La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

31/05/1961 | MAROC | N°P1155

Maroc | Maroc, Cour suprême, 31 mai 1961, P1155


Texte (pseudonymisé)
Rejet des pourvois formés par la compagnie des chemins de fer du Maroc et la compagnie franco-espagnole du chemin de fer de Tanger à Fès contre un jugement rendu le 8 janvier 1962 par le tribunal de première instance de Meknès qui a partagé par moitié entre Ae Ad Ab et les compagnies susnommées la responsabilité de l'accident survenu le 14 février 1958 à un passage à niveau non gardé et leur a alloué la somme de 7 043, 59 dirhams à titre de dommages-intérêts.
31 mai 1961
Dossiers n°s 9766 et 9767
La Cour,
SUR LE MOYEN UNIQUE DE CASSATION, en sa première branc

he, prise de la violation de l'article 11 de l'arrêté du diRecteur des travaux...

Rejet des pourvois formés par la compagnie des chemins de fer du Maroc et la compagnie franco-espagnole du chemin de fer de Tanger à Fès contre un jugement rendu le 8 janvier 1962 par le tribunal de première instance de Meknès qui a partagé par moitié entre Ae Ad Ab et les compagnies susnommées la responsabilité de l'accident survenu le 14 février 1958 à un passage à niveau non gardé et leur a alloué la somme de 7 043, 59 dirhams à titre de dommages-intérêts.
31 mai 1961
Dossiers n°s 9766 et 9767
La Cour,
SUR LE MOYEN UNIQUE DE CASSATION, en sa première branche, prise de la violation de l'article 11 de l'arrêté du diRecteur des travaux publics du 21 septembre 1954 relatif aux conditions générales de classement et fonctionnement des passages à niveau établis à la traversée des chemins de fer par les voies publiques, en ce que le jugement attaqué a partagé par moitié entre le prévenu et les compagnies de chemins de fer parties Civiles la responsabilité de l'accident au cours duquel la locomotrice avait été endommagée, alors que n'a pas été rapportée la preuve de la faute lourde et inexcusable desdites compagnies qu'exige l'article 11 susvisé:
Attendu que l'arrêté du diRecteur des travaux publics du 21 septembre 1954 est pris en exécution de l'article 17 du dahir du 20 février 1922 relatif à la conservation, la sûreté et la police des chemins de fer, ainsi conçu ; "notre diRecteur général des travaux publics prendra tous arrêtés nécessaires à sa bonne exécution du titre troisième du présent dahir et généralement toutes mesures réglementaires relatives à la police de l'exploitation des chemins de fer", et que le titre IV du dahir est intitulé: " de la police de l'exploitation " ; que, par suite, la délégation ainsi donnée par le législateur au diRecteur des travaux publics permettait à ce dernier de prendre toutes mesures réglementaires en vue d'assurer la police de l'exploitation des chemins de fer, mais non d'édicter des prescriptions.
Attendu en conséquence qu'en disposant dans l'article 11, 2°, de son arrêté du 21 septembre 1954 que « l'administration ou l'exploitant de la voie ferrée ne peut être mis en cause à l'occasion d'un accident survenu sur ces passages (passages à niveau non gardés), qu'à charge pour le requérant de fournir la preuve d'une faute lourde et inexcusable de l'administration , ou de l'exploitant de la voie ferrée », le diRecteur des travaux publics a, sur ce point, excédé ses pouvoirs.
D'où il suit que le moyen, en sa première branche basée sur la violation d'une disposition ainsi entachée d'illégalité, ne saurait donner ouverture à cassation ;
Sur les autres branches du moyen, prises de la violation des articles 347, 352 du Code de procédure pénale, 10 de l'arrêté viziriel du 24 janvier 1953 et 29 de l'instruction générale de la circulation routière au Maroc du 15 mai 1950, défaut, insuffisance et contradiction de motifs, manque de base légale, en ce que pour retenir comme caractérisée et déterminante la faute des compagnies concluantes engageant leur responsabilité pour moitié, le jugement attaqué fait grief au conducteur du train d'avoir, en violation de l'article 29 de l'instruction générale susvisée sur la signalisation routière au Maroc, négligé de circuler à une allure modérée en abordant le passage à niveau non gardé qui traversait des articles 10 de l'arrêté viziriel du 24 janvier 1953 et 161 du Règlement général d'exploitation des chemins de fer, omis d'annoncer son approche,
