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26/06/1962 | MAROC | N°C213

Maroc | Maroc, Cour suprême, 26 juin 1962, C213


Texte (pseudonymisé)
213-61/62 26 juin 1962 9155
Société «Auto-Magri» c/compagnie d'assurances «La Prévoyance».
Rejet du pourvoi formé contre un arrêt de la Cour d'appel de Rabat du 22 avril 1961.
La Cour,
SUR LE PREMIER MOYEN :
Attendu que selon les énonciations de l'arrêt infirmatif attaqué (Rabat 22 avril 1961) la compagnie «La Prévoyance », créancière de son assuré Lauzier pour le montant de primes impayées d'une police afférente au camion Aa A, a fait pratiquer le 13 juillet 1954 dans les locaux des Etablissements Auto-Magri (par abréviation B) une saisie conservatoire sur

ce camion, puis a obtenu une mesure de séquestre dont mainlevée a été prononcée à l...

213-61/62 26 juin 1962 9155
Société «Auto-Magri» c/compagnie d'assurances «La Prévoyance».
Rejet du pourvoi formé contre un arrêt de la Cour d'appel de Rabat du 22 avril 1961.
La Cour,
SUR LE PREMIER MOYEN :
Attendu que selon les énonciations de l'arrêt infirmatif attaqué (Rabat 22 avril 1961) la compagnie «La Prévoyance », créancière de son assuré Lauzier pour le montant de primes impayées d'une police afférente au camion Aa A, a fait pratiquer le 13 juillet 1954 dans les locaux des Etablissements Auto-Magri (par abréviation B) une saisie conservatoire sur ce camion, puis a obtenu une mesure de séquestre dont mainlevée a été prononcée à la requête de la SOMAG contre consignation par elle du montant des causes de la saisie; que la SOMAG a demandé au principal que cette somme lui soit restituée pour le double motif, qualifié de contradictoire par la décision déférée, qu'elle était demeurée propriétaire du camion faute de complet paiement de son prix par Lauzier auquel elle l'avait vendu à crédit, et qu'elle le lui avait racheté comme en faisait foi la carte grise établie à son nom le 4 mars 1954 par le centre d'immatriculation de Casablanca;
Attendu que les juges du second degré l'ayant déboutée de sa demande en estimant qu'elle n'apportait pas la preuve qui lui incombait, le pourvoi soutient qu'ils ont ainsi statué en violation de l'article 6 du dahir du 17 juillet 1936 édictant que dans la vente à crédit des véhicules automobiles, la propriété de l'objet vendu est «conservée» par le vendeur;
Mais attendu que ce texte dispose qu'il est applicable aux ventes à crédit effectuées dans les conditions précisées aux articles 3 et 4; que ces textes édictent que pour être opposable aux tiers le contrat doit être écrit et faire l'objet d'une déclaration dans la quinzaine de sa signature au centre immatriculateur du véhicule; que la Cour d'appel qui relève que la SOMAG n'a accompli aucune de ces formalités a ainsi écarté à bon droit l'application de l'article visé;
Que le moyen doit être rejeté;
SUR LE DEUXIEME MOYEN PRIS EN SES DIFFERENTES BRANCHES :
Attendu que le pourvoi reproche encore à l'arrêt de n'avoir pas eu égard à la détention par la SOMAG de la carte grise établie à son nom le 4 mars 1954 à la suite de son «rachat» du camion à Lauzier, alors que, selon l'article 28 de l'arrêté viziriel du 24 janvier 1953, cette pièces constituait la preuve de sa propriété avant la saisie du véhicule, et qu'aux termes de l'article 417 du dahir des obligations et contrats, la preuve littérale établit l'existence de l'obligation;
Mais attendu que les juges du fond déclarent exactement que la «carte grise» est, selon les dispositions de l'arrêté viziriel visé, le récépissé de déclarations faites pour obéir aux règles de police et dont la sincérité n'est pas vérifiée par l'Administration; qu'ils ont pu, en vertu de l'article 417 du dahir des obligations et contrats, en apprécier la valeur et déclarer que la présomption de propriété qu'elle constituait était susceptible d'être combattue par toutes preuves contraires par La Prévoyance qui soutenait que la SOMAG avait agi en fraude de ses droit; qu'examinant les circonstances de la cause et les documents produits par les deux parties, l'arrêt attaqué relève que la