COMMUNITY COURT OF JUSTICE, ECOWAS
+; COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE, CEDEAO
TRIBUNAL DE JUSTICA DA COMMUNIDADE, CEDEAO
Dans l'affaire
Ah AL X Y et 50 autres contre l’ETAT DE GUINEE
Requête N° : ECW/CCJ/APP/14/20 Arrêt N°. ECW/CCJ/JUD/18/24
ARRÊT
ABUJA
Le 06 juin 2024
AFFAIRE N° ECW/CCJ/APP/14/20
ARRÊT N° ECW/CCI/JUD/18/24
Ah AL X Y et 50 autres REQUERANTS
L’ETAT DE GUINEE DÉFENDEUR
Plot 1164 Am Ad Ao, Gudu District, Ak Aj.
COMPOSITION DE LA COUR :
Hon. Juge Edward Amoako ASANTE
Hon. Juge Gberi-bè OUATTARA
Hon. Juge Sengu M. AI
ASSISTES DE :Dr. Aa B
IL. REPRÉSENTATION DES PARTIES :
Maître DRAME Alpha Yaya
Avocat au Barreau de GUINEE
Maître Joachim GBILIMOU
Avocat au Barreau de GUINEE - Président
- Juge Rapporteur / Membre
- Membre
- Greffier en Chef
Avocat des requérants
Avocat du défendeur IL. ARRÊT DE LA COUR
Le présent arrêt est celui rendu par la Cour, en audience publique virtuelle
conformément à l’article 8 (1) des Instructions pratiques sur la gestion électronique
des affaires et les audiences virtuelles, de 2020.
II. DÉSIGNATION DES PARTIES
1. Les requérants Ah AL X Y et 50 autres sont tous de
nationalité guinéenne donc citoyens de la Communauté (ci-après dénommés « les
requérants »).
2. Le défendeur est l’Etat de Guinée, un Etat membre de la Communauté signataire
de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples ainsi que d’autres
instruments internationaux relatifs à la protection des droits de l’homme (ci-après
dénommé « le défendeur »).
IV. INTRODUCTION
3. La présente procédure a pour objet la constatation de la violation par l’Etat de
Guinée des droits fondamentaux des requérants à la suite de la répression des
manifestations qu’ils ont organisées pour s’opposer à la volonté du Président de la
République de briguer un troisième mandat. Répression au cours de laquelle les
forces de défense et de sécurité auraient fait usage de leurs armes à feu sur les
manifestants causant la mort de quarante (40) personnes et occasionnant des
blessures à soixante-dix (70) autres.
Le défendeur rejette ces allégations qu’il estime non fondées.
V. PROCÉDURE DEVANT LA COUR
4. Le 24 février 2020, Ah AL X Y et 50 autres ont déposé au
greffe de la Cour de céans, une requête introductive d’instance contre l’Etat de Guinée pour la violation de leurs droits fondamentaux. Cette requête a été notifiée à
l’Etat de Guinée le 04 mars 2020. (Pièces n° 1)
5. Le 04 mars 2020, les requérants ont déposé au greffe de la Cour, deux requêtes :
-l’une aux fins de procédure accélérée,
-l’autre aux fins de mesures provisoires.
Ces requêtes ont été signifiées au défendeur le même jour (Pièces n° 2 et 3).
6. Le 16 mars 2020, les requérants ont communiqué au greffe de la Cour une note
en cours de délibéré relativement à la demande de mesures provisoires qui a été
notifiée au défendeur le 23 mars 2020 (Pièce n°4).
7. Le 09 avril 2020, le défendeur a déposé au greffe de la Cour un mémoire en
défense. Ce mémoire en défense a été notifié aux requérants le 20 mai 2020. (Pièce
n°5).
8. A l’audience du 07 juillet 2021, les requérants étaient représentés par leur conseil.
Le défendeur était absent et non représenté par son conseil. L’Avocat des requérants
a adopté ses observations et plaidé l’affaire au fond.
9. L’affaire a été mise en délibéré pour arrêt être rendu le 17 novembre 2021.
Advenue cette date le délibéré a été prorogé.
VI. ARGUMENTATION DU REQUÉRANT
a) Exposé des faits
10- Par requête déposée au greffe de la Cour de céans le 24 février 2020, Ah
AL X Y et 50 autres ont saisi la Cour de Justice de la CEDEAO contre
l’Etat de Guinée, la Commission de la CEDEAO et les quatorze (14) autres Etats
membres de la CEDEAO pour violation des droits de l’homme.
Au soutien de leur requête, ils exposent que l’Etat de Guinée est plongé dans une
crise politique et sociale qui a fait plus de 160 morts, tous par balles, lors des
manifestations citoyennes.
11. Les requérants affirment qu’ils ont alerté à plusieurs reprises An Ae Aq
Z, le Président de la Commission de la CEDEAO, sur le coup d’État
constitutionnel qui se préparait en Guinée et sur les exactions commises sur la
population Guinéenne par les forces de défense et de sécurité.
12. Ils soutiennent que le 31 octobre 2018, ils ont saisi An Ae Aq Z, le
Président de la Commission d’une plainte, conformément aux dispositions des
articles 15 et 16 de l’Acte Additionnel A/SA.13/02/12 adopté à Abuja le 17 février
2012 (PIÈCE N° 2) et que par une seconde lettre en date du 17 octobre 2019, AL
X Y, Chef de fil de l’opposition Guinéenne a attiré l’attention de la
Commission sur les multiples cas de violation des droits de l’homme et la rupture de
l’ordre constitutionnel. (PIÈCE N° 3)
13. Ils font observer que cependant, le Président de la Commission de la CEDEAO
n’a donné aucune suite aux différentes plaintes dont il a été saisi. Au contraire, il
s’est contenté de publier un communiqué par lequel il présentait « ses condoléances
aux familles des victimes » et invitait les parties à la retenue. (PIÈCE N° 4)
Or, selon eux, la législation communautaire, notamment l’Acte Additionnel
A/SA.13/02/12, a prévu une procédure spéciale à suivre, lorsqu’il est saisi d’une
plainte pour violation des droits de l’homme ou d’une menace avérée de rupture de
l’ordre constitutionnel. (PIÈCE N° 5)
14. S’agissant du coup d’état constitutionnel auquel ils ont fait allusion, les
requérants relatent qu’en effet, Alpha CONDÉ, Président de la République de
Guinée, envisageait, à la fin de son second et dernier mandat, de modifier la
Constitution pour briguer un troisième mandat. Or, l’article 27 al. 2 de la
Constitution en vigueur dispose qu’« en aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux
mandats présidentiels, consécutifs ou non ». q { e 15. Les requérants expliquent que l’Article 154 de la Constitution consolide cette
restriction en précisant que : « La forme républicaine de ! ‘État, le principe de la
laïcité, le principe de l’unicité de l’État, le principe de la séparation et de l'équilibre
des pouvoirs, le pluralisme politique et syndical, le nombre et la durée des mandats
du Président de la République ne peuvent faire l’objet d’une révision ».
16- Ils soutiennent que la procédure de révision n’étant pas envisageable, le
Président Alpha CONDÉ a décidé d’adopter carrément une nouvelle Constitution,
alors que la loi fondamentale actuelle ne contient aucune disposition permettant une
telle démarche.
Dans cette perspective, le Président Alpha CONDÉ a indiqué publiquement, lors
d’une interview télévisée, que «s’il y a nouvelle constitution, il y a nouveau
mandat ». (PIÈCE N°6)
17. Les requérants rapportent que pour mener à bien son projet, le Président de la
République a entrepris de saboter tous les mécanismes juridiques et institutionnels
permettant l’équilibre des pouvoirs et qu’ainsi, malgré les injonctions formulées par
la Cour constitutionnelle, dans son Arrêt n° AC 04 du 8 février 2018, il a refusé
systématiquement de mettre en place la Haute Cour de justice. (PIÈCE N°7)
18. Les requérants allèguent en outre que le Président Alpha CONDE a contribué à
la révocation du Président de la Cour constitutionnelle, pour lui avoir conseillé, lors
de l’audience solennelle de sa prestation de serment, de ne pas « suivre les chemins
anti-démocratiques ». Ils estiment que cette révocation est intervenue en violation
des règles de procédure en la matière. (PIÈCE N°8)
19. Les requérants soutiennent par ailleurs que le Président de la République a
suspendu toutes les demandes d’autorisation d’existence de partis politiques
constitués par des personnes faisant partie de l’opposition républicaine et que pour
lui emboîter le pas, le ministre de l’Administration du Territoire a ordonné aux
Gouverneurs de Régions et aux Préfets d’interdire toute manifestation citoyenne
contre le projet de changement de constitution. (PIÈCE N°9) 20. Selon eux, Alpha CONDE, le Président de la République en personne, a
publiquement appelé les militants de son parti politique «à se préparer à
l'affrontement » (PIÈCE N°1) et qu’à cette fin, un sabotage systématique du système
électoral a été organisé à l’échelle nationale.
