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12/02/1963 | MAROC | N°C100

Maroc | Maroc, Cour suprême, 12 février 1963, C100


Texte (pseudonymisé)
100-62/63 12 février 1963 8514
Compagnie d'assurances «L'Union» c/Julien Molle et autres.
Cassation d'un arrêt de la Cour d'appel de Tanger du 19 janvier 1961.
La Cour,
SUR LE PREMIER MOYEN :
Attendu qu'il résulte de la procédure et des énonciations de l'arrêt partiellement infirmatif attaqué (Tanger 6 juin 1961) qu'à la suite d'une injection intra-veineuse exécutée par la demoiselle Mellina, infirmière à l'hôpital Benchimol, et prescrite par le docteur Ac à l'occasion d'une intervention chirurgicale pratiquée par ce dernier sur la personne de Julien Molle, une

nécrose des doigts de la main gauche se déclara chez le patient; que celui-ci a...

100-62/63 12 février 1963 8514
Compagnie d'assurances «L'Union» c/Julien Molle et autres.
Cassation d'un arrêt de la Cour d'appel de Tanger du 19 janvier 1961.
La Cour,
SUR LE PREMIER MOYEN :
Attendu qu'il résulte de la procédure et des énonciations de l'arrêt partiellement infirmatif attaqué (Tanger 6 juin 1961) qu'à la suite d'une injection intra-veineuse exécutée par la demoiselle Mellina, infirmière à l'hôpital Benchimol, et prescrite par le docteur Ac à l'occasion d'une intervention chirurgicale pratiquée par ce dernier sur la personne de Julien Molle, une nécrose des doigts de la main gauche se déclara chez le patient; que celui-ci a assigné l'infirmière et l'hôpital en même temps que le médecin et sa compagnie d'assurances en réparation du préjudice par lui subi;
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir retenu à titre principal la responsabilité de l'infirmière sans préciser les éléments de la faute relevée à sa charge;
Mais attendu que la Cour d'appel déclare fonder sa décision sur les constatations des docteurs Cabanié et Spriet, experts commis;
Qu'en s'appropriant ainsi les conclusions des experts elle a implicitement mais nécessairement adopté les motifs de leurs rapports dont l'un constate «que la cause la plus habituelle de ces accidents
est une erreur d'exécution» et l'autre «qu'il est vraisemblable que lors de l'injection l'aiguille a pénétré dans une artère immédiatement derrière la veine» et que «l'infirmière aurait dû s'en apercevoir et en tout cas arrêter l'injection dès l'apparition de la douleur »;
Attendu que les juges du fond, faisant leurs ces constatations qui décrivaient l'erreur d'exécution commise, ont pu décider que la vraisemblance relevée par les experts équivalait à une certitude sur laquelle ils ont souverainement fondé leur conviction;
D'où il suit que ce moyen ne saurait être accueilli;
MAIS SUR LE SECOND MOYEN DE CASSATION :
Vu l'article 85 du dahir des obligations et contrats de Tanger;
Attendu que par suite des contrats qui les lient au malade, le médecin assume envers ce dernier la responsabilité des soins médicaux et l'hôpital celle des soins hospitaliers;
Que le médecin ne peut être tenu pour le commettant des infirmières de l'hôpital chargées d'assurer les soins post-opératoires que dans la seule mesure où un lien de subordination s'est crée entre eux; que ce lien existe si le médecin peut donner à l'infirmière des ordres et des instructions sur la manière de remplir ses fonctions, mais non s'il se borne à prescrire des soins d'usage courant dont l'application se fait habituellement hors sa présence et sans sa surveillance;
Or attendu que, pour déclarer le docteur Ac civilement responsable de la demoiselle Mellina, condamner la compagnie d'assurances à le relever et garantir, et mettre hors de cause l'hôpital Benchimol, l'arrêt déféré se borne à affirmer «que l'injection exécutée sur Molle était un soin médical lié à l'opération et non un soin hospitalier »; qu'en s'abstenant de rechercher si, comme l'avaient dit les experts, il ne s'agissait pas là d'un traitement tout à fait banal qui ne requiert pas la présence du chirurgien traitant, une infirmière qualifiée pouvant normalement l'accomplir, et de préciser quelles circonstances particulières avaient pu créer un lien de subordination entre le chirurgien et l'infirmière, les juges du second degré n'ont pas donné de base légale à leur décision;
PAR CES MOTIFS
Casse.
Président: M. Bourcelin.__Rapporteur : M. Tanchot.__Avocat général : M. Bocquet.__Avocats : MM. Ailhaud, Fuentes, Pecune, Tolédano.
Observations
I et II.-Les juges ne sont pas liés par l'opinion des experts; ils peuvent librement s'en écarter à condition d'indiquer les motifs de leur avis contraire, et ils peuvent, à plus forte raison, attribuer un caractère de certitude à des faits que le rapport d'expertise avait considérés seulement comme vraisemblables. C'est bien ce qu'avait fait la Cour d'appel en l'espèce. Cependant la motivation de l'arrêt attaqué était insuffisante dans la mesure où il n'indiquait pas comment et pourquoi la Cour d'appel avait transformé en certitude le léger doute exprimé par les experts. La Cour suprême a pu néanmoins rejeter le moyen parce que celui-ci était uniquement pris de ce que l'arrêt attaqué avait insuffisamment caractérisé la faute de l'infirmière; or, tel que présenté, ce moyen n'était pas fondé, puisque la Cour d'appel avait affirmé implicitement sa conviction que les faits s'étaient certainement
déroulés comme les experts l'avaient seulement supposé, et qu'il en résultait que l'infirmière avait commis une erreur dans l'exécution de sa mission.
III.-La responsabilité du fait du préposé, mise à la charge du commettant par l'articles 1347 C. obl. contr. de l'ex-zone de Tanger et l'art. 85 C. obl. contr., suppose que le commettant a eu le droit de donner au préposé des ordres ou des instructions sur la manière de remplir les fonctions auxquelles il est employé. Mais, pour que cette responsabilité entre en jeu, il n'est pas nécessaire que le préposé soit salarié; il n'est pas non plus nécessaire qu'il soit lié au commettant par un contrat, ni qu'il ait été choisi par lui; c'est pourquoi une infirmière recrutée par l'hôpital et liée à lui par un contrat de travail peut, selon les circonstances, être considérée tantôt comme préposée de l'établissement qui l'emploie, tantôt comme préposée du médecin qui y exerce son activité professionnelle.
La règle est que l'hôpital ou la clinique sont responsables des soins hospitaliers et le médecin
ou le chirurgien des soins médicaux. La distinction entre eux doit se faire à la fois suivant la chronologie des soins et suivant leur nature (v. Traité de droit médical par R. et Ab Aa, Auby et Péquignot). Chronologiquement, le chirurgien est responsable non seulement de l'acte opératoire lui- même, mais des actes pré et post-opératoires qui s'y rattachent; sa responsabilité commence donc au moment où le malade entre dans la salle d'opération et se poursuit tant qu'il n'en est pas sorti; ainsi, il a été déclaré responsable à raison du dommage causé par une piqûre pratiquée en sa présence par l'infirmière chef de la clinique, dans la salle d'opération, alors que le malade était déjà sur la table (Civ. I, 15 nov. 1955, D. 1956.113, note Savatier). Mais il est également responsable à raison des soins de nature purement médicale donnés au malade en dehors de la salle d'opération, avant ou après l'intervention chirurgicale. Inversement, c'est l'établissement hospitalier qui est responsable des fautes commises par son personnel lorsque celui-ci dispense des soins courants n'ayant ni par leur nature, ni chronologiquement un rapport étroit et direct avec l'opération, et ne nécessitant pas normalement l'intervention du médecin; ainsi un hôpital a été déclaré responsable des brûlures causées par une bouillotte trop chaude à un opéré encore endormi (Civ. I, 11 juin 1963, D. 1964, somm. 4).
En l'espèce, la Cour d'appel de Tanger avait retenu la responsabilité du chirurgien au seul motif que la piqûre intraveineuse, cause du dommage, constituait non un soin hospitalier, mais «un soin médical lié à l'opération». En réalité cette piqûre pratiquée un certain temps après celle-ci ne se rattachait pas chronologiquement à elle, et il convenait don de déterminer si elle constituait un acte médical nécessitant la présence et le contrôle du chirurgien. La simple affirmation des juges d'appel à cet égard était insuffisante pour permettre à la Cour suprême d'exercer son contrôle, alors au surplus que les experts avaient affirmé précisément qu'il s'agissait d'un acte qu'une infirmière qualifiée pouvait normalement accomplir seule; c'est pourquoi l'arrêt rapporté a prononcé la cassation pour manque de base légale.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C100
Date de la décision : 12/02/1963
Chambre civile

