COMMUNITY COURT OF JUSTICE,
ECOWAS
COUR DE JUSTICE CEDEAO DE LA COMMUNAUTE, a
TRIBUNAL DE CEDEAO JUSTIÇA DA COMUNIDADE, Sos No. 1164 JOSEPH GOMWALK
STREET, GUDU 900110 FCT, ABUJA NIGERIA. PMB 567 GARKI, ABUJA TEL: 234-9-78 22 801
Website: wwwcourtecowas.org COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE ECONOMIQUE DES
ETATS DE L’AFRIQUE DE L’OUEST (CEDEAO)
Dans l’affaire
AG C Az
(REQUERANT)
Contre
REPUBLIQUE TOGOLAISE
(DEFENDERESSE)
Requête N° ECW/CCJ/APP/23/23; Arrêt N° ECW/CCJ/JUD/17/24
ARRET
ABUJA
6 JUIN 2024 COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE ECONOMIQUE DES
ETATS DE L’AFRIQUE DE L’OUEST (CEDEAO)
SIEGEANT A ABUJA, NIGERIA
Requête N°: ECW/CCJ/APP/23/23; Arrêt N°. ECW/CCJ/JUD/17/24
AG C Az
(REQUERANT)
Contre
REPUBLIQUE TOGOLAISE
(ETAT DEFENDEUR)
COMPOSITION DE LA COUR:
Hon. Juge Edward Amoako ASANTE - Président/ Juge Rapporteur
Hon. Juge Gberi-Bè OUATTARA - Membre
Hon. Juge Sengu M. X - Membre
ASSISTES DE:
Dr. Ab A - Greffier en Chef
REPRESENTATION DES PARTIES:
Me Paulino MENDES - Conseil du REQUERANT
SCP Aquereburu & Partners -Conseil de la DEFENDERESSE 1. Le présent arrêt est celui rendu en audience publique virtuelle par la
Cour de justice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique
de l’Ouest, conformément à l’Article 8, al. 1 des Instructions pratiques
sur la gestion électronique des affaires et les audiences virtuelles de la
Cour de 2020.
IL =… DESCRIPTION DES PARTIES
2. Le Requérant, M. AG C Az, est un citoyen de la
Communauté originaire de la République de Guinée -Bissau et résidant
à Bg, en Côte d’Ivoire.
3. L’Etat défendeur est la République togolaise, un Etat membre de la
CEDEAO et partie à la Charte africaine des droits de l’Homme et des
peuples de 1981 (Charte africaine).
Objet de la procédure
4. Le Requérant, un pilote, était précédemment embauché par ASKY
Airlines, dont le siège se trouve à Lomé, au Togo. La validation de sa
licence de pilote de ligne « ATPL(A) », obtenue en France, a été retirée
par l’Agence nationale de l’aviation civile du Togo à la suite
d'accusations d'utilisation d'informations falsifiées pour l'obtention de
la validation de ladite licence. Dans cette affaire contre la République
togolaise, le Requérant affirme que le retrait de la validation de sa
licence a violé ses droits humains fondamentaux, dont le droit au travail, le droit à l'égalité et à une protection égale par la loi, et le droit
à un procès équitable.
ML PROCÉDURE DEVANT LA COUR
. Le Requérant a intenté cette action par requête datée du 18 juillet 2023
et déposée au greffe de la Cour le 19 juillet 2023. La requête a été
notifiée à l’Etat défendeur le 21 juillet 2023 par voie électronique.
. Le 14 août 2023, l’Etat défendeur a déposé son mémoire en défense
daté du 14 août 2023, qui a été notifié au Requérant par voie
électronique le 5 septembre 2023.
. Le 4 octobre 2023, le Requérant a déposé une réplique datée du 3
octobre 2023 en réponse au mémoire en défense de l’Etat défendeur.
La réplique du Requérant a été notifiée à l’Etat défendeur le 5 octobre
2023 par voie électronique.
. Après réception de la réplique du Requérant, l’Etat défendeur a déposé
une duplique datée du 16 octobre 2023 qui a été notifiée au Requérant
le 20 octobre 2023, par voie électronique.
. A l'audience du 15 décembre 2024, à laquelle les deux parties étaient
représentées, la Cour a entendu leurs observations respectives et a mis
l’affaire en délibéré pour arrêt à être rendu.
V. _ARGUMENTS DU REQUÉRANT
A. … Résumé des faits
10.Le Requérant dit qu’il a travaillé à ASKY Airlines du 17 avril 2014 au
31 janvier 2022. Au départ, il volait comme copilote avec une licence
de pilote commercial (CPL) obtenue en Guinée-Bissau qui a été validée
par l’Agence nationale de l’aviation civile togolaise.
11. Le Requérant déclare que, après sept ans de performance satisfaisante
et fort des encouragements d'ASKY, il s'est inscrit à l'épreuve pratique
de pilote de ligne avion (ATPL(A)) en France afin d'obtenir une licence
ATPL(A) dans le but de devenir commandant de bord à part entière.
12.Selon le Requérant, le Togo ne dispose d'aucun centre de formation
accrédité pour délivrer une licence ATPL(A) à un pilote. Par
conséquent, au Togo, les pilotes doivent nécessairement s'inscrire
auprès d'établissements de formation aux Etats-Unis, au Canada, en
Afrique du Sud, en Europe ou ailleurs pour obtenir cette licence. Après
l’obtention de la licence ATPL(A) à l'étranger, ils s'adressent à
l’Agence nationale de l’aviation civile du Togo, connue sous le sigle «
ANAC-Togo », pour obtenir une validation ou une conversion de la
licence étrangère obtenue en vue de son utilisation au Togo.
13.Le Requérant déclare qu'au moment de son inscription à l’épreuve
pratique de pilote de ligne avion ATPL(A) en avril 2019, il avait effectué un nombre total de 3.850 heures de vol sur les avions multi-
pilotes d'ASKY qui a soutenu sa candidature à l’épreuve pratique en lui
délivrant une attestation de ses heures de vol en qualité de « pilote
commandant de bord sous supervision » (PICUS).
14.11 a réussi l’examen pratique en France et s'est vu délivrer la licence
ATPL(A) qu’il a convertie en licence ATPL(A) bissau-guinéenne. Le
21 novembre 2019, sa licence ATPL(A) bissau-guinéenne a été validée
pour être utilisée au Togo par l'ANAC-Togo sans aucune réserve.
15.Par la suite, le Requérant indique que la compagnie ASKY l'a envoyé
suivre un programme de formation complémentaire au centre de
formation d'Ethiopian Airlines à Addis-Abeba afin de renforcer ses
compétences. Le 22 novembre 2020, il a réussi son contrôle en ligne en
tant que commandant de bord et a effectué son premier vol en tant que
tel sur un vol d'ASKY Airlines à destination de Bissau, où il a été
accueilli par le Premier ministre et d'autres représentants du
gouvernement.
16.Cependant, quelques jours plus tard, l'ANAC-Togo a remis en cause les
heures PICUS déclarées par le Requérant et l’attestation délivrée par la
compagnie ASKY. L'ANAC-Togo a examiné le dossier du requérant
le 30 novembre 2020. Par lettre datée du 4 décembre 2020, elle a
informé ASKY que les informations sur les heures de vol du Requérant
y compris les informations issues) du site SIGEBEL sont jugées insatisfaisantes et a demandé au Requérant de lui fournir, au plus tard
le 14 décembre 2020, les justificatifs de ses heures de vol commandant
de bord au moment du passage de sa licence ATPL(A).
17.Le 10 décembre 2020, le responsable de la formation des équipages a,
par courriel, informé le Requérant de la lettre de l'ANAC-Togo. Le
Requérant a répondu au courriel le 11 décembre 2020 en fournissant
des détails sur son carnet de vol, ses heures en tant que commandant de
bord et ses heures PICUS qui ont été certifiées par ASKY.
18.Le 28 décembre 2020, le Requérant dit qu’il a participé à une réunion
dans le bureau du Directeur général de l'ANAC-Togo en présence de
l'inspecteur des licences et du Directeur de la sécurité des vols. Il lui
avait été reproché d'avoir utilisé frauduleusement son carnet de vol pour
établir qu’il avait totalisé les deux cent cinquante (250) heures de vol
exigées par la France pour l’inscription à l’examen pratique de la
licence ATPL(A). Le 30 décembre 2020, l'ANAC-Togo a demandé à
ASKY de fournir les justificatifs des heures PICUS du Requérant et l’a
informé de sa décision de limiter la validation togolaise de sa licence
ATPL(A) au privilège de « copilote ».
19.Par deux lettres datées toutes du 6 janvier 2021, le Directeur général
d'ASKY a répondu que selon sa compréhension des textes, le
programme PICUS approuvé par l'ANAC-Togo s’applique à toute
demande visant l'obtention d'une licence ATPL(A) togolaise, et non
nécessairement dans le cas où un pilote de la compagnie se rendait à
l’étranger pour y passer sa licence. Par conséquent, strictement parlant,
le Requérant n'est pas soumis au programme PICUS du Togo. En tout état de cause, la compagnie ASKY a vérifié et s'est assurée que le
Requérant réunissait les conditions requises pour l’'inscription à
l’épreuve pratique en France.
20.Selon le Requérant, le Directeur général d'ASKY a souligné les normes
élevées, la rigueur et le professionnalisme dont il avait fait montre, ainsi
que ses sept années d'expérience dans la profession. Le Directeur
général a également souligné que le nombre d'heures de vol qu'il avait
effectuées en tant que pilote en fonction était en réalité nettement
supérieur aux heures déclarées dans l’attestation délivrée par ASKY au
soutien de sa candidature.
21. Pour davantage étayer ses propos sur les heures PICUS effectuées par
le Requérant, ASKY a également offert de fournir à l'ANAC-Togo une
liste de tous les vols effectués par le Requérant sous la supervision
d'instructeurs et de commandants de bord habilités à la gestion de vols
PICUS, afin de montrer que ces heures ont bel et bien été effectuées et
qu'elles dépassent même le minimum requis pour l'inscription à
l'examen pratique passé par le Requérant en France.
22. Aussi, vu la persistance de l'ANAC-Togo sur le fait que le programme
PICUS tel que défini par la législation togolaise aurait dû être suivi,
ASKY s'est engagée à amender ses procédures par une vérification
systématique des minima requis selon le droit togolais (RANT PEL 1.
