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04/02/1960 | MAROC | N°P542

Maroc | Maroc, Cour suprême, 04 février 1960, P542


Texte (pseudonymisé)
Rejet du pourvoi formé par Aa Ab Aa Ab Ap et la compagnie d'assurances « Franco-Asiatique » contre un jugement rendu le 27 avril 1959 par le tribunal de première instance de Ar qui l'a condamné à 10000 francs d'amende et 8 jours d'emprisonnement avec sursis pour blessures involontaires, à 1200 francs d'amende pour changement de direction sans précaution et au retrait de son permis de conduire pour une durée d'un mois, et a alloué diverses indemnités aux parties civiles sous la substitution de la compagnie d'assurances « Franco-Asiatique ».
4 février 1960 Dossier n°3102

La Cour,
SUR LA RECEVABILITE DU POURVOI formé par Aa Ab Aa Ab Ap ;
A...

Rejet du pourvoi formé par Aa Ab Aa Ab Ap et la compagnie d'assurances « Franco-Asiatique » contre un jugement rendu le 27 avril 1959 par le tribunal de première instance de Ar qui l'a condamné à 10000 francs d'amende et 8 jours d'emprisonnement avec sursis pour blessures involontaires, à 1200 francs d'amende pour changement de direction sans précaution et au retrait de son permis de conduire pour une durée d'un mois, et a alloué diverses indemnités aux parties civiles sous la substitution de la compagnie d'assurances « Franco-Asiatique ».
4 février 1960 Dossier n°3102
La Cour,
SUR LA RECEVABILITE DU POURVOI formé par Aa Ab Aa Ab Ap ;
Attendu qu'un défendeur en cassation n'a pas qualité pour s'immiscer dans les rapports entre les demandeurs et leur avocat, et prétendre que devant la Cour suprême Me Emmanuel représente uniquement la compagnie d'assurances Franco-Asiatique, au motif que devant les juges d'appel il a après dépôt du rapport de l'expertise médicale ordonnée par le jugement frappé de pourvoi, déclaré par conclusions du 31 juillet 1959 n'être pas l'avocat de Aa Ab Aa Ab Ap ; que le recours en cassation constitue une instance distincte à laquelle Me Emmanuel affirme représenter simultanément les deux demandeurs et qu'en tant qu'avocat il n'est point tenu de justifier de la réalité de son mandat dès lorsqu'elle n'est pas contestée par ceux dont il se prétend le mandataire ;
D'où il suit que doit être rejetée l'exception soulevée par Aj Ab Ao, An Af et Rkia bent Bellal ;
SUR LE PREMIER MOYEN DE CASSATION, en ses deux branches, violation des articles 6 (alinéas 3 et 4 ), 8 (alinéa 8 ) et 32 (alinéa 1er ) de l'arrêté viziriel du 24 janvier 1953 défaut et contrariété de motifs, manque de base légale, en ce que le jugement d'appel attaqué du 21 avril 1959 a :
« 1° déclaré d'une part qu'Abdelkadar ben Salah (conduisant la Chevrolet qui suivait le véhicule Peugeot, conduit par Aa Ab Aa Ab Ap « n'a pas eu le temps d'user de son appareil avertisseur en raison de « la rapidité des faits et de l'imminence du danger, le véhicule Peugeot ayant brusquement ralenti pour changer de direction » :
« d'autre part que s'il (le véhicule Peugeot avait continué sa route, le « dépassement ne serait effectué que plusieurs centaines de mètres plus loin » ;
« alors que cette dernière appréciation qui contredit l'imminence du danger « établit nécessairement que le véhicule Chevrolet se trouvait très en arrière « sur la route et dans tous les cas en état et en position d'effectuer toutes les « manouvres qui lui incombaient (art. 6 al. 3 ) et avait dès lors l'obligation « de ralentir ou même d 'arrêter le mouvement, le véhicule pouvant être une « cause d'accident (art. 32, al. 1er ) ;
« 2° déclaré que le changement de direction (effectué par Aa Ab Aa Ab Ap conducteur du véhicule Peugeot ) s'est effectué sans esprit de décision et au ralenti, comme à regret, ainsi qu'il résulte de son immobilisation finale sur le côté gauche » ;
« alors que le jugement du 23 février 1959 (que le jugement d'appel du 21 avril 1959 déclare confirmer en son entier et par adoption de motifs ) avait décidé : « que la manouvre perturbatrice effectuée par Aa Ab Aa Ab Ap a été trop rapide et
imprévisible pour qu'Abdelkader ben Salah ait eu le temps de choisir quelle pourrait être la meilleure manouvre pour éviter l'accident » ;
Attendu qu'un demandeur ne saurait fragmenter arbitrairement l'argumentation d'une décision de justice, pour tenter d'opposer entre eux certains membres de phrase isolés ; que de tels fragments ne peuvent être sainement appréciés qu'en fonction du contexte, et que seule donne ouverture à cassation la contradiction entre motifs nécessaires au soutien du dispositif de cette décision ;
