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18/04/1962 | MAROC | N°C161

Maroc | Maroc, Cour suprême, 18 avril 1962, C161


Texte (pseudonymisé)
161-61/62 18 avril 1962 5313
Af A c/Mauro Armand-Michel.
Rejet du pourvoi formé contre un jugement du tribunal de première instance de Casablanca du 23 avril 1959.
La Cour,
SUR LES PREMIER ET DEUXIEME MOYENS :
Attendu qu'il résulte du dossier de la procédure et des énonciations du jugement attaqué (tribunal de première instance de Casablanca 23 avril 1959) que les deux frères Af, A d'une part et Armand-Michel d'autre part, après avoir été liés par un contrat de travail mettant Robert-Jean au service d'Armand-Michel «schip-chandler» à Casablanca, ont le 15 avril 19

53 modifié le régime juridique de leurs rapports par une procuration générale...

161-61/62 18 avril 1962 5313
Af A c/Mauro Armand-Michel.
Rejet du pourvoi formé contre un jugement du tribunal de première instance de Casablanca du 23 avril 1959.
La Cour,
SUR LES PREMIER ET DEUXIEME MOYENS :
Attendu qu'il résulte du dossier de la procédure et des énonciations du jugement attaqué (tribunal de première instance de Casablanca 23 avril 1959) que les deux frères Af, A d'une part et Armand-Michel d'autre part, après avoir été liés par un contrat de travail mettant Robert-Jean au service d'Armand-Michel «schip-chandler» à Casablanca, ont le 15 avril 1953 modifié le régime juridique de leurs rapports par une procuration générale notariée faisant de Robert- Jean le mandataire de son frère Armand-Michel qui devait s'éloigner de Ag pour un temps assez long; qu'un différend a surgi entre eux au sujet des comptes de gestion au retour d'Armand- Michel en juin 1956; que le Conseil de prud'hommes en a été saisi et a ordonné une expertise; qu'après expertise cette juridiction a condamné Armand-Michel à payer à son frère la somme de 506 354 francs; que sur appels des parties le tribunal de première instance de Casablanca, par le jugement attaqué, a dit «d'office et d'ordre public que le tribunal du travail était incompétent à raison de la matière pour statuer sur le litige à lui soumis », que le lien de droit existant entre les parties n'était pas un contrat de travail mais un mandat, et, infirmant le jugement déféré, a renvoyé les parties à se pourvoir autrement;
Attendu qu'il est fait grief au jugement entrepris d'avoir, en dénaturant les conventions et en violant les articles 461 à 477 du dahir des obligations et contrats, qualifié la convention litigieuse de contrat de mandat, alors que cette convention était complexe et comprenait à la fois un contrat de mandat et un contrat de louage de services, et alors d'autre part que Robert-Jean étant lié à Armand- Michel non seulement par un contrat de mandat mais aussi par un contrat de louage de services ressortissant à la compétence du tribunal du travail, cette compétence déterminée notamment par le dahir du 29 avril 1957 était d'ordre public;
Mais attendu que, si dans divers actes de procédure Armand-Michel a inexactement désigné son frère Robert-Jean comme «son employé », cette inexactitude ne prévaut pas contre les stipulations précises de la procuration du 15 avril 1953 par laquelle Armand-Michel constitue Robert-Jean «pour son mandataire» en spécifiant les opérations que le mandataire serait en cette qualité habilité à effectuer; que c'est donc sans commettre aucune dénaturation, et à bon droit, que le jugement attaqué, relevant que la compétence ratione materiae des juridictions est d'ordre public, a estimé qu'il ne s'agissait pas d'un louage de services régi par la législation du travail et que les premiers juges auraient dû relever d'office leur incompétence;
D'où il suit que les deux premiers moyens ne peuvent être accueillis;
SUR LE TROISIEME MOYEN :
Attendu qu'il est encore fait grief à la décision attaquée d'avoir violé le principe de l'autorité de
la chose jugée en ce que la juridiction du travail par un jugement avant dire droit ordonnant une expertise avait par là même reconnu sa compétence et qu'il n'a pas été fait appel de cette décision exécutée et donc définitive;
Mais attendu que ce jugement, simple interlocutoire, ne peut avoir l'autorité de la chose jugée
quant à une question qui n'a été ni examinée dans les motifs ni résolue dans le dispositif et que, n'ayant ordonné qu'une mesure d'instruction, il ne saurait être réputé avoir tranché une question de compétence qui d'ailleurs n'avait pas été soulevée;
D'où il suit que le moyen doit être écarté;
PAR CES MOTIFS
Rejette le pourvoi.
Président : M. Hauw.__Rapporteur : M. Zamouth.__Avocat général : M. Neigel.__Avocats : MM. Vitalis, Darmon.
Observations
I et II.__La distinction entre le mandat salarié et le contrat de louage de services présente un intérêt non seulement pour la détermination des règles de fond applicables à la convention intervenue entre les parties, mais aussi pour savoir si la législation sur la réparation des accidents du travail est applicable, et pour fixer la juridiction compétente. Sur les difficultés et les critères de cette distinction, v. T. I arrêt n°157, p. 275.
Les règles de compétence à raison de la matière sont d'ordre public; les parties sont donc recevables à les invoquer pour la première fois en cause d'appel et même en cassation (V. Ad n. 1216 et s.), et le juge est tenu de les soulever d'office (art. 124 C. proc. civ.).
III.__En principe le moyen pris de la violation de l'autorité de la chose jugée au civil ne peut
être invoqué pour la première fois devant la Cour suprême (v. Besson n. 1119). Toutefois un moyen de cassation n'est pas considéré comme nouveau lorsqu'il est opposé à un motif de droit retenu d'office par la juridiction d'appel (v. Besson n. 863, 882, 1256 et s.) et que dès lors rien n'avait pu, devant cette juridiction, en révéler l'utilité au demandeur au pourvoi (v. Besson n. 1258); tel était bien le cas en l'espèce puisque l'incompétence de la juridiction du travail avait été soulevée d'office par les juges du second degré. C'est pourquoi le moyen n'a pas été déclaré irrecevable par l'arrêt rapporté.
Sur le fond, le demandeur pouvait faire valoir avec quelque raison que toute juridiction étant
tenue de vérifier sa propre compétence avant d'examiner la demande dont elle est saisie, le tribunal du travail avait implicitement mais nécessairement statué sur ce point en ordonnant une expertise pour établir les comptes des parties, et que, par conséquent, en l'absence d'appel du jugement interlocutoire ainsi rendu, la question de compétence se trouvait irrévocablement tranchée. Cette thèse paraît avoir été adoptée par la Cour de la cassation française dans deux espèces voisines (Civ. II 13 nov. 1953, Gaz. Pal. 1953.1.10, D. 1953.113; Civ. I 28 janv. 1953, D. 1953-222; v. sur ces deux arrêts les observations de M. Ab Ae, Rev. trim. dr. civ. 1953, p. 373).
Toutefois, l'autorité de la chose jugée s'attache seulement à ce qui a été expressément jugé, c'est-à-dire aux énonciations du dispositif et aux motifs qui en sont le soutien nécessaire, et encore, à la condition que les question ainsi résolues par la décision aient fait l'objet d'un débat (v. Rép. civ., V°Chose jugée, par Ac Aa, n. 79 et 83); dès lors, les décisions implicites sur lesquelles les parties n'ont pas été amenées à conclure et qui, par conséquent, n'ont pas été comprises dans le litige ne sauraient avoir autorité de chose jugée. Le juge a, il est vrai, le droit et le devoir de soulever d'office son incompétence d'ordre public, mais cela ne suffit pas à inclure la question dans le procès et il ne peut donc y avoir autorité de chose jugée sur ce point quand le juge n'a pas explicitement usé de cette faculté (Ab Ae préc.). C'est sur ces arguments que se fonde l'arrêt rapporté en relevant que le problème de la compétence n'a été ni soulevé par les parties, ni examiné dans les motifs, ni résolu dans le dispositif du jugement du tribunal du travail.
A l'appui de la solution ainsi adoptée par la Cour suprême, on pourrait ajouter d'une part qu'il est de principe que les jugements interlocutoires ne lient pas le juge et n'ont qu'une autorité limitée (V. Rép. civ. V° Chose jugée, préc., n. 59 et s.), et d'autre part que la thèse du demandeur au pourvoi eût abouti, si elle avait été admise, à subordonner à la volonté des parties l'application d'une règle de compétence d'ordre public.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C161
Date de la décision : 18/04/1962
Chambre civile

