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05/06/1962 | MAROC | N°C198

Maroc | Maroc, Cour suprême, 05 juin 1962, C198


Texte (pseudonymisé)
198-61/62 5 juin 1962 5646
Société Chérifienne de Matériel Ac et Ferroviaire
et compagnie d'assurances «La Foncière» c/Rkia bent Amor veuve Ahmed.
Rejet du pourvoi formé contre un arrêt de la Cour d'appel de Rabat du 23 janvier 1960.
La Cour,
SUR LES DEUX MOYENS REUNIS :
Attendu qu'il résulte de la procédure et des énonciations de l'arrêt attaqué (Rabat 23 janvier 1960) qu'Ahmed ben Ad Aa était soudeur au service de la Société Chérifienne de Matériel Ac et Ferroviaire, assurée pour les accidents du travail à la compagnie d'assurances «La Foncière »;>Que le pourvoi fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué statuant sur l'assignation de la veu...

198-61/62 5 juin 1962 5646
Société Chérifienne de Matériel Ac et Ferroviaire
et compagnie d'assurances «La Foncière» c/Rkia bent Amor veuve Ahmed.
Rejet du pourvoi formé contre un arrêt de la Cour d'appel de Rabat du 23 janvier 1960.
La Cour,
SUR LES DEUX MOYENS REUNIS :
Attendu qu'il résulte de la procédure et des énonciations de l'arrêt attaqué (Rabat 23 janvier 1960) qu'Ahmed ben Ad Aa était soudeur au service de la Société Chérifienne de Matériel Ac et Ferroviaire, assurée pour les accidents du travail à la compagnie d'assurances «La Foncière »;
Que le pourvoi fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué statuant sur l'assignation de la veuve de cet ouvrier, laquelle agissait tant en son nom personnel qu'au nom de ses deux enfants mineurs, d'avoir en renversant la charge de la preuve déclaré qu'Ahmed ben Ad Aa est décédé des suites d'un accident du travail dont il a été victime le 25 avril 1957, au motif que les circonstances de la cause telles que l'expert les avait retracées dans son rapport laissaient présumer que le décès était survenu par le fait du travail, alors d'une part qu'il incombait à la veuve d'Ahmed ben Ad Aa de prouver la relation de cause à effet entre le préjudice souffert et une lésion survenue ou subie au cours ou à l'occasion du travail, et alors d'autre part que la Cour d'appel a dénaturé les conclusions du rapport d'expertise qui précisaient que la victime était décédée d'une pneumopathie aiguë (pneumonie ou broncho-pneumonie) et que cette maladie n'avait aucune relation avec «la mauvaise odeur dégagée par le wagon citerne pas plus qu'avec les sels et les vapeurs pouvant s'y trouver ou être produits par l'effet de la soudure à l'arc»;
Mais attendu que l'arrêt déféré relève qu'Ahmed ben Ad Aa avait été chargé de souder des renforts métalliques dans une citerne servant au transport d'eau minérale, revêtue intérieurement d'un produit à base de chlorure de polyvinyle, dont une soufflerie d'air comprimé assurait l'aération; que le 24 avril 1957 il avait signalé au contremaître qu'une odeur forte et désagréable se dégageait de la citerne; qu'il reprit son travail le 25 avril à six heures du matin, fut contraint de sortir fréquemment et dut cesser vers dix heures, empêché de continuer par des picotements aux yeux et des douleurs aux genoux; qu'il dut être reconduit chez lui muni d'une feuille de visite médicale; qu'un autre soudeur désigné pour le remplacer et protégé par un masque dut
cesser le travail au bout d'un quart d'heure; que le certificat médical établi le 27 avril 1957 par le Docteur Ab et joint à la déclaration d'accident souscrite par l'employeur précise que le malade s'est présenté à son cabinet dans un état grave, se disant intoxiqué par des vapeurs de peinture; qu'il est décédé le lendemain 28 avril 1957; que dans son rapport d'expertise, le docteur Ae, analysant le témoignage apporté par son confrère le docteur Ab, observe que s'il y avait hyperthermie avec tachycardie, les signes de condensation pulmonaire étaient étendus à tout un poumon, mais à un poumon seulement et se trouve amené à conclure «qu'il est vraisemblable que la mauvaise odeur dégagée par le wagon citerne pas plus que les sels ou les vapeurs pouvant s'y trouver ou être produits par l'effet de la soudure à l'arc ne peuvent être à l'origine de la pneumopathie aiguë (pneumonie ou broncho-pneumonie) à laquelle l'ouvrier paraît avoir succombé »;
Attendu que la Cour d'appel n'a pas dénaturé le rapport du docteur Ae en énonçant «que