21. Ils ajoutent que conscient du fait que l’opinion publique lui est défavorable, le
Président de la République a fait obstruction à l’organisation des élections
législatives, dans les délais fixés par la loi.
22. Ils font valoir en effet que l’élection des députés à l’Assemblée nationale ayant
eu lieu depuis le 28 septembre 2013, de nouvelles élections auraient dû être
organisées le 28 septembre 2018 au plus tard (PIÈCE N° 11).
23. Ils affirment par ailleurs que concernant les élections organisées en 2018, à la
suite d’une médiation internationale, le Gouvernement a refusé de mettre en place
les conseils de quartiers, conformément à la volonté populaire exprimée dans les
urnes et que malgré l’arrêt de la Cour suprême, en date du 26 décembre 2019 faisant
injonction au Gouvernement de respecter le verdict des urnes, le Gouvernement a
refusé de mettre en place des exécutifs communaux et des conseils de quartier. La
décision de la Cour suprême n’a donc pas été exécutée. (PIÈCE N°12)
24. Ils relatent que par ailleurs, la révision récente du fichier électoral s’est
caractérisée par des manœuvres frauduleuses destinées à constituer artificiellement,
un électorat favorable au pouvoir en place.
25. Ils allèguent que dans les circonscriptions électorales présumées favorables au
pouvoir en place, les démembrements de la CENI ont procédé, avec préméditation,
à l’enrôlement de « mineurs », mais aussi « d'étrangers ». (PIÈCES N°13-A, N°13-
B, N°13-C, N°13-D, N°13-E, N°13-F, N°13-G) et que dans la Région de Kankan,
par exemple, les citoyens qui ont donné l’alerte sur l’enrôlement des mineurs en
prenant les premières images photos des manœuvres frauduleuses, ont été arrêtés et
détenus arbitrairement. (PIÈCE N°14) 26. Les requérants font savoir que c’est dans ces conditions que les organisations
de la société civile et les partis politiques de l’opposition ont constitué un « Front
National pour la Défense de la Constitution (FNDC) » et que dans le cadre de cette
action citoyenne, ils ont décidé d’organiser une série de manifestations pacifiques
pour exprimer leur opposition à la violation de la Loi fondamentale Guinéenne.
Malheureusement, les forces de défense et de sécurité (police, gendarmerie et armée
de terre) ont tiré à balles réelles sur les manifestants faisant 40 morts, principalement
des jeunes élèves et des lycéens et 70 blessés par balles dont 10 dans un état critique ;
(PIÈCE N°16-A, N°16-B et N°16-C)
27. Les requérants affirment que le 12 octobre 2019, soit deux jours avant la date
prévue pour les manifestations, plusieurs membres du FNDC et leurs familles ont
été arrêtés à leur domicile et mis en détention, du seul fait de leur appartenance à la
mobilisation citoyenne et que des policiers ont été filmés alors qu’ils tiraient à balles
réelles sur des manifestants mais qu’aucune enquête n’a été diligentée. (PIÈCES
N°17, N°18, N°19)
Ils affirment que les forces de sécurité entraient, sans aucun mandat judiciaire, dans
les maisons des citoyens et volaient tout ce qui a de la valeur et détruisaient le reste
du mobilier, y compris les ustensiles de cuisine et les véhicules automobiles des
habitants. (PIÈCE N°20) Ils brûlaient, sans raison, les commerces appartenant aux
habitants des quartiers considérés comme hostiles au projet de 3° mandat du
Président Alpha CONDÉ. (PIÈCE N°21)
28. Les requérants révèlent que le Président de la République a subordonné la
revalorisation des salaires des magistrats à l’engagement ferme des membres du
Conseil supérieur de la magistrature d’interdire aux juges de faire obstacle au projet
de changement de la Constitution et que cet accord conclu en fin novembre, s’est
traduit, immédiatement, par l’adoption d’un Décret n°321, le 5 décembre 2019, qui
revalorise à plus de 200 % le salaire des magistrats. (PIÈCE N°22) 29. Ils rapportent qu’en exécution de cet accord, tous leurs recours ont été
systématiquement rejetés sans examen comme ce fut le cas des exceptions
d’inconstitutionnalité qu’ils ont adressées à la Cour constitutionnelle en contestation
de l’article 632 alinéa 1” du Code pénal.
30. Les requérants avancent que lorsque l’exception d’inconstitutionnalité a été
transmise à la Cour constitutionnelle, les avocats n’ont pas pu présenter la défense
de leur client en audience publique devant ladite Cour.
Le Président de la Cour constitutionnelle, entièrement acquis au projet de troisième
mandat, a refusé l’accès des avocats au prétoire de la Cour pour défendre leurs
clients. Selon lui, en application des articles 47 et 48 de la loi organique
L/2011/06/CNT, la procédure devant la Cour Constitutionnelle n’est pas
contradictoire et les parties ne peuvent demander à y être entendues.
31. Estimant qu’ils sont en face d’une violation flagrante du droit à un procès
équitable, les requérants affirment qu’ils ont soulevé une deuxième exception
d’inconstitutionnalité sur le fondement du droit à un procès équitable prévu,
respectivement, aux articles 9 et 96 alinéa 4 de la Constitution (PIÈCES N°23, N°24)
et que ce recours a été purement et simplement rejeté au motif que les requérants
seraient irrecevables à soulever une exception d’inconstitutionnalité devant la Cour
constitutionnelle. (PIÈCES N°25)
Or, selon eux, l’article 96, aliéna 2 de la Constitution dispose clairement : « Tout
plaideur peut soulever l’exception d’inconstitutionnalité d’une loi devant toute
juridiction ». C’est ainsi que plusieurs organisations de protection des droits de
l’homme ont alerté la Communauté internationale et la CEDEAO sur les exactions
commises en Guinée. (PIÈCES N°26)
32. Les requérants estiment que dans ces conditions, ils n’ont plus d’autres choix
que de mettre en cause, la CEDEAO et ses États membres, en tant que garants
solidaires du respect des droits de l’homme, de l’État de droit et de l’ordre
constitutionnel dans la sous-région. “ 33. Ils saisissent donc la Cour de la CEDEAO pour :
- Mettre en cause la responsabilité de la CEDEAO et de ses Etats membres en
tant que garants solidaires du respect des droits de l’homme, de l’état de droit et de
l’ordre constitutionnel dans la sous-région.
