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13/11/1962 | MAROC | N°C32

Maroc | Maroc, Cour suprême, 13 novembre 1962, C32


Texte (pseudonymisé)
32-62/63 13 novembre 1962 9 447
René G. c/Fatna bent A.
Rejet du pourvoi formé contre un arrêt de la Cour d'appel de Rabat du 10 mars 1961.
(Extrait)
La Cour,
SUR LE PREMIER MOYEN :
Attendu que selon les énonciations de l'arrêt attaqué (Rabat 10 mars 1961), dame Ag Aa Af le 11 juillet 1958, assigné René G. de nationalité française; que soutenant avoir vécu en concubinage avec lui pendant une quinzaine d'années au cours desquelles étaient nés des enfants qu'il avait considérés comme les siens propres, pourvoyant à leur entretien jusqu'en mars 1958, elle entend

ait faire déclarer la paternité de G. et subsidiairement obtenir des aliments pour...

32-62/63 13 novembre 1962 9 447
René G. c/Fatna bent A.
Rejet du pourvoi formé contre un arrêt de la Cour d'appel de Rabat du 10 mars 1961.
(Extrait)
La Cour,
SUR LE PREMIER MOYEN :
Attendu que selon les énonciations de l'arrêt attaqué (Rabat 10 mars 1961), dame Ag Aa Af le 11 juillet 1958, assigné René G. de nationalité française; que soutenant avoir vécu en concubinage avec lui pendant une quinzaine d'années au cours desquelles étaient nés des enfants qu'il avait considérés comme les siens propres, pourvoyant à leur entretien jusqu'en mars 1958, elle entendait faire déclarer la paternité de G. et subsidiairement obtenir des aliments pour ces enfants;
Attendu que la Cour d'appel ayant déclaré l'action en recherche de paternité irrecevable, les mineurs étant nés au Maroc d'une mère musulmane marocaine et de père inconnu et ayant été conçus alors que René G. était engagé dans les liens du mariage, mais ayant tenu pour recevable, conformément aux articles 77 et 78 du dahir des obligations et contrats, au titre de dommages- intérêts, la demande en paiement d'une pension alimentaire destinée à l'entretien des deux derniers des enfants, et autorisé avant dire droit la dame Ag Aa Af à prouver en la forme ordinaire des enquêtes les faits par elle avancés, le pourvoi lui fait grief d'en avoir ainsi décidé par contradiction de motifs et en violation du Code marocain du statut personnel et des successions, et des articles 62 et 403 du dahir des obligations et contrats, en ce que la Cour d'appel, après avoir admis l'application exclusive du statut personnel des enfants marocains musulmans, a néanmoins déclaré recevable la demande en pension alimentaire à leur profil, alors que la demande nécessitait la recherche préalable de leur filiation adultérine, prohibée par le droit musulman et interdite tant par le Code de statut personnel marocain que le statut personnel français de G., et a, en outre, ordonné une enquête pour établir l'existence d'une «obligation illicite »;
Mais attendu que la Cour d'appel qui a rejeté la demande en recherche de paternité dont G. était l'objet, au motif que le statut personnel des enfants de nationalité marocaine ne l'autorisait pas, ne s'est pas contredite et n'a pas violé les dispositions du Code dudit statut, puisque, pour déclarer recevables les conclusions subsidiaires de dame Ag Aa Af, elle a fondé sa décision sur les seuls articles 77 et 78 du dahir des obligations et contrats en raison de faits survenus en territoire marocain et ainsi régis par la loi locale en vertu de l'article 16 du dahir sur la condition civile des étrangers au Maroc; que l'action personnelle, à caractère quasi-délictuel, de dame Ag Aa Af, qui ne heurte donc pas l'ordre public marocain, n'est pas davantage fondée sur une «obligation illicite », dès lors qu'elle ne tend ni à continuer l'état de concubinage ni à établir une filiation adultérine, mais trouve sa source, ainsi que le relève exactement la décision déférée, dans un droit à réparation fondé sur un lien de pur fait et sur l'abandon fautif dont le père est responsable, sans qu'une telle action fasse injure au statut de G. qui permet à l'enfant adultérin dont la filiation ne peut être légalement établie, de réclamer des aliments à son père par une action alimentaire non déclarative de filiation;
Que le premier moyen ne saurait être accueilli;
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PAR CES MOTIFS
Rejette le pourvoi.
Président: M. Bourcelin.__Rapporteur : Mme Houel.__Avocat général : M. Bocquet.__Avocats : MM. Fernandez et Botbol.
Observations
G., français marié, faisait l'objet d'une demande principale en recherche de paternité et d'une demande subsidiaire d'aliments formée par F., musulmane de nationalité marocaine, qui affirmait avoir vécu quinze ans en concubinage avec lui et avoir eu de lui des enfants qu'il n'avait cessé d'entretenir qu'à l'expiration de cette période.
La demande principale, irrecevable selon la loi du défendeur français puisqu'elle tendait à établir une filiation adultérine (art. 335 et 342, al. 1er, C. civ. français), l'était également selon le statut personnel des enfants et de leur mère puisque, en droit musulman, la filiation non légitime est sans effet à l'égard du père (art. 83 C. stat. Pers.) sauf dans le cas où la mère non mariée a eu «des rapports sexuels par erreur» et dans le cas de mariage vicié (art. 87 et 88 C. stat. pers.). L'arrêt attaqué avait statué en ce sens, mais il avait déclaré la demande subsidiaire recevable et avait autorisé en conséquence la mère à prouver par enquête qu'elle avait vécu quinze ans en concubinage avec G. et que pendant cette période celui-ci avait pourvu à l'entretien des enfants.
