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02/04/1963 | MAROC | N°C151

Maroc | Maroc, Cour suprême, 02 avril 1963, C151


Texte (pseudonymisé)
151-62/63 2 avril 1963 4 637
La Manutention Ag
c/compagnie d'assurances «Af Ac and Marine Insurance »
Rejet du pourvoi formé contre un jugement du tribunal de paix de Casablanca du 22 septembre 1959.
La Cour,
SUR LES DEUX MOYENS REUNIS :
Attendu qu'il résulte de la procédure et des énonciations du jugement attaqué (tribunal de paix de Casablanca-Nord 22 septembre 1959) qu'il a été constaté un manquant de deux pneumatiques sur un chargement de 1 128 pneumatiques transporté par le navire Wickenburgh;
Que, pour condamner d'une part le bord et l'armement solidaireme

nt, d'autre part la Manutention Ag à payer chacun l'un des manquants, le jugeme...

151-62/63 2 avril 1963 4 637
La Manutention Ag
c/compagnie d'assurances «Af Ac and Marine Insurance »
Rejet du pourvoi formé contre un jugement du tribunal de paix de Casablanca du 22 septembre 1959.
La Cour,
SUR LES DEUX MOYENS REUNIS :
Attendu qu'il résulte de la procédure et des énonciations du jugement attaqué (tribunal de paix de Casablanca-Nord 22 septembre 1959) qu'il a été constaté un manquant de deux pneumatiques sur un chargement de 1 128 pneumatiques transporté par le navire Wickenburgh;
Que, pour condamner d'une part le bord et l'armement solidairement, d'autre part la Manutention Ag à payer chacun l'un des manquants, le jugement constate qu'il résulte de l'examen des feuilles de pointage sous palan que la Manutention Ag avait reçu 1 127 pneumatiques;
Attendu que le pourvoi fait grief au jugement d'avoir, pour retenir la responsabilité de la Manutention Ag, opposé les feuilles de pointage sous palan, qui sont établies à titre de purs renseignements et qui n'ont aucune force probante, à l'état différentiel qui, lui, a une valeur probante, et encore de n'avoir pas indiqué en vertu de quelle règle la Manutention Ag devait être tenue pour responsable des manquants;
Mais attendu que relevant une contradiction entre les feuilles de pointage sous palan et l'état différentiel dressé bien après le déchargement du navire et qui, contrairement aux prétentions du pourvoi, ne fait foi que jusqu'à preuve contraire, le juge du fond, usant de son pouvoir souverain d'appréciation, a pu décider, sans encourir le reproche du moyen, que cette preuve résultait du premier de ces documents émanant de la Manutention Ag elle-même et établi au moment du déchargement;
Qu'ayant ainsi constaté que la Manutention Ag qui avait reçu 1 127 pneumatiques n'en représentait que 1 126, il a justement retenu sa responsabilité, alors que l'article 5 de son cahier des charges (qu'il n'était pas tenu de rappeler expressément) la déclare responsable des pertes et avaries de marchandises survenues au cours des manutentions qu'elle effectue et au cours du séjour des marchandises dans ses magasins;
D'où il suit que les moyens ne sont pas fondés;
PAR CES MOTIFS
Rejette.
Président: M. Bourcelin.__Rapporteur : M. Tanchot.__Avocat général : M. Neigel.__Avocats : MM. Machwitz, Chouraqui.
Observations
I.-Le fondement juridique théorique, et en conséquence l'étendue de la responsabilité des entreprises d'acconage, est difficile à déterminer, en raison d'une part de la diversité des opérations qui leur sont confiées, d'autre part du fait que, selon les ports, elles jouissent ou non d'un monopole rendant le recours à leurs services obligatoire ou facultatif, et sont soumises à des réglementations différentes.
Il est tout d'abord certain qu'elles sont responsables sur le plan délictuel ou quasi-délictuel des dommages qu'elles causent aux tiers dans l'exercice de leur activité.
Sur le plan contractuel leur responsabilité peut être envisagée sous divers aspects. Pour les opérations de chargement et de déchargement, on admet généralement que leur responsabilité contractuelle est celle qui découle d'un contrat de louage d'ouvrage. En ce qui concerne leur rôle de gardien des marchandises entre la remise à leurs services et le chargement, ou entre le déchargement et la livraison au destinataire, elles peuvent théoriquement être responsables soit en qualité de dépositaire salarié, soit en qualité de mandataire du capitaine ou du consignataire des marchandises; mais la question se complique singulièrement lorsqu'il s'agit de déterminer exactement qui est le cocontractant de l'acconier. (Sur ces diverses questions, v. notamment Georges Ripert, Droit maritime, n. 1525 bis; Rép. com. V° Transport maritime, par Aa Ad et Ab Ae, n. 182 et s.). Tous ces problèmes ont reçu en France des solutions différentes selon les circonstances de fait, les usages et les règlements locaux.