G.280) et ce, quel que soit le pays où les pilotes iraient passer leurs
épreuves pratiques. &
23. Malgré cela, le 11 mai 2021, l'ANAC-Togo a adressé une lettre au
Directeur général d'ASKY accusant le Requérant et certains de ses
collègues d'avoir exécuté un plan visant à obtenir frauduleusement la
licence ATPL(A) française. Dans cette lettre, l'ANAC-Togo a
également indiqué que, dorénavant, elle ne validerait plus la licence du
Requérant et que celui-ci serait traduit devant un conseil de discipline.
24.Après avoir reçu notification de la lettre de l’ANAC-TOGO, le
Requérant déclare avoir écrit aux autorités de l'aviation civile de
Guinée-Bissau, qui lui avaient délivré une conversion de licence
ATPL(A) sur la base de sa licence ATPL(A) française. Dans une lettre
datée du 1“ juillet 2021, les autorités ont répondu qu'elles continueront
de reconnaître sa licence ATPL(A) française ainsi que sa conversion en
licence ATPL(A) bissau-guinéenne, mais elles ont souhaité que les
problèmes entre l’ANAC-Togo et ASKŸ concernant sa licence soient
bientôt résolus.
25.Entre-temps, le 7 juin 2021, ASKY a écrit à l'ANAC-Togo pour
demander si la licence de pilote professionnel (CPL) du Requérant était
également sous le coup d’une quelconque sanction administrative.
L'ANAC-Togo a répondu que la procédure disciplinaire à l'encontre du
Requérant allait bientôt être engagée et que l’on connaîtra le sort de sa
CPL à l’issue des délibérations du conseil de discipline.
26.Le Requérant déclare que le 4 août 2021, le président du conseil de
discipline l'a invité à soumettre ses observations, dans un délai de 15
jours, sur l'infraction présumée de «déclaration frauduleuse d'heures de vol pour l'obtention d'une licence ATPL(A) ». Il a déposé ses
observations le 13 août 2021 et, le 20 août 2021, il a reçu sa convocation
devant le conseil de discipline dont la séance est prévue pour le 8
septembre 2021. La lettre de convocation mentionne qu'il sera entendu
au sujet d’une infraction présumée de « déclaration frauduleuse
d'heures de vol (PICUS) qui aurait servi à l’obtention d’une validation
togolaise de licence ATPL(A) ». Le Requérant affirme que cette
infraction est matériellement différente de celle sur laquelle il avait été
invité à se prononcer. Plus précisément, le mobile de la fraude
reprochée au Requérant n’est plus « l'obtention d’une licence ATPL(A)
» mais plutôt l’obtention d’une validation togolaise de licence.
27.Un arrêté ministériel (n° 034/2021/MTRAF) daté du 29 juillet 2021
était joint à la convocation. Cet arrêté définissait la composition, la
compétence et le fonctionnement du Conseil de discipline ainsi que la
procédure disciplinaire et les sanctions encourues. Le Requérant
indique que son avocat a contesté l'application de l'arrêté à la procédure
disciplinaire, tout en relevant qu’il semblait pris pour les besoins de la
cause pour être appliqué à son cas rétroactivement. Le président du
conseil de discipline a pris bonne note des exceptions soulevées et a
promis qu'elles seraient jointes au fond et examinées par le conseil de
discipline, mais force est de constater qu’il n’en était rien quand le
conseil a finalement siégé.
28. Vu la tournure que prenaient les événements, le ministre des
Transports de Guinée-Bissau a écrit à son homologue togolais pour
attirer son attention sur la légalité de la procédure engagée à l'encontre du Requérant. Il a sollicité son intervention afin de résoudre le
problème et permettre au Requérant de reprendre son travail, d'autant
plus que la Ag Am, qui a procédé à la conversion de sa licence
française ATPL (A) en licence bissau-guinéenne ATPL(A), a maintenu
sa validité.
29. Le Requérant affirme que malgré la contestation de la procédure par
son avocat et l'intervention de son pays, le Conseil de discipline s’est
réuni le 8 septembre 2021 comme prévu, a délibéré et a adopté sa
décision en date du 13 septembre 2021 qui a été communiquée par
l'ANAC-Togo.
30. Dans sa décision, le conseil de discipline a estimé que le Requérant a
commis une faute grave en « falsifiant le carnet de vol et les pièces
justificatives soumises pour la validation togolaise de sa licence
ATPL(A) délivrée par l'Autorité de l'aviation civile de Guinée-Bissau
en conversion de la licence ATPL(A) française » et a prononcé les
sanctions suivantes : (i) retrait de la validation togolaise de sa licence
ATPL(A) ; (ii) restriction du privilège de sa licence ATPL(A) à la seule
fonction de copilote ; (iii) subordination de sa promotion au grade de
commandant de bord à la reprise du programme PICUS qui doit
totaliser 1500 heures ; (iv) interdiction de survol du territoire togolais ;
et (v) subordination du renouvellement de la validation de sa licence à
une étude satisfaisante de son dossier.
31.Suite à cela, le Directeur général de l'ANAC-Togo a informé la
Direction Générale de l'Aviation Civile française que la documentation
fournie à l'appui du dossierfde candidature du Requérant à l'examen pratique de la licence de pilote de ligne ATPL(A) procédait d'une
fraude et d'une faute professionnelle. En conséquence, la licence lui a
été délivrée sur la base d'une expérience non conforme. La DGAC
française a demandé au Requérant de présenter ses observations. Elle a
recueilli des informations supplémentaires auprès de l'ANAC-Togo, a
procédé à une analyse approfondie du dossier et a effectué toutes les
vérifications nécessaires. La DGAC française a conclu que (i) la
déclaration d'heures PICUS fournie à l'appui du dossier de candidature
du Requérant a été dûment signée par un responsable qualifié d'ASKY
; (ii) les heures PICUS déclarées ont été effectuées conformément aux
exigences de la réglementation française ; et (iii) si les autorités
togolaises estiment que les heures PICUS en question n'ont pas été
effectuées dans les conditions requises pour la validation de la licence
du Requérant, alors cette appréciation est fondée sur leurs règles. En
outre, la DGAC française a conclu que c’est à bon droit que la licence
ATPL(A) a été délivrée au Requérant et que rien ne s'oppose à son
renouvellement.
32.Le Requérant indique que, parallèlement à la saisine des autorités
françaises, l'ANAC-Togo a également informé l'Autorité de l'Aviation
civile de Guinée-Bissau de la sanction prise à son encontre. Cependant,
cette dernière s'est étonnée de n'avoir à aucun moment été informée de
la procédure engagée contre le Requérant, alors qu'elle est l'autorité
même qui a délivré sa licence, dont la validation au Togo était en cause.
A l'instar de la DGAC française, l'Autorité de l'aviation civile de
Guinée-Bissau a également réaffirmé la validité de la licence du
Requérant. @ Z£ 33.Suite à la confirmation de sa licence par les autorités françaises et
bissau-guinéennes, le Requérant dit avoir écrit à ASKY pour demander
sa réintégration afin de pouvoir reprendre son activité professionnelle.
Cependant, selon le Requérant, il a reçu une lettre choquante datée du
31 janvier 2022 du Directeur général d'ASKY l'informant de son
licenciement. Ceci a été confirmé par un courriel d'Ecobank Togo, où
son salaire est domicilié, l'informant qu'en raison d'une lettre reçue
d'ASKY, son emploi prendra fin le 31 janvier 2022.
B. Moyens de droit
34.En l’espèce, le Requérant invoque les moyens de droit suivants :
(1) que la Cour est compétente pour connaître de l’affaire conformément à l'article 9 al. 4, de son protocole
(ii) que la requête est conforme aux critères de recevabilité énoncés à l'article 10(d) du Protocole relatif à la Cour.
(iii) que l’Etat défendeur a violé son droit au travail contrairement à l'article 15 de la Charte africaine et à l'article 6(1) du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966.
(iv) que l’Etat défendeur a violé son droit à l'égalité et à une égale protection de la loi en vertu de l'article 3 de la Charte africaine.
(V) que l’Etat défendeur a violé son droit à un procès équitable et à des garanties procédurales, contrairement à l'article 7 de la Charte africaine
(vi) que les violations alléguées sont attribuables à l’Etat défendeur conformément à la décision de la Cour dans l'affaire Ac Ba At c. Gouÿernement de l'État de Jigawa et 3 autres [2014] CCJELR 207 et à l'article 4(1) des Articles sur la responsabilité de l'État pour fait internationalement illicite de 2001.
C. Réparations demandées
35.Le Requérant demande, qu’il plaise à la Cour de :
(i) déclarer que l’Etat défendeur a violé son droit au travail.
(ii) déclarer que l’Etat défendeur a violé son droit à l'égalité et à une égale protection de la loi.
(iii) déclarer que l’Etat défendeur a violé son droit d’être entendu conformément aux principes et aux garanties de la procédure.
(iv) ordonner à l’Etat défendeur de lever toutes les sanctions imposées illégalement au Requérant.
(v) ordonner à l’Etat défendeur de rétablir la validation togolaise de sa licence de pilote de ligne.
(vi) rendre toute autre ordonnance que la Cour jugera appropriée en l’espèce.
(vil) condamner l’Etat défendeur à payer au Requérant la somme de cinq cent millions (500.000.000) de FCFA pour l'énorme préjudice matériel subi en raison des multiples violations de ses droits, de l'interruption de sa carrière pendant environ 21 mois et de la perte de son emploi.
(viii) condamner l’Etat défendeur à lui payer la somme de deux cent millions (200.000.000) de FCFA à titre de dommages et intérêts.
(ix) Condamner l’Etat défendeur aux dépens.
VI. ARGUMENTS DE LA DEFENDERESSE
A. Résumé des faits
36.Selon l’Etat défendeur, en novembre 2019, l'ANAC-Togo a reçu une
demande de validation de la licence ATPL(A) d'un pilote d'ASKY
Airlines, M. Au Av, qui lui a été délivrée par la Direction
générale de l’aviation civile française. L'ANAC-Togo a validé la
licence sous réserve d'une « restriction copilote » en attendant la
justification des 252 heures PICUS déclarées par M. Av lors du dépôt
de sa demande de validation. Cependant, les réponses apportées ont
conduit l'ANAC-Togo à examiner les dossiers des pilotes d'ASKY
Airlines ayant obtenu la validation de leur licence ATPL(A) au cours
des deux dernières années.
37.L'examen a conduit à la découverte de dossiers suspects, dont celui du
Requérant. Les enquêtes ont révélé que le commandant de bord
Bq An Bb, chef pilote à ASKY, qui a
certifié les heures PICUS de M. Av et du Requérant (M. AzZ, a
conspiré avec eux pour obtenir frauduleusement les licences ATPL(A)
en falsifiant les heures de vol PICUS afin d'atteindre le nombre prévu
de 252 heures.