cette opinion de l'expert, exprimée en termes particulièrement dubitatifs, ne saurait constituer la preuve de ce qu'il n'y aurait eu aucune relation de cause à effet entre le travail et le décès de la victime »; que l'arrêt observe encore que la citerne où l'accident s'est produit n'a jamais été examinée et que l'expertise médicale, faite deux ans après l'inhumation de la victime, ne se fonde sur aucune constatation matérielle; qu'il n'a pas été allégué que Mahlil ait présenté une disposition pathologique; que l'accident est survenu à l'occasion du travail, suivant des circonstances retracées par l'expert dans son rapport et qui laissent présumer qu'il n'est survenu que par le fait du travail;
Attendu qu'en statuant ainsi qu'elle l'a fait, la Cour d'appel, qui n'a pas renversé la charge de la preuve et dont l'arrêt non entaché de dénaturation est régulièrement motivé, à légalement justifié sa décision;
PAR CES MOTIFS
Rejette le pourvoi.
M. Hamiani.__Rapporteur : M. Zamouth.__Avocat général : M. Neigel.__Avocats : MM. Lafuente, Le Mouff.Premier Président :
Observations
I.__La réparation forfaitaire du dommage résultant d'un accident du travail est subordonnée à l'existence d'un double lien de causalité : il faut qu'un accident ait été subi par le fait ou à l'occasion du travail (art. 1 Dh. 25 juin 1927 tel que modifié en la forme par Dh. 6 fév. 1963), et il faut ensuite que les lésions ou le décès de la victime soient la conséquence de cet accident.
En l'espèce la première condition n'était pas discutée puisqu'il était constant que l'ouvrier avait été intoxiqué en effectuant des travaux de soudure à l'intérieur d'une citerne. L'existence de la seconde, au contraire, était contestée par la compagnie d'assurances qui invoquait les conclusions du médecin expert selon lesquelles le décès n'avait vraisemblablement pas été causé par cette intoxication. La Cour d'appel avait néanmoins fait droit à la demande des héritiers de la victime en énonçant, d'une part que le décès était survenu trois jours après l'intoxication, à la suite des malaises graves qu'elle avait provoqués et que le médecin traitant avait constatés le surlendemain, d'autre part que l'expert avait dressé son rapport sur pièces deux ans plu tard, enfin que la compagnie d'assurances n'établissait ni même n'alléguait que le décès ait été causé par une maladie préexistante.
En approuvant la Cour d'appel d'avoir statué ainsi, l'arrêt rapporté fait application de règles jurisprudentielles depuis longtemps fixées. Selon celles-ci, le lien de causalité est présumé chaque fois que les lésions se manifestent ou que le décès se produit dans un temps voisin de l'accident; et la preuve contraire n'est considérée comme rapportée que s'il est établi que l'intégralité du dommage
est due exclusivement à une cause étrangère à l'accident (v. Civ. IV. 25 oct. 1957, B. 1006); ainsi, pour écarter la présomption, il ne suffit pas que la cause du décès soit demeurée incertaine (Civ. III. 5 juin 1952, B. 490, J.C.P. 1952.II. 7322) ni que, comme en l'espèce, les conclusions de l'expert soient dubitatives.
Dans le même sens, v. infra arrêt n°12.
II.-Les juges ne sauraient sans entacher leur décision de dénaturation attribuer à un rapport d'expertise des conclusions différentes de celles qu'il comporte. Mais ils ne sont pas tenus de suivre l'avis exprimé par l'expert et peuvent librement s'en écarter à condition de fournir les motifs de leur opinion contraire; et rien ne leur interdit de puiser partiellement ceux-ci dans certaines des indications du rapport.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C198
Date de la décision : 05/06/1962
Chambre civile

Analyses

1° ACCIDENT DU TRAVAIL__Caractère professionnel de l'accident__Intoxication au cours du travail__Décès survenu trois jours plus tard.2° EXPERTISE__Rapport d'expertise__Conclusions dubitatives__Affirmation du juge fondée sur d'autres éléments__Dénaturation (non).

1° et 2° Lorsque l'expert commis énonce dans son rapport que le décès d'un ouvrier ne paraît pas avoir été causé par l'intoxication dont il avait été victime au cours du travail, les juges ne renversent pas la charge de la preuve et ne dénaturent pas le rapport d'expertise, établi sur pièces deux ans plus tard, en fondant l'existence de ce lien de causalité sur le fait que le médecin traitant avait constaté l'état grave du malade le surlendemain de l'intoxication, que le décès était survenu vingt-quatre heures plus tard et qu'il n'était même pas allégué qu'il fût consécutif à une maladie préexistante.


Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ma;cour.supreme;arret;1962-06-05;c198 ?
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