Le pourvoi faisait grief à cette décision d'avoir violé les règles du statut personnel musulman qu'elle avait elle-même déclarées applicables en la cause, et d'avoir violé les art. 62 et 403 C. obl. contr. en faisant produire effet à une obligation illicite et en autorisant la demanderesse à en prouver l'existence.
Conformément à l'opinion généralement admise, la Cour d'appel avait en effet affirmé que la loi applicable était celle des enfants et non celle du prétendu père (v.Rép. civ. V° Conflits de loi, par Ab Ad, n. 10 et s.); or, selon cette loi, les rapports sexuels hors mariage sont interdits (art. 490 C. pén.), la filiation non légitime est en principe sans effet à l'égard du père, et, à la différence du droit français (art. 342, al. 2, C. civ. français tel que complété par la loi du 15 juil. 1955), il n'est pas
possible d'obtenir judiciairement des aliments d'un père adultérin. Mais la demanderesse à l'action n'avait pas précisé les textes de loi sur lesquels elle fondait sa demande; n'étant dès lors pas liés à cet égard, les juges du fait pouvaient et devaient déterminer eux mêmes les règles légales applicables (v. T. I, note sous l'arrêt n°155, p. 271); c'est ainsi que la Cour d'appel avait cru pouvoir fonder sa décision non sur une obligation alimentaire résultant de la paternité du défendeur, mais sur la responsabilité délictuelle encourue par celui-ci en raison de «l'abandon fautif» des enfants et du préjudice qui en résultait pour leur mère et pour eux. Il semble cependant que selon les principes généraux du droit, un tel abandon ne pouvait être judiciairement sanctionné dans le cadre du statut personnel musulman. En effet, bien que l'obligation pour un père adultérin d'entretenir et de ne pas abandonner ses enfants ne soit pas illicite, elle ne constitue en droit marocain (et ne constituait en droit français avant la loi du 15 juil. 1955) qu'une obligation naturelle; et cette obligation naturelle ne peut être novée en obligation civile que si le père a pris l'engagement de fournir des aliments, or un tel engagement ne saurait résulter du seul fait qu'il a effectivement pourvu à leur entretien pendant un certain temps (v. Rép. civ. V° Filiation adultérine, par Ac Ae, n. 88 et s.); en n'exécutant pas cette obligation naturelle G. avait donc commis une faute morale mais non une faute civile ou pénale, et les dispositions des art. 77 et 78 C. obl. contr. ne trouvaient donc pas leur application en la cause. Ainsi les règles du droit musulman ne permettaient pas aux juges d'appel de recevoir la demande subsidiaire.
Par conte, selon les règles du statut personnel français (art. 342 C. civ. français complété par la loi du 15 juil. 1955), l'obligation alimentaire du père adultérin est judiciairement sanctionnée «sans que l'action engagée ait pour effet de proclamer l'existence d'un lien de filiation dont L'établissement demeure prohibé »; dès lors le fait pour G. d'avoir abandonné ses enfants pouvait, au regard de son statut personnel, et sans porter atteinte au statut personnel des enfants, constituer une faute civile ouvrant droit à réparation. C'est bien sur cette idée que s'est fondée la Cour suprême pour rejeter le pourvoi puisqu'elle a pris soin dans l'arrêt rapporté de souligner l'existence des dispositions susvisées du droit français. Il apparaît ainsi que si le père prétendu avait été marocain musulman la demande n'aurait pas été déclarée recevable.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C32
Date de la décision : 13/11/1962
Chambre civile

Analyses

CONFLIT DE LOIS-Filiation adultérine-Demande d'aliments-Mère et enfants musulmans- Père adultérin français.FILIATION ADULTERINE-Mère et enfants musulmans-Père adultérin français-Demande d'aliments-Recevabilité.

Ayant déclaré irrecevable une demande principale en recherche de paternité dirigée par unemère naturelle musulmane marocaine contre un français marié, une Cour d'appel peut, sans violer le statut personnel respectif des parties ni les articles 62 et 403 du Code des obligations et contrats, déclarer recevable une demande subsidiaire d'aliments pour les enfants, et, avant dire droit au fond, autoriser la demanderesse à prouver par enquête qu'elle a vécu en concubinage avec le défendeur pendant quinze ans au cours desquels celui-ci a pourvu à son entretien et à celui de ses enfants. En effet, une telle demande d'aliments, recevable en droit français contre un père adultérin, ne tend ni à maintenir l'état de concubinage ni à établir une filiation adultérine, mais trouve sa source dans une situation de fait génératrice d'un droit à réparation fondé sur les articles 77 et 78 du Code des obligations et contrats en raison du préjudice résultant de l'abandon fautif des enfants par leur père.


Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ma;cour.supreme;arret;1962-11-13;c32 ?
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