38.Selon l’Etat défendeur, au 3 juin 2019, le Requérant avait enregistré
104 heures et 22 minutes dans son carnet de vol en tant que pilote
commandant de bord. Cependant, du 9 au 21 juin 2019 (une période de
13 jours civils avec un temps de vol réel de 7 jours), le Requérant a
enregistré un nombre total dg/ 47 heures et 13 minutes en tant que copilote à ASKY. Au cours de la même période, il a enregistré 150
heures et 00 minute supplémentaires en tant que pilote commandant de
bord, ce qui porte son nombre total d'heures en tant que pilote
commandant de bord à 254 heures et 22 minutes, bien que les 150
heures enregistrées n'apparaissent pas dans la colonne Pilote
commandant de bord.
39.L'enquête a également révélé que le carnet de vol du Requérant
contenait des ratures et des surcharges pour les mois précédant sa
demande de licence ATPL(A). En outre, il a été révélé que le
commandant de bord Bb avait certifié les heures PICUS du
Requérant le 17 avril 2019, soit deux mois avant les vols prévus en juin
2019.
40.Compte tenu des anomalies constatées, une procédure disciplinaire a
été engagée à l'encontre des trois pilotes mis en cause, dont le
Requérant, conformément à la loi nationale sur l'aviation civile du
Togo. A l'issue de la procédure, l'ANAC-Togo a suspendu pour trois
mois les certificats de validation des licences étrangères délivrés au
Requérant et à son collègue M. Av et leur a demandé de reprendre le
programme PICUS, tandis que la licence du commandant de bord
Bb a été suspendue pour six mois.
B. Moyens de droit
41.L’Etat défendeur a invoqué les moyens de droit suivants :
@ (Gi) S’agissant de la compétence de la Cour et de la recevabilité
de la requête, l’Etat défendeur s'en remet à la sagesse de la
Cour ;
(ii) 1l’Etat défendeur a rempli son obligation envers le
Requérant en vertu des articles 15 de la Charte africaine et
6(1) du Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels;
(iii) l’Etat défendeur n'a pas violé le droit du Requérant à
l'égalité et à une égale protection de la loi au sens de
l'article 3 de la Charte africaine ;
(iv) l’Etat défendeur n'a pas violé le droit du Requérant à un
procès équitable au sens de l'article 7 de la Charte africaine
à travers la procédure disciplinaire engagée contre lui ;
(vV) bien que les actes de l'ANAC-Togo soient attribuables à
l’Etat défendeur, celle-ci ne porte aucune responsabilité
internationale dans cette affaire, étant donné que les
mesures prises sont conformes au règlement et aux normes
de la Convention relative à l'aviation civile.
C. Réparations demandées
42.L’Etat défendeur demande, qu’il plaise à la Cour, de :
(i) se prononcer sur sa compétence et la recevabilité de l'affaire, le
cas échéant. :
(ii) débouter le Requérant de toutes ses prétentions comme étant sans
fondement ;
(iii) Constater par voie de demande reconventionnelle que la
demande du Requérant est un abus de procédure, le condamner
à payer à l’Etat défendeur la somme de vingt millions
(20.000.000 ) de FCFA pour abus de procédure judiciaire, et le
condamner aux entiers dépens.
VIL COMPETENCE DE LA COUR
43 L'article 9(4) du Protocole relatif à la Cour lui donne « compétence pour
connaître des cas de violation des droits de l’Homme dans tout État
membre ». Pour déclencher cette compétence, il suffit à un Requérant
d’alléguer que des violations des droits de l’Homme ont eu lieu sur le
territoire de l'État défendeur et que ce dernier en est responsable, mais
sans préjudice de l'examen de la requête au fond après audition des deux
parties. (Voir l’affaire Bt Bm of Gan Ai Fulani
Development Association c. République fédérale du Nigeria
ECW/CCI/JUD/06/23, paragraphe 38).
44_,En l'espèce, le Requérant allègue que les mesures disciplinaires prises
à son encontre par l'ANAC-Togo, l'agence de l’Etat défendeur chargée
de la mise en œuvre des lois et politiques relatives à l'aviation civile,
ont violé son droit au travail, à l'égalité et à une égale protection de la
loi et son droit à un procès équitable. Comme il s'agit de violations
alléguées des droits de l’H e qui se sont produites dans l'État défendeur et que ce dernier ne conteste pas, en tout état de cause, la
compétence de la Cour, la Cour estime qu'elle est compétente
conformément à l'article 9 al.4 de son Protocole.
VIII. RECEVABILITE DE LA REQUETE
45.L'article 10(d) du Protocole relatif à la Cour établit trois principaux
critères de recevabilité des affaires relatives aux droits de l’Homme qui
sont (a) le statut ou la qualité de victime du Requérant, (b) le non-
anonymat de la requête ; et (c) la non-pendance de l'affaire devant une
autre juridiction internationale. Voir l’affaire As Bf &
autres c. République togolaise [2013] CCJELR 167 (paragraphe 18).
46.Premièrement, la Cour est convaincue que le Requérant a démontré sa
qualité de victime en plaidant des faits suffisants qui semblent montrer
que le comportement de l’Etat défendeur a porté atteinte à ses droits.
Deuxièmement, l'affaire n'a pas été présentée de manière anonyme et il
n'existe pas non plus de preuve qu’elle est pendante devant une autre
juridiction internationale, contrairement aux conditions de recevabilité
énoncées à l'article 10 (d) du Protocole relatif à la Cour. Pour ces
raisons, la Cour conclut que l'affaire du Requérant est recevable.
IX. AU FOND
47. La Cour commence par relever que l'Autorité nationale de l'Aviation
civile du Togo, connue sous son sigle français « ANAC-Togo », est une agence du gouvernement de la République togolaise qui exerce une
autorité réglementaire et administrative sur le secteur de l'aviation
civile du Togo, ce que l’Etat défendeur reconnaît. En conséquence, le
comportement contesté de l'ANAC-Togo, y compris les enquêtes et les
mesures disciplinaires prises à l'encontre du Requérant, sont
attribuables à l’Etat défendeur en vertu des règles pertinentes du droit
international. (Voir les Articles sur la responsabilité de l'Etat pour fait
internationalement illicite 2001, art. 4(1) & (2) ; Activités armées sur le
territoire congolais (RDC c. Ouganda) (arrêt) [2005] Recueils de
jurisprudence de la CII 168, para 213).
48.Par conséquent, la question à résoudre est de savoir si l'une ou l'autre
de ces actions viole les obligations pertinentes de l’Etat défendeur en
matière de droits de l’Homme en vertu de la Charte africaine et du Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels,
comme l'allègue le Requérant.
49.Les prétentions substantielles du Requérant sont que, par les actions ou
mesures prises par l’ANAC-Togo, l’Etat défendeur a : (a) violé son
droit à l'égalité et à une égale protection de la loi en vertu de l'article 3
de la Charte africaine ; (b) violé son droit à un procès équitable et à des
garanties procédurales contrairement à l'article 7 de la Charte africaine
; et (c) violé son droit au travail contrairement à l'article 15 de la Charte
africaine et à l'article 6(1) du Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels de 1966. La Cour examinera
maintenant chacune de ces prétentiofis l’une après l’autre.
© (a) Violation alléguée du droit à l'égalité et à une égale
protection de la loi; contrairement à l'article 3 de la
Charte africaine
i. Conclusions du Requérant
50.Le Requérant soutient que l’Etat défendeur a violé son droit à l'égalité
et à une égale protection de la loi, contrairement à l'article 3 de la Charte
africaine, qui dispose : « (1) Toutes les personnes bénéficient d'une
totale égalité devant la loi. (2) Toutes les personnes ont droit à une égale
protection de la loi. »
51. Selon le Requérant, l'ANAC-Togo sait que les pilotes peuvent utiliser
soit un carnet de vol classique en papier, soit un carnet de vol
électronique. Dans les deux cas, il est possible de commettre des erreurs
lors de la saisie des données. Cependant, contrairement au carnet de vol
classique, les erreurs dans le carnet de vol électronique peuvent être
corrigées sans laisser de trace. Le Requérant affirme que l'ANAC-Togo
s'est fondée sur des corrections faites dans son carnet de vol classique
pour l'accuser de falsifier ses heures de vol afin de s'inscrire au test
ATPL(A) en France, alors qu'il n'a jamais utilisé le carnet de vol pour
l'inscription. En se fondant sur les ratures faites dans son carnet de vol
classique pour l’accuser de falsifier ses données, il est clairement
désavantagé par rapport à ses collègues qui utilisent des carnets de vol
électroniques qui ne comportent aucune surcharge ni rature. Par
ailleurs, le Requérant affirme que de nombreux pilotes d'ASKY
utilisent des carnets de vol classiques et corrigent leurs erreurs à l'aide
21 @ de correcteurs, mais qu'ils n'ont jamais été accusés de quoi que ce soit
à plus forte raison faire l'objet de procédures disciplinaires.
52.Enfin, le Requérant soutient que l'ANAC-Togo a violé son droit à
l'égalité et à une égale protection de la loi en appliquant de manière
sélective le programme PICUS à son désavantage. En effet, malgré la
fixation de l'ANAC-Togo sur les heures PICUS du Requérant, sa
pratique de validation des licences de pilotes étrangers montre qu'elle
n'a pas toujours insisté sur cette exigence. En effet, dans certains cas,
les pilotes qui demandent la validation de leur licence étrangère
omettent ou ne fournissent pas du tout cette information. Dans le cas de
certains pilotes, ces informations ne figurent même pas dans leur
dossier. Cela clarifie l'explication d'ASKY à l'ANAC-Togo qu'elle
n'applique pas systématiquement le programme PICUS togolais aux
pilotes demandant des licences étrangères, une explication que
l'ANAC-Togo aurait dû accepter et cesser de harceler le Requérant.
Qu'en harcelant le Requérant avec ses exigences PICUS alors que
l'ANAC-Togo elle-même ne les a pas systématiquement appliquées, le
Requérant a fait l'objet d'un traitement différencié en violation de
l'article 3 de la Charte africaine.
ii. Conclusions de l'Etat défendeur
53.L’Etat défendeur soutient que la discrimination au sens de l'article 3 de
la Charte africaine a lieu lorsque plusieurs personnes sont dans la même
situation mais certaines bénéficient de faveurs par rapport à d'autres
sans aucune justification valable. De même, le principe d'égalité énoncé dans le même article sous-entend que lorsque deux personnes se
trouvent dans la même situation et remplissent les mêmes conditions,
la loi doit leur être appliquée sans distinction.
