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07/05/1963 | MAROC | N°C188

Maroc | Maroc, Cour suprême, 07 mai 1963, C188


Texte (pseudonymisé)
188-62/63 7 mai 1963 9922
Ag Ab c/Rodier Madeleine et Ae Ac Ad ben Saïd .
Rejet du pourvoi formé contre un arrêt de la Cour d'appel de Rabat du 17 novembre 1961.
La Cour,
SUR LE MOYEN UNIQUE :
Attendu qu'il résulte de la procédure et des énonciations de l'arrêt confirmatif attaqué (Rabat 7 novembre 1961) que Ae Ac Ad, au service de Ab Ag, circulant à bicyclette heurta et blessa dame Rodier qui traversait la chaussée; que dame Rodier a assigné le cycliste et son employeur pris comme civilement responsable en réparation du dommage qu'elle avait subi; que cette demande

a été partiellement accueillie par le tribunal de première instance qui a...

188-62/63 7 mai 1963 9922
Ag Ab c/Rodier Madeleine et Ae Ac Ad ben Saïd .
Rejet du pourvoi formé contre un arrêt de la Cour d'appel de Rabat du 17 novembre 1961.
La Cour,
SUR LE MOYEN UNIQUE :
Attendu qu'il résulte de la procédure et des énonciations de l'arrêt confirmatif attaqué (Rabat 7 novembre 1961) que Ae Ac Ad, au service de Ab Ag, circulant à bicyclette heurta et blessa dame Rodier qui traversait la chaussée; que dame Rodier a assigné le cycliste et son employeur pris comme civilement responsable en réparation du dommage qu'elle avait subi; que cette demande a été partiellement accueillie par le tribunal de première instance qui a déclaré Ae Ac Ad responsable de l'accident dans la proportion des trois quarts et l'a condamné solidairement avec Ag à payer à la victime une indemnité réparatrice; que Ae Ac Ad et Ag ont par requêtes sépares interjeté appel de cette décision;
Attendu qu'il est reproché à l'arrêt d'avoir déclaré l'appel d'Alcala irrecevable comme tardif, alors que, ayant été provoqué par celui antérieur et déclaré recevable de Ae Ac Ad, il était, aux termes de l'article 227 du dahir de procédure civile, «recevable en tout état de cause »;
Mais attendu d'une part que l'appel de Ae Ac Ad n'ayant pas créé pour son codéfendeur une situation nouvelle justifiant de la part de ce dernier l'exercice d'une voie de recours dont il n'avait pas cru devoir jusque là faire usage, l'appel d'Alcala ne pouvait être considéré comme un appel provoqué;
Attendu d'autre part que si l'appel de l'auteur du dommage pouvait profiter à son employeur en tant qu'il remettait en question le principe de la responsabilité de l'accident sur lequel les juges d'appel se sont en effet prononcés, il ne le pouvait en revanche en ce qui concerne la qualité de commettant d'Alcala qui, à défaut d'appel régulier de ce dernier et de tout lien d'indivisibilité avec l'appel régulier de ce dernier et de tout lien d'indivisibilité avec l'appel principal, avait été définitivement jugée par le tribunal de première instance;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé;
PAR CES MOTIFS
Rejette le pourvoi.
Président: M. Bourcelin.__Rapporteur : M. Zamouth.__Avocat général : M. Neigel.__Avocats : Me Phéline.e.
Observations
I-Les dispositions de l'art. 227 C. proc. civ. ont pour but de permettre à une partie qui n'avait pas cru devoir interjeter appel d'exercer néanmoins cette voie de recours, sans condition de forme ni de délai, et donc même après l'expiration du délai légal, lorsque, du fait de l'appel interjeté par une autre partie, sa situation risque d'être aggravée par la juridiction du second degré.
Sous le nom d'appel incident (art. 227, al. 1) cette faculté est toujours accordée à l'intimé contre lequel est dirigé l'appel principal; c'est logique puisque l'appel principal tend nécessairement à la réformation du jugement entrepris dans un sens défavorable à l'intimé.