- Constater les violations des droits fondamentaux des requérants commises
par l’Etat guinéen, notamment les assassinats et les destructions de biens privés
commis par les forces de défense et de sécurité ;
- Constater les violations par la CEDEAO, des règles communautaires
spécialement instituées pour garantir le respect des droits de l’homme, l’Etat de droit
et la préservation de l’ordre constitutionnel ;
- Dire et juger que la CEDEAO a manqué à son obligation de protection des
droits de l’homme, de préservation de l’ordre constitutionnel et des acquis
démocratiques ;
- Ordonner l’application effective des dispositions du Protocole A/SP1/12/01
sur la démocratie et l’Acte Additionnel A/SA.12/02/12 portant régime des sanctions
aux termes desquelles « les auteurs et complices de coup d’Etat, les autorités en
exercice qui tentent de se maintenir au pouvoir et d’empêcher toute possibilité
d’alternance en modifiant la Constitution ainsi que les acteurs et bénéficiaires de
tous changements anticonstitutionnels, ne peuvent se présenter à la magistrature
suprême de leurs Etats respectifs/ La Communauté et ses Etats membres ne
reconnaissent pas les gouvernements issus des prises de pouvoir par de tels
procédés » ;
- Dire et juger que tout amendement ou toute révision des constitutions ou des
instruments juridiques qui portent atteintes aux principes de l’alternance
démocratique sont interdits en application des articles 1” et 12 du Protocole
A/SP1/12/01 sur la démocratie et 23.5 de la Charte Africaine sur la Démocratie ;
- Dire et juger que le droit fondamental à la transition politique conformément à la
législation nationale et communautaire est garanti ;
- Condamner le défendeur au remboursement des frais d’Avocat et de procédure
d’un montant de cent million (100 000 000) de francs CFA à titre d’honoraire
d’Avocat et de sept million (7 000 000) de francs CFA à titre de frais de séjour sous
réserve des justificatifs qui seront produits, le tout, en application des dispositions
des articles 66 et 69 du Règlement de la Cour ainsi que l’allocation d’une indemnité
financière d’un dollar symbolique à titre de dommages et intérêts pour la réparation
du préjudice subi ou telle indemnisation que la Cour jugera juste et équitable pour
réparer le préjudice;
- Ordonner à l’Etat de Guinée de diligenter des enquêtes judiciaires afin d’identifier,
poursuivre et juger les auteurs des meurtres commis lors des manifestations ;
- Condamner le défendeur aux entiers dépens ;
b) moyens invoqués
34. Pour démontrer le bien-fondé de leur requête, Ah AL X Y et
autres invoquent les moyens de droit suivants :
-L’article 10 de la Constitution guinéenne ;
- L'article 23.5 de la Charte Africaine sur la Démocratie, des élections et de
la gouvernance ;
-L’article 4. (g) du Traité Révisé de la CEDEAO ;
- L’article 1% du Protocole A/SP1/12/01 sur la Démocratie et la bonne
Gouvernance ;
- L’article 2.2, 12 et 15 de l’Acte Additionnel A/SA.13/02/12 adopté à Abuja
le 17 février 2012 ; d - Les articles 8, 10 et 21 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme
- Les articles 14 et 25 du Pacte International relatif aux Droits Civils et
Politiques (PIDCP) ;
- Les articles 8, 9.2 et 11 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des
Peuples (CADFP) ;
c) Conclusions
35. Les requérants sollicitent qu’il plaise à la Cour :
- Réitérer l’interdiction prévue à l’article 12 de l’Acte Additionnel A/SA. 13/02/12
portant régime des sanctions ;
- Condamner le défendeur à leur payer la somme d’un dollar symbolique à titre de
dommages et intérêts en réparation des préjudices subis ;
- Condamner l’Etat de Guinée à leur rembourser les frais d’Avocat qu’ils évaluent à
cent million (100 000 000) de francs CFA ainsi que les frais de procédure qu’ils
chiffrent à deux million (2 000 000) de francs CFA ;
- Mettre les dépens à la charge du défendeur ;
VII. ARGUMENTATION DES DÉFENDEURS
a) Exposé des faits
36. Par les écritures de son conseil Maître Joachim GBILIMOU, avocat au Barreau
de Conakry, le défendeur expose que le Président Alpha CONDE ne peut, ni lui-
même, ni légalement encore moins matériellement changer la Constitution.
Il fait valoir qu’aucune preuve n’est rapportée pour démontrer que le Président de la
République a élaboré et adopté une Constitution pour l’imposer au peuple de Guinée.
= £ @ 37. Le défendeur relate que les demandeurs disent avoir organisé une série de
manifestations les 14, 15 et 16 octobre 2019 au cours desquelles les forces de sécurité
auraient tiré à balles réelles sur les manifestants faisant 40 morts et 70 blessés et que deux
jours avant ces manifestations, soit le 12 octobre 2019, plusieurs membres du FNDC ont
été arrêtés à leur domicile et que des policiers auraient été filmés alors qu’ils tiraient à
balles réelles sur des manifestants et qu’aucune enquête n’aurait été diligentée.
38. Il fait remarquer que contrairement à ces allégations, non seulement des procédures ont
été mises en œuvre relativement à toutes les infractions commises lors de ces
manifestations, mais aussi le concours de chacun a été sollicité pour découvrir le ou les
auteurs et complices, y compris les différents intervenants dans la chaine pénale.
39. Il affirme par ailleurs qu’il n’est ni démontré ni justifié que le Président de la
République ait conditionné la revalorisation des salaires des magistrats à l’engagement
ferme du Conseil Supérieur de la Magistrature d’interdire aux juges de faire obstacle au
projet de changement de constitution.
40. S’agissant de l’arrestation des membres du FNDC libérés depuis, le défendeur soutient
que cela fait l’objet d’une autre procédure devant la Cour de ce siège (Affaire N°
ECW/CCI/APP/38/19) et que c’est la preuve que la Justice n’est pas « une justice aux
ordres ».
41. Le défendeur sollicite qu’il plaise à la Cour, dire qu’il n’y a pas lieu à statuer sur les
prétentions de Ah AL X Y et autres pour défaut d’objet en ce que le
projet de constitution soumis au référendum le 22 mars 2020 a été adopté par le peuple de
Guinée à 89,76 %, validé par la Cour Constitutionnelle en son audience du 03 Avril 2020
et promulgué le 06 Avril 2020, d’une part, et d’autre part, les élections législatives prévues
ont également eu lieu à la même date du 22 mars 2020 et les résultats publiés par la
Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) ;
42. Subsidiairement, le défendeur prie la Cour de dire que les violations des droits de
l’Homme invoquées par monsieur Ah AL X Y et autres ne sont pas
établies à son égard ;
43. En conséquence, il sollicite que la Cour déboute les requérants de toutes leurs
demandes, fins et conclusions ;
Reconventionnellement, le défendeur sollicite que la Cour condamne solidairement les
requérants à lui payer le franc symbolique à titre de dommages-intérêts;
Sur le fondement des articles 21 de la DUDH, 25 du PIDCP et 13 de la Charte africaine
des droits de l’homme et 2.2 du Protocole A/SP1/12/01 sur la Démocratie et la Bonne
Gouvernance,
b) Moyens invoqués
44. Le défendeur invoque comme moyen de droit, les dispositions des articles 7.1 de
la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) ; 23.5 de la Charte
africaine sur la démocratie ; 1 et 12 du Protocole A/SP1/12/01 sur la Démocratie et la
bonne gouvernance ; 2.2 de l’Acte Additionnel A/SA.13/02/12 ; 8, 10 et 21 de la
Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) 14 et 25 du Pacte International
relatif aux Droits Civils et Politiques (PIDCP).
c) Conclusion
45. L’Etat défendeur sollicite qu’il plaise à la Cour, déclarer les requérants mal
fondés en leur requête et les en débouter puis les condamner reconventionnellement
à lui payer le franc symbolique à titre de dommages et intérêt.
46. Par arrêt avant dire droit du 19 mars 2020, la Cour de ce siège s’est déjà déclarée
compétente pour connaître de cette affaire. Il y a donc lieu de s’en tenir à cette IX. RECEVABILITÉ
47. La Cour de ce siège a, par l’arrêt suscité du 19 mars 2020, déclaré irrecevable la requête telle qu’elle est dirigée contre la CEDEAO et contre chacun des 14 autres Etats membres de la CEDEAO pour défaut de qualité pour agir dans la mesure où les faits allégués se rapportent à des manquements des Etats à leurs obligations dont l’action en vue de leur constatation et sanction ne peut être portée devant la Cour par les requérants en application de l’article 10-a du Protocole additionnel de 2005.
Par contre, elle a déclaré la requête recevable telle qu’elle est dirigée contre la République de Guinée.
X PROCEDURE DEVANT LA COUR
1) SUR LA DEMANDE DE MESURES PROVISOIRES.
48. Par son arrêt avant dire droit daté du 19 mars 2020, la Cour de céans a estimé
que la demande de mesures provisoires est désormais sans objet.
2) SUR LA DEMANDE D’ADMISSION DE LA PRESENTE AFFAIRE A
LA PROCEDURE ACCELEREE.
49. Par l’arrêt suscité en date du 19 mars 2020, la Cour a soumis la présente affaire
à la procédure accélérée.