54. L’Etat défendeur soutient qu'il n'a pas violé les principes d'égalité ou
de non-discrimination à l'égard du Requérant dans le cadre de la
procédure disciplinaire engagée contre lui par l'ANAC-Togo. Comme
l'admet le Requérant lui-même, la procédure disciplinaire a été engagée
contre trois pilotes, dont le Requérant, pour déclaration frauduleuse
d'heures de vol dans le cadre du programme PICUS. A l'issue de la
procédure, les trois pilotes ont été sanctionnés. Par conséquent,
l'allégation du Requérant tendant à dire que l’Etat défendeur a violé ses
droits à l'égalité et à une égale protection de la loi n'est pas fondée.
55.L’Etat défendeur soutient en outre que l'allégation du Requérant selon
laquelle le principe d'égalité a été violé par l'application sélective du
programme PICUS revient à tenter de détourner l'attention des motifs
pour lesquels il a été décidé que sa licence devait être temporairement
retirée. Selon l’Etat défendeur, la question ne porte pas sur
l'administration du programme PICUS, qui a sa base juridique dans la
loi nationale de l’Etat défendeur, mais plutôt sur les déclarations
frauduleuses d'heures PICUS faites par le Requérant pour obtenir la
licence ATPL(A).
56. Enfin, l’Etat défendeur soutient que l'allégation du Requérant relative
à la validation de manière sélective des licences ATPL(A) étrangères
est une autre tentative d’éviter [a véritable question qui est de savoir s'il y a eu un traitement inégal du Requérant par rapport aux autres pilotes
qui ont été sanctionnés pour les mêmes faits. L’Etat défendeur soutient
que sur cette question, qui est celle que la Cour doit trancher, il a
démontré que les allégations du Requérant relatives à la discrimination
et à l'inégalité de traitement sont sans fondement.
iii, Analyse de la Cour
57. La Cour note que l'allégation du Requérant selon laquelle il a fait
l'objet d'un traitement sélectif ou différencié injustifié de la part de
l'ANAC-Togo dans la mise en œuvre de l'exigence du PICUS pour les
pilotes opérant au Togo repose sur trois motifs : (i) en s'emparant des
données corrigées dans son carnet de vol classique ou en papier pour
l'accuser de falsification des heures PICUS, il a été traité de manière
défavorable par rapport aux pilotes dont les carnets de vol électroniques
ne laissent aucune trace de corrections ; (ii) de nombreux pilotes
d'ASKY ont utilisé des carnets de vol classiques et ont corrigé leurs
erreurs avec des correcteurs, mais ils n'ont jamais été accusés de quoi
que ce soit, à plus forte raison être soumis à des procédures
disciplinaires ; (iii) l'ANAC-Togo a adopté une pratique sélective et
incohérente préjudiciable au Requérant, en s'abstenant d'appliquer
l'exigence PICUS lors de la validation des licences étrangères de
certains pilotes, mais en sanctionnant maintenant le Requérant pour
cette même exigence. © 58.En tant que principe général de droit reconnu par les juridictions
nationales et internationales, il incombe à la partie qui allègue un fait la
charge de l'établir de manière convaincante à l'aide de preuves et/ou
d'arguments de droit pertinents. Voir Ad Bk Bi c. République
fédérale du Nigeria (ECW/CCI/JUD/41/23, paragraphe 72). En
l'espèce, la Cour note que les deux premiers motifs sur lesquels le
Requérant se fonde pour soutenir que l’Etat défendeur a violé ses droits
en vertu de l'article 3 de la Charte africaine n'ont pas été prouvés par
des éléments de preuve pertinents. Le Requérant n'a fourni aucun
témoignage ni aucune preuve documentaire pour étayer son allégation
relative aux différences entre la correction des données dans un carnet
de vol en papier et la correction des données dans un carnet de vol
électronique. De même, aucune preuve de ce genre n'est présentée pour
établir son deuxième motif, à savoir que d'autres pilotes utilisant des
carnets de vol classiques avec des données corrigées n'ont jamais été
accusés d'un quelconque acte répréhensible ou soumis à des procédures
disciplinaires. La Cour doit donc rejeter ces motifs comme non prouvés.
59.En ce qui concerne le troisième motif du Requérant selon lequel
l'ANAC-Togo a appliqué de manière incohérente et différenciée son
exigence PICUS pour la validation des licences ATPL(A) étrangères,
cela a entraîné la violation des droits du Requérant en vertu de l'article
3 de la Charte africaine ; la Cour observe que le Requérant a fourni des
éléments de preuve qui doivent être évalués. @ 60.Le Requérant soumet à l'appui de sa demande les formulaires de
demande remplis et signés par un certain nombre de pilotes qui ont
demandé à l'ANAC-Togo la validation de leurs licences étrangères. Il
est évident sur les formulaires que certains pilotes ont totalement omis
d'indiquer leurs heures PICUS, tandis que dans d'autres cas, les pilotes
ont indiqué un nombre d'heures inférieur au minimum requis par
l'ANAC-Togo. Dans trois de ces cas où le Requérant a fourni les
certificats de validation correspondants, les éléments de preuve
indiquent que l'ANAC-Togo a délivré les certificats sans poser de
questions sur les heures PICUS, qui étaient inférieures au minimum
requis ou qui n'ont pas été indiquées du tout. Plus précisément, le
Requérant démontre que :
(i) M. Br Bn Bc, titulaire de la
licence de pilote professionnel numéro 6279(A)
délivrée par l'Autorité de l'aviation civile du
Nigeria, a présenté sa demande de validation à
l'ANAC-Togo le 8 janvier 2018 sans indiquer
d'heures PICUS, mais s'est vu délivrer un certificat
de validation n° 369-VAL le 19 janvier 2018. Pour
valider sa licence ATPL(A) nigériane n° 6279(A),
le même pilote a présenté une autre demande datée
du 26 novembre 2019 sur laquelle il a indiqué « NIL
» dans la colonne des heures PICUS. Un certificat
de validation n° 437-VAL lui a été délivré par
l'ANAC-Togo le décembre 2019.
(ii) M. Aa Ax Ao Ay, titulaire d'une licence
ATPL(A) américaine n° 4266440 (délivrée par la
Federal Aviation Administration), a demandé la
validation de cette licence le 8 novembre 2019 en
indiquant des heures PICUS de 106 heures 77
minutes (inférieures aux exigences de l'ANAC-
Togo), mais s'est vu délivrer le certificat de
validation n° 432-VAL sans aucune restriction, le 7
décembre 2019.
(iii) M. Ar Bw Aw, titulaire d'une
licence ATPL(A) nigériane n° 5390(A), a demandé
la validation de cette licence le 25 novembre 2019
en indiquant des heures PICUS de 94 heures 32
minutes (inférieures aux exigences de l'ANAC-
Togo), mais s'est également vu délivrer le certificat
de validation n° 440-VAL le 17 décembre 2019,
sans aucune restriction.
61.L’Etat défendeur répond que la question ne porte pas sur la manière
dont l'ANAC-Togo administre son règlement, y compris l'exigence
PICUS, mais plutôt sur la falsification des heures de vol par le
Requérant, en violation de sa loi sur l'aviation civile. Selon l’Etat
défendeur, il n'y a pas eu de traitement sélectif ou inégal du Requérant
puisque deux autres pilotes qui ont conspiré avec le Requérant pour
déclarer frauduleusement des heures PICUS ont également fait l'objet
d'une procédure disciplinaire et ont été banctionnés.
62.En abordant cette question, la Cour commence par noter que deux des
normes cardinales en matière de droits de l’Homme qui sous-tendent la
Charte africaine sont les principes de non-discrimination et d'égale
protection de la loi. L'article 2 de la Charte établit le principe général
de non-discrimination. L'article 3 de la Charte africaine, sur lequel le
Requérant se fonde en l'espèce, complète l'article 2 en garantissant
l'égalité et l'application non discriminatoire de la loi à toutes les
personnes.
63.Dans l'affaire Ae Bp Lid & Autre c. Aq Bv
(ECW/CCI/JUD/03/23), cette Cour, se fondant sur la jurisprudence
pertinente de la Commission africaine, a présenté l'article 3 de la Charte
africaine dans les termes suivants :
95. L'article 3 de la Charte, en particulier sa clause sur l’égale protection, exige des États parties qu'ils veillent à ce que des personnes se trouvant dans une situation similaire bénéficient de la même protection de la loi en ce qui concerne leur vie, leur liberté, leurs biens ou d'autres intérêts. Un État viole cette disposition s'il n'accorde pas à un individu le même traitement qu'il accorde à d'autres ou s'il accorde un traitement plus favorable à d'autres personnes se trouvant dans une situation identique ou similaire à celle du plaignant (voir Al Bl for Be Ap et Institute For Be Ap and Development In Ak c. Zimbabwe, Commission africaine, Comm. No 294/04, 3 avril 2009, paragraphe 101).
96. Par conséquent, pour établir la violation de la clause sur l’égale protection de l'article 3 sur laquelle se fonde
28 © Z le deuxième Requérant, une partie doit démontrer qu'elle a été soumise à un traitement discriminatoire fondé sur l'un quelconque des motifs de discrimination interdits (par exemple, la race, l'appartenance ethnique, le sexe, la religion) ou qu'elle a fait l'objet d'une application sélective ou différentielle injustifiée de la loi qui n'a pas été accordée à des personnes se trouvant dans la même situation qu'elle. (Voir Bo Bj Bs Bh Ap c. Égypte, Commission africaine, Comm. No. 323/2006, déc. 2011 ; paras 175- 176). Il s'ensuit qu'une protection contre l'arbitraire dans l'application de la loi ou dans la prise de décision administrative est implicite dans le concept d'égale protection.
64.S'agissant des faits, la Cour observe que les éléments de preuve
présentés par le Requérant, qui donnent à penser que l'ANAC-Togo a
délivré des certificats de validation à des pilotes qui n'avaient pas
satisfait à ses exigences en matière de PICUS, soulèvent des
préoccupations quant à la cohérence de l'application de ces exigences.
Toutefois, pour établir que l’Etat défendeur a violé les droits du
Requérant à l'égalité et à une égale protection de la loi, il faut démontrer
qu’il a fait l'objet d'un traitement discriminatoire fondé sur des motifs
interdits tels que la race, l'appartenance ethnique, le sexe ou la religion,
ou qu'il a été soumis à une application sélective ou différentielle
injustifiée de la loi qui n'a pas été étendue à des personnes se trouvant
dans une situation similaire. Voir l’affaire Ae Bp Lid &
Autre c. Aq Bv (ECW/CCHTUD/03/23, para 96).
