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10/12/1959 | MAROC | N°P466

Maroc | Maroc, Cour suprême, 10 décembre 1959, P466


Texte (pseudonymisé)
rejet du pourvoi formé par M'hamed ben Mansour ben M' Hmed contre un arrêt confirmatif de la cour d'appel de rabat du 8 juillet 1958 le condamnant à un mois d'emprisonnement avec sursis pour émission de chèque sans provision et au paiement de 500000 francs de dommages- intérêts à la parties civile, Ab Ac Aa Ad Aa Ae.
10 décembre 1959
Dossier n° 1414
La Cour,
SUR LE PREMIER MOYEN DE CASSATION, pris de la violation des articles 163,195et 369 du Code d'instruction criminelle,(1) en ce que l'arrêt attaqué n'indique le texte de loi appliqué, ni dans ses qualité, ni dans s

on dispositif ;
Attendu qu'il est exact que cet arrêt ne précise pas le t...

rejet du pourvoi formé par M'hamed ben Mansour ben M' Hmed contre un arrêt confirmatif de la cour d'appel de rabat du 8 juillet 1958 le condamnant à un mois d'emprisonnement avec sursis pour émission de chèque sans provision et au paiement de 500000 francs de dommages- intérêts à la parties civile, Ab Ac Aa Ad Aa Ae.
10 décembre 1959
Dossier n° 1414
La Cour,
SUR LE PREMIER MOYEN DE CASSATION, pris de la violation des articles 163,195et 369 du Code d'instruction criminelle,(1) en ce que l'arrêt attaqué n'indique le texte de loi appliqué, ni dans ses qualité, ni dans son dispositif ;
Attendu qu'il est exact que cet arrêt ne précise pas le texte qui réprime l'émission de chèque sans provision ; que toutefois le jugement qu'il confirme mentionne que le fait reproché au prévenu « constitue le délit d'émission de chèque sans provision, prévu et puni par les articles 70 du dahir du 19 janvier 1939 et 405 du Code pénal ».. ;
Attendu que, lorsque le juge d'appel confirme un jugement de condamnation, le jugement confirmé supplée à ce qui peut manquer à la décision d'appel ; qu'il n'était donc pas nécessaire, pour répondre au vou de la loi, que l'arrêt confirmatif cite à nouveau un texte, qui avait été expressément indiqué par le premier juge ;
Qu'en conséquence le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen de cassation, en sa première branche, prise de la violation des articles 1 et 2 du dahir du 19 janvier 1939, en ce que l'arrêt attaqué a décidé que le titre litigieux présentait à l'égard de la loi pénale le caractère d'un chèque, alors que ne comportant pas comme l'exige l'article premier du dahir sus-visé la dénomination de chèque exprimée dans la langue employée pour la rédaction de ce titre, il ne pouvait aux termes de l'article 2 du même dahir constituer un chèque ;
Attendu que le titre litigieux est rédigé caractères manuscrits arabes garnissant les blancs d'une formule de chèque bancaire dont les diverses mentions, telle celle « payez contre ce chèque », sont imprimées en langue française ; qu'en constatant que ce titre avait été extrait du carnet de chèques dont le prévenu se servait habituellement, qu'il avait été émis comme chèque et accepté comme instrument de paiement, et en se fondant sur ces constatations pour le considérer elle-même comme un chèque, la Cour d'appel a légalement justifié sa décision au regard de la loi pénale ;
SUR LE SECOND BRANCHE DU MEME MOYEN , prise d'une contrariété de motifs en ce que la Cour d'appel a décidée que le titre litigieux bien que n'ayant pas le caractère commercial d'un chèque conservait ce caractère à l'égard de la loi pénale ;
Mais attendu que l'arrêt attaqué n'a pas statué sur la validité du chèque au point de vue commercial, puisqu'il prend soin de préciser à cet égard qu'il n'y a pas «lieu de rechercher si le titre incriminé se trouve atteint d'un vice de forme » ; qu'il affirme à bon droit que le
(1)
L'obligation d'indiquer, dans le dispositif des jugements ou arrêts de condamnation, le texte de loi appliqué fait l'objet des articles 348, alinéa 2, et 352, paragraphe 3, du dahir du 1er chaabane 1378 (10 février 1959), formant Code de procédure pénale.
caractère de chèque peut subsister au point de vue pénale même si par suite d'une irrégularité de forme il vient à disparaître au regard de la loi commerciale ;
D'où il suit que la décision de la Cour d'appel n'est pas entachée de contradiction de motifs ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation de l'article 72 du dahir du 19 janvier 1939, en ce que la Cour d'appel a retenu sa compétence, au motif que le tiré la Cie Algérienne de Crédit et de banque est ressortissante des juridictions modernes, alors que le tireur et le bénéficiaire du titre sont tous deux de nationalité marocaine, et que le tiré n'aurait aucun intérêt en cause ;
Attendu que par application des dispositions de l'article 72 du dahir du 19 janvier 1939, les juridictions modernes du Royaume connaissent de la répression des infractions en matière de chèque, prévues aux articles 70, 71 et 74 de ce dahir, « toutes les fois qu'un ressortissant de ces juridictions aura un intérêt en cause » ; qu'en s'abstenant de préciser la nature de cet intérêt, le législateur a laissé sur ce point aux tribunaux un pouvoir d'appréciation qui échappe au contrôle de la Cour suprême ;
Attendu que pour rejeter au seul motif de la nationalité étrangère de la banque sur laquelle avait été tiré le chèque incriminé le déclinatoire de compétence dont elle était saisie par M'Hamed ben Mansour ben M'Hamed, de nationalité marocaine, la Cour d'appel s'est, par l'emploi d'une formule textuellement reproduite de décisions antérieures, implicitement mais nécessairement référée à cette jurisprudence qui tient pour suffisante une telle constatation, notamment en raison de l'intérêt qu'à toujours un établissement bancaire à ce que les chèques tirés sur ses caisses ne donnent pas lieu à des contestations préjudiciables à la réputation de sa clientèle et par voie de conséquence à son crédit ;
Qu'ainsi l'arrêt attaqué, sans violer ou faussement appliquer les textes visés au moyen, a légalement justifié sa décision sur ce point ;