Attendu que la contastation faite par le tribunal de l'absence de preuve du non-usage par Aj ben Salah de son appareil avertisseur suffisait à l'exonérer de toute responsabilité encourue de ce chef ; qu'elle rendait donc inutiles, et par suite inaptes à constituer l'un des termes d'une contradiction de motifs, les considérations parfaitement superflues par lesquelles les juges d'appel ont cru devoir néanmoins envisager l'hypothèse du non-usage de l'avertisseur pour expliquer que, même en ce cas, Aj ben Salah aurait été légitimement surpris par les brusques ralentissement et changement de direction du véhicule qui le précédait, puisque si ce véhicule avait normalement continué sa route le dépassement se serait effectué plusieurs centaines de mètres plus loin ;
Attendu d'autre part que, même s'ils déclarent en utilisant une formule de style insuffisamment restrictive « adopter les motifs du premier juge », les juges d'appel ne s'approprient à l'évidence que ceux de ces motifs auxquels ils ne substituent pas leur propre motivation différente ; que d'ailleurs il n'existe pas en l'espèce de contradiction entre les décisions de première instance et d'appel, sur le point énoncé au grief, car la phrase du juge d'appel, une fois rétablie et appréciée dans l'ensemble du jugement, doit en dépit de sa rédaction imparfaite, être interprétée comme relatant que Aa Ab Aa Ab Ap aussitôt après avoir opéré sans avertissement un rapide et imprévisible mouvement vers la gauche, s'étant sans doute rendu compte du danger a continué sans esprit de décision et au ralenti pour finalement s'immobiliser sur le côté gauche, en travers de la route ; qu'en effet le tribunal d'appel précise immédiatement sa pensée en ces termes : « manouvres traduisant l'inquiétude de Mohammed ben Mohammed ben Larbi, sur la vitesse et le chemin parcouru par le véhicule aperçu dans le rétroviseur et qu'il avait nécessairement perdu de vue pendant son changement de direction hasardeux » ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
SUR LE SECOND MOYEN DE CASSATION, violation des articles 6 (alinéas 3 et 4 ),8 (alinéa 8 ) et 32 (alinéa 1er ) de l'arrêté viziriel du 24 janvier 1953, manque de base légale, défaut de motifs, en ce que le jugement d'appel attaqué et le jugement qu'il confirme, ont laissé sans réponse des conclusions, régulièrement déposées en première instance et reprises en appel, articulant en leur dispositif que le fait par Aj ben Salah de s'être jeté avec sa voiture Chevrolet dans le bas-côté gauche constituait un défaut de maîtrise caractérisé et que la faute déterminante de l'accident était due à la vitesse excessive de cette voiture qui avait capoté après avoir parcouru 100 mètres dans ce bas-côté ;
Mais attendu que les juges ne sont pas tenus de suivre les parties dans le détail de leur argumentation : qu'un demandeur, bien qu'il ait régulièrement conclu à la constatation de certains points de fait, n'est pas fondé à se prévaloir d'un défaut de réponse lorsque la décision attaquée repousse la conséquence qu'il entendait déduire du point de fait articulé ;
Attendu qu'en l'espèce les juges du fond ont admis « qu'Abdelkader ben Salah a pour échapper à l'accident, braqué sur la gauche et circulé sur le bas-côté », « que l'on ne saurait reprocher à Aj ben Salah de n'avoir pas effectué un dépassement sur la droite contrairement aux prescriptions du Code de la route », « qu'obligé de s'engager sur ce bas- côté incliné vers l'extérieur de la route et les champs en contrebas, le véhicule conduit par Aj ben Salah ne pouvait mécaniquement pas répondre au coup de volant de son conducteur tentant de ramener son véhicule sur la chaussée » et que « l'accident est entièrement imputable à Mohammed ben Aa Ab Ap qui, sans avertir de son changement de direction et bien que voyant qu'une voiture légère et rapide allait le dépasser, a décidé de traverser la route » ; qu'en constatant ainsi expressément qu'Abdelkader ben Salah s'était engagé sur le bas-côté par une manouvre intentionnelle de sauvetage, et en attribuant uniquement le dérapage de la voiture Chevrolet à l'état et à la déclivité de ce bas-côté, le tribunal a nécessairement écarté le défaut de maîtrise et l'excès de vitesse que Aa Ab Aa Ab Ap, pour tenter de s'exonérer de sa propre responsabilité imputait à Aj ben Salah comme fautes déterminantes de l'accident ;
Que dès lors le moyen n'est pas fondé ;
