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02/05/1962 | MAROC | N°C170

Maroc | Maroc, Cour suprême, 02 mai 1962, C170


Texte (pseudonymisé)
170-61/62 2 mai 1962 7516
Ad Ac Ae Aa et la compagnie d'assurances «La Protectrice ».
Rejet du pourvoi formé contre un arrêt de la Cour d'appel de Rabat du 14 octobre 1960.
La Cour,
SUR LA FIN DE NON-RECEVOIR :
Attendu que la compagnie d'assurances «La Protectrice », défenderesse au pourvoi, conteste qu'il soit recevable, du fait que l'arrêt entrepris a été rendu à l'encontre de Ae, à curateur et qu'ainsi, à l'égard de celui-ci il ne semble pas que l'arrêt soit définitif;
Mais attendu que la circonstance que l'arrêt est intervenu à l'égard de deux défendeu

rs et intimés dont l'un, Ae, avait été cité à curateur, ne peut priver Ad, demandeur ...

170-61/62 2 mai 1962 7516
Ad Ac Ae Aa et la compagnie d'assurances «La Protectrice ».
Rejet du pourvoi formé contre un arrêt de la Cour d'appel de Rabat du 14 octobre 1960.
La Cour,
SUR LA FIN DE NON-RECEVOIR :
Attendu que la compagnie d'assurances «La Protectrice », défenderesse au pourvoi, conteste qu'il soit recevable, du fait que l'arrêt entrepris a été rendu à l'encontre de Ae, à curateur et qu'ainsi, à l'égard de celui-ci il ne semble pas que l'arrêt soit définitif;
Mais attendu que la circonstance que l'arrêt est intervenu à l'égard de deux défendeurs et intimés dont l'un, Ae, avait été cité à curateur, ne peut priver Ad, demandeur en première instance et que la Cour d'appel a débouté de son appel, du droit de se pourvoir en cassation d'un arrêt qui n'a pas accueilli sa demande et qui est définitif à son égard;
Rejette la fin de non-recevoir;
SUR LES OBSERVATIONS PRESENTEES ET QUI CONSTITUENT LE «MOYEN UNIQUE »;
Attendu qu'il résulte de la procédure et des énonciations de l'arrêt attaqué (Rabat 14 octobre
1960) que le 11 juin 1954 Ac Ad a été blessé par une voiture automobile conduite par Aa Ae assuré de la compagnie d'assurances «La Protectrice », en essayant de traverser un passage clouté;
Que Ae a été poursuivi des chefs de blessures involontaires et défaut de maîtrise; qu'il a été relaxé par jugement du 12 janvier 1957, en même temps que le civilement responsable était mis hors de cause; que Ad sur le fondement de l'article 88 du dahir des obligations et contrats a
demandé réparation du préjudice subi au tribunal de première instance de Ag qui l'a débouté par jugement du 3 juillet 1959 confirmé par arrêt du 14 octobre 1960;
Qu'il est fait grief à cet arrêt «d'avoir violé le principe de la chose jugée en ce sens que Ae ayant été relaxé au bénéfice du doute par une décision rendue en appel et devenue définitive à son encontre il ne saurait soutenir et faire admettre que le doute a disparu, alors surtout qu'il n'apportait à la procédure aucun élément nouveau », et d'avoir ainsi établi une contrariété de jugements qui ne peut être maintenue;
Mais attendu que si le juge civil ne peut méconnaître ce qui a été certainement et nécessairement jugé au criminel, la décision de relaxe au bénéfice du doute demeure sans effet sur l'application de l'article 88 du dahir des obligations et contrats; que la Cour d'appel, analysant les éléments de la cause, a considéré que l'accident était uniquement imputable à la lourde imprudence de Ad qui, descendant du trottoir à vive allure, s'est engagé sur le passage clouté, venant heurter l'automobile de Ae par son côté droit entre l'aile et la portière; qu'une telle imprudence, cause exclusive de l'accident, était normalement imprévisible pour Ae et demeurait inévitable dans ses conséquences;
Attendu que cet arrêt, qui applique exactement aux faits de la cause les principes énoncés à l'article 88 du dahir des obligations et contrats ne contredit en rien la décision pénale ayant relaxé Ae au bénéfice du doute;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli;
PAR CES MOTIFS
Rejette le pourvoi.
Premier Président : M. Hamiani.__Rapporteur : M. Zamouth.__Avocat général : M. Neigel.__Avocats : MM. Vaugier, Emmanuel.
Observations
I-Le pourvoi en cassation, voie de recours extraordinaire, n'est ouvert qu'après épuisement des voies de recours ordinaires. Dès lors, une décision en dernier ressort, rendue par défaut, ne peut pas faire l'objet d'un pourvoi tant qu'elle est susceptible d'opposition. Le pourvoi formé par une partie qui avait la qualité de défaillante dans la décision attaquée n'est donc pas recevable (v. notamment : Civ. 16 avr. 1894, D.P. 1899.1.270; Civ. 17 déc. 1917, D.P. 1917.1.183. Civ. II 5 fév. 1954, B. 53); quant au pourvoi formé par une partie jugée contradictoirement, il est recevable en ce qu'il est dirigé contre une ou plusieurs autres parties jugées contradictoirement, mais irrecevable contre les parties défaillantes qui sont encore dans le délai pour former opposition (Civ. 8 nov. 1950, D. 1951.239).
En l'espèce, l'arrêt attaqué avait été rendu contradictoirement à l'égard du demandeur victime