Alors que l'article 29 de l'instruction générale précitée ne concerne que la signalisation et le mode de protection des passages à niveau et non l'allure des trains et encore que l'article 10 de l'arrêté viziriel du 24 janvier 1953 n'a pour objet que de réglementer les obligations de l'usager de la route appelé franchir un passage à niveau non muni de barrières et que, si l'article 161 du règlement général d'exploitation, simple Recueil de prescriptions internes. prévoit que le mécanicien doit faire jouer son sifflet à l'approche des gares, bifurcations et passages à niveau, le jugement attaqué ne relève pas dans ses motifs que ce signal n'ait pas été donné, mais seulement qu'il l'aurait été au passage de la gare d'Aïn Taoujdat et "que cette gare est fort éloignée du passage à niveau, sans autres précisions;
Attendu que Si l'article 29 de l'instruction générale de la circulation routière du 15 mai 1950 n'a pas pour objet de réglementer l'allure des convois de chemins de fer, mais seulement de préciser les conditions de sécurité que doit présenter la disposition des passages à niveau non gardés, les juges du fond, appelés à statuer sur un accident survenu à l'un de ces passages, peuvent se référer à ce texte pour déclarer excessive, en raison de la disposition des lieux, la vitesse d'un convoi à l'approche du passage à niveau; qu'en conséquence le jugement attaqué n'a pas violé ou dénaturé l'article 29 susvisé en déclarant excessive la vitesse de 95 kilomètres à l'heure à laquelle roulait le convoi à l'approche du passage à niveau non gardé où s'est produit l'accident, la disposition des lieux ne permettant pas aux usagers de la route de disposer, à partir du moment où le train apparaît, d'un temps suffisant pour s'arrêter ou pour franchir le passage, ainsi que l'exige ledit article 29 ;
Attendu que l'obligation d'annoncer l'arriver d'un train à l'approche d'un passage à niveau non gardé résulte essentiellement des règles normales de prudence dont les compagnies de chemins de fer ne sont pas dispensées, et ont font application les articles 10 de l'arrêté viziriel de la police de la circulation et du roulage et 161 du règlement général d'exploitation des chemins de fer, que dés lors, en déclarant que la seule utilisation du sifflet de la locomotive au passage de la gare d'Ain Taoujdat, fort éloignée du lieu de l'accident, ne satisfaisait pas à l'obligation incombant au préposé des compagnies de chemins de fer, le jugement attaqué a, par cette constatation souveraine, suffisamment justifié sa décision retenant la faute des parties Civiles, et a pu se référer sur ce point aux dispositions des articles 10 de l'arrêté viziriel du 24 janvier 1953 et 161 du règlement général d'exploitation des chemins de fer, sans en dénaturer les termes.
D'où il suit qu'eu égard aux fautes ainsi relevées contre les compagnies partiesCiviles, le jugement attaqué a pu, sans encourir les griefs du pourvoi. mettre à leur charge la moitié de la responsabilité de l'accident survenu le 14 février 1958, à un passage à niveau non gardé à 4 kilomètres d'Aïn Taoujdat et au cours duquel une locomotrice a été endommagée ;
Qu'ainsi le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS
Rejette les pourvois.
Président M. Deltel. - Rapporteur: M. Ac. - Avocat général: M. Aa. - Avocats: MM. Lorrain, Beauclair.
Observations
I.- Sur les premier, deuxième et troisième points. - L'art. 17 Dh. 20 févr. 1922 relatif à la conservation, la sûreté et la police des chemins de fer, aujourd'hui abrogé et remplacé par le Dh. 28 avr. 1961 ayant le même objet, prévoyait que: " Notre diRecteur général des travaux publics prendra tous arrêtés nécessaires à la bonne exécution du titre troisième du présent dahir et généralement toutes mesures réglementaires relatives à la police de l'exploitation des chemins de fer".
Le titre troisième de ce texte était intitulé: « De la police de l'exploitation". Il réglementait l'accès dans l'enceinte du chemin de fer et dans 1e 3 voitures, prescrivait les mesures de prudence à observer ainsi que celles relatives à la conservation du matériel, à l'hygiène et à la tranquillité des voyageurs.
Le jugement attaqué avait laissé aux compagnies de chemins de fer, parties Civiles, la moitié de