XI _ SUR LE FOND DE L’AFFAIRE
50. Les requérants invoquent la violation par l’Etat de Guinée de leur droit au respect
de l’ordre constitutionnel et de leur droit à une alternance politique conforme à la loi
(D), la violation de leur droit de participer aux élections (IT), la violation de la liberté
de réunion et de manifestation pacifique (IIT), la violation de leur droit à un recours
effectif (IV) et sollicitent que la Cour de Céans le condamne à leur payer le dollar
symbolique à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu’ils auraient Reconventionnellement, l’Etat défendeur sollicite la condamnation des requérants à
lui payer le franc symbolique à titre de dommages et intérêts (VI).
I SUR LA VIOLATION DU DROIT AU RESPECT DE L’ORDRE
CONSTITUTIONNEL ET DU DROIT A UNE ALTERNANCE POLITIQUE
51. Les requérants soutiennent que le Président Alpha CONDÉ qui exerce son
deuxième et dernier mandat, a annoncé sa volonté de changer la Constitution en
vigueur et que le changement de l’ordre constitutionnel a pour but de supprimer la
limitation du nombre de mandats fixée par l’article 27 de la Constitution pour lui
permettre de briguer un troisième mandat.
52. Ils expliquent que pour y parvenir, le gouvernement a neutralisé tous les
instruments de contre-pouvoir institués par la Constitution de 2010 et refuse de
recourir à la procédure de révision prévue par la Constitution (Articles 154 et
suivants). Il envisage un changement de Constitution, alors qu’aucune procédure de
cette nature n’existe dans l’ordre constitutionnel actuel.
53. Ils affirment que la révision récente du fichier électoral s’est caractérisée par des
manœuvres frauduleuses destinées à constituer, artificiellement, un électorat
favorable aux ambitions du Président Alpha CONDÉ, Président de la République en
exercice.
54. Les requérants rapportent que dans les localités présumées favorables au pouvoir
en place, les démembrements de la CENI ont procédé, avec préméditation, à
l’enrôlement de « mineurs », et « d'étrangers » et qu’à l’inverse, dans les localités
considérées comme favorables à l’opposition, les autorités administratives ont
manœuvré pour empêcher l’enrôlement effectif des citoyens dans leurs
circonscriptions respectives.
55. Ils font savoir que toute opposition au projet de changement de Constitution est
muselée par des vagues d’arrestations et de meurtres qui montrent qu’une véritable
politique de terreur est instaurée pour étouffer toute voix dissidente.
56. Selon les requérants, le Président Alpha CONDE est conscient, qu’en proposant
un changement de Constitution pour faire échec à la limitation du nombre de
mandats au mépris des dispositions de l’article 154 de la Constitution, il viole son
serment de « respecter et faire respecter scrupuleusement les dispositions de la
Constitution » et commet par conséquent un acte de parjure manifeste susceptible
de mettre en cause sa responsabilité juridique devant la Haute Cour de justice. C’est
pour cette raison, disent-ils, qu’il a toujours refusé de mettre en place la Haute Cour
de justice.
57. Ils font valoir qu’en effet, l’article 119 de la Constitution en vigueur dispose
clairement qu’« 7 y a haute transition lorsque le Président de la République a violé
son serment, les arrêts de la Cour constitutionnelle, et reconnu auteur, coauteur, ou
complice des violations graves et caractérisées des droits humains, de cession d’une
partie du territoire national, ou d'actes attentatoires ou maintien d’un
environnement saint, durable et favorable au développement ».
58. Les requérants soulignent enfin que toutes ces manœuvres ont pour but de
faciliter la réalisation du projet de changement de constitution pour permettre au
Président en exercice de briguer un troisième mandat. Or, en application de
dispositions, d’une part, des articles 1" et 12 du Protocole A/SP1/12/01 sur la
Démocratie et d’autre part, de l’article 23.5 de la Charte Africaine sur la
Démocratie : « Tout amendement ou toute révision des Constitutions ou des
instruments juridiques qui porte atteinte aux principes de l'alternance démocratique
» sont interdits.
59. Les requérants estiment en conséquence qu’ils sont fondés à soutenir que leur
droit au respect de l’ordre constitutionnel de leur pays et leur droit à une alternance
politique conforme à la loi ont été violés. 17 d ; “ © 60. Le défendeur rétorque que s’il est vrai que les textes dont la violation est
invoquée sont consacrés et garantis par les instruments juridiques internationaux
auxquels il a adhéré et ratifiés, y compris les textes de la Communauté, il n’est pas
moins vrai que l’effectivité de leur violation par lui n’est pas établie, contrairement
aux affirmations des requérants puisque les motifs allégués pour les justifier sont
tous inexacts.
Or, pour invoquer la violation d’un droit de l’homme, il ne suffit pas d’alléguer ce
droit et indiquer le texte de loi qui le consacre ou le garantit, mais de démontrer en
quoi et comment ce droit a été violé par l’Etat contre lequel la plainte est déposée.
61. Le défendeur estime que tel n’est pas le cas en l’espèce car au regard de l’article
23.5 de la Charte Africaine sur la Démocratie, est considéré comme changement
anticonstitutionnel de gouvernement, passible de sanctions appropriées de la part de
l’Union, « Tout amendement ou toute révision des Constitutions ou des instruments
juridiques qui porte atteinte aux principes de l'alternance démocratique ».
62. Il affirme qu’en l’espèce, aucun amendement, aucune révision constitutionnelle
ou d’instruments juridiques n’a eu pour effet de porter atteinte aux principes de
l’alternance démocratique puisque la possibilité d’alternance reste ouverte à tous,
dans les conditions fixées par la loi.
63. Le défendeur fait remarquer que le régime d'alternance se caractérise par la
possibilité effectivement offerte aux électeurs, à intervalle plus ou moins régulier,
de faire une élection. C'est le fait que l'alternance soit possible, et non pas sa
survenue effective, qui permet de parler de régime d’alternance ».
64. Il fait valoir que les dernières élections législatives organisées en Guinée sont
intervenues en application des dispositions de l’article 2.2 du Protocole A/SP1/12/01
sur la Démocratie et la Bonne Gouvernance et que cette violation devenue désormais
sans objet ne peut être désormais invoquée, les élections législatives ayant eu lieu le
22 mars 2020 surtout que , selon lui, aucun texte législatif guinéen ne fait obstacle à une telle alternance dès lors que chaque candidat de partis politiques, aussi bien de
l’opposition que de la mouvance présidentielle peut se présenter à toutes les élections
et ce, de façon inclusive et sans discrimination.
65. Le défendeur fait observer que les requérants se contentent d’affirmer sans
rapporter la preuve de l’atteinte portée au principe de l’alternance démocratique,
alors qu’aucun texte antérieur le consacrant n’a été supprimé.
66. Il conclut que la réforme constitutionnelle intervenue par voie référendaire est
conforme aux dispositions de l’article 152 de la Constitution du 07 mai 2010 et jugée
non contraire à celle-ci par la Cour Constitutionnelle de Guinée dès lors que cette
nouvelle Constitution adoptée par le peuple le 22 mars 2020, validée par la Cour
Constitutionnelle de Guinée le 03 Avril 2020 et promulguée par Décret du Président
de Ja République le 06 avril 2020 renferme tous les principes juridiques qui
garantissent les droits et libertés fondamentaux, y compris l’alternance démocratique
par voie d’élections.
67. S’agissant du fichier électoral, le défendeur prie la juridiction communautaire de
relever, comme elle l’a fait dans son Arrêt n° ECW/CCI/RUL/05/20 sur les mesures
provisoires et la soumission du dossier à la procédure accélérée, que suite aux
différentes plaintes et réclamations de certains partis de l’opposition et de quelques
organisations de la société civile, la Commission de la CEDEAO a réussi à faire
reporter les élections initialement prévues le 1° mars 2020 et à envoyer sur place à
Conakry un comité d’experts qui a analysé la liste électorale et exigé le retrait de
cette liste de 2.438.992 électeurs dépourvus de pièce d’identité.