Sur le quatrième moyen de cassation, en sa première branche prise d'une violation des lois de procédure, en ce que la Cour d'appel a alloué des dommages- intérêts à la partie civile, alors qu'elle avait fait défaut et que son action aurait dû être déclarée irrecevable ;
Attendu que Ab Ac Aa Ad Aa Ae s'était constitué partie civile devant les premiers juges, qui, ayant déclaré son action recevable et fondée, lui avaient alloué 500000 francs de dommages- intérêts par jugement du 14 octobre 1957 dont le ministère public et le prévenu ont seuls relevés appel ;
Attendu que la juridiction du deuxième saisie de l'action civile par l'appel du prévenu et statuant dans la limite de cet appel, a pu régulièrement et sans violer aucun texte, confirmer la décision des premiers juges relative aux dommages- intérêts, tout en donnant défaut contre la partie civile qui n'avait pas comparu devant elle et ne s'était pas fait représenter ;
Sur la second branche du même moyen, prise d'une contrariété ou insuffisance de motifs et manque de base légale, en ce que la Cour d'appel a alloué à la partie civile des dommages- intérêts d'un montant de 500000 francs égal à celui du chèque litigieux, alors que la preuve du versement de cette somme aurait pu être rapportée par serment et que la cour d'appel a elle même reconnu la réalité de ce versement ;
Mais attendu que l'arrêt attaqué énonce au contraire »que s'il paraît résulter de l'information ordonnée par la Cour que le prévenu a réglée des sommes à Ab Ac Aa Ad, la preuve n'a pas été rapportée que les paiements qu'il aurait effectués ont été en totalité ou en partie le montant du chèque » ; que les juges d'appel ont donc fondé leur décision sur les éléments de preuve recueillis au cours des débats et les témoignages reçus au cours du supplément d'information par eux ordonné ; qu'ils en avaient la libre appréciation, et qu'une telle appréciation, lorsque comme en l'espèce elle ne contient ni violation de la loi ni contradiction, relève uniquement de leur conscience et échappe au contrôle de la Cour suprême ;
PAR CES MOTIFS
Rejette le pourvoi ;
Président : M.Deltel. - Rapporteur : M.Berry. - Avocat général :M.Ruolt. - Avocats : MM.Moulieras, Soria.
Observations
I. -Sur le premier point : En ce sens que, lorsque le juge d'appel confirme un jugement de condamnation, le jugement confirmé supplée à ce qui peut manquer à la décision d'appel, V.Crim.5 déc.1856, B.C390 ; Le Poittevin, art.211, n°96.
.
II. - Sur le deuxième point : A) il n'est pas nécessaire, pour que le délit d'émission de
chèque sans provision, prévu par l'art.70 du dahir du 29 Kaada 1357 (19 janvi.1939). soit constitué, que le titre remis au bénéficiaire soit régulier et vaille comme chèque au regard des dispositions des art, 1er et 2 dudit dahir.Il a été jugé que tout titre qui, bien que n'ayant pas reçu des parties la dénomination de chèque, en présente les«apparences"et a été « remis et accepté comme tel" doit être considéré comme chèque au point de vue pénal (Crim 9 oct.1940, B.C.45,Gaz.Pal.1940.2.164, D.A.1941.28, S.1942. 1.149 et la note de M.Louis Hugueney, J.C.P1941.II.1647 et la note de M.D.Bastian). le chèque post daté, ne perd pas sons caractère de chèque (Crim 30 avr.1937, B.C.88,Gaz.Pal. 1937.2.256). De même, il importe peu que la date soit écrite à la machine au lieu d'être écrite de la main du tireur (Crim.8 janv.1937, B.C.2, Gaz.Pal.1937.1.545) ou que le chèque ne soit pas daté du tout (Crim.3 mai 1939, Gaz.Pal.1939.2.247 ; 8 mars 1951, B.C.71). V.Michel Vassurs, Des effets en droit pénal des actes nuls ou illégaux d'après d'autres disciplines, Rev. science crim.1951.I; Ag Af, le chèque au Maroc, la législation pénale, Rev. Maroc.droit.1949, Doctr.p.114.
B) L'art.72 du dahir sus-visé du 19 janv.1939 prévoit que les juridictions instituées par le dahir du 12 août 1913«connaîtront de la répression des infractions en matière de Chèque, telles qu'elles sont précisées aux art.70, 71 et 74., toutes les fois qu'un ressortissant de ces juridictions aura un intérêt en cause». Par application de ce texte il avait été jugé que le délit d'émissions de chèque sans provision, commis par un Marocain, était de la compétence de la juridiction moderne, même si le bénéficiaire est marocain lorsque le tiré est une banque de nationalité française (crim. 13 nov. 1952,Gaz Pal. 1952.2.404, Rec. t. 17. 294 ; 23 déc. 1955, Rec. t. 18. 377) et qu'est insuffisamment motivé l'arrêt qui renvoie un prévenu marocain devant la juridiction de droit commun sans s'expliquer sur le point de savoir si l'association à laquelle les chèques ont été dérobés et qui ont été falsifiés a un intérêt en cause et si cette association est ressortissante des juridictions instituées par le dahir du 12 août 1913 (crim. 12 mai 1955, Rec. t. 18. 93). Rappr. Egalement : Casablanca, 17 janv. 1956, Rev. Maroc. dr. 1957. 276 ; Rabat, 28 janv. 1958, Gaz. Trib. M. 1958. 50 et 15 avr. 1958, Rec. t. 19. 439.
La chambre criminelle décide qu'en s'abstenant de préciser la nature de « l'intérêt en cause», le législateur a laissé sur ce point aux tribunaux un pouvoir d'appréciation qui échappe à son contrôle. Il peut être purement moral, un établissement bancaire ayant toujours intérêt « à ce que les chèques tirés sur ses caisses ne donnent pas lieu à des contestations préjudiciables à la réputation de sa clientèle et par voie de conséquence à son crédit ».
II. -Sur le troisième point : Lorsque la partie civile, intimée, ne comparaît pas devant la juridiction répressive du second degré, il est statué par défaut à son encontre (Crim. 27 avr. 1934, D.H. 1934. 302 ; 19 juillet. 1945, D. 1947. 130). La juridiction d'appel ne saurait déclarer sa demande irrecevable : saisie des intérêts civils par l'appel du prévenu, il appartient à cette juridiction, tout en donnant défaut contre la partie civile, de statuer dans la limite de cet appel, telle qu'elle est précisée par l'art. 409, al. 2, du dahir du 1er chaabane 1378 (10 févr. 1959) formant Code de procédure pénale. V. les dispositions de l'art. 334 du même Code en ce qui concerne l'exercice de l'action civile devant la juridiction du premier degré.
_____________