A Casablanca l'importance du trafic a donné lieu à de nombreux procès mettant en cause la Manutention Ag qui est titulaire du monopole de l'acconage dans ce port. Mais, sans avoir à prendre parti sur le fondement théorique de la responsabilité de cette société, le Cour suprême a pu adopter des solutions pratiques de nature à sauvegarder les intérêts du destinataire en cas de pertes ou d'avaries. Celui-ci peut soit exercer son recours contre l'acconier directement, soit, par application du principe de l'unité du transport maritime, réclamer le dédommagement de son préjudice au seul transporteur maritime, à charge pour ce dernier d'appeler en cause la Manutention Ag (v. infra, arrêt 138-63/64 du 19 fév. 1964, n°71), soit encore agir contre les deux à la fois, ce qui avait été le cas dans la présente espèce. Dans ces diverses hypothèses la Chambre civile se base sur les dispositions de l'art. 5 du cahier des charges de l'entreprise pour la déclarer responsable des
manquants et avaries lorsqu'ils se sont produits entre la mise sous palan des marchandises déchargées et leur remise au destinataire.
En effet, l'alinéa 1er de cet article est ainsi conçu : «la société gérante est responsable vis-à-vis
de l'Etat Chérifien, de la ville de Casablanca et des tiers de tous préjudices ou dommages à eux causés résultant de l'exécution de ses opérations ». Or, contrairement à ce qu'a soutenu la Manutention Ag dans de nombreux pourvois, le mot de tiers désigne en l'espèce les personnes qui ne sont pas parties à la convention conclue entre l'entreprise et l'Etat, convention dont le cahier des charges n'est qu'une annexe; ce mot vise donc, non seulement les personnes étrangères à l'activité de la Manutention Ag, c'est-à-dire les tiers au sens de la responsabilité délictuelle, mais aussi les personnes qui, tenues de recourir aux services de cette société, peuvent être considérées comme ses cocontractants dans l'exercice de son activité.
Cette interprétation est d'ailleurs imposée par les alinéas suivants du même article d'où il résulte que la Manutention Ag est responsable des marchandises qui lui sont confiées, sauf si elle prouve que les pertes ou avaries dont il lui est demandé réparation proviennent d'un vice propre de la marchandise ou de son emballage, de la faute de l'expéditeur, du destinataire, de l'affréteur ou de leurs préposés, des risques de mer ou de la force majeure. La même interprétation est également imposée par celles des dispositions de l'arrêté viziriel portant règlement du magasinage au port de Casablanca qui prévoient une procédure destinée à déterminer si les avaries ou les manquants se sont produits ou non pendant le séjour des marchandises dans les installations de l'acconier.
II.-Selon l'art. 5 arr. viz. du 28 déc. 1915 portant règlement du magasinage au port de Casablanca, tel qu'il a été modifié par les arr. viz. des 6 fév. 1917, 4 sept. 1929 et 12 avr. 1949, la Manutention Ag dispose d'un délai de 6 jours pour notifier au destinataire ou à l'agent du navire les différences résultant de la comparaison entre le pointage des marchandise déposées dans ses installations et les indications du connaissement ou du manifeste. Ce délai ne commence à courir qu'à partir du moment où le déchargement est terminé et où l'acconier est en possession du connaissement ou d'un manifeste complet permettant la vérification. L'état différentiel ainsi notifié fait foi jusqu'à preuve contraire.
Cette preuve contraire dont l'admission n'est limitée ni par la loi ni par le cahier des charges
doit être accueillie d'autant plus facilement que l'état différentiel est établi souvent plusieurs jours après la mise sous palan des marchandises débarquées et en tous cas un certain temps après leur prise en charge par l'acconier et leur transport à l'intérieur des installations portuaires il est donc logique de décider qu'elle résulte des feuilles de pointage sous palan contresignées comme en l'espèce par un représentant du bord et par un agent de la Manutention Ag. Malheureusement ce pointage sous palan n'est pas toujours effectué avec le soin qui conviendrait et il en résulte des difficultés de preuve supplémentaires.
Dans le même sens, notamment, arrêt 325-64/65 du 29 juin 1965.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C151
Date de la décision : 02/04/1963
Chambre civile

Analyses

1° MANUTENTION MAROCAINE-Responsabilité-Fondement.2°MANUTENTION MAROCAINE-Responsabilité-Preuve-Etat différentiel-Pointage sous palan.

1° En vertu de l'article 5 de son cahier des charges, la Manutention Marocaine est responsable des pertes et avaries de marchandises survenues au cours des manutentions par elle effectuées et au cours du séjour des marchandises dans ses magasins ou installations.2° L'état différentiel établi par la Manutention Marocaine lors de l'entrée en magasin des marchandises ne fait foi que jusqu'à preuve contraire. Cette preuve librement appréciée par les juges du fait peut être tirée par eux des feuilles de pointage sous palan établies par la Manutention Marocaine elle-même.


Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ma;cour.supreme;arret;1963-04-02;c151 ?
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