68. Au demeurant, il fait valoir que ces recommandations ayant été non seulement
acceptées, mais aussi mises en application par le retrait effectif de ces cas sur la liste
électorale, ce grief est devenu sans objet puisque les requérants eux-mêmes ont
communiqué les recommandations de la CEDEAO à l’audience de la Cour, lors des
plaidoiries à l’audience du 12 mars 2020.
69. Concernant la mise en place de la Haute Cour de Justice, le défendeur fait
remarquer qu’ainsi qu’il ressort de l’Arrêt n° AC 04 du 08 février 2018 produit au
dossier, les requérants qui sont des députés auraient pu introduire une proposition de
loi dans ce sens puisque l’initiative de la loi appartient concurremment au pouvoir
exécutif et au pouvoir législatif.
Il estime en conséquence qu’ils ne peuvent pas se prévaloir de leur propre turpitude.
70. Le défendeur affirme par ailleurs que la soumission de la revalorisation des
salaires des magistrats à l’engagement ferme des membres du Conseil Supérieur de
la Magistrature d’interdire aux juges de faire obstacle au projet de changement de la
Constitution n’est en réalité qu’une grave contrevérité puisque les requérants ne
rapportent aucune preuve de cette allégation.
Il conclut alors qu’en l’espèce, aucun ordre constitutionnel ou droit à alternance
politique des demandeurs n’a été violé.
ANALYSE DE LA COUR
71. La Cour note qu’il ressort des pièces du dossier qu’alors qu’il exerçait son
deuxième et dernier mandat présidentiel successif, le Président de la République de
Guinée a entrepris de doter son pays d’une nouvelle Constitution en vue de briguer
un troisième mandat au mépris des dispositions pertinentes de l’article 27 de la
Constitution en vigueur aux termes desquelles, « En aucun cas, nul ne peut exercer
plus de deux mandats présidentiels, consécutifs ou non ». Ce nouveau projet de
Constitution qui a été adopté le 22 mars 2020, supprime l’impossibilité pour
quiconque d’exercer plus de deux mandats présidentiels consécutifs ou non et fait
passer de 5 à 6 ans, renouvelable une fois, la durée du mandat du Président de la
République. En effet, l’article 40 de cette nouvelle Constitution dispose que « Le
Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de
six (6) ans, renouvelable une fois ».
72. La Cour fait observer que cette nouvelle Constitution permet au Président de la
République de se maintenir au pouvoir après avoir exercé deux mandats
présidentiels successifs. Ce qui viole les principes de l’alternance démocratique
prévus par l’article 23.5 de la Charte Africaine sur la Démocratie, des Elections et de
la Gouvernance qui dispose que : « Les Efats parties conviennent que l’utilisation,
entre autres, des moyens ci-après pour accéder ou se maintenir au pouvoir constitue
un changement anticonstitutionnel de gouvernement et est passible de sanctions
appropriées de la part de l’Union Tout amendement ou toute révision des
Constitutions ou des instruments juridiques qui porte atteinte aux principes de
l’alternance démocratique. »
La Cour estime en conséquence que la Constitution du 7 mai 2010 ne peut pas être
révisée de façon intégrale du fait de la restriction prévue à son article 27.
73. La Cour rappelle en effet qu’une nouvelle Constitution ne peut être envisagée
que dans deux hypothèses : Soit l’Etat n’est régi par aucune Constitution parce qu’il
est nouveau, qu’il n’en a jamais eu, soit que la Constitution a été suspendue ou
abrogée à la suite d’une situation de fait extraconstitutionnelle.
L’Etat de Guinée étant régi par la Constitution du 7 mai 2010, l’adoption d’une
nouvelle Constitution ne peut donc être envisagée que par la révision intégrale de
ladite loi fondamentale ; ce qui est par ailleurs impossible du fait des restrictions
imposées par l’article 27 de la Constitution. Un tel changement ne peut qu’être
anticonstitutionnel. Or il ressort des dispositions de l’article 1% du Protocole
A/SP1/12/01 sur la Démocratie et la bonne Gouvernance que : « Tout changement
anticonstitutionnel est interdit de même que tout mode non démocratique
d’accession ou de maintien au pouvoir ».
La Cour conclut que le défendeur a violé le droit au respect de l’ordre constitutionnel
et le droit à une alternance politique.
II SUR LA VIOLATION DU DROIT DE PARTICIPER AUX ELECTIONS
74. Les requérants rappellent que le dernier renouvellement des membres de
l’Assemblée nationale a eu lieu le 28 septembre 2013. Il en résulte, selon eux, que
de nouvelles élections auraient dû être organisées le 28 septembre 2018 au plus tard.
75. En outre, ils allèguent que les autorités Guinéennes ont volontairement vicié la
procédure d’enrôlement des citoyens sur les listes électorales. Ainsi, dans les régions
favorables au parti au pouvoir, les mineurs et les étrangers ont été enrôlés sur les
listes électorales. Ils affirment que divers constats d’huissier, de photos et de vidéos
établissent formellement ces faits. À l’inverse, dans les localités considérées comme
favorables à l’opposition, tout a été fait pour restreindre, voire empêcher
l’enrôlement des citoyens.
76. Les requérants s’estiment donc fondés à soutenir qu’ils ont subi une violation de
leurs droits consacrés par les articles 21 de la DUDH, 25 du PIDCP, 13 de la Charte
Africaine des droits de l’homme, 2.2 et 5 du Protocole A/SP1/12/01 sur la
Démocratie notamment le droit de prendre part à la direction des affaires publiques
de son pays.
77. Le défendeur affirme que les moyens soulevés par les requérants doivent être
rejetés comme étant mal fondés car au regard de l’évolution de la situation politique
en Guinée, la question relative à l’enrôlement des électeurs sur les listes électorales,
à l’organisation et à la tenue des élections législatives en considération de l’arrivée
du terme de la dernière législature le 28 septembre 2018, n’est plus d’actualité dans
la mesure où lesdites élections législatives ont eu lieu après correction de la liste
électorale, sur les recommandations des experts de la CEDEAO.
78. Il prie dès lors la Cour de constater que l’action des requérants est devenue sans
objet et qu’en conséquence, il échet de dire qu’il n’y a plus lieu à statuer faute d’objet
en application de l’article 88-2 du Règlement de procédure de la Cour.
79. Le défendeur ajoute que les textes de loi susvisés et dont la violation est alléguée
ne peuvent, en l’espèce, recevoir application car tous les instruments juridiques
invoqués visent à permettre à chaque citoyen remplissant les conditions requises de
prendre part aux différentes élections, soit à titre individuel, soit par voie de
représentation, comme électeur ou éligible. Or, les demandeurs n’ont jamais été
écartés ou empêchés de prendre part à des élections, l’Etat Guinéen ayant toujours
organisé des élections qui ont connu la participation de tous.
80. Il fait savoir qu’aucun citoyen ou parti politique remplissant les conditions
requises n’a été écarté du processus électoral, encore moins interdit de prendre part
à une quelconque élection.
81. Il fait encore valoir que les requérants ne rapportent pas la preuve de leurs
allégations et ne donnent aucune indication relative aux élections auxquelles leur
droit d’y participer aurait été violé.
82. Il articule qu’en outre, l’intervention des experts de la CEDEAO a permis d’avoir
un fichier électoral fiable ne faisant désormais l’objet d’aucune contestation sérieuse
ou valable.
Il conclut au rejet de ce moyen comme étant mal fondé.
ANALYSE DE LA COUR
83. La Cour souligne que les élections sont au cœur de la démocratie et demeurent
le principal moyen d’exercer son droit de participer aux affaires publiques de son
pays.
84. La participation des citoyens aux affaires publiques de leur pays favorise la
promotion de tous les droits de l’homme. Elle joue un rôle essentiel dans la
promotion de la démocratie, de l’état de droit, de l’inclusion sociale et du
développement économique. Elle est indispensable pour réduire les inégalités et le conflit social. Elle est également importante pour l’autonomisation des personnes et
des groupes de personnes car elle est l’un des éléments prépondérants des approches
fondées sur les droits de l’homme qui visent à éliminer la marginalisation et la
discrimination.
85. La Cour relève qu’en application des articles 21 de la DUDH, 25 du PIDCP et
13 de la CADHP, « Toute personne a le droit de prendre part à la direction des
affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de
représentants librement choisis. Toute personne a droit à accéder, dans des
conditions d’égalité, aux fonctions publiques de son pays »
86. En l’espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier, notamment des déclarations
des requérants que leurs dossiers de candidature aux élections ont été rejetés sans
raison.
