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30/04/1963 | MAROC | N°C181

Maroc | Maroc, Cour suprême, 30 avril 1963, C181


Texte (pseudonymisé)
181-62/63 30 avril 1963 9756
Orts René c/société «Union Ad Ae Af » et société «Operaciones Commerciales Hispano Marroquies »
Rejet du pourvoi formé contre un arrêt de la Cour d'appel de Tanger du 14 novembre 1961.
La Cour,
SUR LE DEUXIEME MOYEN, QUI EST PREALABLE :
Attendu qu'il résulte de la procédure et des énonciations de l'arrêt attaqué (Tanger 24 novembre 1961), partiellement infirmatif, que l'Union Ad A CB), créancière de la
société «Operaciones Commerciales Hispano-Marroquies» (OCOHISMA), ayant saisi pour sûreté de sa créance certaines marchand

ises détenues par celle-ci, mais dont Orts s'est révélé propriétaire, ce dernier a réclamé...

181-62/63 30 avril 1963 9756
Orts René c/société «Union Ad Ae Af » et société «Operaciones Commerciales Hispano Marroquies »
Rejet du pourvoi formé contre un arrêt de la Cour d'appel de Tanger du 14 novembre 1961.
La Cour,
SUR LE DEUXIEME MOYEN, QUI EST PREALABLE :
Attendu qu'il résulte de la procédure et des énonciations de l'arrêt attaqué (Tanger 24 novembre 1961), partiellement infirmatif, que l'Union Ad A CB), créancière de la
société «Operaciones Commerciales Hispano-Marroquies» (OCOHISMA), ayant saisi pour sûreté de sa créance certaines marchandises détenues par celle-ci, mais dont Orts s'est révélé propriétaire, ce dernier a réclamé à UNIBAN, outre la mainlevée de la saisie, la réparation du préjudice que lui aurait causé cette mesure en l'empêchant de vendre en Espagne, où leur prix était plus élevé, les marchandises saisies;
Attendu que, les juges de première instance ayant prononcé mainlevée de la saisie et ordonné
une expertise sur la différence des cours pratiqués en Espagne et au Maroc, l'arrêt attaqué, confirmant la mesure de mainlevée, a rejeté la demande de Orts, au motif que celui-ci n'établissait ni la faute commise par UNIBAN, ni la réalité du préjudice dont il se plaignait, ni l'existence d'un lien de causalité entre ces éléments;
Attendu que le pourvoi fait grief aux juges du second degré d'avoir statué par voie d'évocation alors que l'affaire n'était pas en état d'être jugée;
Mais attendu que les juges du second degré, saisis de plein droit, par l'effet dévolutif de l'appel, de la connaissance de l'ensemble des questions soumises aux premiers juges et implicitement résolues par ceux-ci, n'avaient nullement besoin de recourir à l'évocation;
Que le moyen, qui s'attaque ainsi à une disposition surabondante de l'arrêt, ne peut être retenu;
SUR LE TROISIEME MOYEN :
Attendu que le pourvoi fait grief à l'arrêt de n'avoir pas considéré comme un acte fautif la saisie indûment pratiquée par UNIBAN, alors que toute saisie pratiquée par une erreur du créancier sur des biens autres que ceux de son débiteur est un acte fautif et préjudiciable;
Mais attendu que le créancier ne commet aucune faute en saisissant les biens d'un tiers s'il existe un état de fait susceptible de l'induire en erreur sur l'identité du propriétaire réel; que le débiteur et le tiers dont les biens ont été saisis ne peuvent reprocher au créancier qui l'a fait de bonne foi d'avoir commis une faute en se conformant à l'apparence qu'ils ont eux-mêmes créée;
Attendu dès lors que les juges d'appel, ayant constaté que OCOHISMA non seulement détenait les marchandises, mais encore possédait une licence d'importation en Espagne établie en son nom, et ce avec l'accord de Orts, ont pu, par une appréciation souveraine, en déduire que UNIBAN était en droit de considérer les marchandises comme la propriété de son débiteur et de les faire saisir sans commettre de faute;
D'où il suit que le moyen n'est pas davantage fondé;
SUR LES AUTRES MOYENS REUNIS :
Attendu que la constatation qu'UNIBAN n'avait commis aucune faute en pratiquant la saisie justifiant à elle seule le rejet de la demande de Orts, il n'y a pas lieu de statuer sur ces moyens qui critiquent les motifs surabondants de l'arrêt relatifs au préjudice subi par Orts;
PAR CES MOTIFS
Rejette le pourvoi.
Président: M. Bourcelin.__Rapporteur : M. Tanchot__Avocat général : M. Neigel__Avocats : MM. Trujillo, Franqueira.
Observations
I et II-L'évocation prévue à l'article 236 C. proc. Civ. est la faculté donnée à la juridiction du second degré saisie seulement de l'appel d'un jugement avant dire droit de connaître néanmoins du fond du litige. Cette faculté ne lui est accordée que sous certaines conditions (v. sur ce point, T. I, note I sous l'arrêt n°153, p. 268 et note sous l'arrêt n°122, p. 223).
