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19/02/1963 | MAROC | N°C111

Maroc | Maroc, Cour suprême, 19 février 1963, C111


Texte (pseudonymisé)
En conséquence, est privé de base légale et encourt la cassation l'arrêt qui, pour exonérer le propriétaire d'une voiture automobile de la présomption de responsabilité qui pesait sur lui à la suite d'un accident mortel occasionné par ce véhicule, se borne à constater que l'irruption subite de la victime sur la chaussée à sept mètres de la voiture a rendu vaine toute manouvre de sauvetage de la part du conducteur, sans rechercher si la condamnation pénale prononcée contre ce conducteur pour excès de vitesse n'interdisait pas au gardien de rapporter la preuve qu'il avait pris

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En conséquence, est privé de base légale et encourt la cassation l'arrêt qui, pour exonérer le propriétaire d'une voiture automobile de la présomption de responsabilité qui pesait sur lui à la suite d'un accident mortel occasionné par ce véhicule, se borne à constater que l'irruption subite de la victime sur la chaussée à sept mètres de la voiture a rendu vaine toute manouvre de sauvetage de la part du conducteur, sans rechercher si la condamnation pénale prononcée contre ce conducteur pour excès de vitesse n'interdisait pas au gardien de rapporter la preuve qu'il avait pris toutes les précautions pour éviter le dommage, non seulement au moment de l'accident, mais dans les instants qui l'avaient précédé.
111-62/63 19 février 1963 9332
Kayati bent Mériem bent BouabidCRedouane, Moktar et Mernissi et compagnie d'assurances «La Confiance ».
Cassation d'un arrêt de la Cour d'appel de Rabat du 13 décembre 1960.
La Cour,
SUR LE MOYEN UNIQUE :
Vu l'article 88 du dahir des obligations et contrats;
Attendu que selon ce texte le gardien de la chose qui a causé un dommage à autrui ne peut s'exonérer de la présomption de responsabilité mise à sa charge que s'il démontre non seulement que le dommage dépend d'un cas fortuit, d'une force majeure ou de la faute de celui qui en est la victime, mais encore qu'il a fait tout ce qui était nécessaire pour l'empêcher;
Attendu qu'il résulte de la procédure et de l'arrêt confirmatif attaqué (Rabat 13 décembre 1960) que sur la route de Kénitra à Salé vers 20 heures une voiture automobile, conduite par Redouane el Aoufir et appartenant à Moktar et Mernissi, heurta et blessa mortellement un piéton, Ahmed ben Ab Aa; que poursuivi devant la juridiction correctionnelle Redouane et Aoufir fut condamné pour excès de vitesse mais relaxé du chef d'homicide involontaire; que la veuve de la victime a alors assigné le propriétaire de la voiture et sa compagnie d'assurances sur la base de l'article 88 du dahir des obligations et contrats en réparation du dommage qu'elle avait subi;
Attendu que pour la débouter de sa demande la Cour d'appel, après s'être fondée sur un premier motif erroné mais surabondant tiré de l'autorité attachée à la décision de relaxe, relève que l'irruption subite de la victime sur la chaussée à 7 mètres de la voiture avait rendu vaine toute manouvre de sauvetage de la part de l'automobiliste;
Or attendu qu'en déduisant de cette seule constatation que le gardien de la chose cause du dommage s'était exonéré de la présomption de responsabilité qui pesait sur lui, sans rechercher si la condamnation pénale prononcée contre son chauffeur ne lui interdisait pas de rapporter la preuve, qui lui incombait, qu'il avait pris toutes les précautions pour éviter le dommage, non seulement au moment de l'accident mais dans les instants qui l'avaient précédé, les juges du fond n'ont pas légalement justifié leur décision;
PAR CES MOTIFS
Casse.
Président: M. Bourcelin.__Rapporteur : M. Zamouth.__Avocat général : M. Neigel.__Avocats : MM. Ailhaud, Lorrain.
Observations