SUR LE TROISIEME MOYEN DE CASSATION , violation des articles 19 (alinéa 3 ) du dahir du 19 janvier 1953 et 320 du Code pénal, défaut de motifs, manque de base légale, excès de pouvoirs, en ce que le jugement attaqué s'est référé à une carte d'état major non soumise à l'examen des parties, et en ce que laissant sans réponse les conclusions déposées, il a écarté, bien que la preuve contraire n'ait pas été rapportée, la mention du procès-verbal de gendarmerie selon laquelle « les bas-côtés sont praticables », et s'est abstenu de donner acte d'une expérience réalisée le 22 janvier 1959 avec une voiture roulant à grande vitesse sur le bas-côté de la route ;
Attendu que le jugement d'appel attaqué se réfère au procès-verbal de transport sur les
lieux du 22 janvier 1959 ; qu'en faisant prévaloir sur les énonciations du procès-verbal de gendarmerie les constations judiciaires effectuées en présence des partis et de leurs conseils, le tribunal n'a fait qu'user de son pouvoir souverain d'appréciation ; Qu'en relevant l'existence d'un trou d'environ 80 centimètres de profondeur et en indiquant que « le relief et les accidents bordant ce bas-côté le rendent difficilement praticable », il a nécessairement réfuté les conclusions tendant à faire juger que le bas-côté était praticable ;
Attendu d'autre part que la référence à une carte d'état major, pour confirmer l'amplitude d'une déclivité de terrain déjà évalué à dix degrés dans le procès-verbal de transport sur les lieux, ne constitue pas le soutien nécessaire du dispositif et doit dès lors être considérée comme surabondante ; qu'enfin les juges d'appel n'étaient pas tenus de donner acte d'une prétendue expérience que le premier juge avait passée sous silence dans son procès-verbal de
transport sur les lieux, sans qu'aucune demande de donner acte lui ait été ultérieurement soumise ;
PAR CES MOTIFS
Rejette le pourvoi.
Président : M. Deltel. Rapporteur : M. Ak. -Avocat général : M. Ad. -Avocas : MM. Emanuel, Pajanacci, El khatib.
Observations
I.- Sur le premier point : V. la note sous Cour supr., Crim., arrêt n°471 du 10 déc. 1959. II.- Sur le deuxième point : V. la note, deuxième point, sous Cour supr.,Crim., arrêt n°535
du 28 janvier 1960. En ce sens que la contradiction entre les seuls motifs nécessaires au soutien du dispositif donne lieu à cassation, v. Rép. pr. Civ., V° Cassation, par Antonin. Besson, n°s 2178 s.
III.- Sur le troisième point : Si l'absence de réponse aux conclusions équivaut au défaut de motifs (v. la note, deuxième point, sous Cour supr., Crim., arrêt n°195 du 5 févr. 1959 ), «la nécessité de répondre n'apparaît toutefois que s'il s'agit réellement d'un moyen et non d'un simple argument. Le moyen auquel il est dû réponse est celui qui est présenté comme le soutien nécessaire de la demande ou de la défense, et on ne peut faire grief au juge de n'avoir pas suivi les parties dans le détail de leur argumentation, de n'avoir pas examiné chacun des faits allégués, de ne s'être pas expliqué sur chaque document produit, de n'avoir pas réfuté chacune des objections. Il suffit, dit un arrêt du 5 juillet 1894, pour satisfaire au voue de la loi, que, de l'ensemble de la décision attaquée, ressortent les raisons qui ont décidé le juge à rejeter ou à admettre les moyens d'attaque ou de défense des parties. Cette distinction entre le moyen et le simple argument est faite par de nombreux arrêts ; c'est pour une question d'appréciation » (Faye, n°88 ). Sur le défaut de motifs, v. Faye, n° s
83s. ; Le Poittevin, art. 190, n°s 2119 s., 2173 s. ; Rép. Crim., V° Cassation, par Ag Aq, n°342 ; Cuche et Vincent, n°474 ; Tournon, Le défaut de motifs, vice de forme des jugements, J.C.P. 1946. I. 553 ; Sur l'obligation de répondre aux moyens et non aux arguments et la distinction qu'il y a lieu de faire entre eux, v. La poittevin, art. 190, n°s 208 s., Le Clec'h, Moyens et arguments devant la cour de cassation, J.C.P. 1951. I. 939 ; Rép. pr. Civ., V° Cassation, par Ac Ae, n°s 2123 s. ; V° cassation, par Ac Ae, n°s 2123 s. ; V° Conclusions, par louis Crémieu, n°65 ; V° Jugements, par Am Al, n°s 241 s. et notamment, n° 249 s. ; Rép. Crim., V° Jugement, par maurice Gégout, n )s 165 s. et notamment n°172 ; Le Clec'h, fasc. III, n°s 319 s., Morel, n°559 ; Cuche et Vincent, n°360, note 3.
IV.- Sur le quatrième point : En ce qui concerne le transport sur les lieux, v. Le Poitevin, art. 153, n°s 208 s. ; art. 154, n°s 22 s. ;Rép. Crim., V° Descente sur les lieux, et v° Instruction à l'audience, par Ai Ah, n°s 641 à 645. Sur l'appréciation, par les juges du fond, des preuves qui leur sont soumises, v. la note, premier point, sous Cour supr., Crim., arrêt n°204 du 12 févr. 1959.
________________


