même étrangère. sous prétexte de son obscurité où de son insuffisance.3° Lorsque l'intimé a conclu à la confirmation du jugement entrepris, les juges d'appel ne peuvent, sans priver leur décision infirmative de base légale, se dispenser d'examiner les motifs sur lesquels les premiers juges s'étaient fondés.


Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ma;cour.supreme;arret;1965-12-15;c119 ?
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