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06/04/1965 | MAROC | N°C239

Maroc | Maroc, Cour suprême, 06 avril 1965, C239


Texte (pseudonymisé)
239-64/65 6 avril 1965 12 185
Société Nouvelle de Récupération c/compagnie d'assurances «L'Europe ».
Cassation d'un arrêt de la Cour d'appel de Rabat du 30 juin 1962.
La Cour ,
SUR LE PREMIER MOYEN PRIS EN SA SECONDE BRANCHE :
Attendu qu'il résulte de la procédure et des énonciations de l'arrêt attaqué que la compagnie d'assurances «L'Europe », qui avait été condamnée à payer diverses prestations à la victime d'un accident du travail, a, soutenant que lors de l'accident la garantie se trouvait suspendue par suite du non paiement de la prime, assigné l'employe

ur, la Société Nouvelle de Récupération (Recuper), son assuré, en remboursement de...

239-64/65 6 avril 1965 12 185
Société Nouvelle de Récupération c/compagnie d'assurances «L'Europe ».
Cassation d'un arrêt de la Cour d'appel de Rabat du 30 juin 1962.
La Cour ,
SUR LE PREMIER MOYEN PRIS EN SA SECONDE BRANCHE :
Attendu qu'il résulte de la procédure et des énonciations de l'arrêt attaqué que la compagnie d'assurances «L'Europe », qui avait été condamnée à payer diverses prestations à la victime d'un accident du travail, a, soutenant que lors de l'accident la garantie se trouvait suspendue par suite du non paiement de la prime, assigné l'employeur, la Société Nouvelle de Récupération (Recuper), son assuré, en remboursement des sommes qu'elle avait versées à ce titre;
Attendu qu'il est reproché à l'arrêt d'avoir, en violation de l'article 16 de l'arrêté viziriel du 28 novembre 1934, accueilli la demande au motif que l'envoi de la lettre recommandée de mise en demeure, qui était établi par la photocopie du carnet à souches de la compagnie, avait à lui seul «une vertu interruptive », alors que Recuper contestait la suspension du contrat en se fondant, non sur le défaut de réception de la lettre recommandée, mais sur l'absence de toute justification de son contenu;
Mais attendu que la Cour d'appel a justement décidé que, l'envoi de la lettre recommandée étant établi, il appartenait à son destinataire de prouver, ce qu'il ne faisait pas, qu'elle ne contenait pas les mentions prescrites par le texte précité;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé;
SUR LE DEUXIEME MOYEN :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir, par dénaturation de la convention liant les parties,
jugé que rien ne permettait de dire que l'assureur avait entendu surseoir à l'exercice de son droit de suspendre la police, alors que, par une lettre du 26 janvier 1956 versée aux débats, la compagnie priait son assuré d'excuser la négligence de son agent et lui accordait un délai de huit jours pour se mettre en règle, et que son comportement ultérieur confirmait que la suspension ne lui était pas acquise;
Mais attendu que l'arrêt relève d'une part qu'en figurant à la procédure préalable d'accident du travail et en acquittant à la victime les frais médicaux et les indemnités journalières, la compagnie ne pouvait être considérée comme ayant, même implicitement, renoncé aux causes de déchéance qu'elle pouvait invoquer contre son assuré, une telle déchéance, inopposable à la victime, ne la dispensant nullement d'assurer les obligations mises à la charge de l'employeur, d'autre part qu'en enjoignant à son assuré de payer la prime dans un délai maximum de huit jours faute de quoi elle serait au regret de prendre contre lui toutes mesures utiles à la sauvegarde de ses intérêts, elle n'avait pas davantage entendu surseoir à l'exercice de son droit de suspension, les mesures envisagées pouvant fort bien consister en une assignation en paiement;
Attendu que cette appréciation, exemple de toute dénaturation, relève du pouvoir souverain des juges du fond;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli;
SUR LE TROISIEME MOYEN :
Attendu qu'il est encore reproché à l'arrêt d'avoir déclaré recevable la demande additionnelle de la compagnie «L'Europe» tendant à obtenir le remboursement, au fur et à mesure de leur
paiement, des arrérages de la rente d'invalidité allouée à la victime, alors que, selon l'article 233 du Code de procédure civile, il ne peut être formé en appel aucune demande nouvelle;
Mais attendu que l'arrêt a justement décidé que ladite demande procédait directement de la demande originaire et tendait en définitive aux mêmes fins et a fait ainsi une exacte application du texte visé au moyen;
MAIS SUR LE PREMIER MOYEN PRIS EN SA PREMIERE BRANCHE :
Vu l'article 189 du Code de procédure civile;
Attendu que dans ses conclusions (produites) Recuper avait soutenu que la mise en demeure à elle adressée ne pouvait être tenue pour valable, faute par l'assureur d'avoir prouvé que le paiement de la prime, quérable, avait été préalablement et vainement réclamé au domicile de l'assuré;
Attendu que la Cour d'appel n'a pas répondu à ces conclusions qui étaient de nature à influer sur sa décision, et que dès lors celle-ci n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé;
PAR CES MOTIFS
Casse.
Président : M. Bourcelin.__Rapporteur : M. Bensabat.__Avocat général : M. Guillot.__Avocats : MM. Lorrain, Bayssière.
Observations
I.-L'art. 16, al. 3, arr. viz. 28 nov. 1934 est ainsi conçu :