Sous le nom d'appel provoqué (art. 227, al. 2), elle est également offerte à n'importe quelle partie, lorsque par l'effet de l'appel principal, de l'appel incident, voire même d'un premier appel provoqué (au cas où le procès comporte plus de trois parties), la décision du premier juge est susceptible d'être directement ou indirectement modifiée à son préjudice (v. Af Ah, Commentaire de la loi du 23 mai 1942, D.C. 1943 L. 1, p. 2, 3° colonne); et il n'est pas nécessaire qu'il existe entre l'appel provoqué et l'appel qui le provoque un lien d'indivisibilité (v. Civ. 13 fév. 1957, D. 1957.297, J.C.P. 1957.II.10170 bis note Mme Aa; Af Ai, Rev. trim. dr. civ. 1957, p. 584; v. également Civ. II, 7 janv. 1960, B. 11, cet arrêt qui statue sur l'application même de l'art. 227 C. proc. civ. marocain énonce «que cet article autorise en tout état de cause, au cas d'appel principal, l'intimé à faire un appel provoqué », et «que cette disposition générale et absolue ne comporte aucune distinction ni exception et a essentiellement pour objet de rétablir l'équilibre des droits et prétentions des parties »).
En l'espèce, statuant sur une demande de dommages et intérêts formée par la victime d'un accident de la circulation causé par un cycliste, Ae Ac Ad, employé au service d'Alcala, les premiers juges avaient fixé à trois quarts la responsabilité du cycliste et l'avaient condamné, solidairement avec son employeur déclaré civilement responsable, à réparer le préjudice dans cette proportion. Ae Ac Ad et Ag avaient tous deux interjeté appel, mais l'appel du second était intervenu après l'expiration du délai légal, et la juridiction du second degré l'avait déclaré irrecevable comme tardif.
Pour échapper à cette forclusion, Ag soutenait dans son pourvoi que son appel n'était pas un appel n'était, mais un appel provoqué, recevable à ce titre en tout état de cause. Par application du principe ci-dessus exposé, l'arrêt rapporté déclare cette prétention mal fondée.
En effet, la voie de recours exercée par Ag ne pouvait être qualifiée d'appel incident puisque Ae Ac Ad n'avait pas dirigé contre lui son appel principal et que dès lors Ag n'était pas intimé. Elle ne pouvait davantage être qualifiée d'appel provoqué car, sur l'appel du préposé, la situation du commettant n'était pas susceptible d'aggravation : d'une part, parce que les premiers juges avaient déjà retenu le principe de sa responsabilité civile en constatant l'existence du lien de préposition qui l'unissait à Ae Ac Ad; et d'autre part, parce que faute d'appel principal ou incident de la victime, la condamnation prononcée par les premiers juges pouvait être confirmée, réduite ou mise à néant, mais ne pouvait en aucun cas être aggravée.
II et III.-La décision rendue sur un appel interjeté par le seul auteur du dommage a-t-elle des
effets dans les rapports entre la victime intimée et le commettant non appelants, et la décision rendue sur un appel interjeté par le seul commettant a-t-elle des effets dans les rapports entre la victime intimée et le préposé auteur du dommage, non appelants ?
La solution de ce problème met en jeu l'application de deux principes généraux.
D'une part la responsabilité civile du commettant suppose nécessairement l'existence de la responsabilité de son préposé et de la dette indemnitaire qui en découle. D'autre part les effets d'une décision d'appel sont limités à ceux des plaideurs qui ont été partie à l'instance d'appel, à moins toutefois que l'obligation soit indivisible entre l'appelant et le non appelant c'est-à-dire qu'il soit impossible «d'exécuter simultanément la décision d'appel et la décision de première instance» (Civ. IV, 29 déc. 1953, B. 600); cela signifie que si l'appelant et le non appelant sont seulement coobligés solidaires ou in solidum l'appel de l'un ne profite pas nécessairement à l'autre.
Ces deux principes concordent pour faire admettre que lorsque, sur l'appel du seul civilement responsable, la juridiction du second degré a soit diminué le montant des dommages-intérêts, soit écarté l'existence d'une faute à la charge du proposé ou celle d'un lien de causalité entre cette faute et le préjudice, la victime demeure néanmoins créancière du préposé dans la mesure déterminée par la décision des premiers juges (en ce sens, Civ. II, 21 nov. 1958, Gaz. Pal. 1959.1.113).