En l'espèce la Cour d'appel étai saisie de plein droit de l'ensemble du litige par le simple effet dévolutif de l'appel général qui avait été interjeté par la société UNIBAN, elle n'avait donc pas la faculté d'en connaître en évoquant, mais l'obligation de statuer aussi bien sur la mainlevée de la saisie et le principe de la responsabilité du saisissant, que le cas échéant sur l'opportunité de confirmer ou d'infirmer la mesure d'expertise ordonnée par les premiers juges en vue d'évaluer le préjudice subi par le demandeur. Il était donc parfaitement inutile qu'elle déclare statuer par voie d'évocation (v. T. I, note sous l'arrêt n°93, p. 172).
III et IV-Son erreur à cet égard n'affectait cependant pas la validité de son arrêt puisque, ainsi qu'elle en avait l'obligation par l'effet dévolutif de l'appel, elle avait statué sur le fond. Ne constituant pas dès lors le soutien nécessaire de son dispositif, les motifs de l'arrêt attaqué relatifs à l'évocation étaient surabondants, et le moyen de cassation dirigé contre eux était inopérant.
Bien qu'elle ait décidé que le saisissant n'avait commis aucune faute, ce qui impliquait nécessairement que le tiers propriétaire des biens saisis par erreur ne pouvait réclamer aucune indemnité, la Cour d'appel avait cru devoir énoncer en outre que ce tiers n'avait subi aucun préjudice. Ce motif également surabondant ne pouvait non plus donner ouverture à cassation.
V.-Un fait ou une abstention à priori fautifs peuvent ne pas constituer une faute ouvrant droit à réparation lorsque leur auteur s'est trouvé dans des circonstances particulières de nature à justifier son comportement. Tel est le cas de la légitime défense, de l'état de nécessité, de l'ordre de la loi ou de l'autorité légitime, ou encore de la contrainte, du dol, ou de l'erreur dont l'agent a été victime.
La faute s'appréciant in abstracto, c'est-à-dire par comparaison avec la conduite d'un individu abstrait «prudent et avisé» (v. notamment Mazeaud, T. I, n. 423 et s.), l'erreur susceptible de la supprimer est celle qu'une autre personne placée dans les mêmes conditions aurait elle-même commise. Bien entendu, l'appréciation des juges du fait à cet égard est soumise à la censure du juge de cassation, puisque celui-ci contrôle l'existence de la faute en fonction des constatations de fait des décisions qui lui sont déférées (v. Besson, n. 1925 et s.).
L'arrêt rapporté fait application de ces principes : les juges d'appel avaient constaté que les marchandises saisies étaient détenues par la société OCAHISMA, qu'elles avaient été importées à l'aide d'une licence établie à son nom, et que la société créancière était de bonne foi; la Cour suprême décide qu'ils en ont déduit à juste titre que les marchandises avaient pu être légitimement considérées comme étant la propriété de la débitrice et qu'en les saisissant la créancière n'avait commis aucune faute.
Fondant d'autre part sa décision sur la théorie de l'apparence, la Cour suprême énonce qu'en règle générale, ni le tiers dont les biens ont été saisis par erreur, ni le débiteur ne peuvent reprocher au
créancier qui a agi de bonne foi d'avoir commis une faute en se fiant à l'apparence qu'ils ont eux- mêmes créée.
En effet, lorsque comme en la cause la situation juridique apparente est différente de la situation juridique réelle, il convient le plus souvent de faire prévaloir à l'égard du tiers la première sur la seconde; c'est nécessaire à la sécurité des transactions et d'une façon plus générale à la tranquillité des personnes dans les rapports de droit créés par la vie sociale.
La loi et la jurisprudence offrent de nombreux exemples de l'application de cette théorie. Nous n'en citerons que quelques-uns. En matière contractuelle, les art. 21 et 22 C. obl. contr. font prévaloir vis-à-vis des tiers le contrat apparent sur les contre-lettres, l'art. 926 C. obl. contr. fait produire effet au mandat apparent (v. T. I, note sous l'arrêt n°56, p. 104); en matière de responsabilité délictuelle du fait d'autrui, la jurisprudence décide que le commettant demeure tenu de réparer le dommage causé par le préposé qui a abusé de ses fonctions, si la victime démontre qu'elle a pu, en raison des apparences, légitimement croire que ce préposé agissait pour le compte de son employeur (v. notamment Crim. 17 fév. 1953, D. 1954.98; v. également : Rép. civ. V° Responsabilité du fait d'autrui, par Ab Aa, n. 273 et s.; Mazeaud, T. I, n. 914); en matière de propriété, la possession, qui est une apparence de propriété, permet à son titulaire de faire échec aux empiétements et aux revendications des tiers, et même de se défendre contre la revendication du véritable propriétaire.
Sur la justification pratique et le fondement juridique de la théorie, v. notamment : Rép. civ. V° Apparence, par Ab Aa, n. 3 et s. et n. 26 et s.; V° Bonne foi, par F. Ac, n. 37 et s.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C181
Date de la décision : 30/04/1963
Chambre civile