la responsabilité de l'accident survenu le 14 févr. 1958 à un passage à niveau sans barrière et Ces compagnies, demanderesses aux pourvois, soutenaient que le tribunal de première instance de Meknès avait ainsi violé les dispositions de l'art. 11 de l'arrêté du diRecteur des travaux publics du 21 sept. 1954 qui dispose que «le franchissement des passages à niveau de deuxième catégorie s'effectue en tout temps aux risques et périls et sous la seule responsabilité des usagers des voies routières. L'administration ou l'exploitant de la voie ferrée ne peut être mis en cause à l'occasion d'un accident survenu sur ces passages qu'à charge pour le requérant de fournir la preuve d'une faute lourde et inexcusable de l'administration ou l'exploitant de la voie ferrée". (Les passages à niveau "sans barriére"sont classés dans la deuxième catégorie par l'article 3 dudit arrêté).
Les défendeur soutenaient au contraire que l'art.11 de l'arrêté du 21 sep. 1954 était illégal, au motif qu'en édictant une régle de responsabilité exhorbitante du droit commun et qui ne pouvait résulter que de la loi, le diRecteur des travaux publics avait excédé ses pouvoirs.
La Chambre Criminelle, qui a admis cette exception, a décidé que le moyen des demandeurs, en sa première branche basée sur la violation de l'art. 11entaché d'illégalité, ne pouvait donner ouverture à cassation.
II.- Sur le quatrième point. -
A - L'art. 29 de l'instruction générale sur la circulation routière du 15 mai 1950 prévoit qu' "un passage à niveau ne peut être dépourvu de barrières et de signal automatique que Si les usagers de la route peuvent aisément voir la voie ferrée de part et d'autre dudit passage compte tenu de la vitesse maxima des trains, de telle sorte qu'un conducteur s'approchant du chemin de fer, soit d'un côté, soit de l'autre, ait le temps de s'arrêter avant de s'engager sur le passage à niveau lorsqu'un train est en vue, de telle sorte que les usagers de la route qui se trouvaient déjà engagés sur le passage au moment ou le train apparait aient le temps d'effectuer la traversée".
B. - L'art. 10 Arr. viz. 24 janv. 1953, sur la police de la circulation et du roulage, prévoit que " L'usager de la route, ayant à franchir un passage à niveau de voies ferrées non muni de barrières, et averti de l'existence de ce passage par un signal, ne doit s'y engager qu'après s'être assuré qu'aucun train ou machine n'est visible et que l'approche d'aucun train ou machine n'est annoncée".
Aux termes de l'art. 161 du Règlement général d'exploitation des chemins dc fer du Maroc: « Avant la mise en marche, à l'approche des gares, des bifurcations, des passages à niveau non gardés précédés d'un panneau S, à l'entrée et à la sortie des tranchées en courbe et des souterrains, le mécanicien doit faire jouer le sifflet pour avertir de l'approche du train...".
Les obligations qui découlent pour une compagnie de chemin de fer de la réglementation en vigueur ne la dispensent pas de l'obligation générale de prudence qui s'applique à tous (Civ11 nov. 1891, D.P. 1892. 1.427 ; 4 févr.1895, D.P. 1896. 1.75 ; 8 avr. 1932, D.H. 1932.297, Gaz. Pal. 1932.2. 124, S. 1932.1. 190 ; Civ. 14 janv. 1936, D.H. 1936. 131 ; 9 févr. 1937, D.H. 1937.203 ; Req. 28 nov. 1939, D.H. 1940.51 ; Civ. 26 janv. 1942, D.A. 1942.
4 mai1943, D.A. 1943.57 ; Req. 10 janv. 1944, Gaz. Pal. 1944.1 100, S. 1944 1.65 ; Crim. 14
juin 1945, D. 1946.55 ; Civ. 7 mai 1947, Gaz. Pal. 1947.2.27, J.C.P.1947. IV. 110 ; Civ. 7 mai 1952, D. 1952.587, Gaz. Pal. 1952.2.65.18 nov. 1952, Bull. cass. 1952.1.245 ; 3 déc. 1954, D. 1955.450 et la note de M Paul ME. Durand, Gaz. Pal. 1955.. 1. 112 ; 16 févr. 1955, d 1955.451 ; Paul M.F. Durand, Les passages à niveau; Règlement et jurisprudence, 1). 1951, chron. p. 5 ; Mazeaud, t. 1, n0 498 et note 9bis ; Savatier, t. 1, n" 181 ; t.2, n0 518; Labu, n08 389 s.).
La responsabilité de la compagnie de chemin de fer est notamment retenue lorsque le mécanicien a omis d'annoncer l'approche du train (Civ. 4 juil. 1906, D.P. 1908.5.58 ; 3 déc. 1954 et 16 févr. 1955 précités).
C.-Comme exemples de partage de responsabilité entre une compagnie de chemin de fer et un usager de la route, à la suite d'un accident survenu à un passage à niveau, v.Civ. 26 janv. 1942, D.A. 1942.89 ; Req. 10 janv. 1944, Gaz. Pal. 1944. 1. 100 et Civ. 7 mai 1947, Gaz. Pal. 1947.2.27, et en cas de vitesse excessive du train: Req. 10 janv. 1944, Civ. 3 déc. 1954, précités ; Paris, 18 mai 1943, Gaz. Pal. 1943.2.44 ; Montpellier, 7 mai 1952, D. 1952