Analyses

1° CONTRATS ET CONVENTIONS-Clauses claires et précises-Acte constitutif de mandat_Qualification d'«employé» donné au mandataire dans certains actes de la procédure-Contrat de louage de service (non).2° COMPETENCE-Contrat de mandat-Incompétence du tribunal du travail soulevée d'office par les juges d'appel.3° CHOSE JUGEE-Chose jugée au civil-Autorité sur le civil-Jugement ordonnant expertise non frappé d'appel-Autorité de chose jugée sur la compétence à raison de la matière (non).

1° La procuration par laquelle une personne a constitué une autre personne «pour son mandataire» en spécifiant les opérations que cette dernière sera habilitée à effectuer en cette qualité établit l'existence d'un contrat de mandat, et le fait que dans certains actes de la procédure ce mandataire ait été désigné inexactement sous le terme d'«employé» ne saurait prévaloir sur les stipulations claires et précises de cette procuration.2° En conséquence, le tribunal de première instance statuant sur l'appel d'une décision au fond prononcée par le tribunal du travail soulève à bon droit l'incompétence de cette juridiction au motif que les parties étaient liées par un contrat de mandat et non par un contrat de louage de services.3° Le jugement avant dire droit par lequel le tribunal du travail s'était borné à ordonner une expertise pour établir les comptes entre les parties n'avait par autorité de chose jugée sur la compétence, bien que les parties n'en aient pas interjeté appel.


Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ma;cour.supreme;arret;1962-04-18;c161 ?
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