SOMAG ne produisait pas l'acte de la vente ni ne justifiait en avoir payé le prix, qu'il était anormal d'une part que la carte grise litigieuse ait été délivrée par le centre immatriculateur de Casablanca, le véhicule étant du ressort de celui de Ac, d'autre part que cette pièce soit aux mains de la SOMAG, le véhicule étant depuis le 5 janvier 1955 la propriété d'un tiers, qu'enfin le centre immatriculateur de Ac compétent en l'espèce avait attesté, selon la pièce établie le 6 septembre 1954, qu'à ce jour le véhicule appartenait toujours à Lauzier et ce depuis le 12 août 1953; qu'à la réunion de ces éléments s'ajoutait «l'attitude embarrassée de la SOMAG », niant le 8 juin 1954, lors de la tentative de saisie, avoir connaissance du véhicule et réglant le 4 mars 1954, jour de l'établissement de la carte grise, des réparations faites au camion par «La Prévoyance» et payant pour le compte de Lauzier, propriétaire de celui-ci; que les juges du fond observent encore que la SOMAG ne pouvait se réclamer d'une possession utile, n'ayant eu la détention du camion à la date de la saisie «qu'à titre réparateur »; que de ces énonciations souveraines l'arrêt attaqué a déduit que la SOMAG n'avait pas établi qu'elle était au 13 juillet 1954 propriétaire du véhicule saisi; que cette appréciation échappant au contrôle de la Cour suprême, le deuxième moyen doit également être rejeté;
SUR LE TROISIEME MOYEN SUBSIDIAIRE :
Attendu qu'il est enfin reproché à l'arrêt d'avoir dénaturé «les faits de la cause »;
Mais attendu que ce grief ne figure pas parmi les causes sur lesquelles doivent se fonder les pourvois selon l'article 13 du dahir relatif à la Cour suprême et que le pourvoi ne précise pas s'il entend soutenir qu'un des documents produits a été dénaturé;
Que le moyen n'est pas recevable;
PAR CES MOTIFS
Rejette le pourvoi.
Premier Président : M. Hamiani.__Rapporteur : Mme Houel.__Avocat général : M. M. Bocquet.__Avocats : Me. Monaghan.
Observations
I.-A la différence de la législation française (v. le décret français du 30 sept. 1953), le Dh. 17
juil. 1936 réglementant la vente à crédit des véhicules automobiles n'institue pas, au profit du vendeur à crédit ou du tiers qui paye comptant à la place l'acheteur, un gage sans dépossession de l'acquéreur; il dispose que le vendeur ou, par subrogation, le tiers prêteur des deniers, «conserve» la propriété du véhicule jusqu'à complet paiement du prix (art. 6 et art. 13 ajouté par le Dh. 6 juil. 1953). Ce système a l'avantage d'éviter les difficultés soulevées en France par les conflits entre le gage du prêteur de deniers et le privilège du Trésor (v. Rép. com. V° Vente à crédit, par Ab Ad, n. 33) : en effet, dès lors qu'il demeure propriétaire du véhicule, le vendeur (ou son subrogé) prime les créanciers de l'acheteur. Par contre, les conflits entre le privilège du garagiste et les droits du vendeur à crédit ou de son subrogé doivent être résolus de la même façon qu'en France : seuls sont privilégies à l'encontre du vendeur à crédit ou de son subrogé les frais engagés par l'acheteur pour la conservation du véhicule (art. 1250, 3° C. obl. contr.) tels que les frais de réparation, à l'exclusion des simples frais de gardiennage (v. notamment Paris, 31 mai 1965, D. 1966. 1. 65).
Le Dh. 17 juil. 1936 dispose d'autre part en son art. 8 qu'en cas de non paiement d'une seule échéance, le contrat de vente est résilié de plein droit par le juge qui ordonne la restitution du véhicule au vendeur (ou sa remise au prêteur subrogé) et qui désigne un ou plusieurs experts pour en fixer la valeur au jour de la reprise; dans le cas où les parties ne sont pas d'accord sur la valeur ainsi fixée, le véhicule est vendu aux enchères publiques.
En l'espèce, Lauzier, agissant en qualité de propriétaire, avait assuré «tous risques» un camion