Analyses

1° APPEL-Evocation-Conditions. 2° APPEL-Effet dévolutif-Juridiction d'appel saisie de l'ensemble du litige-Evocation (non)3° JUGEMENT ET ARRET-Motivation-Motif surabondant. 4° CASSATION-Moyen irrecevable-Moyen dirigé contre un motif surabondant.5° RESPONSABILITE CIVILE-Responsabilité pour faute prouvée-Faute-Saisie pratiquée par erreur sur les biens d'un tiers-Apparence-Absence de faute.

1° et 2° L'effet dévolutif de l'appel général interjeté contre un jugement qui avait à la fois donné mainlevée d'une saisie pratiquée par erreur sur des biens n'appartenant pas au débiteur, et ordonné une expertise pour évaluer le préjudice subi par la victime de cette saisie, défère nécessairement à la Cour d'appel la connaissance de l'ensemble du litige.Cette Cour n'a donc pas à statuer par voie d'évocation.3° Le motif par lequel une Cour d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, déclare statuer par voie d'évocation est surabondant.Sont également surabondants les motifs d'une décision relatifs à l'évaluation du préjudice résultant d'une faute quasi-délictuelle, lorsque cette décision a écarté l'existence d'une faute ouvrant droit à réparation.4° Les moyens de cassation dirigés contre de tels motifs sont irrecevables comme inopérants.5° Le fait pour un créancier de saisir de bonne foi des biens n'appartenant pas à son débiteur ne constitue pas une faute lorsque les circonstances étaient de nature à induire ce créancier en erreur sur l'identité de leur véritable propriétaire.Tel est le cas lorsque, trompé par une apparence que le tiers et le débiteur avaient eux- mêmes créée, un créancier a saisi des marchandises qui étaient détenues par son débiteur et faisaient l'objet d'une licence d'importation établie au nom de celui-ci, mais qui appartenaient en réalité à ce tiers.


Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ma;cour.supreme;arret;1963-04-30;c181 ?
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