du dommage ainsi qu'à l'égard de l'assureur du présumé responsable, et par défaut à curateur, à l'égard de ce dernier. Faute d'avoir été notifié à ce défendeur défaillant, à personne ou à domicile, il était encore susceptible d'opposition de sa part; sans doute le présumé responsable n'avait-il aucun intérêt à exercer cette voie de recours puisque son adversaire avait été débouté de la demande dirigée contre lui; toutefois, le pourvoi de la victime, incontestablement recevable en ce qu'il était dirigé contre l'assureur jugé contradictoirement par la Cour d'appel, était en principe irrecevable en ce qu'il était dirigé contre l'assuré défaillant. La question, il est vrai, ne présentait qu'un intérêt purement théorique, et c'est pourquoi, sans doute, la Cour suprême s'est bornée à rejeter l'exception
d'irrecevabilité soulevée à tort par l'assureur, sans prendre la peine de s'expliquer sur la recevabilité à l'égard du présumé responsable.
II.__L'étendue de l'autorité de la chose jugée résultant de l'acquittement du conducteur d'un véhicule prévenu d'homicide involontaire ou de blessures involontaires pose parfois des problèmes délicats lorsque ce même conducteur pris en qualité de gardien du véhicule est poursuivi ensuite devant la juridiction civile par la victime de l'accident en application de l'art. 88 C. obl. contr.
Mis à part les cas où il est fondé sur l'extinction de l'action publique, sur l'existence d'un fait justificatif ou sur ce que l'acte incriminé ne constitue pas une infraction punissable, un acquittement peut être motivé soit par l'affirmation que le prévenu n'a pas commis les faits qui lui sont imputés, soit par le fait que les preuves produites étaient insuffisantes pour convaincre le juge qu'il les a commis. L'autorité de la décision est-elle différente selon que le juge pénal a ainsi proclamé l'innocence du prévenu ou a seulement exprimé un doute sur sa culpabilité ?
Au point de vue du dispositif il n'y a pas de différence entre les deux hypothèses; dans l'une comme dans l'autre il est jugé que le prévenu n'est pas coupable, et la juridiction civile ne saurait sans violer l'autorité de la décision pénale retenir une faute contre lui. Mais, il n'en est pas de même en ce qui concerne l'autorité attachée aux motifs qui sont le soutien nécessaire de l'acquittement. Si, pour acquitter, le juge pénal s'est borné à affirmer son absence de conviction, le prévenu poursuivi devant la juridiction civile en qualité de gardien ne peut s'exonérer de la présomption prévue à l'art. 88 susvisé qu'en prouvant qu'il a fait tout le nécessaire afin d'éviter le dommage (v. T. I notes III ET IV sous l'arrêt n°75, p. 136), et en établissant que celui-ci est dû à un événement imprévisible et irrésistible. Si au contraire le juge pénal a affirmé l'innocence du conducteur en se fondant uniquement sur la constatation expresse d'un cas fortuit ou de force majeure, cette constatation qui est le seul soutien nécessaire du dispositif a autorité de chose jugée (v. T. I note sous l'arrêt n°33, p. 67), et le conducteur ainsi acquitté pourra s'exonérer en établissant seulement avoir fait tout ce qui était nécessaire afin d'éviter le dommage (toutefois, la constatation par le juge pénal d'une faute de la victime non partie à l'instance pénale, ne saurait avoir autorité de chose jugée au civil à l'encontre de cette victime). Ainsi, dans certains cas la victime doit subir les conséquences des motifs qui sont le soutien nécessaire de la décision d'acquittement. Peut-elle inversement en profiter lorsque l'acquittement est fondé sur le doute ? C'est ce que soutenait le demandeur au pourvoi : selon lui, le doute qui avait suffi à justifier l'acquittement dans l'instance pénale où la preuve incombait au ministère public, devait inversement profiter à la victime, demanderesse à l'instance civile dans laquelle le conducteur avait, en qualité de gardien, la charge de la preuve. L'arrêt rapporté rejette à juste titre cette prétention : en effet, en acquittant au bénéfice du doute, le juge répressif ne fait qu'exprimer un manque de conviction personnelle (v. Rép. crim. V° Acquittement, par Af Ab, n. 76); et l'acquittement ainsi motivé n'empêche pas la juridiction civile d'affirmer l'innocence du prévenu ou d'exprimer sa conviction sur les circonstances du dommage; mais, en raison de l'autorité de la chose jugée qui s'attache au dispositif de la décision d'acquittement, la liberté d'appréciation de la juridiction civile est limitée par l'interdiction de retenir une faute à la charge du prévenu.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C170
Date de la décision : 02/05/1962
Chambre civile

Analyses

1°CASSATION__Conditions de recevabilité du pourvoi__Décision susceptible de pourvoi__Décision définitive__Arrêt par défaut à l'égard de l'une des parties mais contradictoire à l'égard du demandeur au pourvoi.2°CHOSE JUGEE AU PENAL__Autorité sur le civil__Acquittement au bénéfice du doute__Exonération de responsabilité du gardien acquitté.

1°Le demandeur débouté de sa demande par un arrêt rendu contradictoirement à son égard et par défaut à curateur à l'égard de l'un des défendeurs est recevable à se pourvoir contre cet arrêt.2°L'autorité d'un jugement de la juridiction répressive, prononçant au bénéfice du doute la relaxe du conducteur d'une automobile poursuivi des chefs de blessures involontaires et vitesse inadaptée, ne met pas obstacle à l'exonération de responsabilité de ce même conducteur assigné par la victime devant la juridiction civile en qualité de gardien du véhicule ayant occasionné le dommage.


Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ma;cour.supreme;arret;1962-05-02;c170 ?
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