Synthèse
Numéro d'arrêt : P466
Date de la décision : 10/12/1959
Chambre pénale

Analyses

1° JUGEMENT ET ARRET - Mentions obligatoires - texte législatif appliqué - arrêt confirmatif - défaut de mention de la loi pénale supplée par la décision confirmée.2° CHEQUE - Emission sans provision - Existence du chèque au regard de la loi pénale - Compétence à raison de la nationalité des parties.3° APPEL CORRECTIONNEL - Effet dévolutif - Appel du prévenu - Partie civile défaillante en appel.4° CHEQUE - Emission sans provision - Réparations civiles.

1° les énonciations d'un jugement confirmé en appel peuvent suppléer les insuffisances de la décision d'appel, notamment en ce qui concerne la citation du texte de la loi appliqué.2° Garde le caractère de chèque à l'égard de la loi pénale le titre qui comporte la dénomination de chèque dans une langue autre que celle employée pour sa rédaction, bien qu'en cette dernière langue cette dénomination soit exigée par les articles 1 et 2 du dahir du 28 Kaada 1357 (19 janvier1939) pour caractériser un chèque au regard de la loi commerciale.L'intérêt moral d'un établissement bancaire a ce que les cheques tires sur ses caisses ne donnent pas lieu à des contestations, préjudiciables à la réputation de sa clientèle et par voie de conséquence à son crédit, suffit à justifier la compétence des juridictions modernes bien que seul des parties en cause cet établissement relève de ces juridictions.Au demeurant la détermination de l'intérêt en cause justifiant la compétence des juridictions modernes échappe au contrôle de la Cour suprême.3° la juridiction d'appel saisie de l'action civile par le seul appel du prévenu peut régulièrement donner défaut conte la partie civile qui n'a pas comparu devant elle, tout en confirmant la décision des premiers juges lui allouant des dommages-intérêts.4° les juges du fond peuvent allouer à la partie civile des dommages intérêts d'un montant égal à celui du chèque litigieux s'il n'est pas prouvé que le prévenu s'est acquitté en totalité ou en partie du montant du chèque.


Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ma;cour.supreme;arret;1959-12-10;p466 ?
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