« A défaut de paiement à l'échéance de l'une des primes, l'effet de l'assurance ne peut être suspendu que vingt jours après la mise en demeure de l'assuré. Cette mise en demeure qui rend en tout cas la prime portable, résulte de l'envoi d'une lettre recommandée adressée à l'assurer ou à la personne chargée du paiement des primes, à leur dernier domicile connu de l'assureur. Cette lettre doit indiquer expressément qu'elle est envoyée à titre de mise en demeure, rappeler la date de l'échéance de la prime et reproduire le texte du présent article ».
La preuve de l'envoi résulte du récépissé délivré par le bureau de poste à l'expéditeur (v. Civ. I 12 mars 1963, B. 152). Mais ce récépissé n'établit évidement pas que la teneur de la lettre répond aux exigences légales.
L'arrêt rapporté semble poser en principe que l'assureur n'a pas à fournir cette preuve et qu'il appartient à l'assuré de démontrer le cas échéant que la lettre ne contenait pas les mentions prévues à l'art. 16. La portée de cette décision doit toutefois être limitée au cas où il est établi que l'assuré a reçu la mise en demeure; en pareille hypothèse, en effet, il suffit à celui-ci, s'il est de bonne fois, de présenter la lettre pour démontrer que l'assureur ne s'est pas conformé à la loi. Si au contraire un doute subsiste sur la remise de cette lettre à son destinataire, on ne saurait imposer à celui-ci une preuve négative pratiquement impossible à rapporter.
La Cour de cassation française pose le principe général inverse en décidant que la preuve de la teneur de la mise en demeure incombe à l'assureur; elle compense toutefois la rigueur de cette
solution en laissant au juge toute latitude pour fonder librement sa conviction sur les divers éléments
de la cause, y compris sur de simples présomptions de fait (v. Civ. 4 avr. 1939, D.H. 1939.385 et D.C. 1941.16, note Mimin). L'application de la jurisprudence française aurait ainsi pu aboutir en l'espèce au même résultat sous forme de substitution d'une présomption de fait à la présomption de droit apparemment retenue par la Cour suprême : n'y avait-il pas lieu en effet de déduire de la non présentation de la lettre que l'assuré reconnaissait avoir reçue, la conviction que cette lettre était bien conforme aux exigences de la loi ?
II.-La suspension du contrat d'assurances pour non paiement d'une prime est assimilable à une déchéance (v. supra arrêt n°119); or aucune déchéance n'est opposable à la victime d'un accident du travail par l'assureur de son employeur (art. 341 Dh. 25 juin 1927 tel que modifié en la forme par Dh. 6 fév. 1963; v. supra arrêt n°111). Dès lors, en versant les prestations légales, l'assuré n'avait fait qu'exécuter une obligation qui lui incombait en tout état de cause, et ce versement ne pouvait en aucune façon impliquer renonciation de sa part au bénéfice des dispositions de l'art. 16 arr. viz. 28 nov. 1934.
III.-Les dispositions de l'art. 233 C. proc. civ. Tendent à équilibrer deux impératifs contraires :
la nécessité de ne pas priver les parties du bénéfice du double degré de juridiction, qui conduit à admettre l'irrecevabilité des demandes nouvelles en appel; et la nécessité de ne pas retarder inutilement la solution du litige, qui justifie les trois tempéraments apportés à cette irrecevabilité.
Le premier tempérament concerne les exceptions et les demandes de compensation émanant du défendeur. Le second autorise les parties à demander «les intérêts, loyers, arrérages et autres accessoires échus depuis le jugement dont est appel, ainsi que les dommages-intérêts pour le préjudice souffert depuis ce jugement» (art. 233, al. 2). Le troisième prévoit que les demandes nouvelles, par leur cause ou leurs motifs, sont recevables à condition qu'elles procèdent directement de la demande originaire et qu'elles tendent aux mêmes fins (art. 233, al. 3).
Cette dernière disposition est généralement interprétée de la façon suivante (v. Rép. pr. civ. V° Demande nouvelle, par Ab Aa, n. 118 et s.) : deux demandes ont la même cause lorsqu'elles ont le même fondement juridique; une demande nouvelle procède directement de la demande originaire lorsqu'elle est basée sur les mêmes faits; enfin deux demandes tendent aux mêmes fins lorsqu'elles ont le même objet. Ainsi, par exemple, le plaideur qui a fondé son action devant les premiers juges sur la responsabilité contractuelle de son adversaire est recevable à invoquer en appel la responsabilité délictuelle de celui-ci (différence de cause) pourvu qu'il s'appuie sur les mêmes faits et qu'il réclame la même somme. Par contre, même en cas d'identité de cause et d'identité de fondement matériel, une demande nouvelle par son objet est irrecevable en appel (v. Rép. pr. civ. ibid. n. 27 et s.).
En l'espèce, la compagnie d'assurances avait demandé aux premiers juges la condamnation de l'intimé à lui rembourser les indemnités journalières et les frais médicaux par elle déjà versés à la victime; et elle avait demandé en appel que l'assuré fût condamné en outre à lui rembourser, au fur et à mesure de leur paiement, les arrérages de la rente d'invalidité allouée entre temps à cette victime. La deuxième demande avait la même cause que la demande originaire (la suspension du contrat d'assurances) et procédait directement de celle-ci; l'arrêt rapporté énonce qu'elle avait également «en définitive» le même objet. Cette dernière affirmation semble discutable et il eût peut-être été préférable de fonder la recevabilité de la demande nouvelle sur les dispositions de l'art. 233, al. 2 : en effet, la pension d'invalidité avait été accordée depuis la décision dont appel et les nouvelles obligations ainsi mises à la charge de l'assureur