Ils se contentent d’invoquer, entre autres, les dispositions de l’article 5 du Protocole
sur la Démocratie qui dispose que « /es listes électorales seront établies de manière
transparentes et fiable avec la participation des partis politiques et des électeurs qui
peuvent les consulter en tant que de besoin » pour estimer que le défendeur a violé
leur droit de participer aux élections.
87. La Cour fait observer qu’il ressort du dossier de la procédure, notamment des
déclarations non contestées du défendeur qu’à la suite de différentes plaintes et
réclamations de certains partis politiques et des organisations de la société civile, la
Commission de la CEDEAO, au terme d’une expertise de la liste électorale, a exigé
le retrait de cette liste, de 2.438.992 électeurs dépourvus de pièce d’identité. Cette
exigence ayant été satisfaite par le défendeur, les requérants sont mal fondés à
soutenir que leur droit de participer aux élections a été violé par le défendeur.
La Cour juge en conséquence que le défendeur n’a pas violé le droit des requérants
de participer aux élections.
III SUR LA VIOLATION DE LA LIBERTE DE REUNION ET DE
MANIFESTATION PACIFIQUE
88. Les requérants articulent que la liberté de réunion et de manifestation pacifique
est consacrée par les dispositions des articles 1 c) - du Protocole A/SP1/12/01 sur
la Démocratie, 8, 9.2 et 11 de la Charte Africaine des droits de l’Homme et des
Peuples et 10 de la Constitution Guinéenne.
89. Ils avancent qu’alors qu’aux termes de l’article 8 de la CADHP, « … nul ne peut
faire l’objet de mesures de contrainte visant à restreindre la manifestation de ces
libertés », certains requérants, notamment Ac AO, Al
AJ, Af Y, As Ab AP, Ah Ai
Au, Ah AO, Ag A, Ah At C ont été
arbitrairement arrêtés à leur domicile du seul fait d’avoir appelé à manifester
pacifiquement contre le projet d’adoption d’une nouvelle Constitution.
90. Ils ont tous été condamnés par le tribunal correctionnel sur le fondement de
l’article 632 alinéa 1” du Code pénal qui dispose : « Toute provocation directe à un
attroupement non armé, soit par des cris ou discours publics, soit par des écrits
affichés ou distribués, soit par tout autre moyen de transmission de l'écrit, de la
parole ou de l’image est punie d’un emprisonnement de 1! mois à 1 an, si elle a été
suivie d’effet et, dans le cas contraire, d’un emprisonnement de 2 à 6 mois et d’une
amende de 500.000 à 1.000.000 de francs guinéens ou de l’une de ces deux peines
seulement ».
91. Ces dispositions ne font aucune référence à l’existence d’un trouble à l’ordre
public, de sorte que n’importe quel regroupement de personnes non armé, donc
pacifique, peut justifier une condamnation à une peine privative de liberté.
Un simple attroupement pour célébrer un mariage, un baptême, une fête peut justifier
une arrestation et une condamnation même si elle se déroule à l’intérieur du domicile
des personnes privées.
92. Le défendeur fait remarquer qu’estimant que leur arrestation et leur jugement consécutifs à
leur appel à manifester du 07 octobre 2019 sont arbitraires, les requérants, tous membres d’une
structure informelle dénommée Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC), ont
saisi la Cour de Justice de la CEDEAO d’une plainte contre lui pour ces faits et que cette plainte
fait l’objet du dossier Affaire N° ECW/CCJ/APP/38/19. En conséquence, le défendeur sollicite
que la Cour déclare cette demande mal fondée.
ANALYSE DE LA COUR
93. La Cour note que manifester fait partie des moyens d'expression collective
traditionnels dans la vie politique et sociale. La manifestation est reconnue comme
une liberté fondamentale. Ainsi, aux termes de l’article 8 de la Charte Africaine des
Droits de l’Homme, « ….nul ne peut faire l’objet de mesures de contrainte visant à
restreindre la manifestation de ces libertés ». Néanmoins, pour prévenir les troubles
de l'ordre public, une manifestation doit être déclarée. Cette déclaration préalable
précise notamment le parcours de la manifestation et identifie les organisateurs.
94. En l’espèce, il ressort des pièces de la procédure que certains requérants ont été
arrêtés à leur domicile du seul fait qu’ils ont appelé à manifester pacifiquement
contre le projet de constitution. Ils ont été condamnés sur le fondement de l’article
632 alinéa 1 du code pénal qui dispose « Toute provocation directe à un
attroupement non armé, soit par des cris ou discours publics, soit par des écrits
affichés ou distribués, soit par tout autre moyen de transmission de l'écrit, de la
parole ou de l’image est punie d’un emprisonnement de 1! mois à 1 an, si elle a été
suivie d’effet, dans le cas contraire, d’un emprisonnement de 2 à 6 mois et d’une
26 $ © amende de 500.000 à 1.000.000 de francs guinéens ou de l’une de ces deux peines
seulement ».
La Cour relève que cette disposition du code pénal guinéen n’est pas compatible
avec l’article 11 de la Charte qui, quant à lui, dispose que : « Toute personne a le
droit de se réunir librement avec d’autres. Ce droit s’exerce sous la seule réserve
des restrictions nécessaires édictées par les lois et règlements, notamment pour
garantir la sécurité nationale, assurer la sûreté d'autrui, protéger la santé, protéger
des droits et libertés des personnes ».
95. En l’espèce les personnes arrêtées sont poursuivies et condamnées pour avoir
exercé un droit qui est non seulement constitutionnel mais reconnu par les
instruments internationaux de protection des droits de l’homme ratifiés par la
République de Guinée.
La décision de justice qui en fait application dans ces circonstances est en elle-même
attentatoire aux droits des requérants qui en ont fait l’objet.
96. C’est ce qui ressort de la jurisprudence de la Cour de ce siège. Ainsi, dans
l’affaire ECW/CCI/JUD/11/16 Ap Ah et Autres c La République du
Mali en date du 17 mai 2016 la Cour a jugé que : « lorsqu’une décision de justice
est, en elle-même attentatoire aux droits de l’homme, il va de soi que le juge
communautaire, qui a reçu mandat de protéger les droits des citoyens de la
communauté, ne saurait avoir d’autres choix que d’intervenir et dénoncer cette
violation ; qu’il ne saurait rester inerte face à une violation flagrante des droits de
l’homme, peu importe l’acte qui est à l’origine de cette violation…il ne s’agit pas
pour lui ici de contrôler la légalité d’une décision rendue par une juridiction
nationale mais de constater la violation manifeste des droits de l’homme contenue
dans un acte judiciaire » - 97. Certes la Cour a jugé dans de nombreux arrêts qu’elle n’est pas une Cour de
reformation des décisions des juridictions nationales ou d’interprétation des textes
nationaux. Il n’en demeure pas moins vrai qu’elle reste vigilante sur le respect strict
des textes internationaux ratifiés par les Etats membres dont la Guinée.
Le défendeur ayant ratifié la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples,
il ne saurait, sans violer les dispositions de l’article 11 de ladite Charte, interdire la
simple provocation à un attroupement non armé dans la mesure où une telle
interdiction revient à dénier aux requérants leur droit de se réunir et de manifester
pacifiquement.
La Cour conclut en conséquence que le défendeur a violé la liberté de réunion et de
manifestation pacifique des requérants.
IV SUR LA VIOLATION DU DROIT A UN RECOURS EFFECTIF
98. Les requérants rappellent que le droit à un recours effectif est consacré également
par l’article 9 de la Constitution Guinéenne qui dispose à son alinéa 2 que : « Tous
ont le droit imprescriptible de s’adresser à un juge pour faire valoir leurs
prétentions contre l’État et ses préposés ».
99. Ils indiquent qu’en l’espèce, la Cour a été saisie d’une exception
d’inconstitutionnalité et d’inconventionnalité en contestation des articles 47 et 48 de
la loi organique Z/2011/06/CNT portant création, organisation et fonctionnement de
la Cour constitutionnelle qui disposent : « La procédure devant la Cour
Constitutionnelle n’est pas contradictoire» … « Les audiences de la Cour
Constitutionnelle statuant en matière constitutionnelle ne sont pas publiques. Les
parties ne peuvent demander à y être entendues».