Mais leur application respective aboutit à un résultat opposé dans le cas où le seul appel émane du préposé auteur du dommage. En effet la logique veut que le civilement responsable non appelant ne soit pas tenu au-delà de la dette que la juridiction d'appel a mise à la charge de son préposé; au contraire, l'application stricte des règles de l'appel oblige à affirmer que, faute d'indivisibilité entre la dette du civilement responsable et la dette du préposé, la décision des premiers juges qui a acquis force de chose jugée entre la victime et le commettant non appelant, doit demeurer exécutoire contre celui-ci quelle que soit la décision rendue en appel entre le préposé auteur du dommage et la victime.
Adoptant ce dernier point de vue, la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation française a décidé dans un arrêt récent (Civ. II, 16 mars 1966, B. 348) que «l'appel interjeté par le préposé seul qui obtient du juge du second degré une réduction des dommages-intérêts auxquels il avait été condamné, ne met pas obstacle à ce que la décision de première instance soit exécutée à l'encontre du civilement responsable »; toutefois la question ne paraît pas encore avoir été tranchée au civil dans l'hypothèse où la décision d'appel a exonéré le préposé de toute responsabilité. A l'inverse, la Chambre criminelle de la Cour de cassation française a décidé que «le principe même de la responsabilité civile du commettant à raison d'un fait dommageable envisagé comme constitutif d'une infraction imputable à son préposé, est subordonné à l'existence d'une infraction, et par conséquent à la décision définitive à intervenir sur les poursuites pénales» (Crim. 6 janv. 1934,Gaz. Pal. 1934.1.397; 8 janv. 1959, Gaz. Pal. 1959.1.150. Contra : Crim. 28 juin 1939, B. 144).
En l'espèce, pour justifier le rejet du pourvoi, il aurait suffi d'énoncer que «l'appel de l'auteur
du dommage ne pouvait nuire à son employeur en tant qu'il remettait en cause la responsabilité de l'accident ». Or, la Chambre civile de la Cour suprême a affirmé dans l'arrêt rapporté que l'appel de l'auteur du dommage pouvait profiter à son employeur en tant qu'il remettait en cause le principe de la responsabilité de l'accident; on peut en déduire qu'elle a opté en faveur de la solution qui fait prévaloir la logique sur une application stricte des règles de l'appel, et il convient donc de retenir que pour cette Chambre l'appel de l'auteur du dommage profite au civilement responsable (à noter que la Chambre criminelle de la Cour suprême n'a pas eu jusqu'ici l'occasion de se prononcer sur la question).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C188
Date de la décision : 07/05/1963
Chambre civile

Analyses

1° APPEL-Appel provoqué-Conditions-Situation nouvelle préjudiciable créée par l'appel principal.2° APPEL-Effet-Appel du préposé auteur du dommage-Effet à l'égard du commettant non appelant.3° RESPONSABILITE CIVILE-Responsabilité du fait d'autrui-Commettant-Appel du préposé seul-Effet à l'égard du commettant.

1° Une partie est irrecevable à interjeter l'appel provoqué prévu à l'article 227, al. 2, du Code de procédure civile, lorsque la situation créée par la décision des premiers juges ne risque pas d'être modifiée à son préjudice sur l'appel antérieur d'une autre partie.Par suite, le commettant condamné par les premiers juges en qualité de civilement responsable à réparer avec l'auteur du dommage le préjudice subi par la victime d'un accident, n'est pas recevable à former un appel provoqué lorsque son préposé a seul interjeté appel.2° et 3° L'appel de l'auteur d'un dommage, en tant qu'il remet en cause le principe de sa responsabilité, peut profiter à son commettant non appelant déclaré civilement responsable.


Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ma;cour.supreme;arret;1963-05-07;c188 ?
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