65.Le Requérant n'allègue pas de traitement discriminatoire fondé sur la
race, l'appartenance ethnique, la nationalité ou tout autre motif de
discrimination interdit. Il soutient plutôt que l'ANAC-Togo a été
injustement sélective ou différentielle dans l'application de la loi à son
égard, d'une manière qui n'a pas été appliquée à d'autres pilotes dans
une situation similaire. Pour prospérer sur ce motif, il faudrait établir
que le Requérant se trouvait dans une situation identique ou similaire à
celle des autres pilotes que l'ANAC-Togo a traités favorablement. Or,
les éléments de preuve présentés par le Requérant montrent que les
autres pilotes auxquels il compare son traitement par l'ANAC-Togo
étaient des pilotes qui avaient soit omis de fournir les heures PICUS
qu'ils avaient effectuées lors de la demande de validation togolaise de
leur licence, soit déclaré des heures inférieures au minimum requis. La
Cour a déjà noté que le fait que l'ANAC-Togo ait néanmoins accordé
la validation à de tels pilotes est préoccupant. Toutefois, on peut tout
au plus affirmer que ces pilotes n'ont pas satisfait à l'exigence de
validation de la licence et non qu’ils ont falsifié leurs dossiers de vol.
En effet, le Requérant lui-même ne prétend pas que ces pilotes ont
falsifié leurs dossiers de vol.
66.D'autre part, le Requérant et les deux autres pilotes sanctionnés ont été
accusés d'avoir falsifié des dossiers de vol. Il s'agissait d'une accusation
grave de faute professionnelle. Par conséquent, le Requérant se trouvait
dans une situation très différente de celle des pilotes qui ont omis
d’indiquer leurs heures PICUS dans leurs demandes de validation ou
qui ont indiqué des heures PICUS inférieures au minimum requis par
l'ANAC-Togo. Compte tenu du cohtexte, il n'y avait pas de base substantielle d’une égalité de traitement entre le Requérant et ces
pilotes. Au contraire, les personnes avec lesquelles le Requérant se
trouvait dans une situation similaire étaient les deux autres pilotes (M.
Av et le commandant de bord BbZ qui, selon l'ANAC-Togo,
avaient agi avec le Requérant dans le cadre d'un accord de falsification.
Comme les trois pilotes, dont le Requérant, ont été soumis à la même
procédure disciplinaire, la Cour estime que le Requérant n’a pas fait
l'objet d'un traitement sélectif ou différentiel injustifié. Pour ces raisons,
la Cour conclut que l’Etat défendeur n'a pas violé l'article 3 de la Charte
africaine.
(b)Violation alléguée du droit à un procès équitable et aux
garanties procédurales, contrairement à l'article 7 de la
Charte africaine
È Conclusions du Requérant
67.Premièrement, le Requérant soutient que l’Etat défendeur n'a pas
respecté plusieurs aspects des garanties procédurales de l'article 7 de la
Charte africaine sur le droit à un procès équitable au cours de la
procédure disciplinaire engagée contre lui. Il estime que l'infraction
exacte dont il est accusé est incertaine. Dans la lettre de l'ANAC-Togo
du 4 août 2021, le Requérant a été notifié qu'il est accusé de «
déclaration frauduleuse d'heures de vol pour l'obtention d'une licence
ATPL(A) ». Cependant, dans la convocation du 20 août 2021, il a été
invité à répondre à une accusation de « déclaration frauduleuse d'heures
de vol PICUS utilisées pour obtenir la validation togolaise de la licence ATPL(A) ». Il soutient que cette incertitude dans l'accusation jette un
doute sérieux sur la légalité de la procédure engagée contre lui.
68.Deuxièmement, le Requérant soutient que l'arrêté ministériel n°
033/2021/MTRAF du 29 juillet 2021 qui définit l’infraction et la
procédure disciplinaire à son encontre a été pris après que les
accusations aient été portées contre lui par l'ANAC-Togo. Par
conséquent, l'utilisation de cet arrêté ministériel comme base juridique
de la procédure disciplinaire équivaut à une application rétroactive de
la loi à son encontre, en violation de l'article 7 al. 2 de la Charte
africaine.
69.Enfin, le Requérant soutient que l'ANAC-Togo a décidé dès le départ
de le sanctionner avant même qu'une procédure ne soit engagée contre
lui. Ceci est confirmé par la lettre de l'ANAC-Togo du 11 mai 2021
adressée au Directeur Général d'ASKY dans laquelle elle indique
clairement qu'elle n'autoriserait plus le renouvellement du certificat de
validation de la licence étrangère du Requérant qui soutient que cette
mesure a violé son droit à la présomption d'innocence. Il soutient
qu'après la conclusion de la procédure disciplinaire, il a été sanctionné
de nouveau pour les mêmes faits, ce qui a entraîné une nouvelle
violation du principe ne bis in idem (règle contre la double
incrimination).
70.Pour ces raisons, le Requérant soutient que les mesures disciplinaires
prises à son encontre et les ganctions imposées ont violé les garanties
32 © É procédurales d'un procès équitable en vertu de l'article 7 de la Charte
africaine.
ii. Conclusions de l'Etat défendeur
71.L’Etat défendeur déclare que si l'article 7 de la Charte africaine garantit
la présomption d'innocence et la légalité des infractions et des peines,
la question à résoudre est de savoir si l’Etat défendeur a violé ces
garanties au cours de la procédure disciplinaire engagée contre le
Requérant. L'Etat défendeur soutient que la réponse à cette question est
négative.
72.Selon l’Etat défendeur, l'affirmation du Requérant selon laquelle
l'infraction dont il est accusé a été modifiée lorsqu'il a été officiellement
convoqué à la procédure disciplinaire, entraînant de l’incertitude, est
sans fondement. Elle repose sur une mauvaise interprétation du
Requérant des lettres datées du 4 août et du 20 août 2021, qui lui ont
été adressées concernant la procédure disciplinaire.
73.Selon l’Etat défendeur, la lettre du 4 août 2021 adressée au Requérant
indiquait qu'il était accusé de « déclaration frauduleuse d'heures de vol
pour l'obtention d'une licence ATPL(A) » alors que la lettre du 20 août
2021 le convoquant devant le conseil de discipline indiquait que
l'infraction était une « déclaration frauduleuse d'heures de vol PICUS
utilisées pour l’obtention de la validation togolaise d'une licence 74.L’Etat défendeur soutient que la lettre du 20 août 2021 a simplement
clarifié l'accusation et n'a pas modifié l'infraction comme le dit le
Requérant. L'élément essentiel de l'accusation, à savoir la déclaration
frauduleuse d'heures de vol, est resté inchangé tout au long de la
procédure. Par conséquent, c'est en raison de l'absence de motifs
juridiques sérieux pour contester la procédure disciplinaire que le
Requérant se fonde sur les termes de la lettre datée du 20 août 2021,
qui, en tout état de cause, décrit la même infraction que celle dont les
autres pilotes ont été accusés.
75.En réponse à l'allégation selon laquelle l'arrêté ministériel n°
033/2021/MTRAF du 29 juillet 2021 a été pris et appliqué
rétroactivement dans la procédure disciplinaire engagée contre le
Requérant, l’Etat défendeur soutient que l'arrêté, en tant que règle de
procédure, a été pris en vertu de l'article 189 du Code togolais de
l'aviation civile. En tant que règle de procédure, il est immédiatement
applicable à toutes les affaires, y compris celles qui sont pendantes à la
date à laquelle il a été pris. L’Etat défendeur déclare que les obligations
juridiques substantielles, pour lesquelles le Requérant a été accusé, sont
contenues dans des textes existants, à savoir le Code de l'aviation civile
et le Règlement aéronautique national togolais adopté par arrêté n°
016/MIT/CAB du 31 juillet 2015. Les sanctions pour leur violation sont
prévues à l'article 19 du Code de l'aviation civile. Par conséquent, ce
n'est pas l'arrêté ministériel n° 033/2021/MTRAF du 29 juillet 2021 qui
a imposé les obligations légales jhour lesquelles le Requérant a été
34 © Z sanctionné, mais plutôt le Code de l'aviation civile et le Règlement
national de l'aéronautique.
76.Par conséquent, l’Etat défendeur soutient que les infractions pour
lesquelles le Requérant a été jugé et les sanctions qui lui ont été
imposées sont légales et n'ont pas violé la règle de la non-rétroactivité.
77.L’Etat défendeur soutient en outre que le Requérant n'a pas été puni
deux fois pour la même infraction, comme il le prétend. Selon l’Etat
défendeur, la lettre du 11 mai 2021, par laquelle l'ANAC-Togo a
informé la compagnie ASKY qu'elle retirait temporairement le
certificat de validation délivré au Requérant et qu'elle ne renouvellerait
pas sa licence, n'imposait pas de sanction au Requérant. La lettre était
adressée à ASKY Airlines et non au Requérant. De plus, la lettre
indiquait clairement qu'une procédure disciplinaire serait engagée à son
encontre. Ce qui fut fait, et ce n'est qu'après la procédure disciplinaire
qu'une sanction lui a été directement imposée. Pour ces raisons, l’Etat
défendeur soutient qu'il n'a pas violé la règle contre la double
incrimination.
i. Analyse de la Cour
78. Sur cette question, la Cour commence par rappeler l’Article 7 de la
Charte africaine qui dispose :
(1) Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend: (a) le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et garantis par les conventions, les lois, règlements et coutumes en vigueur; (b) le droit à la présomption d'innocence, jusqu'à ce que sa (culpabilité soit établie par une juridiction
35 @ compétente; (c) le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix; d. le droit d'être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale.
(2) Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui ne constituait pas, au moment où elle a eu lieu, une infraction légalement punissable. Aucune peine ne peut être infligée si elle n'a pas été prévue au moment où l'infraction a été commise. La peine est personnelle et ne peut frapper que le délinquant.
79.Comme le montre le texte de la disposition, le droit à un procès
équitable est un ensemble de droits comprenant diverses garanties
matérielles et procédurales visant à assurer que la vie, la liberté, la
propriété ou d'autres droits fondamentaux de l'individu ne soient pas
restreints sans une procédure judiciaire légale, équitable et impartiale.