100. Les requérants soutiennent que la Cour constitutionnelle a rejeté purement et
simplement ce recours comme irrecevable au motif qu’ils ( les requérants) ne
peuvent pas soulever une telle exception devant elle.
Or, disent-ils, l’article 96 alinéa 2 de la Constitution est clair : « Tout plaideur peut
soulever l’exception d’inconstitutionnalité d’une loi devant toute juridiction ».
Selon les termes même de l’article 93 de la Constitution: «La Cour
constitutionnelle est la juridiction compétente en matière constitutionnelle,
électorale et des droits et libertés fondamentaux ».
101. Ils relèvent que la Cour a décidé qu’ils ne pouvaient pas soulever devant elle
une exception d’inconstitutionnalité en contestation d’une loi organique qu’elle est
la seule à pouvoir contrôler : en l’espèce, la loi organique L/2011/06/CNT Portant
création, organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnel.
Les requérants articulent par ailleurs que la Cour a rejeté dans les mêmes conditions
l’exception d’inconstitutionnalité soulevée en contestation de l’article 632 alinéa 1°"
du Code pénal qui réprime toute forme d’attroupement armé, même lorsque celui-ci
se déroule dans la sphère privée.
Dès lors, les requérants se disent fondés à soutenir que leurs droits fondamentaux,
notamment, le droit à un procès juste et équitable, ont été incontestablement violés.
102. Le défendeur estime qu’en ce qui concerne le droit à un recours effectif et
conséquemment à un procès équitable consacrés par les articles 7.1 de la Charte
africaine des droits de l’homme et des peuples, 8 et 10 de la DUDH et 14 du PIDCP,
il n’a guère été violé en l’espèce, à l’égard des requérants.
103. Il estime que par ce moyen, les requérants défèrent, les arrêts rendus par la Cour
Constitutionnelle devant la Cour de ce siège dès lors qu’ils s’attaquent à la
motivation de ces arrêts. r 104. Il fait valoir que l’appréciation des décisions rendues par les juridictions
nationales ne relève pas de la compétence de la Cour de Justice de la CEDEAO et
qu’à supposer que ladite Cour soit compétente pour en connaître, le grief qui lui est
fait n’est pas fondé puisque les requérants ont, à dessein, passé sous silence l’alinéa
6 de l’article 96 de l’ancienne Constitution dont l’application combinée avec l’alinéa
5 du même article justifie le bien-fondé de l’arrêt de la Cour Constitutionnelle.
105. Il rappelle qu’aux termes des deux alinéas de l’article 96 précité :
« Tout plaideur peut soulever l'exception d’inconstitutionnalité d’une loi devant
toute juridiction.
La juridiction saisie sursoit à statuer et renvoie l’exception devant La Cour
constitutionnelle. Dans ce cas, La Cour constitutionnelle statue dans les quinze jours
de sa saisine ».
106. En outre, le défendeur fait valoir que l’article 99 de cette Constitution dispose
que : « Les Arrêts de La Cour constitutionnelle sont sans recours et s'imposent aux
pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives, militaires et
juridictionnelles, ainsi qu’à toute personne physique ou morale ».
107. Le défendeur estime qu’en tout état de cause, la Cour Constitutionnelle, en
recevant les requêtes des requérants et en les examinant en moins de quinze (15)
jours francs, n’a pas violé leurs droits fondamentaux et qu’en conséquence, ceux-ci
sont mal fondés à invoquer une prétendue violation de leur droit à un recours effectif
et par conséquent à un procès équitable.
Il sollicite donc que la Cour rejette purement et simplement le présent recours.
ANALYSE DE LA COUR
108. La Cour rappelle que le droit à un recours effectif est un droit fondamental de
l’homme qui est inscrit dans différents instruments internationaux relatifs aux droits
de l'homme, notamment dans l'article 8 de la Convention européenne des droits de
l'homme et dans l'article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Ce droit implique que toute personne doit avoir accès à un recours devant une
autorité judiciaire ou administrative pour la protection de ses droits fondamentaux.
Le recours doit être effectif et rapide, et les autorités doivent traiter les demandes de
protection des droits de l'homme de manière impartiale et transparente. Ce droit
permet ainsi de garantir l'accès à la justice et la protection des droits de l'homme
pour tous.
109. La Cour note que le droit à un recours effectif fait partie des droits dont le
respect est nécessaire pour qu’il y ait un procès équitable.
Le droit à un procès équitable comprend plusieurs éléments, tels que :
1. Le droit à un juge impartial et indépendant qui examine l'affaire de manière
objective, sans parti pris ni influence extérieure.
2. Le droit à être informé des charges retenues contre soi, de manière à pouvoir
préparer sa défense de manière adéquate.
3. Le droit de bénéficier d'une assistance juridique, que ce soit par le choix d'un
avocat ou par l'octroi d'une aide juridique gratuite.
4. Le droit à un délai raisonnable pour préparer sa défense et ne pas être détenu sans
jugement ou être soumis à une détention préventive prolongée.
5. Le droit à un procès public, à moins que sa confidentialité puisse être justifiée par
des considérations de sécurité ou d'intérêt public.
6. Le droit de contester les preuves présentées contre soi et de produire des preuves
à l'appui de sa défense.
7. Le droit à la présomption d'innocence jusqu'à preuve du contraire.
8. Le droit de ne pas être contraint de témoigner contre soi-même.
9. Le droit à un jugement rapide et détaillé, assorti de la motivation des décisions
rendues.
10. Le droit à un recours effectif contre toute violation de ces éléments du droit à un
procès équitable.
Ces éléments sont essentiels pour assurer que les individus soient protégés contre les
abus de pouvoir et que la justice soit rendue équitablement.
110. La Cour souligne que le principe du recours effectif est imposé aux Etats par
les conventions internationales et tout particulièrement la Charte Africaine des
Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) en ses articles 1 et 7 et le Pacte
International relatif aux Droits Civils et Politiques (PIDCP) en son article 2.
L'article 1" de la CADHP dispose que : « les Etats membres de l’Organisation de
l’Unité Africaine (OUA), parties à la présente charte, reconnaissent les droits,
devoirs et libertés énoncés dans cette charte et s’engagent à adopter des mesures
législatives ou autres pour les appliquer ».
L'article 2 du PIDCP impose les mêmes obligations aux Etats parties au présent
pacte mais dispose spécifiquement en son alinéa 3 que : « les Etats parties au présent
pacte s’engagent à :
a) Garantir que toute personne dont les droits et liberté reconnus dans le présent
pacte auront été violés disposera d’un recours utile, alors même que la
violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de
leurs fonctions officielles ;
b) Garantir que l'autorité compétente, judiciaire, administrative ou législative,
ou toute autre autorité compétente selon la législation de l'Etat, statuera sur
les droits de la personne qui forme le recours et développera les possibilités
de recours juridictionnel ;
c) Garantir la bonne suite donnée par les autorités compétentes à tout recours
qui aura été reconnu justifié» J 0; @æ@ 111. La Cour note en conséquence que le recours effectif est, ainsi que le soutient le
Professeur Ar AQ, « le recours qui ne sera pas de pure forme mais
offrira toutes les garanties d'efficacité requises et quelques chances de succès, celui
qui aboutira à une décision susceptible de se matérialiser dans les faits ; est recours
effectif, celui qui permet à son auteur non seulement de saisir l’autorité compétente
de sa requête, mais aussi d'obtenir d’elle une décision pouvant se matérialiser dans
les faits ».
112. La Cour note qu’en l’espèce, il est constant que les requérants ont saisi la Cour
Constitutionnelle d’une exception d’inconstitutionnalité et d’inconventionnalité des
articles 47 et 48 de la loi organique portant création, organisation et fonctionnement
de la Cour Constitutionnelle qui disposent respectivement que « /a procédure devant
la Cour Constitutionnelle n’est pas contradictoire » (article 47) et que « les
audiences de la Cour Constitutionnelle statuant en matière constitutionnelle ne sont
pas publiques. Les parties ne peuvent demander à y être entendues ».
