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28/01/1964 | MAROC | N°C119

Maroc | Maroc, Cour suprême, 28 janvier 1964, C119


Texte (pseudonymisé)
119-63/64 28 janvier 1964 10 485, 10 487, 10 650, 10 651, 10 652, 10 653
Compagnie d'assurances «La Concorde », Ac Aa, Ruiz Claude, Ruiz Georges c/Beauzamy Pierre et la compagnie d'assurances «La Mutuelle Générale Française ».
Rejet des pourvois formés contre deux arrêts de la Cour d'appel de Rabat du 19 janvier 1962.
La Cour ,
SUR LA JONCTION :
Attendu que la compagnie d'assurances «La Concorde », Ruiz Claude, Ruiz Georges, Ac Aa se sont pourvus contre les arrêts confirmatifs attaqués (Rabat 19 janvier 1962) par requêtes enrôlées sous les n°s 10 485 et 10 487 p

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119-63/64 28 janvier 1964 10 485, 10 487, 10 650, 10 651, 10 652, 10 653
Compagnie d'assurances «La Concorde », Ac Aa, Ruiz Claude, Ruiz Georges c/Beauzamy Pierre et la compagnie d'assurances «La Mutuelle Générale Française ».
Rejet des pourvois formés contre deux arrêts de la Cour d'appel de Rabat du 19 janvier 1962.
La Cour ,
SUR LA JONCTION :
Attendu que la compagnie d'assurances «La Concorde », Ruiz Claude, Ruiz Georges, Ac Aa se sont pourvus contre les arrêts confirmatifs attaqués (Rabat 19 janvier 1962) par requêtes enrôlées sous les n°s 10 485 et 10 487 pour la compagnie «La Concorde », 10 650 et 10 651 pour Ruiz Claude, 10 652 pour Ac Aa et 10 653 pour Ruiz Georges;
Qu'il convient de joindre en raison de leur connexité ces pourvois dirigés contre des décisions rendues entre les mêmes parties à raison du même fait;
SUR LA RECEVABILITE DES POURVOIS DE «La CONCORDE» (10 485 et 10 487) :
Attendu que le docteur Ab et son assureur, la Mutuelle Générale Française, soutiennent que les pourvois n°s 10 485 et 10 487 seraient irrecevables, ne contenant aucun exposé des faits de la cause, alors que l'article 8 du dahir du 2 rebia I 1577 (27 septembre 1957) relatif à la Cour suprême exigé, à peine de rejet, que la requête contienne un exposé sommaire des faits;
Mais attendu que la compagnie «La Concorde» demanderesse ayant dans le délai du pourvoi produit, conformément à l'article 18 du dahir précité, un mémoire ampliatif qui, complétant et précisant les requêtes auxquelles il s'incorpore, contient l'exposé prévu par la loi, l'exception d'irrecevabilité doit être rejetée;
SUR LE PREMIER MOYEN (dossiers 10 651, 10 652, 10 653, 10 485 et 10 487) :
Attendu qu'il résulte de la procédure et des énonciations de l'arrêt attaqué que Ab, circulant au volant de sa voiture automobile, fut heurté par une camionnette conduite par son propriétaire Ad Ae, qui venait en sens inverse; que dame Ab étant lui-même gravement blessé; que Ab et les héritiers de Ruiz se sont réciproquement assignés sur la base de l'article 88 du dahir des obligations et contrats en réparation du dommage qu'ils avaient subi;
Attendu qu'il est reproché à l'arrêt d'avoir déclaré Ruiz seul responsable de l'accident au seul motif que la manouvre perturbatrice et imprévisible du véhicule de Ruiz constituait pour Ab un cas fortuit l'exonérant de la responsabilité mise à la charge du gardien de la chose, alors que l'article 88 du dahir des obligations et contrats exige en outre que celui-ci ait prouvé qu'il a fait tout ce qui est nécessaire pour éviter le dommage;
Mais attendu que l'arrêt, tant par motifs propres que par ceux, qu'il adopte, des premiers juges, après avoir constaté que la camionnette de Ruiz, dérapant sur le sol mouillé et rendu glissant par la pluie, a «zigzagué de droite à gauche puis et partie en angle droit vers sa gauche, barrant la route et venant heurter la voiture de Ab qui roulait à une vitesse raisonnable tenant normalement sa droite », ajoute «que ce dérapage, par son caractère soudain et irrésistible, a rendu vaine toute possibilité de manouvre de sauvetage de la part de Ab »;
D'où il suit que contrairement aux allégations des pourvois les juges d'appel ont bien constaté que Ab avait rapporté la double preuve dont la charge lui incombait au sens du texte précité, et que le moyen manque en fait;
SUR LE DEUXIEME MOYEN (dossiers 10 651, 10 652 et 10 653) :
Attendu qu'il est encore fait grief à l'arrêt d'avoir qualifié d'événement de force majeure la manouvre imputée à Ruiz en retenant que cette manouvre avait été imprévisible, sans en outre constater qu'elle avait été irrésistible;
Mais attendu que les constatations et énonciations ci-dessus reproduites établissent le caractère irrésistible, expressément mentionné par les juges du fond;
D'où il suit que comme le précédent ce moyen manque en fait;
SUR LE TROISIEME MOYEN (dossiers 10 651, 10 652, 10 653, et 10 650) :
Attendu que ces pourvois font grief aux juges d'appel de s'être fondés sur les déclarations de deux témoins oculaires, alors qu'il avait été expressément demandé d'écarter le témoignage du docteur Af qui faisait l'objet de critiques précises, et qu'il n'a pas été répondu par l'arrêt à ces critiques et conclusions;
Mais attendu que les juges du fond apprécient souverainement la valeur et la portée des témoignages qui leur sont soumis, sans avoir à suivre les parties dans le détail de leur argumentation quant à la véracité et à la force probante de ces éléments;
SUR LES QUATRIEME, CINQUIEME ET SIXIEME MOYENS REUNIS (dossiers 10 485, 10 651, 10 652, et 10 653) :
Attendu qu'il est reproché à l'arrêt d'avoir accordé à Ab une indemnité provisionnelle