Ces protections s'appliquent non seulement aux procédures pénales,
mais aussi aux autres procédures concernant la détermination « des
droits et obligations d'une personne ». (Commission africaine,
Principes sur le droit à un procès équitable et à l'assistance judiciaire en
Afrique 2003, partie A (1)). En conséquence, dans l'affaire Al
Be Ap Y Aj c. Zimbabwe (2006) AHLR 128
(paragraphe 213), la Commission africaine a noté que « la protection
accordée par l'article 7 ne se limite pas à la protection des droits des
personnes arrêtées et détenues, mais englobe le droit de tout individu
de saisir les organes judiciaires compétents pour faire entendre sa cause
et se voir accorder une réparation adéquate ».
80.Dans une affaire plus récente, l’affaire Juge Thomas Masuku c.
Royaume du Swaziland (Comm 444/13, décision de juillet 2021), le
Requérant a invoqué l'article 7 de la Charte africaine pour contester la
procédure disciplinaire engagée contre lui en sa qualité de juge par le Conseil supérieur de la magistrature du Swaziland. La Commission
africaine a observé que « le droit à un procès équitable repose sur des
éléments clés, notamment le principe de l'égalité des armes pour les
parties à l'instance, qu'elle soit administrative, civile, pénale ou
militaire [..] pour préparer correctement leur défense, présenter des
arguments et des preuves et répondre aux arguments et aux preuves de
l'accusation ou de la partie défenderesse ». (Thomas Masuku c.
Swaziland, paragraphe 141). En conséquence, la Commission a conclu
que « les principes relatifs au droit à un procès équitable doivent être
observés et respectés dans la procédure disciplinaire du [Conseil
supérieur de la magistrature] » qui a jugé le Requérant (Ibid).
81.Dans cette affaire, qui porte également sur la contestation d'une
procédure disciplinaire, les garanties d'un procès équitable en question
sont les suivantes : (i) le droit d'un individu de recevoir une notification
adéquate d'une accusation afin de faciliter la préparation de sa défense
; (ü) la protection contre l'application rétroactive des lois ; et (iii) la
protection contre la double incrimination.
82.Le droit d'un Défendeur, que ce soit dans le cadre d'une procédure
pénale ou autre, de recevoir une notification adéquate des charges ou
des accusations portées contre lui est une garantie fondamentale d'un
procès équitable, ancrée dans les principes universellement reconnus de
justice naturelle. Cela garantit que le Défendeur peut se préparer de
manière adéquate pour se défendre (voir l’affaire Bu Ah c. Tanzanie (au fond) (2016) 1 AfCLR 599, para 158). Le concept de
notification adéquate ne concerne pas seulement le moment où les
accusations sont communiquées au Défendeur, mais aussi la clarté et la
spécificité des accusations pour la compréhension du Défendeur. Par
conséquent, si les accusations ne sont pas communiquées au Défendeur
avant la procédure, ou si elles sont communiquées tardivement, ou si
elles ne sont pas suffisamment claires ou précises pour lui permettre de
préparer sa défense, son droit à une notification adéquate aura été violé.
83.En l'espèce, le Requérant se plaint que, dans une lettre antérieure datée
du 4 août 2021, l'ANAC-Togo l'a accusé de « déclaration frauduleuse
d'heures de vol pour l'obtention d'une licence ATPL(A) » et l'a invité à
répondre par écrit. Cependant, dans la lettre datée du 20 août 2021 le
convoquant officiellement devant le Conseil de discipline, l'accusation
a été formulée comme suit : « déclaration frauduleuse d'heures de vol
PICUS utilisées pour l’obtention de la validation togolaise d'une
licence ATPL(A) ». Le Requérant se plaint que cela équivaut à une
nouvelle accusation quelques jours avant l'audience disciplinaire et
qu'il n'a pas eu le temps d'y répondre. D'autre part, l’Etat défendeur
soutient qu'il s'agissait simplement d'une clarification de l'accusation
initiale et que le Requérant a mal interprété la lettre du 20 août 2021.
84.La Cour note qu'en dépit de l'affirmation de l’Etat défendeur, la lettre
du 20 août 2021 convoquant le Requérant devant le Conseil de
discipline ne contenait aucune formulation visant à clarifier l'accusation
antérieure. Elle convoquait simplement le Requérant devant le Conseil de discipline et indiquait que l'accusation à laquelle il était censé
répondre était la suivante : « déclaration frauduleuse d’heures de vol
PICUS utilisées pour l’obtention de la validation togolaise d'une licence
ATPL(A) ». En substance, l'accusation précédente avait été modifiée,
mais n'avait pas été communiquée au Requérant jusqu'à ce qu'il reçoive
la convocation. La modification des chefs d'accusation ou
l'introduction de nouveaux chefs d'accusation sans que le Défendeur
n’en soit informé suffisamment tôt entraverait normalement sa capacité
de préparer sa défense et, par conséquent, violerait son droit à un procès
équitable. Toutefois, en l'espèce, la Cour estime que l’amendement n'a
pas introduit une accusation foncièrement nouvelle par rapport à
l’accusation précédente indiquée dans la lettre du 4 août 2021.
L'élément essentiel de déclaration frauduleuse d'heures de vol ou
d’heures PICUS demeure. Le seul changement était que l'accusation de
fraude concernait désormais la validation togolaise de la licence
ATPL(A) plutôt que l'obtention de la licence ATPL(A) en France. Ce
changement n'a pas obligé le Requérant à modifier radicalement sa
défense, puisque les mêmes preuves et arguments qu'il avait présentés
dans sa défense contre l'accusation précédente étaient nécessaires pour
sa défense contre l'accusation amendée. En outre, la procédure devait
se tenir dans deux semaines environ, le 8 septembre 2021, ce qui, de
l'avis de la Cour, laissait suffisamment de temps au Requérant pour
présenter une défense supplémentaire, le cas échéant. Ainsi, la Cour
estime que le préjudice résultant de l'amendement de l'accusation n’est
pas d'une gravité telle qu'elle justifie la constatation d'une violation du
droit du Requérant à une notification suffisante au sens de l'article 7
al.1 de la Charte africaine. @ 85.Sur la question de l'application rétroactive de l'arrêté ministériel n°
033/2021/MTRAF du 29 juillet 2021, la Cour commence par rappeler
l'article 7, al.2 de la Charte africaine, qui dispose pertinemment que :
« Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui ne
constituait pas, au moment où elle a eu lieu, une infraction légalement
punissable. Aucune peine ne peut être infligée si elle n'a pas été prévue
au moment où l'infraction a été commise ».
86.Comme la Cour l'a déjà établi conformément à la jurisprudence de la
Commission africaine, l'ensemble de l'article 7 de la Charte africaine, y
compris la protection contre la rétroactivité prévue à l’alinéa 2,
s'applique aux procédures administratives et disciplinaires qui ont des
conséquences punitives. Par conséquent, le mot « infraction » tel
qu'utilisé à l'article 7 alinéa 2 de la Charte africaine engloberait non
seulement les infractions pénales, mais aussi toute obligation ou tout
devoir légal dont la violation entraîne des conséquences punitives ou
disciplinaires pour un individu.
87.En l'espèce, le Requérant soutient qu'après que l'ANAC-Togo l’ait
accusé de déclaration frauduleuse des heures PICUS et l’ait informé
qu'il ferait l'objet d'une procédure disciplinaire, l'arrêté ministériel a été
pris par la suite pour mettre en œuvre l'infraction même dont il avait été
accusé, en violation de l'article 7(2) de la Charte africaine. L’Etat
défendeur a contrattaqué pour dire que l'arrêté ministériel est
simplement une règle de procédure adoptée pour mettre en œuvre les articles 19 et 189 du code de l'aviation civile de 2016. Comme il s'agit
simplement d’une règle de procédure, il est applicable au moment de sa
prise à toutes les affaires, y compris les affaires pendantes. Par
conséquent, l'application de l'arrêté ministériel à la procédure
disciplinaire du Requérant n'a pas violé la protection contre
l'application rétroactive des lois.
88.La Cour convient que la protection contre l'application rétroactive des
lois s'applique aux « dispositions définissant les infractions et les peines
qui les sanctionnent » et n'affecte pas, en principe, l'application
immédiate de la loi procédurale, y compris aux affaires pendantes.
(Voir Af c. Italie (n° 2), CEDH, APP N° 10249/03 (Grande
Chambre, 17 septembre 2009), para 110). Toutefois, le simple fait de
qualifier une loi de procédurale ne signifie pas qu'elle doit être acceptée
telle quelle, car les lois procédurales peuvent parfois contenir des
dispositions relatives à la définition des infractions ou des peines ou
avoir des effets qui renforcent la sévérité des peines imposées. (Voir
Af c. Italie (n° 2), paragraphes 111-113). Par conséquent, une
loi décrite comme purement procédurale peut ne pas l'être en réalité, ce
qui nécessite un examen minutieux dans chaque cas.
89.En l'espèce, l’Etat défendeur soutient que l'arrêté ministériel n°
033/2021/MTRAF du 29 juillet 2021 a été pris simplement pour
prescrire les procédures qui doivent régir les audiences du conseil de
discipline de l'ANAC en vertu des articles 19 et 189 du Code de
l'aviation civile de 2016. Cela laisse penser vraisemblablement que ces
41 @.
dispositions du Code de l'aviation civile avaient déjà défini les
infractions et les sanctions applicables au personnel aéronautique, dont
le Requérant, et que l'arrêté ministériel n'a été pris que pour prescrire
les procédures par lesquelles les audiences pour la détermination de la
responsabilité seront tenues.
90.Cependant, un examen de l'article 19 du code de l'aviation civile de
l’Etat défendeur révèle qu'il ne fait qu'énoncer les pouvoirs généraux
de l'ANAC-Togo, y compris son pouvoir d'imposer des sanctions
administratives au personnes physiques ou morales pour violation du
code ou d’autres règlements, comme le précise le paragraphe (f) de cet
article.
91.Le chapitre IV du Code, qui traite de la « discipline » du personnel et
des organisations aéronautiques, comporte trois articles : Les articles
188, 189 et 190. Comme l'article 19, l'article 188 réaffirme le pouvoir
général de l'ANAC-Togo d'imposer des sanctions disciplinaires au
personnel ou aux organismes aéronautiques violant le Code ou les
règlements pris en application de celui-ci. L'article 189, sur lequel l’Etat
défendeur se fonde fortement pour étayer son argumentation, dispose
qu'il existe un conseil de discipline de l'ANAC, qui est chargé de
constater les infractions et de formuler des recommandations en matière
de sanctions. L'article 189 prévoit en outre que la composition, la
compétence et les modalités de fonctionnement du conseil de discipline
ainsi que les sanctions qu'il peut appliquer sont fixées par le ministre en
charge de l'aviation civile. Enfin, l'article 190 traite du pouvoir du
Directeur général de l'ANAC-Togo d'imposer des suspensions provisoires en cas de suspicion d'infraction grave ou d'incapacité du
personnel aéronautique, en attendant les audiences du conseil de
discipline ou l'avis d'une commission médicale, selon le cas.