à la compagnie «La Prévoyance»; ce camion ayant été accidenté, avait été réparé par la société «Auto Magri» SOMAG à qui l'assureur avait payé les frais de réparation; mais, étant d'autre part créancière de primes d'assurances impayées par Lauzier, la compagnie «La Prévoyance» avait, pour sûreté de cette créance, fait pratiquer une saisie conservatoire du véhicule dans les ateliers de la Somag; cette saisie fut suivie d'une mise sous séquestre dont la mainlevée fut décidée après consignation par la SOMAG du montant de la somme réclamée par l'assureur. La SOMAG assigna alors celui-ci en restitution de cette somme au motif qu'à la date de la saisie c'était elle et non Lauzier qui était propriétaire du véhicule. Au soutien de sa demande elle prétendit d'abord avoir conservé la propriété du camion pour l'avoir vendu à crédit à Lauzier qui ne le lui avait pas encore entièrement payé.
Si ce moyen avait été fondé, la saisie conservatoire pratiquée par l'assureur aurait été nulle comme portant sur un bien n'appartenant pas au débiteur; d'autre part la Somag aurait été en droit d'obtenir la résiliation de la vente à crédit par elle consentie à Lauzier, et l'assureur aurait pu seulement pratiquer le cas échéant une saisie arrêt sur la somme due par la SOMAG à Lauzier, représentant la différence entre la valeur du camion au moment de la résiliation et le solde du prix. Si au contraire la propriété du camion avait été reconnue à Lauzier, l'assureur, après avoir obtenu jugement contre lui, aurait pu poursuivre le recouvrement de sa créance sur le véhicule saisi.
Mais l'art. 6 Dh. 17 juil. 1936 dispose que la propriété d'un véhicule vendu à crédit n'est conservée par le vendeur qu'à la condition que cette vente ait été consentie dans les conditions et formes prévues aux articles précédents, c'est-à-dire qu'elle ait été constatée par un écrit, déclarée dans le délai de 15 jours au centre immatriculateur et mentionnée sur la carte grise. Dès lors, n'ayant pas justifié de l'existence de ces conditions, la SOMAG ne pouvait qu'être déboutée de son moyen.
II.-Par un deuxième moyen, d'ailleurs en contradiction avec le précédent, la SOMAG avait prétendu être propriétaire du camion pour l'avoir racheté à Lauzier et elle produisait, pour en justifier, une carte grise établie à son propre nom.
L'arrêt rapporté approuve les juges d'appel d'avoir décidé qu'un tel document ne constitue qu'une présomption de propriété susceptible d'être combattue par une preuve contraire. En effet, la carte grise n'est que le récépissé d'une déclaration de mise en circulation faite à l'Administration qui n'en contrôle pas l'exactitude; il ne s'agit donc que d'une preuve littérale au sens de l'art. 417 C. obl. contr., dont la force probante est soumise à la libre appréciation des juges du fait. Or en l'espèce ceux-ci avaient relevé dans la cause divers éléments qui rendaient éminemment suspect le droit de propriété invoqué par la SOMAG.
III.-Les moyens de pur fait ne sont pas recevables devant le juge de cassation qui ne constitue pas un troisième degré de juridiction (v. T. I, note sous l'arrêt n°99, p. 181).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C213
Date de la décision : 26/06/1962
Chambre civile

Analyses

1°VENTE-Vente à crédit de véhicule automobile-Propriété conservée par le vendeur-Conditions.2° AUTOMOBILE-Propriété-Preuve-Carte grise.3° CASSATION-Moyen irrecevable-Moyen de pur fait.

1° La propriété d'un véhicule automobile vendu à crédit n'est conservée par le vendeur jusqu'au paiement intégral du prix qu'à la condition que la vente ait été effectuée dans les conditions prévues aux articles 3 et 4 du dahir du 17 juillet 1936, c'est-à-dire notamment que le contrat ait été écrit et ait fait dans la quinzaine de sa signature l'objet d'une déclaration au centre immatriculateur du véhicule.2° Le récépissé dit «carte grise» de la déclaration de mise en circulation d'un véhicule automobile ne constitue au profit de son titulaire qu'une présomption de propriété dont les juges apprécient librement la force probante.3° Le moyen pris de la dénaturation des faits de la cause n'est pas recevable devant la Cour suprême.


Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ma;cour.supreme;arret;1962-06-26;c213 ?
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