Synthèse
Numéro d'arrêt : P1155
Date de la décision : 31/05/1961
Chambre pénale

Analyses

1°CHEMlN DE FER - Arrêté du diRecteur des travaux publics du 21 septembre 1954 - Prescriptions concernant la responsabilité de l'Etat et des compagnies de chemins de fer - Illégalité.2° ACTE ADMINISTRATIF - Illégalité. 3°CASSATION - Moyens de cassation - Moyen basé sur la violation d'une décisionadministrative entachée d'illégalité.4°CHEMIN DE FER - Passage à niveau non gardé - A) Vitesse excessive du train - B)Inobservation de l'obligation d'annoncer son approche - C) Collision - Partage de responsabilité.

1°, 2° et 3° l'article du dahir du 20 février 1922, relatif à la conservation, la sûreté et la police des chemins de fer, donnant délégation au diRecteur des travaux publics, ne permettait pas à ce dernier d'édicter des prescriptions concernant la responsabilité de l'Etat et des compagnies de chemins de fer.Par suite, en disposant dans l'article 11, 2°, de son arrêté du 21 septembre 1954 que « l'administration ou l'exploitant de la voie ferré ne peut être mis en cause à l'occasion d'un accident survenu sur les "passages à niveau non gardés.", qu'à charge pour le requérant de fournir la preuve d'une faute lourde et inexcusable de l'administration ou de l'exploitant de la voie ferrée", le diRecteur des travaux publics a, sur ce point, excédé ses pouvoirs.Le moyen basé sur la violation de cette disposition entachée d'illégalité ne saurait, en conséquence, donner ouverture à cassation.4° A) Si l'article 29 de l'instruction générale sur la circulation routière du 15 mai 1950 n'a pas pour objet de réglementer l'allure des convois de chemins de fer, mais seulement de préciser les conditions de sécurité que doit présenter la disposition des passages à niveau non gardés, les juges répressifs, appelés à statuer sur un accident survenu à l'un de ces passages, peuvent se référer a ce texte pour déclarer excessive, en raison de la dis position des lieux, la vitesse d'un convoi à l'approche du passage à niveau.B) l'obligation d'annoncer l'arriver d'un train à l'approche d'un passage à niveau non gardé résulte essentiellement des règles normales de prudence dont les compagnies de chemin de fer ne sont pas dispensées et dont font application les articles 10 de l'arrêté viziriel du 24 janvier 1953 sur la police de la circulation et du roulage et 161 du règlement général d'exploitation des chemins de fer.C) lorsque les juges du fond constatant que la vitesse d'un train à l'approche d'un passage àniveau non gardé était excessive en raison de la disposition des lieux et que la seule utilisation du sillet de la locomotive en un lieu fort éloigné de celui de l'accident ne satisfaisait pas à l'obligation incombant au préposé de la compagnie de chemins de fer, ils peuvent retenir la faute de la compagnie et mettre en conséquence à sa charge une part de la responsabilité de la collision survenue au passage à niveau.


Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ma;cour.supreme;arret;1961-05-31;p1155 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award