Synthèse
Numéro d'arrêt : P542
Date de la décision : 04/02/1960
Chambre pénale

Analyses

1° CASSATION - Pourvoi - Recevabilité - Personne ayant qualité pour former le pourvoi - Avocat - Pouvoir non nécessaire.2° JUGEMENTS ET ARRETS - Contradiction de motifs - Contradiction non équivalente au défaut de motifs.3° JUGEMENTS ET ARRETS - Omission de statuer - Conclusion des parties - Défaut de réponse n'entraînant pas la nullité.4° TRANSPORT SUR LES LIEUX - Expérience non mentionnée dans le procès-verbal - Demande de donner acte.

1°Un défendeur en cassation n'a pas qualité pour s'immiscer dans les rapports entre les demandeurs et leur avocat et ce dernier n'est pas tenu de justifier de la réalité de son mandat dès lors qu'elle n'est pas contestée par ceux dont il se prétend le mandataire.2° La contradiction entre les seuls motifs nécessaires au soutien du dispositif du jugement donne lieu à cassation.Un demandeur au pourvoi ne peut fragmenter l'argumentation d'une décision de justice pour tenter d'opposer entre eux certains membres de phrases isolés qui ne peuvent être sainement appréciés qu'en fonction du contexte.3°Les juges ne sont pas tenus de suivre les parties dans le détail de leur argumentation.Une partie n'est pas fondée à se prévaloir d'un défaut de réponse à ses conclusions lorsque la décision attaquée repousse la conséquence qu'elle entendait déduire du point de fait articulé.4° Il appartient aux partis de demander au juge qui a procédé à un transport sur leslieux acte d'une prétendue expérience qu'il aurait passée sous silence dans son procès- verbal. Les juges du fond apprécient souverainement s'il convient de faire prévaloir, sur les énonciations effectuées en présence des parties et de leurs conseils.


Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ma;cour.supreme;arret;1960-02-04;p542 ?
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