Analyses

1° RESPONSABILITE CIVILE-Faute-Constatations suffisantes.2° EXPERTISE-Liberté d'appréciation du juge-Conclusions dubitatives des experts-Affirmation du juge. 3° RESPONSABILITE CIVILE-Responsabilité du fait d'autrui-Qualité de commettant- Chirurgien-Constatations nécessaires.

1° et 2° Justifie légalement sa décision la Cour d'appel qui, pour attribuer la nécrose des doigts de la main, subie par un malade hospitalisé, à une faute de l'infirmière qui avait pratiqué sur ce malade une piqûre intraveineuse, fonde sa conviction sur les conclusions des experts qui avaient affirmé qu'un tel accident est habituellement causé par une erreur d'exécution, et qui avaient estimé que l'aiguille avait vraisemblablement pénétré dans une artère, que l'infirmière aurait dû s'en apercevoir et arrêter l'injection dès l'apparition de la douleur.3° Le chirurgien ne peut être tenu pour le commettant des infirmiers de l'hôpital chargé dessoins post-opératoires que dans la seule mesure où il existe entre lui et eux un lien de subordination. Ce lien existe si le chirurgien peut donner des ordres et des instructions à l'infirmier sur la manière de remplir ses fonctions mais non s'il se borne à prescrire des soins d'usage courant dont l'application se fait normalement hors de sa présence et de sa surveillance.


Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ma;cour.supreme;arret;1963-02-12;c100 ?
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