92.Ni l'article 19 ni aucune des dispositions du chapitre IV du code, y
compris l'article 189 cité par l’Etat défendeur, n'énoncent, et encore
moins ne définissent, de fautes disciplinaires particulières et ne
prévoient de sanctions pour celles-ci. Toutefois, il ressort du texte de
l'article 189 que le ministre en charge de l'aviation civile a le pouvoir
de définir de telles infractions et leurs sanctions dans une législation
subsidiaire. En outre, le ministre a le pouvoir de prévoir la composition,
la compétence et les modalités de fonctionnement du conseil de
discipline de l'ANAC-Togo. Il a exercé ce pouvoir en prenant l'arrêté
ministériel 05/MD-PR/ETPTIT/ANAC-TOGO du 12 février 2007, qui
était la loi applicable aux procédures disciplinaires du personnel
aéronautique au moment où le Requérant a été accusé d'avoir falsifié
son carnet de vol. Bien que les dispositions de cet arrêté ministériel
prévoient des sanctions que le conseil de discipline est compétent pour
imposer en vertu de l'article 11 de cet arrêté, elles ne précisent ni ne
définissent les infractions qui peuvent être jugées par le conseil.
93.11 semble que c’est cette lacune dans l'arrêté ministériel de 2007 qui a
motivé la prise du nouvel arrêté ministériel n° 033/2021/MTRAF du 29
juillet 2021, qui prévoit des infractions et des sanctions aux articles 25
et 26, respectivement. Les infractions prévues à l'article 25 du nouvel
arrêté ministériel comprennent « l'obtention d'une licence, d'une
qualification ou d'une autorisation en falsifiant les preuves présentées ;
43 © la falsification du carnet de vol ou des dossiers de licence ou
d'autorisation ; et la négligence professionnelle avérée ou l'utilisation
frauduleuse d'une licence ou d'une autorisation ». Ces infractions ne
sont précisées ni dans le Code de l'aviation civile ni dans l'arrêté
ministériel de 2007, ni au moment où le Requérant aurait falsifié son
carnet de vol, ni au moment de son accusation. En outre, elles ne
figurent pas dans le Règlement aéronautique national du Togo (RANT
01), en particulier dans les sections 1.A.015, 1.A.080(c)(S) et (d)(1), et
dans l'annexe 1(b)(5), comme indiqué dans la décision du conseil de
discipline.
94.A partir de cette analyse, la Cour partage l'avis du Requérant selon
lequel l'arrêté ministériel n° 033/2021/MTRAF du 29 juillet 2021 n'était
pas une simple loi procédurale adoptée pour réglementer la procédure
devant le conseil de discipline de l'ANAC-Togo. Il contenait en effet
des dispositions matérielles définissant les infractions et les sanctions,
l’amenant dans le champ d'application de la présomption contre
l'application rétroactive des lois. Ce qui est important ici, c'est que les
infractions ont été édictées après que des accusations aient été portées
contre le Requérant et que des procédures disciplinaires aient été
annoncées. Et elles comprenaient l’accusation même de falsification de
carnet de vol, portée contre le Requérant.
95.L'article 7 al. 2 de la Charte africaine dispose clairement que « nul ne
peut être condamné pour un acte ou une omission qui ne constituait pas
une infraction légalement punissable au moment où il a été commis » et que « aucune peine ne peut être infligée pour une infraction pour
laquelle aucune disposition n'était prévue au moment où elle a été
commise ». L'arrêté ministériel n° 033/2021/MTRAF du 29 juillet 2021
a défini et prescrit la sanction de l'infraction pour laquelle le Requérant
a fait l'objet d'une procédure disciplinaire et a été puni. Toutefois, cet
arrêté n'existait pas au moment où le Requérant a été accusé d'avoir
commis l'infraction. En outre, il n'existait même pas à la date à laquelle
il a été accusé de l'infraction pour la première fois en décembre 2020.
Par conséquent, la Cour estime que les mesures disciplinaires prises à
l'encontre du Requérant, y compris les accusations portées contre lui et
les sanctions imposées, en vertu de l'arrêté ministériel n°
033/2021/MTRAF du 29 juillet 2021, ont violé ses droits contrairement
à l'article 7(2) de la Charte africaine.
96.Ayant conclu que les mesures disciplinaires prises à l'encontre du
Requérant ont violé ses droits en vertu de l'article 7 al.2 de la Charte
africaine, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de trancher la
question subsidiaire de savoir si les sanctions imposées au Requérant
ont violé la protection contre la double incrimination.
(c) Violation alléguée du droit au travail contrairement à l'article 15 et à l'article 6(1) du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC)
i. Conclusions du Requérant
97.Le Requérant soutient que la compagnie ASKY a admis que les
exigences du PICUS togolais n'étaient pas systématiquement appliquées lorsque ses pilotes obtenaient des licences étrangères, ce qui
était le cas du Requérant. Elle a accepté la responsabilité de cette erreur
et a promis de prendre des mesures correctives pour l'avenir. Malgré
cela, l'ANAC-Togo a poursuivi ses mesures disciplinaires à l'encontre
du Requérant, ce qui a eu pour conséquence de le clouer au sol et de
l'empêcher de voler pendant environ 21 mois.
98.Même après que les autorités françaises aient mené leurs enquêtes et
conclu que le Requérant n'a pas obtenu sa licence ATPL(A) avec des
informations falsifiées, et que les autorités bissau-guinéennes aient
également affirmé la validité de la licence ATPL(A) qu'elles lui ont
délivrée, l'ANAC-Togo a maintenu sa position et ses sanctions à son
encontre. Ceci a finalement contraint ASKY à mettre fin à l'emploi du
Requérant en tant que pilote. Pour ces raisons, le Requérant soutient
que l’Etat défendeur a violé son droit au travail à travers les mesures
disciplinaires injustifiées de l'ANAC-Togo.
ü. Conclusions de l’Etat défendeur
99.L’Etat défendeur soutient que les articles 15 de la Charte africaine et 6
al.1 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels obligent les États parties, y compris l’Etat défendeur, à créer
un environnement favorable pour permettre à chaque individu d'exercer
son droit au travail. L’Etat défendeur soutient qu'il s'est acquitté de cette
obligation en prenant des mesures, notamment en adoptant son code du
travail, qui garantit à tous un travail satisfaisant et la protection de leurs
droits en matière d'emploi. Elle soutient que c'est grâce à ces mesures
s © que le Requérant, un étranger, a été embauché par ASKY Airlines et a
exercé ses droits au travail sans aucune entrave.
100. L'allégation du Requérant selon laquelle la fausse accusation de
l'ANAC-Togo concernant la déclaration frauduleuse des heures PICUS
et les mesures disciplinaires prises à son encontre ont conduit à son
licenciement, est sans fondement. Selon l’Etat défendeur, l'ANAC-
Togo, qui est l'autorité de régulation de l'aviation civile au Togo, a
constaté des divergences et des contradictions dans les heures de vol
déclarées par le Requérant. Cela a conduit à l'ouverture d'une procédure
disciplinaire et aux sanctions qui lui ont été imposées.
101. Comme l'infraction dont le Requérant a été accusé et les
sanctions qui lui ont été imposées sont prévues par des lois pertinentes,
il ne revient pas à la Cour de remettre en question de telles mesures
administratives prises au plan national par les Etats membres de la
Communauté. Les mesures prises à l'encontre du Requérant sont une
décision administrative dont le bien-fondé ou non ne relève pas de la
compétence de la Cour.
102. L’Etat défendeur soutient également que la décision n°
065/21/ANAC/DG du 20 septembre 2021 n'est qu'un retrait temporaire
du certificat de validation de la licence étrangère du Requérant pour
trois mois, sous réserve de conditions spécifiques, et non un retrait
définitif. En conséquence, le Requérant a la possibilité de reprendre le
programme PICUS comme spécifié dans la décision et de déposer une
nouvelle demande de validation de sh licence. Pour ces raisons, l’Etat défendeur soutient qu'il n'a pas violé le droit au travail du Requérant
contrairement à l'article 15 de la Charte africaine et à l'article 6(1) du
Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
iii. Analyse de la Cour
103. La Cour rappelle que le droit au travail impose généralement à
l'État l'obligation positive d'adopter des mesures législatives et autres
pour garantir que les individus puissent trouver un emploi et travailler
dans des conditions sûres et satisfaisantes. Toutefois, ce droit impose
également une obligation négative exigeant de l'État qu'il s'abstienne de
toute action susceptible d'entraver le droit des individus d’être
embauchés ou de gagner leur vie. En conséquence, dans l'affaire Ae
Bp Lid & Autre c. République de Aq Bv,
ECW/CCI/JUD/03/23 la Cour a jugé :
112. Pendant que le droit au travail a une composante positive en
termes d’obligation, obligeant l’Etat à prendre des mesures pour
s’assurer que les individus puissent trouver un emploi, à travail
égal, salaire égal, et qu’ils travaillent généralement dans des
conditions saines ou satisfaisantes, il a également une
composante négative en termes d’obligation qui exige que l’Etat
évite de prendre des mesures susceptibles de violer le droit des
individus au travail ou de gagner leur vie. L’aspect négatif du
droit en termes d’obligation est particulièrement important
lorsqu’il s’agit de l’auto-emploi et de l’entrepreneuriat. Comme
l’Etat n’a pas l’obligation juridique de donner du travail à un
individu sur demande, il s’en sit que l’Etat ne doit pas aussi être autorisé, par des mesures réglementaires ou administratives
arbitraires, à refuser de donner aux individus, l’opportunité de
gagner leur vie par des moyens honnêtes et légitimes.
104. Un fait de cette affaire, que le Requérant lui-même admet, est
qu'il y avait des écritures incohérentes dans son carnet de vol. Le
Requérant a expliqué qu'en raison de l'utilisation d'un carnet de vol
classique au lieu d'un carnet de vol électronique, les corrections qu'il a
apportées à son carnet de vol ont donné l'impression que ses heures
PICUS étaient gonflées. L’Etat défendeur, d’autre part, a insisté pour
dire que les incohérences ont l’air d’une falsification, justifiant une
enquête et l’engagement de procédures disciplinaires à son encontre.