Le litige était soumis aux juges du fait dans les conditions suivantes : le conducteur d'une voiture automobile roulait à 100 km à l'heure bien qu'il fasse nuit et que ses phares soient en position de croisement. Il n'aperçut qu'à une distance de sept mètres environ un piéton qui venait de quitter le bas-côté droit de la route pour s'engager sur la chaussée, et la présence de véhicules circulant en sens inverse ne lui permit pas de donner un coup de volant à gauche pour éviter ce piéton qui fut tué. Poursuivi pénalement, ce conducteur fut condamné pour vitesse inadaptée, mais néanmoins acquitté du chef d'homicide involontaire, au motif discutable que son excès de vitesse n'avait pas eu de relation de cause à effet avec l'accident, lequel était imputable à la faute imprévisible et irrésistible de la victime et se serait produit même si la voiture avait roulé plus lentement. La veuve du piéton qui ne s'était pas constituée partie civile avait alors assigné devant le tribunal civil le propriétaire du véhicule pris en qualité de gardien.
Par l'arrêt attaqué la Cour d'appel avait déclaré celui-ci totalement exonéré de la présomption prévue à l'article 88 C. obl. contr. Pour justifier cette décision, les juges d'appel devaient constater d'une part que l'accident était dû à un cas fortuit ou de force majeure ou à une faute imprévisible et irrésistible de la victime, d'autre part que le gardien (ou son préposé) avait fait tout le nécessaire afin d'éviter le dommage. Sans méconnaître ces principes, l'arrêt attaqué les avait faussement appliqués :
En ce qui concerne la première condition, il avait constaté que la faute de la victime était imprévisible et inévitable; cette affirmation aurait échappé à toute critique si les juges d'appel n'avaient cru pouvoir la renforcer en énonçant que d'ailleurs l'autorité de chose jugée, attachée à la décision d'acquittement du chef d'homicide involontaire dont le conducteur avait bénéficié, interdisait de remettre en question l'existence et les caractères de cette faute constatés par la juridiction répressive. Bien que cette énonciation soit surabondante, l'arrêt rapporté prend soin d'en souligner l'inexactitude : en effet, lorsque la victime ou ses ayants droit n'étaient pas partie à l'instance pénale, la constatation par le juge répressif d'une faute de la victime ne leur est pas opposable devant le juge civil.
En ce qui concerne la deuxième condition, les juges d'appel avaient énoncé que l'irruption du piéton à 7 mètres de la voiture avait rendu vaine toute manouvre de sauvetage de la part de l'automobiliste, et ils en avaient conclu qu'il était établi que celui-ci avait fait tout ce qui était nécessaire afin d'éviter le dommage. C'est cette déduction qui a entraîné la cassation de leur arrêt. En effet, la condamnation du conducteur du chef de vitesse inadaptée avait, elle, une autorité absolue de chose jugée, et il en résultait que dans l'instant qui avait précédé l'accident celui-ci, faute d'avoir circulé plus lentement, n'avait pas pris toutes les précautions pour éviter le dommage.
Sur les cas où toute précaution est vaine, v. infra, arrêt n°65, note III.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C111
Date de la décision : 19/02/1963
Chambre civile

Analyses

1° RESPONSABILITE CIVILE-Responsabilité du fait des choses-Exonération- Conditions.2° CHOSE JUGEE-Chose jugée au pénal-Autorité sur le civil.

1° et 2°Il résulte des dispositions de l'article 88 du Code des obligations et contrats que pour s'exonérer de la présomption de responsabilité mise à sa charge, le gardien d'une chose dommageable doit non seulement démontrer que l'accident est dû à un cas fortuit ou de force majeure ou à la faute de la victime, mais encore prouver qu'il a fait tout le nécessaire afin d'éviter le dommage.


Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ma;cour.supreme;arret;1963-02-19;c111 ?
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