en se fondant sur un certificat médical produit par ce dernier, non daté et dépourvu de ce fait de toute valeur probante, et au seul motif que Ab aurait subi de graves blessures, alors que cette simple constatation ne constitue pas une circonstance particulière de nature à justifier l'allocation d'une telle provision et que, dans des conclusions restées sans réponse, il était soutenu que la victime n'y pouvait prétendre puisqu'elle continuait à percevoir l'intégralité de son traitement et qu'elle ne justifiait d'aucun paiement de frais médicaux et pharmaceutiques;
Mais attendu d'une part que les juges du fond ont apprécié souverainement la valeur et la force probante des documents qui leur étaient soumis;
Que d'autre part, ayant relevé que Ab demeurait atteint de graves séquelles, et ainsi constaté l'existence d'un préjudice certain pour l'évaluation duquel ils ont ordonné une mesure d'instruction, les juges du fond pouvaient, sans être tenus de motiver autrement leur décision sur ce
point, et dès lors, de répondre aux conclusions des parties adverses, allouer à la victime une indemnité provisionnelle qui constitue une avance imputable sur l'indemnité définitive et nullement un remboursement de frais déjà exposés;
D'où il suit qu'aucun des moyens n'est fondé;
PAR CES MOTIFS
Ordonne la jonction des pourvois inscrits au rôle sous les numéros 10 485, 10 487, 10 650, 10 651, 10 652 et 10 653;
Les dit recevables; les rejette
Président : M. Bourcelin.__Rapporteur : M. Tanchot.__Avocat général : M. Guillot.-Avocats : MM. Emanuel, Lorrain, Cagnoli.
Observations
I.__La Cour suprême apprécie librement l'opportunité de joindre des procédures connexes pour statuer à leur égard par un seul et même arrêt.
II.__V. dans le même sens, T. I, arrêt n°91, p. 168 et la note I.
III.__Pour s'exonérer totalement de la présomption prévue à l'art. 88 C. obl. contr. le gardien
doit non seulement établir l'existence d'un événement imprévisible et irrésistible, mais encore prouver «qu'il a fait tout ce qui était nécessaire afin d'empêcher de dommage ». Selon une jurisprudence constate de la Cour suprême, cette deuxième preuve ne saurait résulter de la simple absence de faute du gardien (v. T. I, arrêt n°75, p. 136, note IV) et celui-ci doit démontrer qu'il a tenté d'accomplir un acte ou qu'il a pris une précaution dont il aurait pu se dispenser sans pour autant commettre la faute prévue à l'art . 77 ou à l'art . 78 . Ainsi un automobiliste ne commet aucune faute en circulant à une vitesse adaptée aux circonstances de la circulation et en tenant sa droite sur la chaussée; mais pour tenter d'éviter un accident que cette seule absence de faute rendrait inéluctable il peut, par exemple, s'arrêter ou emprunter l'accotement. Cependant il est des cas où rien ne saurait humainement lui permettre d'échapper à l'accident ni d'en réduire la gravité; c'est pourquoi il est nécessaire d'admettre que le gardien satisfait à la seconde des exigences susvisées en prouvant à la fois qu'il n'a commis aucune faute et qu'il lui était impossible de faire quoique ce soit «afin d'empêcher le dommage ».
C'est ce que décide l'arrêt rapporté.
Ce faisant, la Cour suprême reconnaît implicitement mais nécessairement que la question de savoir si le gardien a ou non fait tout ce qui était nécessaire afin d'empêcher le dommage est une question de droit soumise à son contrôle (dans le même sens, v. T. I, arrêt n. 12, p. 35 et infra arrêt n. 111), au même titre que l'appréciation de l'existence ou de l'absence de faute (v. Besson, n. 1928 et suiv.), de la force majeure (ibid. n. 1935) et notamment du caractère imprévisible et irrésistible de la faute de la victime (v. notamment Civ. II, 11 oct. 1956, B. 510; 18 oct. 1956, B. 528) .
Sur le caractère imprévisible et irrésistible reconnu au dérapage d'un autre véhicule, v. T. I, arrêt n°21, préc. note II.
IV.__V. T. I, arrêt n°21, p. 51 et la note.
V.__Le régime des preuves est différent selon qu'il s'agit de prouver un acte juridique destiné dans la pensée de ses auteurs à créer un droit, ou de prouver un fait matériel qui, bien que de nature à entraîner des conséquences juridiques, n'a pas été réalisé dans ce but : sauf exception, les actes juridiques doivent être prouvés par un écrit (art. 443 et s. C. obl. contr.); au contraire, la preuve d'un fait matériel peut, en règle générale, être rapportée par tous moyens et l'appréciation du juge à cet égard, pourvu qu'elle ne comporte ni violation de la loi ni contradiction, échappe au contrôle de la Cour suprême (v. Rép. civ. V° Preuve, n. 1289 et s ., Besson, n. 2001 et s.).
VI et VII.__Les juges apprécient librement dans la limite de la demande dont ils sont saisis le montant de l'indemnité réparatrice d'un dommage; mais leur appréciation n'échappe au contrôle de la Cour suprême que s'ils l'ont exprimée sans ambiguïté ni contradiction (v. notamment C.S. crim. 25 janv. 1962, Rec. II, n. 1007, p. 102 et la note II).
Les mêmes règles sont applicables à l'indemnité provisionnelle demandée par la victime en attendant la fixation des dommages-intérêts définitifs. Une telle indemnité ne peut être accordée sans que le juge ait admis le principe de la responsabilité soit entière et la certitude que des dommages- intérêts seront dus est suffisante. Toutefois, le juge doit prendre soin de fixer l'indemnité provisionnelle à une somme telle qu'elle ne risque pas de dépasser le montant des dommages-intérêts définitifs.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C119
Date de la décision : 28/01/1964
Chambre civile