105. La Cour observe que, compte tenu de la sensibilité du secteur de
l'aviation en termes de risques sécuritaires et de normes élevées de
sécurité requises, toute autorité de l'aviation civile responsable prendra
au sérieux un incident indiquant une faute ou un acte répréhensible de
la part d'un membre clé du personnel aéronautique tel qu'un pilote. Par
conséquent, compte tenu de la responsabilité de l'ANAC-Togo
d'assurer la sécurité aérienne, la Cour estime qu'elle doit faire preuve
de retenue dans sa décision de mener des enquêtes et d'engager des
procédures disciplinaires.
106. En l'espèce, la Cour a conclu que l’engagement de la procédure
disciplinaire en vertu de l'arrêté ministériel n° 033/2021/MTRAF du 29
juillet 2021 a violé l'article 7 al.2 de la Charte africaine. Cependant, il
ne s'ensuit pas, ipso facto, que l'ANAC-Togo pourrait ne pas avoir eu une base raisonnable qui justifierait en premier lieu des enquêtes sur le
Requérant et sa traduction devant le conseil de discipline. Aussi,
compte tenu de l'intérêt public substantiel à assurer la sécurité et la
sûreté de l'aviation civile, auquel il a été fait allusion précédemment, la
Cour estime que la décision de l'ANAC-Togo de ne pas renouveler le
certificat de validation du Requérant jusqu'à ce que la procédure
disciplinaire annoncée à son encontre arrive à son terme, est
raisonnable. En outre, la Cour observe que, bien que les mesures
disciplinaires, y compris les sanctions imposées, n'aient pas été prises
conformément à l'article 7 al. 2 de la Charte africaine, les sanctions ne
comprennent pas une instruction faite à ASKY de licencier le
Requérant. Il n'a pas non plus été démontré que la compagnie agissait
sous la direction ou le contrôle de l'ANAC-Togo lorsqu'elle a décidé
qu'il n'y avait plus de poste pour le Requérant en son sein.
107. La Cour reconnaît et réaffirme, comme indiqué ci-dessus, que
l’Etat défendeur et ses agences ont l'obligation de s'abstenir de prendre
des mesures réglementaires ou administratives arbitraires susceptibles
de porter atteinte au droit au travail d'un individu. Toutefois, au vu des
faits de la cause, la Cour estime que la décision d'enquêter ou d'engager
une procédure disciplinaire à l'encontre du Requérant n’est pas, en soi,
arbitraire ou illégale, malgré l'application ultérieure de l'arrêté
ministériel de 2021, qui a rendu les mesures disciplinaires illégales au
sens de l'article 7, al. 2 de la Charte africaine.
108. Pour ces raisons, la Cour estime que le lien entre le licenciement
du Requérant de la compagnie et la piolation alléguée de son droit au travail par l'Etat défendeur n'a pas été établi de manière convaincante.
En conséquence, la Cour conclut que l’Etat défendeur n'a pas violé le
droit au travail du Requérant contrairement à l'article 15 de la Charte
africaine ou à l'article 6(1) du Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels.
109. Toute violation du droit international par un Etat, y compris de
ses obligations en matière de droits de l’Homme, entraîne la
responsabilité de réparer intégralement le préjudice causé. Voir
l'affaire Factory at Chorzow (compétence) (Cour permanente de justice
internationale) [1927] PCII série A, n° 9, p. 21 ; et les Articles sur la
responsabilité de l'Etat pour fait internationalement illicite 2001, art.
31. La Cour dit que l’Etat défendeur a violé les droits du Requérant en
vertu de l'article 7(2) de la Charte africaine à travers les mesures
disciplinaires prises à son encontre par l'ANAC-Togo. Par conséquent,
la Cour examinera les réparations du préjudice par l’Etat défendeur.
110. Nul n’ignore que les réparations peuvent être faites sous forme
de restitution, d'indemnisation, de satisfaction ou de combinaison de
ces éléments. Outre les diverses déclarations demandées, le Requérant
demande, à titre de restitution, que la Cour ordonne à l’Etat défendeur
de lever toutes les sanctions illégalement prises à son encontre et de
rétablir la validation togolaise de sa licence ATPL(A). Il prie la Cour
de lui accorder 500 millions de francs CFA pour « l'énorme préjudice
matériel » subi du fait de la violation de ses droits, notamment son droit au travail. Enfin, il demande des dommages-intérêts généraux de 200
millions de francs CFA, ainsi que toute autre ordonnance que la Cour
jugera appropriée en l’espèce.
111. La Cour rappelle que les principes cardinaux qui régissent la
restitution sont que celle-ci peut être ordonnée pour rétablir le statu quo
ante, lorsqu'elle « n'est pas matériellement impossible ; et n’impose pas
une charge hors de toute proportion avec l’avantage qui dériverait de la
restitution plutôt que de l’indemnisation. » (Articles sur la
responsabilité de l'Etat pour fait internationalement illicite, 2001, art.
35). S’agissant du rétablissement de la validation togolaise de la
licence ATPL{A) du Requérant, la Cour prend bonne note du fait que
la dernière validation délivrée au Requérant devait expirer le 12 janvier
2021. Comme la validation de la licence est arrivée à expiration à la
date du présent arrêt, la Cour estime que son rétablissement ne peut être
ordonné. Au mieux, le Requérant ne peut que demander une nouvelle
validation. Dans ces circonstances, la demande du Requérant tendant
au rétablissement de la validation togolaise de sa licence ATPL(A) est
rejetée.
112. La Cour estime cependant que les mesures disciplinaires prises à
l'encontre du Requérant, à savoir les infractions dont il a été accusé et
les sanctions qui lui ont été imposées, en violation de l'article 7(2) de la
Charte africaine, ont encore des conséquences négatives sur la carrière
professionnelle du Requérant. Etant donné qu'il s'agit d'actes juridiques
réversibles, la Cour dit que l’Etat défendeur doit, par le moyen de son
choix, prendre des mesures pour révqquer immédiatement et effacer de ses registres officiels les mesures disciplinaires prises contre le
Requérant par l'ANAC-Togo.
113. LaCourse penche maintenant sur les 500 millions de francs CFA
demandés pour l’« énorme préjudice matériel » subi du fait des
violations des droits du Requérant, en particulier de son droit au travail.
Comme l’a dit la Cour, l’Etat défendeur n'a violé ni le droit du
Requérant à l'égalité et à une égale protection, ni son droit au travail.
Par conséquent, la seule possibilité d'indemnisation a trait à tout
dommage matériel résultant de la violation du droit du Requérant à un
procès équitable en vertu de l'article 7, al. 2 de la Charte africaine.
Cependant, le dommage matériel, de par sa nature, renvoie aux pertes
subies par une partie et qui peuvent être évaluées financièrement. Cela
suppose que la partie qui l'invoque le prouve de manière détaillée. En
l'espèce, le Requérant n'a apporté aucune preuve des pertes
financièrement évaluables qu'il a subies du fait des mesures
disciplinaires prises à son encontre. Pour cette raison, la Cour n'est pas
en mesure de lui accorder une indemnisation pour tout dommage
matériel allégué résultant de la violation de ses droits en vertu de
l'article 7, al. 2 de la Charte africaine.
114. S’agissant des dommages-intérêts généraux demandés, la Cour
rappelle qu'il lui appartient en dernier ressort d'exercer son pouvoir
discrétionnaire pour déterminer ce qui constitue une indemnisation
juste, étant donné qu'il n'existe généralement pas de critères décisifs
pour cela. Au regard des circonstances de la cause, la Cour estime que
la somme de 15 millions de Francs CFA constitue une compensation juste au titre des dommages-intérêts généraux pour les souffrances
endurées par le Requérant en raison des violations de ses droits en vertu
de l'article 7(2) de la Charte africaine.
115. La Cour n'accorde les autres demandes formulées par le
Requérant que dans la mesure indiquée dans le dispositif du présent
arrêt.
116. Conformément à l’Article 66(4) de son Règlement de procédure,
la Cour dit que chaque partie supporte ses propres dépens.
XII. DISPOSITIF
117. Par ces motifs la Cour, siégeant publiquement,
contradictoirement, après en avoir délibéré ;
De la compétence
i. Dit qu’elle est compétente pour connaître de la requête.
De la recevabilité
ii. Dit que la requête est recevable.
Au fond
iii. Déboute le Requérant de sa prétention tendant à dire que l’Etat
défendeur a violé son droit à l’égalité et à une égale protection
de la loi en vertu de l’Article 3,de la Charte africaine iv. Déboute le Requérant de sa prétention tendant à dire que l’Etat
défendeur a violé son droit au travail contrairement à l’Article 15
de la Charte africaine et à l’Article 6 (1) du Pacte international
relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC).
v. Déclare que l’Etat défendeur a violé le droit du Requérant à un
procès équitable en vertu de l’Article 7(2) de la Charte africaine
à travers les mesures disciplinaires prises à son encontre par
l’ANAC-Togo.
Sur les réparations
vi. Ordonne à l’Etat défendeur, par le moyen de son choix, et au plus
tard dans un délai de quatre mois pour compter de la date du
présent arrêt, de révoquer et d’effacer de ses registres officiels
les mesures disciplinaires prises contre le requérant en violation
de ses droits en vertu de l’Article 7(2) de la Charte africaine.
vii. Condamne l’Etat défendeur à payer au Requérant à titre de
dommages et intérêts généraux, la somme de 15 millions de
Francs CFA pour violation des droits du Requérant en vertu de
l’Article 7(2) de la Charte africaine.
viii. Déboute le Requérant en sa demande de rétablissement de la
validation togolaise de sa licence ATPL(A).
ix. — Rejette la demande d’ordonnance du Requérant, condamnant
l’Etat défendeur à lui payer la somme de 500 millions de FCFA
pour les dommages matériels énormes subis du fait des multiples
violations de ses droits, de l’interruption de sa carrière pendant
vingt-et-un mois environ et de la perte de son emploi.
x. … Dit que toutes les autres demandes formulées par les parties,
auxquelles il n’a pas été fait droit entièrement ou partiellement
dans le présent arrêt, sont rejetées.
Des dépens
xi. Dit que chaque partie supporte ses propres dépens.
Fait à Bd, le 6 juin 2024, en anglais et traduit en français et en portugais.
Hon. Juge Edward Amoako ASANTE
Président/Judge Rapporteur
Hon. Hon. Juge Juge Gberi-Bè Sengu M. B X en Chef)
ASSISTES DE:
Dr. Ab A (Greffier