113. La Cour fait savoir qu’il est également constant que la Cour Constitutionnelle
a déclaré leur recours irrecevable.
La Cour estime dans ces conditions que l’argument présenté par les requérants en
invoquant le défaut de recours effectif manque de pertinence dans la mesure où le
défendeur a créé toutes les juridictions nécessaires, lesquelles sont fonctionnelles et
disponibles. Dans une affaire analogue, la Cour a jugé que le droit des requérants à
un recours effectif n’a pas été violé après avoir constaté que le défendeur a créé
toutes les juridictions nécessaires et que ces juridictions sont fonctionnelles et
disponibles. Affaire AM AK et autres contre l’Etat du Burkina Faso.
La Cour juge en conséquence qu’en l’espèce, le droit des requérants à un recours
effectif n’a pas été violé par le défendeur et qu’il n’y a donc pas eu violation du droit
à un procès équitable.
V SUR LES REPARATIONS DES PREJUDICES ALLEGUES
114. Les requérants sollicitent qu’il plaise à la Cour de céans, condamner le
défendeur à leur payer le dollar symbolique à titre de dommages et intérêts en
réparation des préjudices qui leur auraient été causés.
115. En réponse à cette demande, le défendeur fait valoir qu’il n’a commis aucune
faute de nature à engager sa responsabilité et ne saurait par conséquent être
condamné à réparer un prétendu préjudice qu’auraient subi les requérants. Le
défendeur estime en définitive qu’il n’a commis aucune violation des droits de
l’homme.
ANALYSE DE LA COUR
116. La Cour rappelle que sa compétence en matière de violation des droits de
l’homme lui permet non seulement de constater lesdites violations mais aussi
d’ordonner leur réparation s’il y a lieu ; néanmoins, les dommages et intérêts ne sont
alloués à la victime d’un dommage que pour réparer le préjudice qu’elle a subi par
la faute de l’auteur de ce dommage.
117. Il en résulte que la victime doit justifier sa qualité de victime et prouver le
préjudice dont elle sollicite réparation.
118. L’indemnité qui doit être allouée à la victime doit avoir pour objectif la
réparation intégrale du préjudice subi. C’est ce qui ressort de l’arrêt
ECW/CCI/JUD/11/16 rendu le 17 mai 2016 dans l’affaire Ap
AH et 3 autres contre la République du Mali où la Cour a tout d’abord
constaté qu’ « en l’espèce, n’étant ni fonctionnaires, ni commerçantes, la mère de
l’orpheline (Ap AN) ainsi que les deux sœurs du de cujus (Ap
AH et Av AH) ont effectué toutes sortes de
corvées et de tâches serviles pendant 22 ans (de février 1993, date de décès du de
cujus A AH, à février 2015, date de la présente requête) pour assurer leur propre survie ainsi que celle de l’orpheline dans une localité où la
majorité de la population tire ses revenus essentiellement des travaux champêtres.
Cette situation les a sérieusement affectées et l’orpheline, en raison de son bas âge,
a reçu une éducation hypothétique, à cause d’un manque de moyens de subsistance
et risque d’entrainer, ad vitam aeternam, les séquelles ;
119. Qu'il résulte de cet exposé des faits que l'exclusion des requérantes du droit à
la succession sur la terre appartenant à leur de cujus, leur a causé, non seulement
un préjudice matériel mais aussi, un préjudice moral » avant de soutenir qu’ « au
regard de la nature des préjudices subis par les requérantes, il convient de déclarer
l’Etat du Mali entièrement responsable desdits préjudices et d’en ordonner la
réparation » et le condamner à leur payer la somme de dix millions de francs CFA
à chacune d’elles à titre de dommages et intérêts.
120. Dans le cas d’espèce, ayant déjà conclu que le défendeur a violé le droit des
requérants au respect de l’ordre constitutionnel et leur droit à une alternance
politique ainsi que leur liberté de réunion et de manifestation pacifique, la Cour
estime que leur demande en paiement du dollar symbolique à titre de dommages et
intérêts doit être déclarée bien fondée.
121. Il convient donc de condamner le défendeur à payer aux requérants le dollar
symbolique à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis du fait
de la violation de leurs droits au respect de l’ordre constitutionnel, leur droit à une
alternance politique ainsi que leur liberté de réunion et de manifestation pacifique.
VI SUR LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE EN PAYEMENT DE
DOMMAGES ET INTEÊTS
122. Le défendeur sollicite que la Cour condamne solidairement les requérants à lui
payer le franc symbolique à titre de dommages et intérêts.
Les requérants n’ont pas déposé de mémoire relatif à cette demande pour faire
connaître leur avis.
ANALYSE DE LA COUR
123. La Cour rappelle que les dommages et intérêts sont une compensation
financière accordée à une personne qui a subi un préjudice ou une perte. Ils sont
généralement accordés pour réparer de manière juste et équitable le préjudice subi
par la victime. Le montant des dommages et intérêts dépend des circonstances de
chaque cas et est généralement évalué par le juge en fonction des preuves présentées.
124. La Cour constate qu’en l’espèce, le défendeur se contente de solliciter
reconventionnellement la condamnation solidaire des requérants à lui payer le franc
symbolique à titre de dommages et intérêts sans même indiquer les faits sur la base
desquels il formule cette demande.
La Cour estime par conséquent que le défendeur doit être débouté de cette demande
en paiement du franc symbolique à titre de dommages et intérêts comme étant non
fondée.
XI. DES DÉPENS
125. Aux termes de l’article 66, alinéa 2 du Règlement de procédure, la partie qui
succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens par l’autre partie.
La Cour note qu’en l’espèce les requérants ont conclu à la condamnation du
défendeur à leur verser la somme de cent million (100 000 000) de FCFA à titre
d’honoraires d’avocat et la somme de sept million (7 000 000) de FCFA à titre de
frais de séjour et de déplacement sous réserve de la production des pièces
justificatives en application des dispositions des articles 66 et 69 du Règlement de
la Cour contrairement au défendeur qui s’est abstenu de cpnclure dans ce sens. En conséquence, la Cour dit que le défendeur ayant partiellement succombé, supportera
les dépens tels que calculés par le greffe de la Cour.
Par ces motifs, la Cour siégeant en audience publique et ayant entendu les deux
parties :
Sur la compétence :
La Cour se rapporte à l’arrêt avant dire droit du 19 mars 2020 par lequel elle s’est
déclarée compétente pour connaître de cette affaire ;
Sur la recevabilité
La Cour s’en rapporte à l’arrêt avant dire droit du 19 mars 2020 par lequel elle a
déclaré irrecevable la requête telle qu’elle est dirigée contre la CEDEAO et contre
chacun des 14 autres Etats membres de la CEDEAO pour défaut de qualité pour agir
et a, en revanche, déclaré la requête recevable telle qu’elle est dirigée contre l’Etat
de Guinée ;
Sur le fond
Dit que le défendeur n’a pas violé le droit des requérants de participer aux élections
ni leur droit à un procès équitable ;
Dit en revanche que le défendeur a violé le droit des requérants au respect de l’ordre
constitutionnel et leur droit à une alternance politique ainsi que leur liberté de
réunion et de manifestation pacifique ; , 02 = Déclare en conséquence les requérants bien fondés leur en demande en paiement du
dollar symbolique à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu’ils
ont subi du fait de la violation de leurs droits au respect de l’ordre constitutionnel,
leur droit à une alternance politique ainsi que leur liberté de réunion et de
manifestation pacifique ;
Déclare par contre non fondée la demande en paiement du franc symbolique à titre
de dommages et intérêts formulée par le défendeur ;
L’en déboute ;
Condamne le défendeur à leur payer le dollar symbolique à titre de dommages et
intérêts ;
DES DÉPENS :
Condamne le défendeur aux entiers dépens.
Ainsi fait et jugé les jour, mois et an que dessus.
Et ont signé :
Hon. Juge Edward Amoako ASANTE - Président
Hon. Juge Gberi-bèlÀ OUATTARA - Juge Rapporteur /
Hon. Juge Sengu M. AI - Membre
ASSISTES DE :Dr. Aa B - Greffier en Chef 5