Analyses

1°CASSATION-Arrêt de la Cour suprême-Jonction pour connexité. 2°CASSATION-Conditions de recevabilité du pourvoi-Forme et délai-Requête sans exposé desfaits-Mémoire ampliatif contenant cet-exposé et produit-dans le délai de pourvoi. 3°RESPONSABILITE DELICTUELLE-Responsabilité du fait des choses-Exonération-Preuve que le gardien a fait tout ce qui était nécessaire pour empêcher le dommage-Inutilité de toute manouvre de sauvetage-Constatation suffisante.4°JUGEMENT ET ARRET-Motivation-Conclusions des parties-Défaut de réponse n'entraînant pas la nullité-Simples arguments.5°JUGEMENT ET ARRET-Pouvoirs du juge-Libre appréciation de la valeur probante des pièces et des témoignages produits.6°JUGEMENTS ET ARRET-Pouvoirs du juge-Indemnité provisionnelle.7°DOMMAGES-INTERETS-Indemnité provisionnelle-Fondement Acompte sur l'indemnité définitive-Remboursement de frais déjà engagés (non).

1° La Cour suprême peut joindre, en raison de leur connexité, plusieurs pourvois formés entre les mêmes parties à raison des même faits contre deux décisions, et statuer sur ces pourvois par un seul arrêt.2° Lorsqu'il est produit avant l'expiration du délai de pourvoi, le mémoire ampliatif s'incorpore à la requête en cassation et supplée aux omissions de celle-ci.En conséquence, l'absence d'exposé sommaire des faits dans la requête en cassation ne rend pas le pourvoi irrecevable lorsque le demandeur a déposé dans le délai de pourvoi un mémoire ampliatif comportant un tel exposé.3° Un arrêt exonère à bon droit de la présomption prévue à l'article 88 de Code des obligations et contrats le conducteur d'une automobile heurtée par une camionnette, en constatant que cette camionnette dérapant sur le sol mouillé est venue se jeter sur la voiture qui roulait à une vitesse raisonnable et tenait sa droite, et que ce dérapage, par son caractère soudain et irrésistible, avait rendu vaine toute manouvre de sauvetage de la part de l'automobiliste.4° Les juges sont tenus de répondre aux moyens invoqués par les parties dans des conclusions régulières mais ils n'ont pas l'obligation de suivre les parties dans le détail de leur argumentation.5° Dans les matières où l'administration de la preuve n'est pas limitée par la loi les juges apprécient librement la valeur probante et la portée des témoignages et des documents produits.Ils peuvent donc, sans priver leur décision de base légale, fonder leur appréciation des circonstances et des conséquences d'un accident sur la déposition d'un témoin critiquée par l'une des parties et sur un certificat médical non daté.6° et 7° Les juges ne sont pas tenus de justifier par des motifs spéciaux l'allocation d'une indemnité provisionnelle à la victime d'un dommage.Cette indemnité constitue une avance sur l'indemnité définitive qui sera fixée après une mesure d'instruction, elle peut donc être accordée en l'absence de débours déjà effectués par la victime.


Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ma;cour.supreme;arret;1964-01-28;c119 ?
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