Synthèse
Numéro d'arrêt : C239
Date de la décision : 06/04/1965
Chambre civile

Analyses

1° ASSURANCES TERRESTRES-Mise en demeure de payer la prime-Lettre recommandée- Contestation sur son contenu-Charge de la preuve au destinataire2° ASSURANCES TERRESTRES-Suspension pour non-paiement de la prime-Renonciation de l'assureur-Preuve-Liberté d'appréciation des juges du fait.3° APPEL-Demande nouvelle-Recevabilité-Conclusions suffisantes.4° JUGEMENT ET ARRET-Motivation-Conclusions des parties-Défaut de réponse entraînantla nullité.5° ASSURANCES TERRESTRES-Obligation des parties-Paiement de la prime-Lieu-Mise endemeure-Conditions.

1° Lorsque l'assuré reconnaît avoir reçu la lettre recommandée par laquelle son assureur le mettait en demeure de payer la prime d'assurances, cet assureur n'est pas tenu de justifier de la teneur de cette lettre, et il appartient à l'intimé qui en conteste l'effet de prouver qu'elle ne comportait pas la mention exigée par l'article 16 de l'arrêté viziriel du 28 novembre 1934.2° Le fait pour un assureur d'avoir payé les frais médicaux et les indemnités journalières dues à la victime d'un accident du travail, après avoir vainement mis l'employeur assuré en demeure de payer la prime, n'implique pas que cet assureur ait renoncé à invoquer contre son assuré la suspension du contrat d'assurances.L'appréciation des juges du fait à cet égard échappe au contrôle de la Cour suprême lorsqu'elle est exprimée sans ambiguïté ni contradiction et n'est pas fondée sur la dénaturation d'un document déterminant.3° Par application de l'article 233 du Code de procédure civile, la compagnie d'assurances qui, invoquant la suspension du contrat d'assurances pour non paiement des primes, a assigné l'employeur son assuré en remboursement des prestations par elle déjà versées à la victime d'un accident du travail, est recevable à demander en outre en cause d'appel le remboursement, au fur et à mesure de leur paiement, des arrérages de la vente d'invalidité allouée à la victime.4° et 5° Encourt la cassation l'arrêt qui déclare le contrat d'assurances suspendu pour non paiement des primes sans avoir répondu aux conclusions par lesquelles l'assuré soutenait que la mise en demeure de payer, à lui adressée par l'assureur, n'était pas valable faute par ce dernier de justifier que la prime qui est quérable lui avait été préalablement et vainement réclamée à son domicile.


Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ma;cour.supreme;arret;1965-04-06;c239 ?
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